L’ANSSI et le test Google

Je fais partie des premières générations d’étudiants de lycéens à avoir été autorisées à utiliser une calculatrice électronique au baccalauréat. J’ai donc connu les deux systèmes: la règle à calcul et les tables de logarithmes versus la calculatrice électronique. Autant vous dire que j’ai choisi mon camp immédiatement !

Et pourtant, je me souviens des querelles sans fin opposant les « pour » et les « contre », avec en ligne de mire la disparition des capacités intellectuelles des générations futures. Au passage, si je constate effectivement une baisse des aptitudes au calcul mental de mes étudiants, je me permets de constater une hausse très nette de leurs compétences dans bons nombres de domaines utiles au métier de l’ingénieur (mais j’y reviendrai).

Les professeurs de l’époque ont du s’adapter au monde nouveau qui s’imposait à eux. Ils ont du revoir les problèmes qu’ils donnaient à leurs élèves, parfois depuis plusieurs décennies. En effet, certains problèmes devenaient ridiculement faciles dès lors que l’on disposait de ce magnifique instrument de calcul. J’appelais ces problèmes « les tests calculatrices ». Certains professeurs ont mis plus de temps à s’adapter, ce qui m’a permis d’avoir parfois des notes inespérées, en particulier en chimie. Je me souviens de ces vieux professeurs qui nous grommelaient « comment ferez vous pour calculer vos logarithmes si la calculatrice tombe en panne »…

Il faut savoir accepter le progrès, s’adapter et accepter que certaines compétences deviennent obsolètes. L’utilisation des tables de logarithmes en fait partie.

L’accès facile à internet pour tous les étudiants, partout et tout le temps grâce aux téléphones mobiles, a changé la donne pour beaucoup d’enseignants et révolutionne la manière d’appréhender beaucoup de problèmes. Est-il nécessaire d’apprendre par cœur telle ou telle somme d’information quand elle est facilement accessible ? Quel type de savoir faut-il enseigner : la connaissance qu’une information existe, savoir la retrouver ou la connaissance en elle-même ? Chaque professeur répond à ce type de question selon sa pratique et son savoir-faire. Mais cela donne parfois lieu à ce que j’appelle « des tests Google », c’est-à-dire des tests où les réponses se trouvent facilement avec un moteur de recherche.

Je suis personnellement en plein questionnement sur mon devenir professionnel : je fais ma petite crise de la cinquantaine et, malgré un travail que j’aime et qui me propose encore beaucoup de défis, j’ai du mal à admettre que je ne pourrai plus jamais changer d’emploi dans les 15 années à venir, si je ne le fais pas maintenant. Je suis donc en train de répondre à des annonces et de passer des entretiens. Vu mon profil et mon expérience d’expert judiciaire, je recherche un poste dans l’analyse inforensique. Au passage, je remercie les lecteurs de ce blog et tous les twittos qui ont relayé l’information.

Et parmi les milliers centaines dizaines quelques offres sur ce créneau visibles sur le marché, j’ai répondu à une annonce de l’ANSSI. L’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information regroupe en effet de nombreux spécialistes de l’investigation numérique, dont quelques uns que j’ai pu rencontrer au SSTIC. C’est donc avec une vrai envie de travailler avec ces personnes que je me suis rendu à l’entretien d’embauche qui m’a été proposé.

J’ai accepté de ne pas dévoiler le contenu de cet entretien, aussi je ne vous donnerai pas de détails sur son déroulement, rien sur la confiscation de mes téléphones à l’accueil, je n’aborderai pas la difficulté de trouver l’adresse, ni la climatisation en panne.

Un point m’a néanmoins surpris: les recruteurs m’ont fait passer ce que j’appelle un « test Google ». Appelé « test technique », il s’agit d’un long formulaire comportant de nombreuses questions techniques sur tous les aspects de l’inforensique. Toutes les réponses de ce test se trouvent facilement sur Google. Sauf que je n’avais pas accès à internet…

Le problème est que je travaille depuis de nombreuses années avec un accès internet (depuis 1990 en fait), et que j’ai pris l’habitude d’intégrer cet outil dans ma manière de travailler. A cinquante ans, je n’apprends plus par cœur les paramètres des commandes UNIX que je n’utilise que de temps en temps. Je n’apprends plus par cœur les définitions des concepts que je manipule. Lorsque j’ai besoin de construire une expression rationnelle, je le fais avec l’aide d’internet. Quand j’ai un doute sur l’orthographe d’un mot, je le googlise.

Bref, j’utilise internet comme une gigantesque encyclopédie. Et de la même manière qu’avec la calculatrice, j’ai oublié la manière de « calculer les logarithmes avec les tables », j’ai placé un certain nombre de mes connaissances « dans le nuage »… Pas toutes bien sur, mais celles qu’il me semble inutile d’encombrer mon esprit. Pareillement, je ne retiens aucun numéro de téléphone ni rendez-vous: une partie de ma vie est dans mon téléphone…

Je sais, c’est mal pour exercer sa mémoire. J’ai longtemps un peu lutté contre cette fainéantise, mais mon naturel a pris le dessus. Pourquoi faire cet effort, quand tant d’autres efforts sont à faire !

Ce qui fait que je me suis trouvé ridicule à ne pas savoir répondre à certaines questions du formulaire ANSSI, telle que « quelle est la différence entre un processus et un thread ». Ne riez pas.

Pourtant, je suis persuadé que la mesure des connaissances, que ce soit pour évaluer un étudiant ou un candidat à l’embauche, doit être autre chose qu’un « test Google ». J’aurais préféré qu’on ai un peu plus confiance en ma capacité à apprendre, à m’adapter. J’aurais préféré qu’on regarde un peu plus mon parcours, mes réalisations, mes succès et mes échecs.

J’aurais préféré qu’on ne me dise pas « bossez un peu plus l’inforensique des systèmes live et revenez dans deux ans ». Même si c’est vrai.

Dans deux ans, j’aurai des lunettes Google et je réussirai tous les tests Google!

Dans deux ans, j’aurai peut-être réussi à travailler avec les meilleurs de l’ANSSI!

Mais dans deux ans, j’aurai 52 ans.

xkcd « Tar » https://xkcd.com/1168/

Les défis des potes

Comme beaucoup de personnes, j’ai perdu des proches à cause de la maladie. J’ai ainsi perdu ma tante, ma grand-mère et ma belle sœur, toutes les trois mortes d’un cancer. J’aimais ces personnes et elles me manquent beaucoup.

Avec un groupe d’amis, nous nous retrouvons, depuis plus de vingt ans, pour faire la fête, des randonnées, des activités sportives et des visites, dans différentes régions de France. Les enfants de chacun sont venus grossir la troupe, ce qui fait qu’il n’est pas rare qu’on soit une quarantaine de personnes à hurler chanter, danser, boire et s’amuser dans un gîte loué pour l’occasion. Et comme les enfants deviennent enfin grands, nous allons même pouvoir enfin reprendre nos chansons paillardes…

Et depuis que l’une d’entre nous est partie, mangée par le crabe, nous lui dédions toutes nos activités sportives, en général sous la forme d’un défi.

Le prochain défi, ce sont les 24h du Mans vélo

Notre première participation à cette épreuve d’endurance de 24h remonte à l’année dernière. J’en avais parlé dans ce billet. D’ailleurs, quand je relis le billet, je me demande pourquoi j’ai accepté de recommencer… même si je l’avais inscrit comme résolution n°6 pour l’année 2013 !

Évidemment, comme l’année dernière, je n’ai rien fait comme préparation physique. Je continue simplement à faire mon trajet quotidien boulot-dodo en vélo, ce qui me paraît nettement insuffisant. J’ai beau faire de l’aviron de temps en temps, mon objectif d’un IMC à 25 est loin d’être atteint et s’est même éloigné assez fortement pendant ces dernières vacances. Et je me suis fait un tour de rein pas plus tard que samedi dernier en déménageant ma grande fifille…

C’est mal parti.

Pourtant, j’attends avec impatience ce week-end qui promet d’être infernal.

Parce que c’est chouette de retrouver ses amis et sa famille.

Parce qu’il faut se lancer des défis de temps en temps.

Parce qu’il faut manger-bouger.

Parce qu’on a la chance de pouvoir le faire.

Ce week-end, je vais donner mon maximum en pensant à mes douleurs et en maudissant mes amis. Je vais faire 87,885 km, soit 21 tours du circuit Bugatti, en 4 séries (5+5+5+6, oui notre coach pense que je vais être meilleurs sur la dernière série!) en relais dans une équipe de huit personnes. Je vais faire fonctionner certains des 650 muscles dont je ne soupçonne pas encore l’existence. Je vais haïr cette selle incompatible avec mon postérieur douillet. Je vais anathématiser les vélocipédistes et abominer l’objet de leur adoration.

Mais surtout, je penserai à toi Manu.

Explorations

Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en septembre 2009, évoque un souvenir personnel très fort. La puissance de la jeunesse sans doute 😉 Il clôt également cette série de rediffusion estivale.

Bonne (re)lecture.

——————————

Cela fait 20 jours que nous explorons une zone d’environ 80 km2 autour
de notre camp de base. Nous sommes huit, nous sommes jeunes, nous sommes
en Crête.

On devient un jour spéléologue, mais on le reste toute sa vie.

L’expédition de spéléologie est prévue pour durer un mois, ayant obtenu
les autorisations nécessaires auprès de la fédération spéléologique de
Grèce relativement facilement car cela fait maintenant plusieurs années
que mon club vient dans ce coin de Crête.

Nous sommes en pleine montagne, loin, très loin des plages surpeuplées
de touristes. Un berger nous a prêté sa bergerie de montagne située près
d’un point d’eau. C’est un luxe pour nous de pouvoir dormir au chaud
car les nuits sont fraîches à cette altitude.

Depuis le début de notre expédition, nous avons découvert et exploré
deux ou trois nouveaux gouffres chaque jour, à des profondeurs comprises
entre 10m et 100m. L’entrée de chaque gouffre est répertoriée sur nos
cartes qui commencent à ressembler à un beau ciel étoilé.

Deux ans auparavant j’avais participé à la découverte du plus grand gouffre de Grèce de l’époque[1] en effectuant ma 1ère grande première.
L’année suivante avait été consacrée à son exploration jusqu’à un
siphon que nous avons exploré sur 10m (à 473m sous la surface).

Cette année, nous cherchons à contourner ce siphon pour poursuivre l’exploration.

Et depuis le début de l’expédition, nous tombons sur des impasses. Mais à
chaque exploration, nos cœurs battent pendant des heures avec l’espoir
de tomber sur une grosse galerie souterraine qui nous emmènerait tel le
métro de la Pierre Saint Martin à des centaines de mètres sous terre…
Nous cherchons dans le gouffre principal, mais aussi à l’extérieur dans
un rayon de 5km.

Ce 20e jour, avec un camarade, nous trouvons à 3h de marche du camp une
petite ouverture de 30 cm entre deux rochers qui semble prometteuse.
Avec une torche improvisée, je regarde à travers le passage et aperçois
une salle obscure.

Nous nous équipons fébrilement en troquant nos chaussures de marche et
nos shorts contre des bottes et des combinaisons chaudes par 35°C à
l’ombre…

Nous nous faufilons dans la fissure et explorons la salle. Celle-ci fait
20m sur 5m avec un plafond culminant à 4m. Très proche de la surface,
elle est sèche et chaude. Mais au fond, l’eau a creusé une petite
fissure à la verticale d’un puits que je sonde à la louche en lançant
une pierre: plutôt profond!

Problème: la fissure est plutôt franchement étroite.

Pendant une heure, mon ami et moi allons taper avec nos marteaux pour
tenter d’élargir un bout de la fissure, tout en étant attaché solidement
pour éviter de tomber dans le puits si par hasard un bloc se détachait
brutalement.

Finalement, au bout d’une heure, nous pouvons passer la tête à travers
la fissure. Et selon l’adage bien connu des spéléologues, si la tête
passe, on peut faire passer le corps!

Ayant gagné à la courte paille, j’ai l’honneur de passer le premier. Il
me faut un bon quart d’heure pour forcer le passage et me retrouver
suspendu dans le vide sur une corde de 30m épaisse comme mon index.

Je commence à descendre tout doucement, en expliquant ce que je vois à mon camarade:

– « c’est beau »…

– « ça brille beaucoup »…

– « il y a un filet d’eau qui court sur la paroi »…

– « le puits s’élargit maintenant sur plus de cinq mètres »…

– « je ne vois toujours pas le fond »…

– « ça y est. Je suis sur le noeud de fin de corde! Toujours pas de fond! »

– « je ne peux pas m’approcher d’une paroi. Je raboute la corde suivante! »

Je n’aime pas trop cet exercice qui consiste à attacher une corde
supplémentaire à la corde sur laquelle je me trouve. Il faut en effet
réaliser un nœud particulier que mon descendeur ne pourra pas franchir.
Il me faudra donc exécuter « un passage de noeud » en plein puits.
Toujours sans voir le fond!

– « je suis sur la 2e corde! Je continue! »

– « je suis au fond! Le puits doit faire 60m!! »

– « ça continue! »

– « il y a une galerie de 10m qui donne sur un autre puits!!! »

– « ça souffle fort!! »

Je sonde le puits avec ma frontale électrique: profondeur estimée=20m.
Je suis seul, pas question de continuer sans mon équipier. Je remonte.

Sachant que la tête du premier puits est difficile à franchir, je crie à
mon équipier que je souhaite d’abord vérifier que je peux ressortir
avant qu’il ne me rejoigne.

Je remonte donc le puits de 60m avec mes poignées-bloqueurs et mon
bloqueur de pied. Le passage de nœud est plus facile à la remontée.

Arrivé en haut du puits, je regarde la fissure que je dois refranchir à la verticale.

Je vais tout tenter pendant une heure!

Pendant une heure, je vais torturer mon corps pour qu’il repasse cette
fissure que j’ai franchie à l’aller! Pendant une heure, je vais sentir
la panique monter en moi par vagues successives. Impossible de repasser!

La pesanteur qui m’avait aidé à l’aller me gêne au retour. Le vide de
60m sous moi me sert les tripes et les parois sont trop loin pour que
j’y prenne appui. Je suis coincé au plafond du puits!

La gorge serrée par la peur, je demande à mon camarade d’aller chercher du secours.

Avant cela, il me propose une solution alternative: redescendre le puits
pour me mettre à l’abri pour qu’il puisse essayer d’élargir la fissure à
coups de marteau.

Je redescends et me mets à l’abri dans la galerie. Je baisse la
luminosité de la flamme de mon casque à acétylène. Je vérifie que ma
lampe de secours électrique fonctionne. Je m’assois sur mon sac pour
éviter l’hypothermie car je crains que l’attente ne soit longue.

Je commence à entendre les coups de marteau de mon collègue.

Je commence à entendre le bruit des pierres qui ricochent sur le fond du puits.

Je commence à me calmer.

J’en profite pour topographier les lieux au topofil (mesureur à fil perdu) et au compas/clinomètre Sunnto.

Après une demi-heure de martelage, mon camarade me crie qu’il pense
avoir élargi la fissure. Je me déshabille au maximum et me retrouve en
sous-combinaison. Je laisse toutes mes affaires dans mon sac accroché en
bout de corde.

Je remonte.

Arrivé à la fissure, je me précipite dans le passage. Je me contorsionne
pendant quelques minutes. Mon baudrier se coince. Impossible de le
débloquer, mes bras sont déjà passés et ma tête aussi. Mon camarade se
faufile jusqu’à moi et arrive à me décrocher de l’aspérité. Un dernier
effort et me voilà passé. Je suis livide. Lui aussi.

Je remonte la corde avec mon sac au bout. Je le vide à travers l’étroiture car il est trop gros pour passer.

Nous sortons dehors. Il fait nuit. Les autres s’inquiètent mais la
consigne est de ne donner l’alerte que le lendemain midi. Nous rentrons à
la lueur de nos lampes. Je suis exténué.

Deux jours plus tard, nous repartons à cinq pour explorer la suite du
gouffre. Nous n’avons jamais réussi à en retrouver l’entrée.

Heureusement que mon copain n’était pas allé chercher les secours!

Mes mesures topographiques montreront après calculs que j’avais atteint la côte de -80m avec arrêt sur un puits estimé à 20m.

J’ai toujours pensé depuis que la suite de ce gouffre nous aurait conduit vers la rivière souterraine que nous cherchions.

On ne l’a jamais trouvée.

———————-

[1]
Les spéléos du groupe Catamaran de Montbéliard ont atteint depuis la
profondeur de -1208 mètres au gouffre Gorgothakas, offrant ainsi à la
Grèce son premier « moins mille ». Bien au delà des possibilités de mon
club d’étudiants.

Les experts peuvent se tromper…

Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en septembre 2009, rappelle que la justice est humaine, et la science aussi.

Bonne (re)lecture.

————————————–

J’ai lu attentivement l’article de Jean-Marc Manach dans InternetActu qui s’intitule « Quand les experts se trompent« , article repris par ailleurs dans Le Monde.fr.

Je dois dire que j’ai déjà écrit quelques mots timides sur le sujet dans ma rubrique « erreurs judiciaires« ,
souvent sur des points de détails ou sur des affaires lointaines, afin
d’éviter de trop attirer les foudres de mes confrères experts
judiciaires, tout au moins ceux qui voient ce blog d’un mauvais œil.

Mais depuis « l’affaire Zythom« ,
je dois dire également que je me sens plus libre d’exprimer ce que je
pense, dès lors que je n’enfreins aucune loi de la République. Enfin, du
fait que je n’appartiens activement à aucun réseau d’experts
judiciaires, je dois rappeler que mes écrits ne reflètent que ma seule
opinion, et non celle de l’ensemble des experts judiciaires.

Je peux donc dire que l’article est excellent et qu’il me sert d’excuse pour un petit rappel sur le sujet.

Les experts peuvent se tromper pour de multiples raisons.

Dans mon billet sur la femme sans visage, je relate une enquête policière détruite par des relevés ADN souillés dès l’usine de fabrication. Les affaires Fourré, Dupas, Martin, Bernard, Castro, Goujon sont là pour nous rappeler que les experts judiciaires n’ont pas toujours brillé par leur infaillibilité.

Même les meilleurs d’entre nous doivent se rappeler que la science évolue au cours du temps. L’expert judiciaire Tardieu ne s’était jamais trompé. Il a seulement subi les ignorances de la science.

En matière informatique, avec les formidables avancées techniques où
tout semble possible, les erreurs potentielles sont nombreuses. Il
suffit pour s’en convaincre de lire par exemple les débats sur la loi
Hadopi (je n‘en parle pas ici).

Moi-même, je suis passé pas loin d’une erreur judiciaire

Les experts se trompent parfois, mais il y a plusieurs parades à cela.
Contre expertise, collège d’experts et bien entendu les
experts-conseils.

Je parle assez peu (pour l’instant) de mon activité d’expert-conseil sur
ce blog et pour cause, je consacre actuellement toutes mes forces à
l’expertise judiciaire classique. Mais il m’arrive d’être contacté par
un avocat qui souhaite être conseillé sur un dossier par un expert
technique. On parle alors d’expertise privée.

Je l’aide alors à analyser un pré-rapport d’expertise « du point de vue
technique », à rédiger des dires techniques en pointant ce qui m’apparaît
comme des imprécisions techniques (ou des erreurs). Ou alors je
l’assiste comme « expert privé » lors d’une procédure d’expertise menée
par un expert judiciaire.

Et pour éviter toute suspicion d’entente avec un confrère, je n’accepte que des dossiers situés hors de ma Cour d’Appel.

Mais tout cela coûte de l’argent (malgré mes honoraires très bas – pub)
et est difficilement supportable par le citoyen lambda. Encore moins par
le budget de la justice. Même dans mon cas où je travaille uniquement à
distance par échanges GPG pour éviter les frais et honoraires de
déplacements.

Enfin, je voudrais rappeler que dans toute affaire terminée par une
condamnation erronée, l’un des acteurs, à un moment quelconque, a
enfreint une règle essentielle de sa délicate mission. Et directement ou
non, l’erreur est née de cette faute. Par penchant, plus souvent par
imprudence, langueur d’esprit, désir d’arriver à un résultat ou crainte
de laisser un crime impuni, quelqu’un a pris parti contre le prévenu.
Dès lors, il l’a tenu coupable. Il n’a pas conçu la possibilité de son
innocence, et, pour découvrir la vérité, il a cru qu’il suffisait de
chercher des preuves de culpabilité. Les meilleurs s’y laissent aller.
Ils croient bien faire, et préparent « des condamnations plus crimineuses
que le crime » [Montaigne, Essais, livre III, chap.XII].

C’est terrible à dire, mais la justice est humaine, et la science aussi.

Un petit week-end

Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en septembre 2009, raconte une anecdote terrible que j’ai vécue lors d’une expertise judiciaire. J’en ai encore des frissons.

Bonne (re)lecture et bon courage.

—————————–

Elle est vêtue de vêtements chatoyants et court sur une route de terre.
Plusieurs personnes courent avec elle. La vidéo n’est pas de très bonne
qualité. On ne distingue pas bien ce que ces personnes tiennent à la
main.

Le vidéaste zoome maladroitement.

Optiquement la femme s’approche de moi, simple téléspectateur sur mon
écran d’ordinateur, et je constate que les personnes qui courent avec
elle sont des hommes, munis de machettes, qui courent après elle.

L’un d’eux la rattrape et lui plante la machette dans le crane.

Les yeux de la femme sont exorbités alors qu’elle hurle en tombant. La
vidéo n’a pas de son mais son cri me saute au yeux. L’homme itère son
geste et lui fait éclater le crane.

Des morceaux de cervelle s’éparpillent sur la piste, alors que les derniers poursuivants arrivent à sa hauteur.

Ils rient.

Et moi, malgré mes dix années d’expérience comme expert judiciaire, je pleure.

Cette séquence, je viens de la subir en visionnant le contenu d’un
disque dur mis sous scellé. Comme d’habitude, le magistrat m’a missionné
pour analyser le disque dur à la recherche d’images et de films
pédopornographiques. Et comme d’habitude, je visionne un nombre
important d’images et de films, parmi lesquels se trouve un nombre
important d’images et de films pornographiques, parmi lesquels peuvent
se trouver cachés un certain nombre d’images et de films
pédopornographiques… et ce film tourné probablement pendant les
massacres du Rwanda.

Et je dois visionner chaque film pour remplir ma mission correctement.

Ceux qui pensent que la violence présente à la télévision ou au cinéma
banalise la violence réelle se trompent. Je regarde avec frissons « Le
silence des agneaux », « Hannibal », « Alien » ou tout autre slasher movie.
Mais tout est faux. « C’est du cinéma ». Même quand c’est tiré d’un fait
réel, le spectateur sait qu’il assiste à une mise en scène.

Mais quand on « sent » que c’est vrai, que les images sont réelles, c’est
très différent. On assiste à la mort violente d’une personne et on n’y
est pas préparé. Peut-on s’y préparer d’ailleurs? Même les 20 premières
minutes de « Il faut sauver le soldat Ryan » ne m’ont pas préparé à ça. Et
pourtant elles m’ont secoué.

J’ai survolé très rapidement le reste de la vidéo pour m’assurer
qu’aucune scène pédopornographique n’avait été insérée au milieu de ces
scènes de massacres. Il n’y en avait aucune. Je n’en ai pas trouvé
d’ailleurs sur ce disque dur. Juste de la pornographie. Et cette vidéo
de massacres dans un fichier portant un nom de film pornographique.

Mais cette scène restera gravée dans mon esprit.

La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. J’ai eu ma part pour ce week-end.

C’était juste un petit week-end pour un petit expert judiciaire de province.

Les vélos

Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en septembre 2009, décrit une des réalisations (collectives) professionnelles dont je suis le plus fier. Curieusement, ce n’est pas dans le domaine informatique…  

Bonne (re)lecture.

—————————-

Je me demande parfois si, en matière d’écologie, les efforts individuels
ne sont pas vains, surtout quand je fais cinquante mètres pour jeter un
papier dans une poubelle alors que le sol est jonché de détritus.

La mode est à l’écologie depuis que le public découvre avec effroi les
conséquences de deux siècles de production industrielle. Le milieu de
l’enseignement supérieur n’y échappe pas et les écoles d’ingénieurs
doivent intégrer cette prise de conscience.

L’intégrer, mais aussi la développer et l’encourager. Car, avec un peu
d’idées et la volonté de faire avancer les choses, tout est possible.

Mes étudiants se plaignent souvent de ne pas avoir de places de parking
disponibles pour leur voiture le matin quand ils arrivent à l’école (du
coup ils se garent n’importe où). Après avoir étudié le problème dans
tous les sens, je me suis rendu compte que la solution était ailleurs:
encourager l’utilisation du vélo (90% des étudiants habitent à moins de
10mn de l’école).

Je suis donc arrivé un matin au travail avec l’idée suivante: et si on donnait gratuitement un vélo aux étudiants!

L’idée a paru tout d’abord saugrenue, mais mon directeur a tout de suite
compris que l’idée était réalisable si l’on s’y mettait à plusieurs, et
surtout que cette idée avait un sens: le sens de l’histoire.

Toute la direction s’y est attelée: la com’, la recherche, la pédagogie
et les finances. Ce travail d’équipe a permis de trouver des
financements auprès des collectivités (qui, elles, ont compris depuis
longtemps le problème et tentent toutes les solutions), de convaincre
des sponsors, d’obtenir des réductions et pour finir, de faire réaliser
200 vélos tous neufs de très bonne qualité à proposer aux nouveaux
étudiants.

Des mois d’efforts, de travail et de réunions pour arriver à boucler le projet.

Et enfin, à la rentrée, les vélos ont été distribués aux nouveaux
étudiants contre l’engagement d’en prendre soin (les vélos ne leur
appartiennent pas mais sont prêtés pour toute la durée de leurs études)
et de les utiliser le plus possible. De plus, les étudiants disposent de
50% de réduction sur le forfait « transport public » annuel.

L’opération a tellement bien fonctionné qu’il m’a fallu construire des places de parking à vélos supplémentaires!

Pour le plus grand plaisir de tous.

Une idée simple, quelques bonnes volontés à convaincre, un gros travail
d’équipe, des politiques qui suivent et soutiennent le projet, et hop,
on change quelques mentalités, on éduque et on progresse.

Je sais, c’est mal, je ne devrais pas en parler sur ce blog, mais je
suis très fier d’être à l’origine de ce projet et d’y avoir contribué un
petit peu. Je suis très fier également d’appartenir à une équipe qui a
su mener le projet à son terme.

Prochaine étape: tri sélectif et cellules photovoltaïques sur le toit. Yes we can.

Le dernier maillon…

Cette année 2013 a jusque là été plutôt chargée, tant du point de vue professionnel, que du point de vue des expertises judiciaires ou de la préparation de la campagne des élections municipales… C’est aussi une bien belle année du côté privé, avec par exemple l’arrivée des 50 ans et la fête que mes amis viennent de m’offrir 😉

Dans les semaines qui viennent, je vais essayer de profiter de ma petite famille. Je vais donc délaisser un peu ce blog. Mais je sais que vous avez de la lecture avec la parution récente du tome 4, qui permet aux retardataires d’avoir une lecture ciblée de billets sélectionnés. Je remercie au passage tous ceux qui ont acheté ou téléchargé les différents tomes du blog. Cela me fait plaisir de voir que ce modeste blog perso suscite un tel intérêt.

Du coup, je vous ai programmé
quelques billets qui sont des rediffusions d’anciens billets du blog
auxquels je souhaite donner une seconde chance, en général parce qu’ils
ont une place particulière dans mon cœur. Pour repérer rapidement ces
rediffusions, je commencerai toujours les billets par « Dans le cadre des
rediffusions estivales » 😉

Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en août 2009, raconte une anecdote judiciaire où j’ai voulu mettre en avant le rôle des petites mains qui forment souvent le cœur des entreprises. C’est un billet pour lequel j’ai une certaine tendresse.

Bonne (re)lecture.

—————————————

Elle venait d’entrer dans la salle, impressionnée par tant de personnes.

La réunion durait depuis plusieurs heures, j’avais écouté toutes les
explications fournies par les parties, et je ne comprenais toujours pas
pourquoi les deux entreprises en étaient arrivées là.

J’avais surtout compris que le support informatique effectué par la
société de service ne s’était pas déroulé correctement et que les deux
entreprises étaient maintenant au bord du gouffre, l’une parce qu’elle
avait perdu toute ses données et l’autre son plus gros client.

Mais après avoir écouté, dans l’ordre de bienséance hiérarchique, les
grands patrons, puis les avocats, les chefs de service et les chefs de
projet, je ne comprenais pas ce qui avait fait tout capoter.

On me parlait de milliers d’euros de pertes par jour, de licenciements,
de dépôt de bilan. Et moi, je ramenais toujours les débats sur le
terrain de l’expertise judiciaire en informatique,
rappelant que mes missions n’incluaient pas l’analyse comptable et
financière de la situation, mais la recherche des causes techniques
(exclusivement).

Bon, j’avais compris dès le début de la réunion que les rapports humains
s’étaient vite envenimés dans cette affaire qui aurait peut-être pu se
régler plus simplement et plus rapidement si les deux parties avaient
usées d’un peu plus de diplomatie…

Enfin quoi, un serveur ne tombe pas en panne en même temps que son
système de sauvegarde: disques durs en miroir (RAID1), sauvegardes
quotidiennes complètes avec rotation sur trois bandes, archivage d’une
bande chaque semaine hors site.

La société de service me décrit un système de sécurité des données
infaillibles, et un suivi des procédures avec traçabilité, etc. « Nous
sommes certifiés ISO machin, vous comprenez, notre société est au
dessus de tout soupçon, nous n’employons que des personnes compétentes,
suivant des formations régulièrement, nous avons mis en place un système
de télésurveillance avec prise de contrôle à distance qui nous permet
de faire des interventions en un temps record…
 » m’a expliqué de long en large le patron de la SSII.

« Nous payons très cher un service support qui n’a pas été capable d’empêcher ce désastre… »
Me dit le patron de l’entreprise, entre deux invectives, au milieu de
reproches divers sans rapport avec l’affaire qui nous concerne.

Nous avions passé en revu l’accès distant du support via internet, les
fiches ISO machin d’intervention des techniciens, les rapports, les
dossiers techniques, les courriers recommandés.

Moi, je voulais voir la personne qui avait appelé le support…

Elle venait d’entrer dans la salle, impressionnée par tant de personnes.

Je lui pose les questions d’usage: prénom, nom et intitulé de la
fonction au sein de l’entreprise. Dans un silence à la tension palpable,
elle me raconte sa version de cette journée noire.

Elle: « Comme d’habitude, avant de
partir déjeuner, j’ai mis la bande dans le serveur et lancé la
sauvegarde. Je sais que c’est une opération importante alors je la fais
toujours avec précautions. Mon chef m’a dit que les bandes étaient très
chères.
 »

Moi: « Comment saviez-vous que c’était la bonne bande à placer dans le boîtier? »

Elle: « Les bandes sont numérotées et je dois mettre la bande correspondant au numéro du jour. »

Moi: « Pouvez-vous préciser? J’avais cru comprendre qu’il n’y avait que trois bandes. »

Elle: « Oui, mais la bande numéro 3 a
été mise de côté par le comptable après la clôture des comptes. Il m’a
dit de mettre la bande numéro 1 les jours impairs et la bande numéro 2
les jours pairs. J’ai trouvé cela astucieux, car avant, je devais à
chaque fois noter dans un cahier le numéro de la bande utilisée.
 »

Moi: « Montrez-moi ce cahier, s’il vous plaît. Donc depuis huit mois les
sauvegardes ne se faisaient que sur deux bandes. Pouvez-vous me dire ce
qui c’est passé à votre retour de pause déjeuner? »

Elle: « Les assistants m’ont appelé
pour me dire que leurs terminaux ne fonctionnaient plus et pour me
demander de redémarrer le serveur. J’y suis allé et j’ai vu que l’écran
était tout bleu avec des inscriptions que je n’ai pas comprises. Avant
de redémarrer le serveur, j’ai appelé le support. Le technicien m’a dit
que cela arrivait de temps en temps et qu’il fallait que je redémarre le
serveur. Je lui ai dit que la sauvegarde ne s’était pas terminée
correctement. Il m’a dit de la relancer.
 »

Moi: « Vous avez utilisé la même bande? »

Elle: « Oui. C’est d’ailleurs ce que
m’a demandé le technicien lorsque je l’ai rappelé une heure plus tard
pour lui dire que de nouveau plus rien ne fonctionnait et que la
sauvegarde s’était encore mal terminée. Il m’a alors indiqué que la
bande devait être défectueuse et que c’est ça qui devait « planter » le
serveur. Il m’a alors recommandé d’utiliser une autre bande. C’est pour
cela que j’ai mis la bande n°2 alors que ce n’était pas le bon jour.
 »

Moi: « Vous n’avez pas de bandes neuves? »

Elle: « On ne m’en a pas donné et j’ai cru que c’était parce qu’elles coûtaient cher. »

Moi: « Mais, quand votre chef vous a dit qu’elles avaient de la valeur,
ne voulait-il pas dire cela à cause des données qui étaient stockées
dessus? »

Elle: « Ce n’est pas ce que j’ai compris. On m’a dit qu’elles étaient chères… »

Moi: « Mais en mettant la deuxième bande, ne vous êtes-vous pas dit que
si elle venait également à être effacée, il n’y aurait plus de
sauvegarde? »

Elle: « Non, je n’ai fait que suivre les indications du support… »

Je l’ai regardé sortir de la salle et j’ai eu une pensée émue pour les
gens qui sont les derniers maillons de la chaîne de commandement, les
petites mains. Ce sont souvent elles qui ont les plus grandes
responsabilités in fine.

Mais je n’ai pas oublié l’ensemble des décideurs:

– un disque dur en miroir sans remontée d’alertes et sans surveillance.
Résultat: depuis plusieurs mois, l’un des deux disques était en panne.
Il ne restait plus qu’à attendre la panne du deuxième, ce qui venait
d’arriver pendant le stress généré par la sauvegarde.

– une mauvaise formation des employés concernant le système de
sauvegarde (et le coût des bandes en regard du coût de la perte des
données). Ils n’avaient pas conscience que lorsqu’une sauvegarde
démarre, elle écrase les données précédentes. Si elle est interrompue
brutalement, la bande est inexploitable. Deux bandes inexploitables à
cause d’un disque en train de tomber en panne et toutes les données sont
perdues…

– une prise de contrôle à distance inopérante en cas d’écran bleu qui aurait du déclencher la venue en urgence d’un technicien.

– la décision du support de sacrifier une deuxième bande de sauvegarde
sans s’être renseigné sur l’existence d’une autre bande de sauvegarde récente et en état.

– la décision de retirer une bande du jeu de trois sans prévenir le
support, surtout quand cela annule la sauvegarde hebdomadaire avec
déport hors site.

– l’absence totale d’exercice de restauration de données et de tests des bandes utilisées.

– la situation de quasi abandon du serveur du point de vue physique avec
traces de serpillière sur la carcasse posée à même le sol et sur la
multiprise parafoudre…

Il y avait beaucoup de choses à dire sur le respect de l’état de l’art
par les deux entreprises. Il y a de nombreuses fois où je n’envie pas le
juge qui doit trancher. Je me contente de rester un simple technicien
de l’informatique.

Mais j’ai encore aujourd’hui une pensée pour le dernier maillon de la
chaîne, celui à qui on dit d’appuyer sur le bouton et qui fait tout
exploser…

———————–

Source image xkcd

Les innocents

Lorsqu’un enquêteur me confie un scellé, celui-ci est bien entendu accompagné d’une mission, comme par exemple : « fournir tous les éléments en rapport avec les faits ». Ce type de mission présente une particularité redoutable : il est impossible de prévoir le temps que l’on va mettre pour analyser le contenu du scellé…

Prenons un exemple. Je suis contacté par téléphone par un enquêteur, en général un gendarme ou un policier. Celui-ci évoque quelques éléments de son dossier en rapport avec la mission qu’il compte me confier. Souvent l’enquêteur me demande conseil sur la rédaction exacte de la mission, pour ne pas faire de bourde (exemple de bourde : « imprimer sur papier toutes les images retrouvées ». Je DOIS effectuer la mission, même s’il y a 20 000 images !).

L’enquêteur aime également être précis sur les termes techniques qu’il va utiliser pour décrire la mission, surtout dans un domaine qu’il ne maîtrise pas forcément. Encore que dans le domaine de l’informatique, gendarmes, policiers et magistrats ont énormément progressé ces dernières années. Je trouve de moins en moins de scellés sans disque dur… Et de plus en plus de scellés avec leurs périphériques USB !

Mais je n’arrive quasiment jamais à avoir une réponse à cette question simple : quelle est la taille du ou des disques durs.

Prenons un exemple plus précis : l’enquêteur m’explique que le propriétaire de l’ordinateur est soupçonné d’échanger des images pédopornographiques. Son ordinateur a été placé sous scellé et ma mission, si je l’accepte, est la suivante (vous remarquerez qu’en fait, il y a plusieurs missions):

– réceptionner le scellé et le briser

– faire une copie des données numériques présentes sur les disques durs présents dans le scellé

– rechercher toutes traces d’images pédopornographiques

– rechercher tous les échanges effectués en rapport avec ces images (emails, sites internet, chat, etc.)

– fournir tous les éléments en rapport avec les faits

– placer sur cédérom ou dvd tous les éléments trouvés, en deux exemplaires

– reconstituer le scellé et rédiger un rapport.

En général, l’enquêteur arrive assez vite sur ce qu’il a en tête depuis le début de la conversation : « acceptez-vous la mission ? ».

A ce stade, j’essaye d’en savoir un peu plus : système d’exploitation, taille des disques durs… En général sans succès. J’essaye aussi de négocier la livraison du scellé à mon domicile (souvent possible, mais de moins en moins).

Mais avant tout cela, il me faut accepter la mission et établir un devis, qui doit aussi être accepté par le magistrat qui supervise l’enquête pour que l’expertise démarre. Autant vous dire que le devis est parfaitement pifométrique au nez doigt mouillé. Dans l’affaire qui m’intéresse, j’ai estimé l’analyse à environ 20 heures de travail, parce que je suis un grand naïf et que je me refuse à établir des devis plus réalistes…

Après prise de rendez-vous et dépôt d’une demi-journée de congés payés, le jour J, à l’heure H prévue, l’enquêteur est à ma porte, avec le scellé. Il vérifie mon identité avec un lecteur d’empreinte rétinienne en me demandant mon nom, et je signe les papiers d’acceptation de mission et de réception du scellé.

Il ne me reste plus qu’à jeter le scellé sur un mur pour le briser, et ma première mission est terminée. Je plaisante. J’ouvre le scellé en coupant le cordon de l’étiquette jaunie par le temps (ce type d’étique date probablement du milieu du siècle dernier) attachée subtilement autour de l’ordinateur. Sache, jeune padawan enquêteur, que je m’amuse beaucoup à essayer d’accéder à l’ordinateur SANS briser le scellé. Seul un Chevalier Jedi sait emmailloter correctement un scellé pour que PERSONNE ne puisse l’ouvrir sans le briser.

On s’amuse comme on peut.

C’est à ce moment-là, dans l’affaire en question, que je me suis rendu compte que le scellé contenait un disque dur de 3 To…

Bien bien bien. Je m’équipe comme il faut d’un nouveau NAS pour absorber l’image du disque dur, plus toutes les données extraites. Soit environ 6 To. Rien que ce travail là m’a pris un mois. Entre réglages, tests divers, hésitations, mesures de performances, le temps s’écoule très vite le soir et les week-ends (n’oubliez pas que le reste du temps j’ai un vrai métier).

Je procède, la main tremblante, à la copie du disque dur. Tout est fait pour qu’il ne tombe pas en panne à ce moment là : ventilateur, onduleur, encens et divers rites liés à ma foi. La copie a duré 48h pendant lesquelles j’ai très mal dormi.

Voici venu le temps de l’exploration préalable de la copie du disque dur. C’est un moment que j’aime bien : en effet, au cœur des ténèbres, j’aime l’odeur du napalm au petit matin… Je me promène l’air de rien sur le disque dur pour regarder à qui j’ai affaire.

Ce disque dur avait l’air d’appartenir à quelqu’un de normal.

Mince.

Je procède alors à la récupération de toutes les images présentes sur le disque dur, effacées ou non. Me voici à la tête de dizaine de milliers d’images. Pendant des jours (en fait des nuits), je trie, je regarde, je cherche des images pédopornographiques: rien !

Je vérifie la présence de logiciels de chiffrage, de stéganographie. J’étudie en profondeur la base de registre qui garde trace de… tout en fait: clefs et disques durs USB installées et branchés, logiciels installés, supprimés, etc. Rien d’intéressant !

Je lis tous les documents doc, pdf, txt, cvs, odt, le contenu des zip, 7z, rar, etc. Nenio !

Je cherche tous les fichiers de grandes tailles, je vérifie la présence de containers TrueCrypt ou équivalent. Niente !

Je dresse la liste de tous les logiciels de communication présents (il y en a beaucoup) : Skype, Windows Live, Outlook, Firefox, Chrome, Internet Explorer… Pour chacun, je dis bien POUR CHACUN, il me faut étudier leurs traces, les messages échangés, leurs bases de données, souvent chiffrées d’une manière propriétaire.

Je commence par les outils de messagerie : déchiffrage des bases, analyse des échanges. Patiemment, outils après outils, avec l’aide des sites spécialisés en inforensique, avec les outils développés par la communauté, je cherche des échanges entre pédopornographes, des éléments en rapport avec les faits. Nichts !

L’enquêteur m’appelle de temps en temps pour me presser connaître l’état d’avancement de mes investigations. Je le tiens au courant. Si je trouve quelque chose, j’ai sa ligne directe et un forfait illimité.

J’attaque ensuite les historiques de navigation. Entre les différents comptes des utilisateurs de l’ordinateur, et les fichiers effacés, je me suis retrouvé avec 800 000 fichiers à analyser ! Cookies, URL, données des caches… Un confrère m’a orienté vers un logiciel que je ne connaissais pas : NetAnalysis. Test de la version d’essai, achat à mes frais de la licence, attente de la réception du dongle. Une fois le dongle reçu, j’analyse les données, je reconstitue les pages consultées à partir des données en cache, y compris les caches effacés. Un mois passe. Nada !

L’utilisation de l’ordinateur semble normale : du surf sur des sites pornographiques (internet, c’est pour le porno), des photos de famille, des films d’amateur, de la musique, des accès Youtube, le bon coin, Meetic. Rien d’anormal. Dim !

Je suis dans le cas de figure où l’on creuse partout sans savoir ce que l’on cherche réellement comme cadavre, dans une affaire où il n’y a pas de corps… Il faut me rendre à l’évidence, j’ai affaire à un innocent !

Mince.

Enfin.

300 heures de travail, à la recherche de preuves ignobles, la peur au ventre de tomber sur des images immondes, pour finalement me dire que l’ordinateur semble normal. Que son propriétaire est normal. Que ses utilisateurs sont normaux.

Soulagement.

Je n’ai pas pu m’empêcher néanmoins d’avoir un petit pincement au cœur quand j’ai rédigé ma note de frais et honoraires dans laquelle je mentionne 20 heures de travail. Mais j’ai travaillé pour la France, j’ai blanchi un innocent, je dispose de deux NAS performants et d’une clim pour mon bureau, j’ai appris à me servir d’un logiciel efficace acheté à mes frais. J’ai occupé mes soirées et mes week-ends.

Je suis heureux.

Mais ce sont quand même les innocents qui demandent le plus d’efforts.

————————————

Source image MegaPortail.

Tome 4

Après pas mal de rebondissements, le tome 4 du blog est enfin prêt 🙂

Le bébé fait 242 pages et le papa se porte bien…

Vous le trouverez au format papier pour un prix modique chez mon éditeur (cliquez sur le lien). Il agrémentera avec élégance votre bibliothèque, ou fera l’objet d’un cadeau original pour vos parents et vos amis 😉

C’est une autre façon de lire le blog et de le faire partager.

Parce que j’aime l’esprit de partage qui règne sur internet, il est également disponible sans DRM dans les formats suivants (cliquez pour télécharger) :

Pdf (2166 Ko)

Epub (278 Ko)

Fb2 (543 Ko)

Lit (413 Ko)

Lrf (532 Ko)

Mobi (578 Ko)

Papier (242 pages 😉

Bien sûr, les tomes précédents sont encore disponibles, en format papier ou électronique sur la page publications.

Avertissements :

Les habitués du blog le savent, mais cela va mieux en l’écrivant: la
publication des billets de mon blog, sous la forme de livres, est
surtout destinée à ma famille et à mes proches. C’est la raison pour
laquelle j’ai choisi la démarche d’une autopublication. J’ai endossé
tous les métiers amenant à la publication d’un livre, et croyez moi, ces
personnes méritent amplement leurs salaires! Mise en page, corrections,
choix des titres, choix des couvertures, choix du format, choix des
polices de caractère, marketing, numérisation, etc., sont un aperçu des
activités qui amènent à la réalisation d’un livre. Je ne suis pas un
professionnel de ces questions, je vous prie donc de m’excuser si le
résultat n’est pas à la hauteur de la qualité que vous pouviez attendre.
Le fait d’avoir travaillé seul (avec Mme Zythom-mère pour la relecture, merci à
elle), explique aussi le faible prix de la version papier pour un livre
de 242 pages.

Je me dois également, par honnêteté envers les acheteurs du livre, de
dire que les billets en question sont encore en ligne et le resteront.
Les billets sont identiques, à part les adaptations indiquées ci-après.

Le passage d’un billet de blog à une version papier nécessite la
suppression des liens. J’ai donc inséré beaucoup de « notes de bas de
page » pour expliquer ou remplacer les liens d’origine. Dans la version
électronique, j’ai laissé les liens ET les notes de bas de page. Je vous
incite à lire les notes de bas de page le plus souvent possible car j’y
ai glissé quelques explications qui éclaireront les allusions
obscures.

J’espère que ce tome 4 vous plaira. En tout cas, je vous en souhaite une bonne lecture.

Fujiyo LAPUCE 1748-1792

Au détour d’une promenade dans le charmant petit village de Moncrabeau, en pleine Gascogne et à 35 km d’Agen, je suis tombé sur cette plaque à la mémoire de Fujiyo LAPUCE :

Bien peu de gens connaissent Fujiyo LAPUCE et pourtant son influence a été très importante sur son temps (1748-1792). Même encore à présent les schémas directeurs informatiques des grandes multinationales s’appuient sur les fondements politico-macro-économiques qu’il avait mis en exergue de son vivant.

C’est lui qui, au reçu de son relevé de taxe sur la gabelle, avait dit et écrit (1772) cette phrase qui reste encore d’actualité « ça, c’est tout faux, c’est encore l’informatique qui débloque ».

Qui de nos jours n’a pas entendu cette judicieuse remarque passée à la postérité!

Né de père et de mère inconnus, il a été trouvé, un beau matin d’août 1748 devant l’entrée du relais des postes de Moncrabeau. Agé de quelques jours, il n’était pas tatoué et n’avait pour toute fortune que son linge de coprs marqué de son prénom en grec « FUJIYO ». L’utilisation de cette langue laisse à penser que ses parents étaient soit des érudits soit des émigrés venus pour le ramassage des prunes.

Élevé par le receveur de l’époque, le sieur LAPUCE qui lui donna son nom, il passa une petite enfance heureuse à Moncrabeau. Il fit des études brillantes chez les jésuites de Nérac où il fut remarqué par le Comte de Pomarède qui l’emmène à Versailles et le présente à la cour en juin 1769.

Passionné de serrurerie, le Roi Louis lui passa commande d’une serrure de sécurité informatisée dont le fonctionnement ne serait connu que de lui seul. Fujiyo se mit au travail et trois mois plus tard proposa au Roi une serrure codée mue par l’électricité statique (très abondante à l’époque). Pour actionner le mécanisme, il fallait frotter treize fois un bâtonnet d’ambre sur un pourpoint de soie et introduire le bâtonnet dans un réceptacle aménagé à cet effet. L’électricité accumulée attirait un cliquet de métal qui débloquait le penne et permettait l’ouverture.


Le Roi fut enthousiasmé et, après avoir fait jurer le secret à Fujiyo, fit installer immédiatement la serrure sur la porte d’accès à la chambre de la Reine Marie-Antoinette. En récompense, le souverain signa une ordonnance conférant à Fujiyo LAPUCE le titre inaliénable « d’informaticien du Roi » (14 juillet 1774).


Le secret du système d’ouverture, découvert dans les archives de la Reine défunte, nu fut dévoilé que 5 ans après la mort de Fujiyo LAPUCE, en 1797, par Camille Desmoulins à la tribune de l’Assemblée Nationale.

Vous trouverez dans le même village, le crâne d’Henri IV enfant (voir photo ci-après, réalisée par votre serviteur).

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

N’hésitez pas à aller visiter Moncrabeau 😉