Rien ne vaut que le silence

J’ai fait mon service militaire en Allemagne dans un régiment français de transmission dont la devise était “Rien ne vaut que le silence”. Je trouvais cette devise étrange pour des soldats responsables des transmissions, aussi, entre deux exercices destinés à aguerrir les plus faibles, j’ai posé la question au sergent de ma compagnie. Voici ce qu’il m’avait répondu :

“Les transmetteurs sont parachutés derrière les lignes ennemis et doivent rester discrets. Avant de rendre compte, les transmetteurs observent l’ennemi et écoutent ses transmissions”, m’a-t-il expliqué, avant de m’envoyer préparer l’arrivée des beaux jours.

Aujourd’hui, je suis tombé sur une citation du poète Rumi : “Plus vous êtes silencieux, plus vous êtes capable d’entendre.” D’après ce que j’ai pu comprendre, le sens profond de cette citation est que nous sommes invités à méditer pour observer notre cœur spirituel et reconnaître la vérité ultime (Rumi était un poète mystique persan qui a profondément influencé le soufisme). D’après lui, le silence mental nous donne un aperçu profond, et Rumi nous encourage à faire taire notre esprit pour entendre la vérité.

Il se trouve que cette citation de Rumi est traduite en anglais par “the quieter you are, the more you are able to hear”, et que cette phrase est la devise de la distribution Back track 5″, qui s’appelle aujourd’hui Kali Linux, et qui est spécialisée dans la sécurité informatique.

La devise existait en deux versions, la deuxième étant : “the quieter you become, the more your are able to hear”, que je traduis par “plus vous devenez silencieux, plus vous êtes capables d’écouter”.

Mais au fond de mon cœur, la meilleure traduction serait “Rien ne vaut que le silence”.

Je vous laisse, j’ai des magnifiques fonds d’écran Kali à aller admirer.

Le morpion du jour des trois jours

Dans le cadre des rediffusions hivernales, le billet d’aujourd’hui a été publié le 22 juin 2009 et était le premier de ma rubrique “Service militaire“. J’ai été assez surpris du succès de cette rubrique, surtout auprès des plus jeunes de mes lecteurs, si j’en juge par les commentaires. Bonne (re)lecture 😉

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J’ai conscience que beaucoup de lecteurs de ce blog viennent pour y lire
des anecdotes sur le monde de l’expertise judiciaire. C’est mal connaitre l'”esprit” de ce blog: j’y confie tout ce qui me passe par la
tête ou presque et entre autre chose des anecdotes pour ma famille et
mes amis. J’ai décidé d’inaugurer une nouvelle rubrique dans la
catégorie “privée”: des anecdotes sur mon service militaire. A petite
dose.

Je n’ai jamais vraiment aimé l’armée, mais j’ai toujours trouvé qu’elle
représentait un mal nécessaire, un passage obligatoire qu’il fallait
prendre du meilleur côté possible. Évidemment, maintenant que le service
militaire n’est plus obligatoire, cela fait un peu “vieux papi”. Mais
il fut un temps pas si lointain où pour tous les garçons qui
atteignaient 18 ans, la question militaire devenait incontournable.

Les trois jours

Dans mon lycée, les pires légendes couraient sur ces fameux trois jours
de casernement: les lits étaient sales, les douches collectives
malodorantes, il fallait se lever à cinq heures du matin pour passer son
temps à attendre…

Déjà, la plupart du temps, les trois jours n’en duraient qu’un seul. En
tout cas, ce fut le cas de tout ceux qui m’accompagnaient. Arrivés le
matin, nous avons commencé par des tests de logique: une heure à cocher
des cases en courant contre la montre. Mes amis redoublant m’avaient
prévenu: tu ne finiras pas le questionnaire. Il faut essayer de répondre
juste au maximum de questions.

On nous a fait ensuite patienter une heure le temps pour les appelés de procéder à la correction.

Munis de nos résultats, nous voici en train de poursuivre le parcours fléché vers étape suivante: la visite médicale.

Je ne suis pas quelqu’un qui fait les premiers pas quand je ne connais
personne. J’étais donc un peu isolé parmi la dizaine de petits groupes
qui s’étaient formés alentour. Un gars plutôt rondouillard s’approche de
moi et me demande si je sais où il faut aller pour la suite. Je lui
réponds qu’il suffit de suivre les énormes flèches et de lire les
indications. Pas rassuré pour autant, il me demande la note que j’ai
obtenu aux tests. Je lui réponds discrètement: j’ai eu 20. Il me regarde
avec des yeux tous ronds: quoi! A ben ça alors. Moi j’ai eu 7 et
j’aurais voulu travailler comme cuisinier. Ils m’ont dit qu’il fallait
avoir au moins 10 pour s’engager.

Je compatis avec lui. Il me suivra toute la journée, se méfiant des
flèches et des indications, préférant suivre mon 20 plutôt que son bon
sens à lui. Je ne sais s’il a eu raison.

La visite médicale est un grand classique. Nous voici dix alignés face à
un mur sur lequel sont accrochés dix urinoirs. Au commandement, nous
avançons avec notre flacon de verre vide pour le remplir. Quelques
minutes ensuite, nous nous reculons avec notre verre de liquide chaud à
la main. Sauf mon camarade d’infortune qui, tout rouge, annonce d’une
petite voix qu’il n’a plus envie, ayant cédé à un besoin naturel
quelques instants avant la visite médicale. L’appelé de service lui
explique qu’il doit pouvoir fournir quelques gouttes en se forçant un
peu… Ce qu’il fera avec grandes difficultés et moultes soupirs.

Puis vient l’examen de l’acuité visuelle. Nous sommes en file indienne.
Je suis juste derrière mon camarade cuisinier. Lorsque le médecin lui
demande de se cacher l’œil droit, je le vois mettre sa main sur l’œil
droit et appuyer fortement dessus tout en lisant les lignes de
caractères. Quand le médecin lui demande de faire la même chose avec
l’autre œil, son œil droit était devenu incapable de lire quoi que ce
soit… Le médecin haussa les épaules et cria: suivant! Je pris bien
garde à placer ma main devant mon œil. On apprend toujours des erreurs
d’autrui.

Tous les futurs appelés ayant eu au dessus de 15 aux tests de logique
devaient passer un autre test que j’attendais avec impatience: le test
de morse. Nous allions passer une heure à nous entrainer à apprendre à
reconnaitre trois lettres, I N et T[*].
L’entrainement consistait à suivre les indications fournies dans les
hauts parleurs par une bande magnétique. Chaque époque a ses NTICE.
Passé l’heure d’entrainement, l’épreuve proprement dite commençait. Mes
amis m’avaient prévenu: la grille des réponses comportait des groupes de
cinq lettres à remplir. Les hauts parleurs allaient passer les sons
morses à un rythme initial très lent, puis accélérer sensiblement
jusqu’à soutenir un rythme tellement rapide qu’il était impossible pour
un débutant de le soutenir. Le truc consistait alors à sauter les
groupes de cinq lettres non reconnues et d’essayer de grappiller des
points en saisissant au vol quelques groupes de lettres. Résultat: 20 🙂

C’est probablement pour cela que j’ai ensuite effectué mon mois de
classes dans les transmissions. Cela ne peut pas être un hasard…

PS: Je n’ai jamais su ce qu’était devenu mon camarade morpion du jour
des trois jours. S’il me lit ici, qu’il sache que si j’avais l’air sur
de moi, j’étais également un peu perdu. J’espère qu’il a trouvé le
bonheur qu’il méritait.

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[*] INT, c’était également le nom d’une grande école d’ingénieurs: l’Institut National des Télécommunications. Un hasard??

Les grands bonhommes verts

Nous sommes isolés dans ce grand désert blanc. Il est temps de faire une pause. Blottis les uns contre les autres, tels des manchots empereurs immobiles, nous restons silencieux devant la beauté de la nature qui nous entoure.

Nous sommes dans les années 80, l’année 2000 est encore loin et reste une référence de modernité futuriste. C’est l’époque où je me suis plongé par hasard dans l’univers de la science fiction en ouvrant par le milieu “Dune” de Frank Herbert (un pavé de 746 pages!) sans pouvoir le refermer avant d’arriver à la fin pour le recommencer ensuite depuis le début.

Alors que mes pensées vagabondent à plusieurs années lumières, j’aperçois au loin un groupe de personnes. Je les regarde s’avancer comme des Fremen, démarche silencieuse, souple et arythmique, fondus dans le désert blanc. Ont-ils les yeux bleus sur fond bleu à cause de l’Épice?

Mon guide les a aperçus et se redresse, attentif.

Il se rassoit, soulagé, en disant: “Tiens, voilà les grands bonhommes verts…”

La réverbération du soleil alentour m’empêche de distinguer les détails. Je plisse les yeux pour mieux voir. Certains portent un distille avec un tuyau en provenance de leur dos. Ils sont tous vêtus de vert, avec une grosse bosse sur leur dos. Leurs têtes sont nues, lisses et vertes également. En regardant bien, je distingue une antenne qui leur sort du dos…

Je me sens comme Luke Devereaux dans “Martiens, Go Home!” de Fredric Brown: que font tous ces martiens sur ma planète!

Ils s’avancent vers moi, je commence à distinguer leurs visages. Ils transpirent. Leurs crânes nus sont en fait des casques, la bosse de leur dos un énorme sac à dos duquel dépasse une antenne de transmission, et leur démarche de Fremen vient des raquettes qu’ils ont aux pieds. Ils passent devant nous silencieux, comme si nous n’existions pas.

Un groupe de militaires tout de vert kaki vêtus marche dans la neige. Je viens de finir mon service militaire, je les regarde avec compassion.

Quelques minutes après, mon moniteur de ski se lève et nous rechaussons nos monoskis. La montagne renvoie en écho son cri: “Allez! On les rattrape, bande de limaces!”

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Je pars demain au ski. Il paraît que la mode va revenir aux monoskis. J’aurais moins l’air d’un dinosaure 😉

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Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Source: https://www.render.ru

Frimas d’hiver

J’aime beaucoup l’outil Twitter qui me permet de découvrir des liens ou des informations en quelques heures minutes sur tous les thèmes. Hier, je suis tombé sur un flood de @eBlacksheep qui racontait un souvenir militaire qui m’a touché, parce que j’ai connu à peu près la même expérience. Je le publie ici, pour mon plaisir et avec son aimable autorisation. Je garde la mise en page propre aux messages courts de Twitter.

Sur la colline, le vent sibérien brûle mes derniers espoirs de confort. J’attends le transport qui me soustraira aux morsures du froid.

Contingent 99/12, je me souviens. Le Valdahon, la petite Sibérie. On nous a coupé les cheveux, très courts.

On nous a ordonné de mettre des joggings bleus électriques avec un sigle bleu blanc rouge et une épée.

Et puis nous avons attendu, raides et alignés, dans le froid de la petite Sibérie, dans le vent furieux d’appétit.

Nous ne savions pas. Nous ne savions pas que notre bonheur par la suite de porter le kaki serait la marque de notre chute.

Un matin, soleil endormi derrière l’horizon nous nous levons. Saisis immédiatement par le vent hurlant, dévoreur de talent.

Au garde à vous, nous attendons. Nos yeux pleurent, nos âmes se tapissent au fond d’un vide insoupçonné.

L’on part chercher un fusil, un FAMAS et un chargeur vide. Les camions arrivent. Nous les regardons plein d’espoir, promesse d’ailleurs.

Nous attendons, stoïques et souffrants, dans le vent. L’odeur du gasoil froid nous retourne le cœur, l’esprit s’est rendu au midi.

Nous montons enfin, le treillis raidi, la parka à peine doublée, insignifiants talismans. La petite Sibérie nous a pris.

Dans le camion, c’est pire, partout le vent, le cahot et le tumulte. Froid assis est pire que froid debout.

Nous arrivons dans des bois blancs, le givre à l’œuvre a dévoré les couleurs et nous regarde menaçant.

Paquetage ordonné, tente montée de tremblements, de doigts gourds, de larmes gelées. Vient le rassemblement.

Il neige. Une neige pourrie, mouillée qui gèle à nos pieds. Nous partons en maraude dans les bois accomplir moult exploits.

De retour, transis, gelés, épuisés, mouillés jusqu’au ticheurt un feu nous attend au camp de fortune. Vite, mettre les pieds dedans.

Enfin sentir la vie, la flamme, l’espoir. Vite se détourner, courir, ils ont lancé une grenade dans le feu en rigolant grassement.

Trois blessés pour cette blague de potache. L’un a couru, épuisé, dans une branche et saigne abondamment. Les autres brûlés par les braises.

Il faut demeurer aware, c’est la guerre. La nuit, mouvements par petits groupes. Les infirmiers font des va-et-vient.

Le froid a aboli nos sens, nous perdons l’équilibre, ne voyons plus, nos gestes ne sont plus nos volontés. Beaucoup de blessés.

Des branches, des racines, des visages giflés, des entorses. Certains craquent et menacent de leurs armes chargées à blanc.

Dans la tente, l’ordre de dormir avec son FAMAS est donné. C’est l’ordre de dormir avec un pain de glace à ses côtés.

Nul sommeil pour celui qui mouillé, frigorifié, affamé est allongé sur la terre gelée. Attente. Espoir du jour, du soleil froid.

Enfin. Deux ne se sont pas réveillés, ils sont hospitalisés. Hypothermie. Je calcule pour autant que je peux.

En 24 heures de terrain le peloton a perdu plus d’un homme par heure.

Nous repartons, mes doigts mouillés et gelés ressemblent à la peau fripée d’un vieux bébé. Mon index ne bouge plus.

Pour tirer sur les cibles en carton cachées dans la forêt, je bouge ma main, l’index raide sur la gâchette.

Ce n’est plus un coup de doigt, c’est un coup de main. Mouvement, une grenade explose au ralenti, je plonge en planant longtemps, j’atterris.

Les épines du buisson m’accueillant ont fait leur œuvre. ma main est visqueuse dans le gant mouillé.

Le pouce ouvert, flétri et mou, s’est offert sans résistance à la pointe de la nature. Ce n’est rien me dit-on.

Je lèche mon sang. Vampire de moi même. Encore deux blessés dans mon groupe, cette fois, retour au camp.

Le colonel commandant le régiment est là, mine sévère. Le peloton est décimé. Alerté par l’infirmerie, il est venu commander.

Le regard dur sur l’adjudant chef commandant le peloton, il ordonne le retour au régiment.

Je me souviens, petite Sibérie. Je me souviens du vent idiot, du froid insensé qui faisait sonner les cloches de la destruction.

3 février 2012 eBlacksheep

Le don du sang

J’ai toujours eu peur des piqures et pourtant, je suis un adepte du principe du don du sang. Il me faut donc lutter en permanence contre ma phobie et faire un effort surhumain pour aller donner mon sang.

Les étudiants de l’école d’ingénieurs où je travaille organisent régulièrement la venue d’une équipe de collecte de sang. A chaque fois, je sens une peur panique monter en moi à l’idée même de devoir me faire piquer le bras.

Cela remonte à l’époque de mon service militaire.

Nous étions tous en file indienne, les 180 appelés du régiment, pour passer la visite médicale. Pourquoi celle-ci n’était-elle pas organisée en petit groupe avec horaire de convocation, je ne le saurai jamais. Une longue file d’attente était donc en place, depuis la porte de l’infirmerie, jusque dans la cour, en passant par toute une série de couloirs dans lesquels nous attendions silencieux. L’entrée dans l’infirmerie se faisait par une porte, la sortie par une autre un peu plus loin, dans le même couloir.

J’étais dans le début de la file.

A chaque sortie d’un appelé, celui-ci remontait tout le couloir pour sortir dans la cour. Nous lui demandions ce qui se passait à l’intérieur, et surtout si ça faisait mal. Les réponses étaient variables, un peu floues, et l’inquiétude régnait dans la file.

Mon tour est vite arrivé. J’entre dans la pièce. Je salue l’infirmière d’un “bonjour madame”. Elle me répond sèchement: “On dit bonjour Capitaine, et je suis médecin”. Oups. Elle me demande de me dévêtir pour l’examen. “Heu, dévêtir comment?”. “Vous vous mettez torse nu et en sous vêtement.” “Oui Capitaine. Ai-je l’autorisation de garder mes chaussettes?”. Son regard noir m’a servi d’autorisation.

[Je vous passe l’épisode toujours embarrassant de la palpation des testicules, pour en arriver directement à la prise de sang.]

“Allongez-vous ici, et tendez votre bras en serrant le poing”.

J’obtempère en prenant la précaution de regarder attentivement un détail sur le mur opposé à mon bras. C’est d’ailleurs intéressant de constater que je n’ai absolument aucun souvenir de ce que mes yeux pouvaient bien observer, mais que je sens encore aujourd’hui l’aiguille entrer dans mon bras. Je me souviens très bien également des mots utilisés par ma Capitaine-médecin en retirant l’aiguille: “Merde, merde, merde” tout en courant à l’autre bout de la pièce chercher un énorme paquet de coton.

A ma question posée d’une voix blanche: “Heuu, qu’est-ce qu’il se passe?”, elle a répondu succinctement: “Rien, j’ai juste claqué la veine”.

A ce stade du récit, je dois préciser que mes notions d’anatomie remontent au découpage d’une grenouille et au dépeçage d’une moule au lycée, et que pour moi, une veine est une sorte de tuyau dans lequel coule du sang. Une “veine claquée” est donc pour moi l’équivalent d’un tuyau d’arrosage sous pression qui vient d’éclater.

En fixant le mur de plus en plus intensément, l’image qui s’impose à mon cerveau concernant mon bras gauche est donc un petit geyser de sang qui doit éclabousser toute une partie de l’infirmerie.

Je palis légèrement.

Le médecin revient immédiatement avec un ÉNORME paquet de coton qu’elle place entièrement sur mon bras blessé, en me demandant de bien vouloir le maintenir en place avec ma main valide, tout en exerçant une pression pour arrêter le sang.

Je palis un peu plus.

Elle s’empare d’une bande et entreprend d’effectuer le plus gros bandage que j’ai jamais pu voir sur un bras en emprisonnant l’intégralité du paquet de coton. Elle me montre le flacon de sang ponctionné et étiqueté. Elle me prie de bien vouloir sortir pour laisser la place au suivant.

Je me lève et me dirige avec précaution vers la sortie.

A ce moment là, une méchante idée a germé dans mon cerveau mauvais. Et si je faisais une blague à mes compagnons d’infortune?

J’ai donc mis ma veste de survêtement sur l’épaule, ouvert la bouche et essayé d’avoir la tête la plus livide possible (ce qui était relativement facile).

Je suis sorti dans le couloir.

Un grand silence s’est aussitôt fait.

J’ai remonté doucement la file d’attente.

A chaque question “qu’est-ce qui s’est passé?”, je répondais “ha la vache, y m’ont pas raté!”, en tenant mon bras bandé comme s’il était cassé.

Je ne sais pas si c’était les vapeurs d’éther dans le couloir ou le temps d’attente débout excessivement long, mais je sais que plusieurs appelés sont tombés dans les pommes après mon passage.

Le lendemain, je soulevais doucement l’emplâtre de coton, et miracle de la cicatrisation, seul restait de l’explosion veineuse un petit bleu.

De cette expérience, j’ai attiré beaucoup d’estime et de respect de mes camarades.

Et une peur bleue des piqures.

C’est pour cela que je dois me forcer pour aller donner mon sang.

Parce que je risque de tomber dans les pommes devant les étudiants.

Mais surtout parce que c’est nécessaire.

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PS: Lorsque j’ai pu jeter un coup d’œil à mon dossier militaire, j’ai pu y lire “flacon de prise de sang égaré”. Tout ça pour ça…

Je me demande ce qu’il est devenu aujourd’hui

Il a sa main posée sur mon épaule, nos regards sont rivés l’un à l’autre, je vois dans ses yeux qu’il sait qu’il va mourir…

C’était une fin d’après-midi ensoleillée.

Mais revenons au début de cette journée particulière.

8h du matin, nous sommes réunis dans la cour de la caserne. Nous sommes en treillis militaire. C’est la 4e fois que l’on change de tenue aujourd’hui, depuis notre réveil de 5h du matin… Le gradé nous annonce que nous allons faire un exercice important aujourd’hui et que nous n’avons pas droit à l’erreur. D’un air grave, il nous dit: “Nous allons vous apprendre à utiliser des armes NBC! Transmetteur Zythom, pouvez-vous rappeler à la section qu’est-ce que ça veut dire?”

Moi: “Heu, N pour Nucléaire, B pour Bactériologique et C pour Chimique. Heu, mon Adjudant!”

Lui: “Et savez-vous ce qu’ANP signifie, transmetteur Zythom?”

Moi: “Heu, A pour Acide, N pour Nucléique, P pour Peptidique, mon Adjudant?”

Lui: “Mais non, ignorant inculte, c’est un Appareil Normal de Protection !!! Je vous présente votre meilleur ami pour aujourd’hui, l’ANP M51. Le caporal Desann va vous montrer comment le mettre et le replier.”

Et pendant toute la matinée, nous avons appris à déplier ce masque à gaz (anti gaz) de sa sacoche, à le mettre sur le visage, à le retirer et à le replier.

A ce stade du récit, je dois faire une parenthèse qui concerne un des hommes de ma chambrée, un certain Binks. Binks était un brave gars, mais un peu simplet. Il ne savait pas faire son lit, il n’arrivait pas à apprendre le pliage des draps et des couvertures. Il riait fort, mais agaçait beaucoup des hommes de ma chambrée car à cause de lui, nous étions souvent punis. C’était un peu notre Santiago à nous. Incapable de comprendre le principe de la ligne de mire, il tirait à plus de 20m de la cible sous la surveillance stressée des gradés. Les séances de montage/démontage des armes étaient un supplice pour lui, et l’objet de fréquentes punitions, car il était incapable de remonter quoi que ce soit.

En tant que chef de chambrée, j’étais responsable de Binks. J’avais très vite décidé de le mettre de côté quand nous préparions la chambre pour l’inspection et nous rangions son armoire et son lit pour lui. Un brave gars quand même. J’ai du le protéger un peu plus quand le bruit a couru dans la section que si une personne se suicidait dans une chambre, toute la chambrée était réformée… Certains auraient bien voulu le voir “sauter” par la fenêtre. Une brave chambrée quand même…

Binks n’était pas très adroit de ses mains, ni très agile dans sa tête. Je le regardais plier son masque à gaz pendant l’exercice et je voyais bien qu’il n’y arrivait pas. Avant qu’il ne soit puni à faire des pompes qu’il n’arrivait pas à terminer, je me suis rapproché de lui. Nous avons fait les exercices ensemble, et je pliais son masque à gaz après avoir plié le mien.

Ceci explique pourquoi, lorsque les gradés ont demandé à ce que l’on se mette par deux, il m’a accroché le bras en me disant: “avec toi”. L’exercice consistait à mettre le masque à gaz sur la figure, à retenir son souffle, à dévisser le filtre et à le brandir en l’air, puis à le revisser sur son masque.

Tout le monde connait la difficulté que l’on a, à réinsérer un filetage dans un trou taraudé, surtout quand le dit trou se trouve sous votre menton sans pouvoir le regarder. Autant dire mission impossible pour Binks…

L’exercice dura une bonne heure, à l’extérieur, sous un soleil de plomb qui nous faisait transpirer sous nos treillis et nos ANP. Je crois bien ne jamais avoir vu Binks réussir à revisser son filtre une seule fois. Il respirait donc lourdement l’air chaud ambiant, après seulement quelques secondes, car il ne savait pas retenir son souffle très longtemps.

L’adjudant nous a alors réuni par chambrée pour nous décrire l’exercice final. Il s’agissait d’entrer dans une pièce enfumée avec nos ANP sur le visage. Une fois à l’intérieur, portes fermées, nous devions retirer nos filtres, les brandir en l’air, attendre que tout le monde soit prêt, et au signal, les échanger avec notre binôme avant de les revisser en place et de pouvoir à nouveau respirer.

“La fumée dans la pièce est du gaz lacrymogène, ça pique les yeux, mais vous devez faire comme si c’était mortel. Aujourd’hui des homme vont mourir!” lâche l’adjudant.

Nous entrons dans la pièce à la queue leu leu. L’un d’entre nous agite les bras et nous bouscule pour ressortir. Son masque était mal ajusté. Notre premier “mort” par les gaz.

Nous voici face à face par deux. Binks est devant moi. Il a sa main posée sur mon épaule, nos regards sont rivés l’un à l’autre, je vois dans ses yeux qu’il sait qu’il va mourir… Au top, nous enlevons nos filtres. Je vois Binks dévisser le sien, puis prendre une grande bouffée d’air, après avoir enlevé son filtre. Il est “mort” sur le coup.

Je me demande ce qu’il est devenu aujourd’hui.

L’arrivée des beaux jours

Faire son service militaire, c’est aussi faire connaissance avec des opinions nouvelles, en particulier dans le domaine de la capilliculture. C’est arriver tous différents, et devenir tous identiques. L’égalité républicaine de la longueur du cheveux.

Et cette longueur égalitaire s’obtient avec un instrument d’une simplicité militaire: le sabot. Il s’agit d’un élément de plastique que l’on ajoute à la tondeuse électrique et qui permet de garantir, pour peu que l’on sache s’en servir, une longueur constante de cheveux. Il y a donc plusieurs sabots, chacun correspondant à une longueur désirée: sabot de 2, de 4, de 6, etc. J’ai très vite compris que les numéros correspondaient à une mesure de longueur en millimètre.

Dans ma caserne, ils utilisaient le sabot de 4mm. C’est peu. Très peu.

Remontons de quelques jours en arrière. J’avais reçu ma convocation m’indiquant qu’après moultes reports en raison de mes études, la patrie souhaitait qu’enfin je me présente tel jour à telle heure en gare de Lille, muni d’un minimum d’effets personnels et de la présente convocation, pour un voyage gratuit vers l’Allemagne. Ledit voyage a duré quand même 12h, notre train militaire s’arrêtant en chemin dans à peu près toutes les arrières gares, loin du public, afin que personne ne soit blessé par les objets passant par les fenêtres (en majorité des cannettes de bière, qui à l’époque étaient essentiellement en verre). Je précise également qu’il n’y avait que des appelés du contingent dans notre (très) vieux train, avec des membres de la police militaire quelque peu débordés par cette jeunesse enthousiaste.

Une fois arrivé à la caserne, nous fûmes briefés par les gradés, répartis dans les chambrés et autorisés à dormir un peu.

Le cycle de sommeil a vite été perturbé par un réveil à 5h du matin par des gradés nous demandant (de manière très sonore) de descendre nous mettre en tas en rang en groupe afin d’écouter le programme de la journée: distribution du paquetage, apprentissage de la marche au pas et passage chez le coiffeur.

Pour une raison que j’ignore, nous n’avons pas pu passer chez le coiffeur le premier jour, mais le troisième jour. Ce qui fait que pendant trois jours, la caserne a hébergé plus d’une centaine de jeunes hommes aux longueurs de cheveux très diverses. Cela a, semble-t-il, choqué de nombreuses huiles, au point donc que le troisième jour, une armada d’appelés s’est occupée de nous.

Nous voici donc encore en file indienne dans les couloirs de la caserne, attendant notre tour sans trop savoir à quelle sauce nous allions être mangé. Les militaires ont le chic pour créer des situations où l’on attend derrière une porte à travers laquelle filtre une certain nombre de bruits effrayants, et où les suppliciés sortent par une autre porte.

J’entre à mon tour, avec trois autres condamnés.

Quatre fauteuils nous attendent. Le sol est jonché de cheveux. Je réponds poliment aux blagues qui fusent des appelés-apprentis-coiffeurs. Je prends place dans l’un des fauteuils. Dans le fauteuil d’à côté, l’appelé a la longue chevelure des adeptes du heavy metal. Il sera ma chance en focalisant toute l’hilarité haineuse des coupeurs de tifs. Ils lui “dessineront” quelques signes cabalistiques indiens avec la tondeuse électrique.

Je suis ressorti avec le crâne rasé à 4mm.

De retour dans nos chambrés, impossible de nous reconnaître les uns les autres. Le lendemain matin, lorsque les cris des gradés nous tiraient du lit et que je me trainais jusqu’à la salle de bain commune, un réflexe m’avait fait prendre mon peigne dans ma trousse de toilette. Je regardais tristement dans la glace ce visage étranger avec la main levée pour se coiffer. L’ombre d’un sourire l’a éclairé: je n’aurais plus besoin de me coiffer pendant plusieurs semaines. Dans un coin de la salle de bain, un appelé pleurait en silence. Je reconnus mon voisin de torture adepte du métal lourd.

Dans la cour, le lieutenant nous a dit:

“Transmetteurs, avec l’arrivée des beaux jours, un vent frais vous rafraichira la tête”.

Une phrase creuse dont seuls certains ont le secret.

C’était la fin de ma coupe à la Beatles.

Et maintenant, avec le recul, je sais que c’était la fin d’une période de ma vie.

Une période importante qu’on appelle la jeunesse.

Le grand nettoyage

La propreté, c’est important. Mais à l’armée, la propreté, c’est TRÈS important. Tout est sujet à nettoyage: les armes, la cour balayée par le vent, les chambrées balayées par nos pieds, les vêtements, avec un petit plus pour les chaussures, les douches, les camions, etc. On nettoyait même les balais.

Mon séjour “à la dure” n’ayant duré qu’un petit mois, autrefois appelé le mois “des classes”, je ne peux prétendre avoir nettoyé tout ce qui pouvait se trouver sur la base. Mais j’ai pratiqué pas mal.

Il faut dire que mon père et mes oncles avaient bercés mon enfance de toutes ces petites anecdotes qui faisaient le lien entre les adultes de sexe masculin après les repas dominicaux. J’étais donc préparé à tous les coups foireux qui allaient m’être proposés. Et cela n’a pas loupé.

M’étant fait remarquer par mon obéissance butée, je savais qu’il me faudrait assurer plus que les autres chacune des “missions” qui allaient m’être confiées, en tant que “chef” de chambre.

Les gradés nous avaient informés qu’une inspection des chambres allait être faite en fin d’après-midi, et que nous avions trois heures pour nettoyer nos chambrées en profondeur. Ma “mission” donc, était de faire en sorte que l’inspecteur n’arrive pas à trouver de poussière dans la chambre. J’ai réuni mes camarades de chambrée (nous étions 10 par chambre) et leur ai expliqué mon plan.

Nous avons donc commencé par le B.A.BA: rangement des lits (draps au carré) et nettoyage du sol.

Puis nous avons vidé nos placards et lavé l’intérieur de ceux-ci avant d’y remettre toutes nos affaires pliées et bien rangées. Le dessus des armoires a également été soigneusement dépoussiéré, ainsi que l’arrière et le dessous.

Nous avons démonté les pommeaux des têtes de lit pour y enlever les mégots laissés par nos prédécesseurs.

Nous avons essuyé le dessus des plinthes.

Nous avons nettoyé le dessous des chaises.

Nous avons nettoyé le dessus des plafonniers d’éclairage.

Nous en avons démonté les néons pour les tourner et en enlever la poussière.

Nous avons démontés les fenêtres pour en nettoyer les bordures intérieures et extérieures, et regraisser les gonds avec de la graisse propre.

J’ai pris un mouchoir pour nettoyer l’intérieur des prises électriques de la chambre…

Les lits et armoires ont été déplacés pour refaire le nettoyage du sol.

Et pour finir, nous avons éteint les lumières de la chambre pour nettoyer le dessus de l’interrupteur.

C’est donc avec un plaisir de fin gourmet que j’ai pu voir le sergent entrer dans la chambre pour l’inspection. Nous étions tous au garde à vous aux pieds de nos lits. Il avait mis ses gants blancs.

Il a passé un doigt sur une armoire.

Il a vérifié le bord intérieur de la fenêtre.

Il a vérifié le dessus des plinthes.

Il a sorti son mouchoir et vérifié l’intérieur d’une prise électrique.

Il s’est tourné vers le lieutenant et a dit “euh, cette chambre est propre mon lieutenant!”

Le lieutenant a pris son béret et l’a lancé sur le sol à travers toute la pièce. En le ramassant, il m’a fait constater que le feutre noir avait collecté quelques poussières et a dit “Sergent, cette chambre est sale! Faites le nécessaire!”.

J’ai nettoyé les douches avec une brosse à dent.

Mais dans les yeux du sergent, j’ai vu briller une petite lueur d’admiration.

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Le combat aérien

Nous marchions déjà depuis plusieurs heures. Nos sacs à dos semblaient peser des tonnes: ils contenaient tout le nécessaire du parfait soldat en campagne. J’avais remarqué que les sacs à dos des sous officiers rebondissaient sur leurs dos au rythme de leurs pas, preuve qu’ils étaient remplis d’objets en mousse ou en duvet, alors que les nôtres avaient été complétés par des pierres pour “faire le poids”.

A l’époque j’étais un sportif accompli. Mais je peinais pourtant à suivre le rythme car le caporal qui m’avait en grippe m’avait confié le fusil mitrailleur (un vieux MAC 24/29 de presque 10 kg). Je serrais les dents pour ne rien montrer de ma colère. J’avais décidé d’obéir et je m’y tenais.

Je vous parle d’une époque se situant à la fin des années 80, à une période où la France disposait encore de bases militaires en Allemagne. Tous les appelés du nord de la France effectuaient ainsi leur service militaire (ou au moins comme moi leurs classes) en Allemagne. Je peux témoigner de l’accueil chaleureux des allemands qui nous voyaient entassés dans les camions militaires et nous faisaient souvent un petit coucou d’encouragement de la main.

Nous étions donc en train de marcher en rase campagne allemande, isolés de tout, quand tout à coup un vacarme assourdissant nous a tous fait nous jeter à terre: un avion de chasse venait de passer juste au dessus de nos têtes, à quelques centaines de mètres d’altitude.

Hébétés, nous étions tous allongés dans l’herbe, profitant (et l’encadrement aussi) de cette excuse pour nous reposer un peu. La tête en l’air, les yeux dans les nuages, nous avons admiré un spectacle que je n’ai plus jamais revu depuis: un combat aérien grandeur nature entre deux avions de chasse modernes.

Je ne connais pas avec certitude le modèle de chasseur que j’ai aperçu, mais je dirais aujourd’hui qu’il s’agissait de deux F15 américains. Simulant probablement un combat au canon, les deux pilotes faisaient des figures extraordinaires pour se positionner derrière l’adversaire. Parfois, l’un des avions entamait un piqué vertigineux vers le sol pour se redresser au dernière moment, passant au dessus de nous dans un vrombissement assourdissant, à une hauteur assez peu réglementaire. Le temps du sergent Frantz et du caporal Quénault était déjà très loin.

Nous, valetaille de biffins, nous admirions avec envie l’élégance des volutes de condensation des deux chasseurs, tout en essayant d’imaginer l’écrasement des corps des pilotes encaissant plusieurs “G”. Et moi, écrasé dans l’herbe par le poids de mon équipement et de mon MAC 24/29, j’arrivais assez bien à me faire une idée.

J’éprouvais une envie terrible d’échanger ma place avec la leur. J’aurais rêvé sentir dans ma chair ce que les petits simulateurs de vol commençaient à reproduire en graphismes fil de fer. Je dévorais des yeux ses monstres volants jusqu’à m’assécher les iris de ne plus cligner des paupières.

Ce combat aérien n’a duré que quelques minutes, mais restera gravé dans ma mémoire.

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Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Source fighter

La balle magique

Le service militaire était l’occasion pour les jeunes appelés de s’exercer au tir. Enfin quand je dis s’exercer, je n’ai eu droit qu’à trois balles lors d’une unique séance de tir. Le coût sans doute, mais surtout la peur (justifiée) qu’avait l’encadrement de ces séances.

Nous avions répété moultes fois le maniement des armes, le MAS 49 (démontage, nettoyage, graissage, remontage) et le FA-MAS. Nous avions suivi les cours définissant la hausse et le guidon[1], et expliquant les principes de la visée, c’est-à-dire la superposition de la “ligne de mire”[2] et de la “ligne de visée”[3]. Nous avions déterminé quel était notre œil directeur[4].

Il est par ailleurs fascinant de constater que plusieurs d’entre nous avaient les plus grandes difficultés à maitriser l’alignement de l’œil directeur, de la hausse, du guidon et de l’objet visé…

Ce n’est pas mon cas. J’ai vécu toute mon enfance dans une école primaire qui possédait un stand de tir dans la cour de récréation[5]. Et, par ailleurs, je fais parti des enfants ayant eu une longue expérience de la carabine “à patates”…

Bref, nous voici donc en colonne par quatre, attendant notre tour de nous allonger par terre en position dite du “tir couché”, plus facile pour la visée, mais surtout moins dangereux pour l’encadrement. Bien entendu, le neuneu de la troupe a réussi à vouloir se lever pour indiquer que son arme s’était enrayée… avant de se prendre deux sergents et un caporal sur le dos, du moins à ce que j’ai pu entreapercevoir, occupé que j’étais avec le reste de la troupe à me plaquer au sol (ce qui n’est pas facile quand on est sur quatre colonnes…)

Cet incident réglé, nous avons repris la séance de tir. On nous remet religieusement nos trois balles (impressionnantes quand même) de FA-MAS, on prend la suite de nos quatre camarades précédents. Il faut placer les trois balles dans le chargeur, le chargeur dans le fusil d’assaut puis s’allonger et attendre le signal d’ouverture du feu. Tout le monde est très nerveux autour de nous.

Je suis allongé. Je vois distinctement la cible située à 50m. Je retire le cran de sureté de mon FA-MAS en plaçant mon sélecteur de tir sur le mode “coup par coup” (et non pas le mode rafale!). Je retiens ma respiration comme on nous l’a appris pour ne pas bouger et j’appuie doucement sur la queue de détente. BANG. J’expire, j’inspire, je retiens mon souffle, je vise, j’appuie doucement, BANG. J’expire, je transpire, j’inspire, je retiens mon souffle, je vise, j’appuie doucement, BANG. C’est fini. Je suis trop loin pour voir les impacts sur la cible. J’attends que mes trois autres camarades aient fini. Je me lève. Je cherche mes trois étuis sans lesquels je suis bon pour une bonne corvée. J’en trouve trois que je ramène à l’officier en charge de la séance de tir. L’encadrement souffle, pour l’instant personne ne s’est blessé.

Me voici en route par un chemin protégé pour aller chercher ma cible et connaitre mon score. Le but étant, non pas d’atteindre le centre de la cible, mais d’effectuer un tir groupé, le score est calculé de la façon suivante: les trois impacts forment un triangle, chaque côté est mesuré, le score est la somme des longueurs des trois côtés. Plus le score est petit, plus vos trois tirs sont groupés. Le meilleur tireur est celui qui a le score le plus petit. Ceux qui ratent la cible n’ont pas de score.

Ma cible n’a que deux trous…

Le caporal qui gère les cibles se moque de moi: “Ben alors, transmetteur Zythom, on n’a pas les yeux en face des trous! Ça m’étonne de vous!”

Moi: “Vous êtes sur caporal? J’ai fait trois tirs identiques. Je suis sur d’avoir mis mes trois balles dans la cible!”

Nous vérifions tous les deux de très près la cible: l’un des trous est très légèrement ovale, et en y regardant de très près, on constate qu’il s’agit de deux trous tellement proches qu’ils n’en forment plus qu’un. L’une des balles est passée à travers de trou de la précédente… Mon triangle est presque plat. J’ai eu le score le plus petit de la troupe.

J’en ai encore la larme à l’œil 🙂

Au final, une seule personne s’est blessée pendant cette séance de tir: brulure à la joue par un étui qui s’est éjecté du mauvais côté (le FA-MAS peut être configuré pour gaucher ou pour droitier, le tout étant de ne pas se tromper).

Mon euphorie a été de courte durée. Le soir, je passais la serpillère dans le bureau des sous-officiers parce qu’un de mes camarades de chambrée avait mal fait son lit (j’étais chef de chambrée, donc punissable à merci).

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Bibliographie sur les techniques de tir: https://www.astircreil.com/Techniques de tir.htm

[1] Les organes de l’arme permettant la visée sont: la hausse située en arrière du canon et le guidon placé à son extrémité avant.

[2] Ligne de mire: droite allant du centre de la hausse au guidon.

[3] Ligne de visée: droite théorique allant de l’œil du tireur au point visé en passant par les instruments de visée.

[4] Au niveau de la vision, un œil domine l’autre: c’est l’œil directeur. Pour le connaître, pointez un doigt, les deux yeux ouverts, sur une cible et fermez successivement un œil puis l’autre. L’œil appelé directeur est celui qui laisse votre doigt pointé sur la cible.

[5] Véridique. Mais le stand de tir était bien entendu fermé à clef et réservé à un club de carabine à plomb.