Une histoire simple et banale 5e partie

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Me voici de nouveau présent dans l’entreprise ARRAKIS. Quinze jours ont passé, je suis en présence de Monsieur Léto, le DSI de l’entreprise, et d’un de ses ingénieurs. Nous allons enfin pouvoir aborder la partie technique du problème.

Tout d’abord, je lui rappelle les conditions de l’exercice que nous nous apprêtons à faire: je dois réaliser moi-même toutes les opérations, avec son aide bien entendu, mais moi-même.

“Ah bon? Mais nous avons déjà installé le serveur de test et procédé à l’installation de PGI et d’une première sauvegarde…”

“Et bien, cela montre que c’est possible, vous avez certainement résolu tous les petits désagréments que l’on rencontre dans ce genre d’installation, ce qui va nous faire gagner beaucoup de temps, mais je dois procéder moi-même à l’installation pour pouvoir remplir ma mission.”

Nous voici donc à recommencer l’installation d’un deuxième serveur de test (je préfère que l’on garde le 1er pour permettre à l’informaticien d’aller vérifier le paramétrage qu’il-a-mis-en-place-mais-pas-noté-sur-une-fiche-de-procédure-parce-que-bon-hein-on-a-autre-chose-à-faire). Je pousse les cédéroms, je suis les procédures, je prends des copies d’écran pour mon rapport. Comme je m’y attendais, tout cela prend quand même du temps, c’est-à-dire une bonne partie de la matinée.

Vient ensuite la restauration de la plus vieille sauvegarde, datant d’un an, et en particulier des dumps de la base. Mon objectif n’est pas de peaufiner un serveur de pré-production, ni de convaincre Monsieur Léto de l’utilité des exercices de restauration.

Je lui glisse quand même un petit avis personnel sur le fait de procéder à une sauvegarde complète du système AVANT installation du logiciel PGI, puis à une sauvegarde juste APRÈS recettage, sauvegardes qu’il est judicieux de conserver INDÉFINIMENT en cas de litige ultérieur. Il me répond assez classiquement, qu’on n’est pas en permanence à penser à une situation de litige avec ses partenaires. C’est une erreur, il faut toujours prévoir le pire.

Nous prélevons le contenu de la table contenant les droits des utilisateurs, selon la procédure indiquée par l’éditeur dans le fameux courrier à l’origine de l’affaire. J’utilise les outils de l’éditeur, avec lesquels je suis peu familier, sous la commande de l’ingénieur qui lui les connaît bien et manque plusieurs fois de m’arracher le clavier des mains tant il est exaspéré de ne pouvoir taper lui même les commandes. Pour me racheter un peu à ses yeux, je joue avec Toad sur mon PC pour examiner les entrailles du logiciel PGI.

Nous procédons ainsi pour toutes les sauvegardes encore actives dans la société ARRAKIS. Nous mangeons un sandwich sur place, entre deux restaurations de dump de la base. A chaque fois, je prélève une copie du contenu de la table des droits des utilisateurs que j’imprime aussitôt avec une mise en page basique.

A chaque fois, je constate invariablement que tous les utilisateurs sont au niveau 1, alors qu’ils devraient être uniquement au niveau 2.

A partir d’un certain moment, le contenu de la table change, juste après la réception du courrier de l’éditeur informant de l’anomalie constatée.

Je demande alors à Monsieur Léto s’il peut m’expliquer la différence entre le niveau 1 et le niveau 2 et quelles sont les opérations permises uniquement par le niveau 1. Il sort le manuel du logiciel PGI, me trouve la page répondant à mes questions. Je note que le niveau 1 permet d’utiliser des outils réservés aux administrateurs de la base. Je constate sur le système de production que ces outils ne sont pas installés sur les postes des utilisateurs, mais uniquement sur le poste de Monsieur Léto et de son ingénieur système. Je constate que la société ARRAKIS a payé pour avoir le droit niveau 1 pour deux utilisateurs dits “avancés”. Je constate également (grâce à mon petit outil “Toad”) que le logiciel PGI historise les accès privilégiés de niveau 1. Je peux ainsi constater que l’historique du système de production nous montre que les accès niveau 1 ont été limités dans le temps à la période du projet de déploiement initial et à quelques accès (probablement lors d’opérations de maintenance effectuées par la société CORRINO). Tous les accès ont été effectués à partir des deux postes affectés aux deux utilisateurs et toujours sous leurs identifiants personnels.

Je demande les bons d’interventions de la société CORRINO signés par Monsieur Léto à la fin de chaque intervention, ce qu’il me fournit assez facilement (c’est rare). Je note de les demander également à la société CORRINO.

Je demande enfin le fonctionnement des synchronisations horaires des systèmes informatiques (serveurs et postes utilisateurs). Monsieur Léto me montre que tous ses systèmes se synchronisent sur un groupe de serveurs de temps indépendants de l’entreprise et garantissant l’heure exacte sur tous les postes. Il souligne l’importance de cette exigence par la présence d’un logiciel de pointage horaire pour tous les salariés qui ne sont pas au forfait jour.

Il est 20h30, j’ai tous les éléments techniques pour rédiger mon pré-rapport.

Il me manque les documents de chaque avocat contenant leurs arguments au sujet de leur estimation des préjudices. Il me faudra ensuite relancer l’un des avocats qui tarde à m’adresser ce document.

Il me reste à rédiger mon pré-rapport, puis à le soumettre aux parties[1] pour qu’elles m’adressent leurs dires.

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[1] A chaque entreprise ET à son avocat, en recommandé avec avis de réception. Il arrive que l’entreprise se fâche avec son avocat et que celui-ci soit déchargé du dossier. N’envoyer qu’aux avocats est donc risqué. N’envoyer qu’aux entreprises fait perdre du temps, en particulier aux avocats. De plus, c’est mettre ceux-ci dans une situation de découvrir mon travail après leur cliente, ce que je trouve particulièrement impoli. Je recommande donc de toujours adresser les documents à la fois aux entreprises ET à leurs avocats.

Une histoire simple et banale 4e partie

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Il est 14h. La réunion peut reprendre. Je vois sur les visages que la pause d’une heure que j’ai accordée n’a pas été suffisante. Les repas ont du être expédiés. Tant pis. Tout le monde n’est pas encore arrivé, mais les trois parties sont représentées. Je commence toujours à l’heure, malgré le “quart d’heure régional” universel dans chaque région de France. Un avocat appelle son cabinet parce qu’il n’avait pas vraiment prévu de rester toute la journée. Pour éviter d’entrer trop vite dans le vif du sujet, j’organise avec Monsieur Léto (DSI d’ARRAKIS) l’opération de restauration des sauvegardes de PGI. Je prends rendez-vous sous quinzaine pour ne pas prendre de retard et respecter la date de dépôt de mon rapport telle que fixée par le tribunal. Note à moi-même: ne pas oublier de poser un jour de congé sur cette date auprès de mon employeur, en espérant qu’une réunion importante ne viendra pas s’y coller d’ici là.

Tout le monde est là. J’aborde le point n°4 de ma mission: l’estimation des préjudices. Tout le monde est concentré.

Dès ma première mission d’expertise, j’ai été confronté au problème de l’estimation du préjudice. Ayant été nommé expert judiciaire à 35 ans, je ne peux pas dire que j’avais une grande expérience de la vie d’un responsable informatique ou d’un dirigeant d’entreprise. Quand bien même, chaque entreprise est différente, chaque secteur d’activité aussi, et bien entendu, chaque problème a des conséquences différentes.

J’ai donc compris très vite qu’il était plus facile, plus réaliste et plus proche de la vérité de commencer par demander aux parties, à tour de rôle, leur propre estimation de leurs préjudices, avec leurs arguments techniques.

Dans le dossier qui m’intéresse ici, j’ai commencé par la société ARRAKIS, plus précisément par son avocat. Celui-ci m’explique qu’il entend prouver que sa cliente n’a pas demandé la configuration de droits informatiques supérieurs à ceux qu’elle a acquis par licence, et que s’il est prouvé que la configuration permettait des actions illicites, elle n’en a pas fait usage. Elle estime la procédure engagée par l’éditeur de PGI à l’encontre de sa cliente comme abusive et nuisible aux bons rapports à venir nécessaire au travail en confiance entre un client et son fournisseur. Il demande le remboursement des frais d’expertise et le paiement des frais engagés dans la procédure, soit les honoraires d’avocat et le temps passé par les personnes à traiter ce dossier. Il va me fournir une liste détaillée et argumentée. Bien.

Je fais remarquer un peu perfidement que cette estimation est assez différente de celle apparaissant dans les documents présentés au Tribunal… L’avocat me répond avec le sourire que face à un tribunal, il faut parfois hausser un peu la barre pour arriver à obtenir le juste prix. Les deux autres avocats ne bronchent pas. Je continue à prendre des notes.

L’avocat de la société CORRINO estime lui que sa cliente a fait correctement son travail. Qu’à l’époque, les instructions d’installation du logiciel PGI n’était pas très claires suite à l’évolution ERP vers PGI en cours de projet. Que, sous réserve d’une hypothèse non prouvée, des droits informatiques trop grands aient pu être accordés, c’était uniquement pour faciliter les tests du logiciel et son appropriation par les équipes informatiques des deux sociétés. Il estime le préjudice de la société CORRINO relatif à la perte d’image et de confiance de la société ARRAKIS, soit 10 000 euros et au paiement des frais de la procédure abusivement engagée par l’éditeur de PGI. Je demande que me soit fournies les factures des frais engagés et une estimation des frais à venir.

Enfin, l’avocat de l’éditeur du logiciel PGI, prend la parole. Il est le seul représentant de l’éditeur qui n’a pas jugé bon de lui adjoindre un informaticien.

“Monsieur l’expert, il n’est pas contestable que le logiciel PGI, dont la société ARRAKIS a acquis un droit d’usage “niveau 2”, est installé d’une manière non conforme puisque tous les utilisateurs disposent d’un “niveau 1″. Je peux le prouver sur la base d’une table que la société ARRAKIS nous a adressé à notre demande. Je demande donc le paiement de la licence correspondant à un droit d’usage de deux ans au niveau 2 pour tous les utilisateurs, ainsi que le paiement d’un montant amiable permettant de clore le dossier contentieux. L’ensemble s’élève à 100 000 euros.”

Je fais remarquer que les droits d’installation ne sont pas nécessairement au niveau 2 depuis l’installation du logiciel, il y a deux ans. “C’est fort probable” me répond l’avocat. “Mais ce n’est pas prouvé” répondis-je.

J’écoute alors les trois avocats débattre, se répondre, s’interpeler sur des points de droit. Droit des contrats, droit des licences, droit d’usage, droit de ceci, droit de cela. Je ne suis pas dans mon élément. Je demande la parole.

J’explique alors que je suis un spécialiste informatique, un technicien. Que les arguments de droit qui me sont proposés dans cette discussion, me sont pour la plupart incompréhensibles.

Cela jette un froid dans la réunion. Il n’est pas “correct” d’énoncer son incompétence. Je continue malgré tout en expliquant que je souhaite que les trois avocats me fournissent chacun un document sous quinzaine dans lequel ils vont pouvoir exposer tous leurs arguments juridiques. Je les analyserai avant de les joindre à mon rapport. Inutile de leur dire que mon épouse va bosser pour moi.

Il est 17h. Je propose de clore la réunion. Je remercie tout le monde (malgré les quelques noms d’oiseaux qui ont fusé) pour son bon déroulement. J’ai 100 km de route à faire et la journée a été épuisante nerveusement.

Et je n’ai pas encore vu un seul ordinateur dans cette expertise.

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Une histoire simple et banale 3e partie

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Je commence toujours la réunion en demandant à chacun ses prénom, nom et fonction. Cela me permet d’établir la feuille de présence et de vérifier que je dispose des bonnes orthographes et libellés de fonction (certaines personnes sont très sensibles à un mauvais libellé de fonction). J’essaye également de mémoriser rapidement les noms et fonctions pour ne pas commettre d’impairs pendant la réunion.

Étant arrivé en avance, je prends toujours la place autour de la table qui permet de discuter avec tout le monde. C’est souvent aussi la place que prend traditionnellement le dirigeant lors de ses propres réunions. C’est donc le meilleur fauteuil. C’est symbolique mais pratique.

Je me présente succinctement (ingénieur centralien directeur informatique dans une grande école) puis rappelle le rôle d’un expert judiciaire, et en particulier ce qu’il ne fait pas, c’est-à-dire juger un dossier. Cette étape est très importante, car elle conditionne beaucoup l’ambiance du reste de la réunion et de la procédure: je cherche à faire comprendre aux parties que je ne donne qu’un avis à un magistrat, même s’il s’agit d’un avis important car souvent suivi, et aux avocats que j’ai compris a minima mon rôle (ce n’est pas le cas de tous les experts, en tout cas d’une partie de ceux qu’a pu fréquenter mon épouse).

Je propose ensuite un tour de table en demandant à chacun de présenter succinctement sa vision du dossier. Je dois dire que c’est assez rarement succinct, mais que cela permet à chacun d’avoir (en principe) rapidement la parole, tant l’envie d’exploser est souvent palpable chez certains. En général, au bout d’une heure, tout le monde a pu s’exprimer au moins sur l’essentiel, évacuer un peu de la tension initiale, dire parfois quelques noms d’oiseaux, et on peut commencer l’examen des pièces et la partie technique.

Il y a quelques règles de bons usages à suivre:

– je m’adresse à chaque avocat en disant “Maitre” (sans accent depuis la réforme de 1990 sur les rectifications orthographiques du Conseil supérieur de la langue française, approuvé à l’unanimité par l’Académie française et qui depuis juin 2008 est la référence)

– j’apprécie que chaque participant s’adresse à moi en disant “Monsieur l’expert”, mais je ne m’en offusque aucunement si ce n’est pas le cas.

– je vouvoie tous les participants, même dans les entreprises où le tutoiement est de rigueur et où il m’est arrivé une fois que tout le monde me tutoie, suivant en cela l’exemple du dirigeant. Je suis très vieux jeux sur ce point, y compris sur ce blog ou sur Twitter. Peut-être pas autant que Desproges qui disait: “je ne tutoie que les personnes avec lesquelles j’entretiens des relations sexuelles, qu’elles fassent partie de ma famille ou non. (De l’autre côté)”. C’est une question de respect, n’y voyez aucune afféterie.

– je ne coupe jamais la parole, même si le discours est parfois un peu long ou soporifique.

– lorsque la réunion tourne au pugilat verbal, une partie se tourne souvent vers moi pour que je fasse quelque chose. J’attends alors de pouvoir m’exprimer, je rappelle que je ne suis pas maitre d’école dans une cours de récréation et je demande à chaque avocat d’expliquer à son client l’intérêt qu’il peut avoir à ce que l’expert travaille dans le calme. Cela suffit généralement à calmer tout le monde. Il faut peut-être que j’amène un MP5 pour le poser en évidence sur la table…

– je laisse toujours les avocats s’exprimer, voire “faire le show”. Ils sont en présence de leur client et s’appliquent à justifier leurs honoraires. Il faut qu’ils puissent montrer toutes leurs compétences. S’ils s’engagent sur un discours juridique qui n’a pas nécessairement sa place dans une réunion d’expertise (plutôt technique), je les laisse briller dans le domaine qui est le leur, tout en veillant à ne JAMAIS m’engager sur ce terrain (qui n’est pas le mien). J’écoute par contre attentivement car j’apprends toujours beaucoup de choses. Je n’oublie pas que les réunions d’expertise sont particulièrement soporifiques pour les avocats quand elles sont très techniques (et elles le sont toujours).

Lors du début de l’examen des pièces écrites communiquées avant l’expertise, j’explique que par souci du contradictoire, je n’ai fait que les survoler en préparant la réunion (ce qui objectivement est plutôt faux) ce qui va expliquer le temps assez conséquent que l’on va passer sur chaque pièce pour que les deux parties me présentent son intérêt. Il va de soi que cela oblige aussi les parties à sélectionner les pièces dignes d’intérêt.

Monsieur Léto, directeur informatique de la société ARRAKIS, m’explique qu’il a été contacté par la société éditrice du logiciel PGI dans le cadre d’une opération de maintenance, deux années après l’installation réussie de ce logiciel par la société de service CORRINO. Je demande à voir le courrier correspondant et constate que la demande porte sur l’envoi d’un ensemble de fichiers obtenus par l’exécution de commandes d’export de tables.

Bien entendu, dans ces données se trouve codé le descriptif des droits des utilisateurs, objet du litige.

Les parties autour de la table s’enflamment alors sur le thème “est-ce normal de demander ce type d’information?”, avec débats et échanges de point de vue juridique.

Je relis discrètement mes missions. Cette question ne fait pas partie de mes missions: je coupe court à la discussion avec cette constatation qui fait l’effet d’une douche froide sur quelques participants.

Mon problème est de déterminer si le logiciel PGI a été installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI. Point.

Je demande alors à Monsieur Léto quelle est la date de la plus vieille sauvegarde disponible. Cette question est en général une question difficile pour un informaticien. Je lui propose d’aller voir avec son équipe et de me donner la liste de toutes les sauvegardes encore disponibles aujourd’hui, deux ans après l’installation du logiciel. Il revient et me donne la liste: un an pour la plus vieille.

J’explique alors aux parties une imprécision dans l’intitulé de ma mission principale: à quelle date correspond l’expression “était installé” dans la phrase “dire si le logiciel PGI était installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI“?

Position de la société ARRAKIS: date de la recette du logiciel PGI en fin de projet

Position de la société CORRINO: date de l’installation du logiciel ERP, avant mise à jour vers PGI

Position de la société éditrice de PGI: toutes les dates entre la recette du logiciel PGI et aujourd’hui…

Je prends note des positions de chaque partie (je ne donne pas d’avis personnel immédiatement).

Je constate qu’il ne m’est pas possible d’observer personnellement l’état du système lors de l’installation initiale (pas de sauvegarde remontant à cette période).

L’entreprise ne disposant de serveur de test ou de pré-production, je constate qu’il ne m’est pas possible de procéder à la restauration des sauvegardes sur un serveur approprié sans mettre en danger la production actuelle de l’entreprise. Je propose aux parties qu’une copie des sauvegardes disponibles me soit confiée pour restauration par mes soins, avec l’aide d’un technicien d’ARRAKIS. Ce travail se faisant hors réunion, j’ai besoin de l’accord des parties pour ne pas me voir reprocher un travail non contradictoire (et l’annulation de l’ensemble de l’expertise). Les 3 parties me donnent leur accord.

Sans malice, j’explique à Monsieur Léto qu’il est intéressant pour sa société de procéder à un tel exercice de restauration sur un serveur hors production afin de tester l’ensemble de sa procédure de sauvegarde. J’obtiens évidemment son aval (en présence de son patron) et l’assurance d’avoir les moyens matériels et humains de procéder à ces restaurations. Mon objectif est bien évidemment d’obtenir les différentes données de configuration contenues dans les tables définissant les droits des utilisateurs, et cela à la date de chaque sauvegarde disponible. Rendez-vous est pris pour une date ultérieure.

Je décide de suspendre la réunion, car il est bientôt 13h. Je refuse toute proposition de me restaurer en présence de l’une ou l’autre des parties (à défaut de nullité de l’expertise si toutes les parties ne sont pas présentes pendant le repas). Je reste sur place et profite de l’heure disponible pour mettre par écrit toutes mes impressions, mettre mes notes au clair, vérifier le chargeur de mon MP5, changer les piles de mon enregistreur MP3, reclasser les pièces du dossier, etc.

L’après-midi sera consacré à l’estimation des préjudices. C’est toujours un gros morceau. Je prends quelques forces en mangeant une barre de céréale. Je me sens seul dans la salle.

La suite de ce billet est à lire ici.

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[1] Cette série de billet s’appuie sur l’ensemble des très nombreuses expertises que j’ai pu mener dans ce domaine particulier des conflits au Commerce. Je ne dévoile aucun secret ni ne brise la confidentialité d’une affaire particulière. Je “romance” au sens de la décision de la chambre de discipline de ma compagnie des experts judiciaires rendue dans l'”affaire Zythom“.

[2] Les noms des sociétés évoquées dans cette série de billets sont empruntés à l’univers du Cycle de Dune de Frank Herbert. Toute ressemblance avec des sociétés existantes serait fortuite.

Une histoire simple et banale 2e partie

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J’ai lu attentivement tous les commentaires sous le billet de la 1ère partie, et je dois dire que la 1ère phrase du 1er commentateur aurait du vous mettre la puce à l’oreille: je ne suis pas là pour prendre parti. Le magistrat m’a donné des missions, et je dois les suivre. Strictement.

Bien entendu que je trouve le procédé de l’éditeur de PGI a priori détestable, surtout deux ans après. Bien sur que j’aime les logiciels libres et qu’un choix différent d’éditeur n’aurait pas entraîné ce type de problème (“TROLL ON” mais peut-être d’autres? “TROLL OFF”).

Mais vous êtes nombreux à avoir proposé de bonnes idées d’investigations. Et dans ce type de dossier, il y a plusieurs approches possibles. Voici la mienne.

A ce stade de l’affaire, la présentation que je vous ai faite dans la 1ère partie est celle issue des conclusions des avocats des deux parties. Ce n’est pas pour rien que la 1ère mission qui m’est confiée est de “convoquer les parties et entendre tous sachants“. Je dois me faire mon propre avis en matière technique. Je n’ai pas à suivre l’avis de tel ou tel avocat, aussi brillant soit-il. Je n’ai pas à suivre non plus l’avis des experts informatiques qui seront amenés par l’une ou l’autre des parties, que ces experts soient judiciaires (en mission privée) ou pas. Je donne mon avis en mon honneur et en ma conscience. Je suis indépendant.

Cette indépendance a un prix: je serai seul, quand les parties seront probablement accompagnées de leur avocat et de leurs experts.

Elle a un coût également: je ne travaille pas gratuitement. Avant donc de commencer à organiser la première réunion, il faut se préoccuper de ne pas laisser trop de plumes dans cette histoire. Je n’ai pas envie de me lancer dans une procédure aléatoire de recouvrement de créance auprès d’une entreprise mauvaise payeuse.

1ère étape donc, même si elle ne fait pas très geek ou glamour: l’estimation du montant probable de la procédure. Je regarde le lieu du litige (siège social de la société ARRAKIS). Je regarde également où se trouve la société CORRINO (des fois qu’un déplacement chez elle soit nécessaire ce qui est peu probable ici, mais j’ai déjà vécu ça). Les deux sociétés se trouvent à 100 km de chez moi, à 1h de route. J’estime que le dossier demandera une première journée d’expertise pour l’analyse de toutes les pièces du dossier et commencer les investigations techniques, puis une deuxième journée avec tous les sachants que j’aurai pu convoquer. Si tout va bien, une 3e journée ne sera pas nécessaire, il me restera à écrire mon pré-rapport, le soumettre aux parties, répondre aux dires et rédiger le rapport définitif que je déposerai.

Mon taux horaire a augmenté depuis 2007 et s’établit maintenant à 90 euros de l’heure de travail (et à la moitié pour le temps passé en déplacement). Il semblerait que je sois dans la moitié inférieure des taux pratiqués par mes confrères qui, d’après la dernière enquête de la revue expert seraient plutôt entre 70 euros et 130 euros de l’heure (expertise judiciaire informatique).

L’estimation pour ce dossier est donc de:

– Deux journées: 2 x 8h x 90€

– Déplacements: (4 x 1h x 45€) + (4 x 100km x 0.56€)

– Rédaction pré-rapport: env 5h x 90€

– Réponse aux dires et rapport final: env 5h x 90€

– Recommandés et photocopies pré-rapport et rapport (2 exemplaires par partie, 2 pour le tribunal, 1 pour l’expert): env 300€

Soit un total arrondi à 3000 euros.

Et oui.

Et c’est l’estimation du coût plancher…

J’adresse donc en réponse au magistrat qui me désigne un courrier d’acceptation des missions auquel je joins cette estimation détaillée des frais et honoraires prévisionnels avec la phrase clef: “Je sollicite le versement d’une allocation provisionnelle égale au montant des honoraires et frais dont la taxation est demandée et la désignation de la ou des parties qui en feront l’avance.”

2e étape, organisation de la 1ère réunion:

Cette étape n’est à commencer qu’après réception de l’avis de versement de la provision (versée auprès du greffe du tribunal). Si les choses traînent un peu en longueur, il est de bon ton d’essayer de joindre le greffe du tribunal pour savoir où en est la demande de provision. Il m’est arrivé plusieurs fois de constater que la partie désignée par le tribunal pour l’avance sur frais et honoraires avait décidé d’arrêter la procédure, ou qu’un accord était intervenu entre les parties, sans bien sur que personne ne daigne me contacter pour me dire de tout stopper.

Mon agenda sous les yeux, je procède à un petit rétro-planning à partir de la date indiquée dans l’ordonnance de désignation d’expert pour le dépôt de mon rapport. 1 weekend pour le rapport final, 3 semaines pour la rédaction des dires par les avocats des parties, 2 semaines pour la rédaction du pré-rapport après la dernière réunion d’expertise (c’est-à-dire 3 weekends, car la semaine, je travaille comme salarié), un mois entre les deux réunions d’expertise, il m’est arrivé que l’organisation ne soit pas possible (en général à cause du délai mis par la partie désignée pour verser la provision initiale). Il faut donc dans ce cas, dès le départ, écrire au magistrat pour lui expliquer la situation et faire une demande de prolongation de date de dépôt du rapport…

Mon premier coup de fil est adressé à la société qui va recevoir la réunion: y a-t-il une salle assez grande pour recevoir tout le monde (au moins 10 personnes), y a-t-il des dates à éviter (inventaire, salon important, fermeture estivale ou hivernale, etc)? Les autres coups de fils sont pour les avocats (des sociétés ARRAKIS et CORRINO, et celui de l’éditeur de PGI). Il n’est pas facile d’arriver à accéder directement à un avocat, mais en général leurs services de secrétariat sont efficaces et habitués à la galère de la recherche d’une date commune pour la 1ère réunion d’expertise.

Le plus difficile à cette étape pour moi est de contacter l’avocat de l’éditeur du logiciel PGI. Je vous rappelle que cette société est une grosse structure américaine. Je passe quelques coups de téléphone pour essayer d’obtenir quelqu’un du service juridique en France. Dans le cas présent, j’ai de la chance, j’arrive à obtenir quelqu’un du service recouvrement (qui a l’air facile à joindre;). La personne est parfaitement au courant de la situation de l’entreprise ARRAKIS mais refuse de me communiquer des dates pour une réunion d’expertise. La seule information que j’arrive à confirmer est l’adresse postale de leur service.

Après les avocats, je contacte les gérants des sociétés ARRAKIS et CORRINO. Je m’assure de leur disponibilité dans les différents créneaux retenus. Dès qu’une date semble satisfaire tout le monde, je retéléphone à tout le monde pour leur permettre de libérer les créneaux bloqués et noter la date retenue.

J’adresse ensuite une convocation par courrier recommandé avec avis de réception à chaque avocat et à chaque gérant. Dans le cas de l’éditeur de PGI, j’adresse une convocation au siège social français et au service recouvrement. Sur chaque courrier, je mentionne la phrase clef suivante: “Cette réunion régulièrement convoquée se tiendra, même en l’absence d’une des parties.” Par correction pour les avocats, je préviens dans la convocation que les horaires probables de la réunion seront 9h-12h et 13h-18h.

Il ne me reste plus qu’à poser une journée de congés auprès de mon employeur pour la date concernée. Je note également dans un petit cahier le temps déjà passé dans l’organisation de la réunion, le prix des recommandés. Je complète le dossier de l’affaire. Je n’ai pas de secrétaire.

3e étape: la réunion chez ARRAKIS.

Je décris assez bien la situation et l’état d’esprit de ce premier contact dans ce billet de 2009 que je vous invite à (re)lire.

Les trois parties sont autour de la table. La société ARRAKIS étant chez elle, elle souhaite faire participer à la réunion toute son équipe informatique. J’explique au gérant de l’entreprise que pour l’instant, je ne souhaite écouter que Monsieur Léto, le responsable informatique. Pas facile, dès le début de la réunion de faire comprendre que c’est moi qui décide qui doit se trouver autour de la table et que je limite à trois personnes par partie. Après tout, je suis un étranger dans son entreprise. Un peu de tact et de diplomatie, tout en expliquant que j’entendrai tous les sachants, et la réunion commence.

Ma mission n°1 est en bonne voie.

La suite de ce billet est à lire ici.

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[1] Les noms des sociétés évoquées dans cette série de billets sont empruntés à l’univers du Cycle de Dune de Frank Herbert. Toute ressemblance avec des sociétés existantes serait fortuite.

Source photo: travail de Yanik Balzer et Max Qwertz, dans le cadre de leurs études à l’école internationale de design à Cologne.

Une histoire simple et banale

Il y a des affaires qui nécessitent des moyens techniques importants, ou des connaissances pointues en matière d’analyses inforensiques. Il y a des dossiers qui dépassent mes compétences, soit par leur complexité, soit par les enjeux associés, et qui nécessitent l’intervention de confrères bien plus armés et aguerris que moi. L’intervention de spécialistes de la sécurité, du chiffrage, des télécommunications, du grand banditisme, du terrorisme s’avère parfois nécessaire, et je ne suis alors qu’une petite pièce dans le dossier, vite mise de côté quand elle ne comprend pas qu’elle doit se déporter d’elle-même.

Il y a les séries américaines et françaises, où l’on voit des personnages toujours compétents réagir avec précision et discernement dans toutes les situations extrêmement subtiles. Il y a donc dans l’esprit du public une image des experts judiciaires dont l’intervention dénoue une situation nécessairement complexe et incompréhensible par le commun des mortels.

Et pourtant, mes dossiers sont pour la plupart des histoires techniquement simples et banales.

Une société de vente en gros de matériaux de construction, que j’appellerai “ARRAKIS“, dispose d’un service informatique très compétent. Le directeur informatique, Monsieur Léto, souhaite améliorer la productivité de son entreprise et monte le projet d’intégrer l’ensemble des fonctions de l’entreprise dans un système informatique centralisé qui permettra à tous les utilisateurs de collaborer plus efficacement et d’augmenter leur efficacité. J’appellerai ce logiciel “ERP“.

Monsieur Léto souhaite se faire accompagner pour l’installation d’ERP par une société de service spécialiste de ce logiciel. En effet, Monsieur Léto ne souhaite pas que son service sache déployer ERP dans la société ARRAKIS (le déploiement n’aura lieu qu’une seule fois), mais que celui-ci se concentre sur le soutien aux utilisateurs une fois le logiciel déployé.

Après appel d’offres et étude des différentes réponses, Monsieur Léto retient la société de service CORRINO qui a déjà déployé ERP auprès de plusieurs sociétés de même taille qu’ARRAKIS, à chaque fois avec succès.

La société de service CORRINO désigne un chef de projet et celui-ci établit avec Monsieur Léto un planning de projet pour le déploiement d’ERP. Le planning s’étale sur 10 mois, temps jugé normal par les deux parties pour l’installation, le paramétrage, les tests, les formations et le passage en production d’ERP.

ARRAKIS et CORRINO travaillent ensemble de manière satisfaisante pendant toute la durée du projet.

A ce stade de mon récit, je me dois de préciser que le logiciel ERP est conçu par un important éditeur américain et appartient à une gamme de produits permettant d’équiper aussi bien des TPE que des grosses entreprises multinationales. Par le jeu incessant de rachats/fusions, la gamme de produits vient d’être étendue et le nom harmonisé par les équipes marketings de l’éditeur.

Pendant les 10 mois de déploiement du logiciel ERP chez ARRAKIS par la société CORRINO, le logiciel a changé de nom et s’appelle désormais PGI. Pour être plus précis, le logiciel ERP version 11.2 devient le logiciel PGI version 7.5 avec quelques modules supplémentaires (fournis gratuitement) et un périmètre fonctionnel un peu plus important.

Monsieur Léto (directeur informatique chez ARRAKIS) prend bonne note des changements, s’assure que le projet n’est pas impacté de manière importante du fait que les modifications sont essentiellement marketings et poursuit le déploiement de “PGI” avec la société de service CORRINO.

Le projet se termine correctement, l’informatisation est réussie, la productivité des utilisateurs augmente, tout va bien.

Deux années s’écoulent tranquillement.

L’entreprise ARRAKIS paye une maintenance annuelle auprès de l’éditeur de PGI à travers la société de service CORRINO qui garde un oeil sur le bon fonctionnement de PGI.

Et justement, dans le cadre d’une intervention de maintenance concernant la mise à jour du logiciel PGI vers une version supérieure, l’éditeur du logiciel demande à la société de service CORRINO de lui envoyer le contenu d’une table de la base de données intégrée au logiciel PGI installé chez ARRAKIS.

Et là patatra. La société américaine éditrice du logiciel PGI déclare que celui-ci est installé d’une manière non conforme au contrat de licence. Ce constat s’appuie sur le contenu de la table envoyée par la société CORRINO. Cette table contient les droits des différents utilisateurs du logiciel et l’éditeur constate que tous les utilisateurs sont “niveau 1” alors que le contrat de vente précise que seuls deux d’entre eux peuvent posséder ce droit, tous les autres étant “niveau 2”.

L’éditeur de “PGI” demande à la société ARRAKIS de régulariser sa situation et réclame 100 000 euros au titre des licences indument utilisées.

La société ARRAKIS se tourne vers sa société de service CORRINO qui a procédé à l’installation et à la configuration des licences.

La société de service CORRINO explique aux deux autres sociétés qu’elle a configuré le logiciel ERP conformément aux licences achetées alors, que le passage à PGI en cours de projet l’a obligé à étendre les droits des utilisateurs pendant les phases de tests, et que le paramétrage final ne permet pas aux utilisateurs d’exploiter les droits supplémentaires qu’ils possèdent.

L’éditeur américain, par l’intermédiaire de son service juridique, maintient sa demande de régularisation de 100 000 euros.

La société ARRAKIS prend attache avec un avocat et se tourne vers la justice française. Les avocats des sociétés ARRAKIS et CORRINO exposent leurs conclusions et demandent au magistrat la désignation d’un expert judiciaire en informatique.

Je reçois un courrier avec comme missions de:

1) convoquer les parties et entendre tous sachants

2) dire si le logiciel PGI était installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI

3) si non, établir les responsabilités des sociétés ARRAKIS et CORRINO

4) estimer les préjudices

5) donner tout élément utile à la manifestation de la vérité.

Cette affaire est d’une affligeante banalité technique. Elle montre que pour être expert judiciaire, il ne faut pas nécessairement être un hacker white hat, un pentester de haute volée ou un développeur Occam.

Je vous laisse réfléchir sur les actions à mener en tant qu’expert judiciaire stagiaire.

La suite de ce billet est à lire ici.

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Les noms des sociétés évoquées dans cette série de billets sont empruntés à l’univers du Cycle de Dune de Frank Herbert. Toute ressemblance avec des sociétés existantes serait fortuite.

Cette série de billet s’appuie sur l’ensemble des très nombreuses expertises que j’ai pu mener dans ce domaine particulier des conflits au Commerce. Je ne dévoile aucun secret ni ne brise la confidentialité d’une affaire particulière. Je “romance” au sens de la décision de la chambre de discipline de ma compagnie des experts judiciaires rendue dans l'”affaire Zythom“.

Interviews

Coup sur coup, trois personnes m’ont demandé si j’acceptais de répondre à leurs questions. Je me suis prêté au jeu et je me suis dit que cela pourrait avoir sa place ici, comme un retour d’expérience.

Jérôme tient le blog Genma et a mis en ligne ici un échange que nous avons eu par email. Je vous invite à aller le lire et a découvrir son blog par la même occasion.

La revue MISC m’a fait l’honneur de s’intéresser à mon activité d’expert judiciaire et devrait publier le résultat de nos discussions dans son prochain numéro. Je suis encore abonné à un très petit nombre de revues, celles que je considère comme indispensables: MISC, GNU/Linux magazine France et “Revue Experts“. Je suis d’autant plus fier d’avoir été contacté par MISC. A quand une interview dans Linux Mag et dans Revue Experts?

Enfin, voici l’interview d’Alban réalisée dans le cadre de son projet tutoré sur les infractions informatiques et les attaques informatiques possible sur un réseaux wifi, effectué à l’IUT d’Orsay.

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Question: Expliquez votre rôle lors du déroulement d’une affaire judiciaire, le juge d’instruction vous confie divers matériels informatiques à expertiser avec une mission précise?

L’expert judiciaire peut intervenir dans de nombreuses procédures judiciaires, par exemple en matière commerciale ou dans une instruction. A chaque fois le rôle de l’expert est identique: il donne un avis indépendant au magistrat (qui est libre de le suivre ou de ne pas le suivre) en charge du dossier. Dans le cadre d’une instruction dans laquelle du matériel informatique a été saisi et mis sous scellé, le magistrat instructeur peut demander l’avis d’un expert judiciaire en informatique et lui confier les scellés. L’expert judiciaire doit alors répondre à des questions précises posées par le magistrat et mentionnées dans son ordre de mission. Dans mon cas, les questions sont souvent axées autour de la présence de fichiers d’un certain type. Dans ce billet, je donne un exemple de mission:

– Assister les services d’enquête du Commissariat de AAA au cours de la perquisition qui s’effectuera au NN rue YY à AAA et à la saisie du matériel informatique utile à la manifestation de la vérité;

– Prendre possession, dans ce même commissariat du scellé n°NN (PV n°NNNN/NNN) comportant les faux billets de 50 euros, portant le même numéro NNNNNNNNN, saisis par les services d’enquête au NN rue YY à AAA le NN mois NNNN;

– Analyser les faux billets ainsi que les contenus des disques durs, imprimantes et autres matériels informatiques utiles à la manifestation de la vérité, saisis;

– Dire si le matériel informatique saisi a été utilisé pour la contrefaçon, la falsification ou l’impression des faux billets saisis;

– Faire tous actes utiles à la manifestation de la vérité.

Question: Dans votre blog vous relatez une majorité d’affaires de pédo-pornographie, pensez-vous pour autant qu’internet est un repère de pédophiles?

Internet est un ensemble de réseaux informatiques reliés les uns aux autres. Ce n’est pas le seul, mais c’est le plus connu. De plus en plus de personnes dans le monde accèdent à internet, plus de 2 milliards d’après le site internetworldstats.com. Parmi ces personnes, il y a beaucoup de gens normaux, mais aussi des voleurs, des gangsters, des adorateurs du nazisme, des pédophiles, des zoophiles, etc. et cela dans des proportions qui doivent a priori être les mêmes que dans tout groupe d’êtres humains de très grande taille. Internet n’est pas un repère de pédophile, pas plus que ne l’est le réseau téléphonique ou le réseau autoroutier.

Il est par contre exact que j’ai écris beaucoup de billets sur des expertises judiciaires dans lesquelles j’étais missionné pour chercher sur des scellés des images de nature pédopornographique. Je vois à cela au moins deux explications:

– j’ai ouvert ce blog à fond noir pour évacuer par l’écriture le mal être que me cause ce type de dossier. En parler me fait du bien car je reçois le soutien de nombreux lecteurs. Je parle plus volontiers des dossiers qui me remuent que des dossiers qui concernent des litiges entre une SSII qui a mal gérée l’informatisation de sa cliente.

– sur l’ensemble des affaires que j’ai eues à gérer, les dossiers de recherche d’images pédopornographiques sont les plus nombreux. Il faut peut-être en chercher la cause auprès du garde des sceaux et des instructions qu’il donne dans les priorités des poursuites qui doivent être engagées.

Je pense que si j’avais été médecin, j’aurais sans doute écris beaucoup de billets sur des humains malades, sans pour cela qu’il faille en déduire que tous les humains sont tout le temps malades. Le fait que l’État poursuive en priorité les détenteurs d’images pédophiles échangées par internet ne signifie pas que tous les internautes sont des pédophiles. Même si certains politiques essayent de faire croire le contraire.

Question: Avez vous déjà réalisé des expertises pour des affaires d’infractions informatiques. Sont elles différentes des autres affaires?

Tous mes dossiers au pénal concernent des infractions informatiques supposées. Mais je soupçonne que derrière ce terme, vous voulez parler des cybercrimes, c’est-à-dire des infractions pénales commises au moyen d’un système informatique connecté à un réseau. Je suppose également que par “autres affaires” vous voulez parler de mes autres dossiers, comme par exemple des litiges entre un particulier et son vendeur informatique. La spécificité des cybercrimes est directement liée à sa définition: la présence d’un réseau (en général internet) présente rapidement un aspect international et donc l’intervention auprès de structures administratives, judiciaires ou commerciales étrangères. Les crimes concernés peuvent ne laisser que peu de traces à remonter (ou trop comme dans le cas des attaques DDOS). Un individu peut pénétrer un système à l’autre bout de la planète. Mais fondamentalement, chaque affaire est unique. Elles sont donc toutes différentes les unes des autres.

Question: Vous inspectez des disques durs, des GPS, avez vous été amené à étudier des équipements réseaux ou un système d’information dans son ensemble?

Oui, plusieurs fois. Je raconte dans ce billet une expertise dans une entreprise qui avait fermée. Je donne aussi un exemple d’analyse de messagerie faite in situ.

Question: Dans l’établissement ou vous travaillez, un accès internet est mis à la disposition des élèves, quels moyens avez vous mis en place pour respecter la LCEN et la conservation des logs de connexion?

Comme la plupart de mes collègues responsables informatiques, j’ai mis en place une charte informatique expliquant les règles d’usage de l’informatique de l’établissement et en particulier de l’accès internet. J’ai mis en place un serveur proxy SQUID transparent sur la passerelle de l’établissement pour relever les logs des accès internet. Ceux-ci sont croisés avec les adresses IP fournies par le serveur DHCP et les logs de connexion aux comptes informatiques. Ils sont ensuite stockés sur un serveur dédié pour être détruits automatiquement au bout de 12 mois. Par contre, j’ai toujours refusé de mettre en place un système de filtrage listes blanches / listes noires. Je compte plus sur la pédagogie et les explications que sur un système de blocage plus ou moins arbitraire et de toute façon très inefficace.

Question: Utilisez vous la technologie wifi dans établissement, si oui comment l’avez vous sécurisée?

Oui, comme dans toutes les grandes écoles d’ingénieurs, le wifi est maintenant un réseau indispensable. J’utilise un produit opensource qui s’appelle pfsense très facile à installer et qui de plus gère parfaitement le load balancing entre notre accès RENATER et une box ADSL. Toutes les bornes de l’établissement sont des bornes premiers prix non protégées. La connexion est donc très simple pour tous les équipements wifi. Une fois connecté sur le réseau wifi situé sur un LAN dédié, le lancement du navigateur déclenche une page web https spéciale gérée par pfsense et que l’on appelle “portail captif”. Il faut alors entrer ses login et mot de passe gérés par le LDAP de l’établissement (un AD Windows 2008 R2). Chaque étudiant (ou chaque chercheur) est responsable de son chiffrage (connexions https ou VPN privé) s’il souhaite protéger ses données qui passent “en clair” via les ondes radios wifi. Je dois reconnaître que la sécurité est loin d’être parfaite, mais elle me semble suffisante pour l’établissement.

Question: Votre fonction d’expert vous rend elle plus sensible dans votre rôle de responsable informatique?

La pratique des expertises judiciaires me plonge dans des affaires où des erreurs ont été commises. Il est évident que je tire les leçons à titre professionnel (et privé) de ces erreurs pour améliorer mon système informatique. L’exemple le plus parlant est celui des sauvegardes et des plans de reprise après incident. J’ai rencontré une entreprise qui a eu un sinistre dans sa salle serveur et qui était toute fière de disposer de toutes ses données sauvegardées, mais qui n’avait aucune solution pour les réinstaller (serveurs introuvables sur le marché, pas de machines de secours). J’ai également eu à gérer beaucoup de réunions d’expertise où la tension était palpable. Cette expérience me sert dans les situations de crise que je peux rencontrer dans mon univers professionnel. Être expert judiciaire, c’est aussi aller voir chez les autres comment cela se passe, quelles solutions ont été choisies, quelles méthodes sont utilisées. Et cela, c’est toujours enrichissant.

Bonne chance pour votre projet tutoré.

Cordialement,

Zythom

Analyse du rapport Bussière/Autin 3e partie

Ce billet est à lire après

les prolégomènes,

Analyse du rapport Bussière/Autin 1ère partie, et

Analyse du rapport Bussière/Autin 2e partie.

Résumé des épisodes précédents: le rapport Bussière/Autin (téléchargeable ici) a été rédigé par un groupe de travail constitué de magistrats, d’avocats, d’experts et de représentants d’associations de consommateurs. Ce groupe a été chargé de réfléchir à l’amélioration, au travers la mesure d’expertise, de l’accès à la Justice et de la qualité des décisions rendues dans des délais acceptables. Le rapport qu’ils ont remis est très intéressant, clair et propose 38 préconisations que je m’amuse à commenter à mon petit niveau. Les billets précédents commentaient les 20 premières.

A.3 La déontologie des experts.

Shorter: Les obligations déontologiques des experts judiciaires sont éparpillées dans plusieurs textes de loi et manquent de précision. De plus les textes se limitent aux experts inscrits sur les listes de cours d’appel et sur la liste nationale de la Cour de cassation. Quid des experts non inscrits et de ceux intervenant devant les juridictions administratives ou dans des procédures amiables?

Préconisation n°21: “Insérer l’ensemble des principes déontologiques des experts sous l’article 22 du décret du 23 décembre 2004. Proposition de rédaction: après l’article 22, insérer les dispositions suivantes:

Art.22-1 – L’expert doit remplir sa mission en toute indépendance. Il en fait la déclaration au juge qui le commet ou au juge chargé du contrôle lors de l’acceptation de sa mission.

Art.22-2 – L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge. S’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle.

Art.22-3 – L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité.

Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies.

Art.22-4 – L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis.

Art.22-5 – Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise ainsi que de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur.”

Ma remarque: “Shorter: clap clap, clap, mais”.

Reprenons au ralenti ces différentes propositions.

Art.22-1: shorter: l’expert doit déclarer être indépendant.

Cela me paraît une chose importante. Mais la définition d’indépendance peut être trompeuse. Si je me réfère à wikipédia, l'”indépendance est l’absence de relation (de sujétion, de cause à effet, de coordination) entre différentes entités.” Cela soulève beaucoup de questions dès lors que l’on mesure une certaine gradation dans les relations possibles entre un expert et une partie. Un exemple simple pour ne pas alourdir le billet: si j’utilise le logiciel TRUC dans mon entreprise, et que je suis lié par un contrat de support avec l’éditeur de TRUC, dois-je considérer que je suis dépendant de l’éditeur de TRUC? Alors même que le fait de bien connaître le logiciel TRUC et son éditeur peut être un avantage dans le cadre d’une expertise judiciaire technique? Remplacez “TRUC” par un logiciel très courant de traitement de texte…

Art.22-2: la récusation.

La récusation d’un magistrat fait l’objet de plusieurs articles de lois (Code de procédure civile, Code de l’organisation judiciaire, Code du travail, Code de procédure pénale, etc.). Je trouve un peu court la simple mention “L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge“. L’expert n’est pas un juge. L’expert a peut-être beaucoup d’autres raisons d’être récusé. Il ne le sait peut-être même pas lui-même. Et pourtant, il lui faut estimer cela par lui-même, alors même qu’il n’est pas juriste et ne connait sans doute pas toute la jurisprudence, ni même tous les liens qui pourraient être cachés, directs ou indirects avec les parties. Et pourtant “s’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle.” Et bien entendu, je suppose, faire une croix volontairement sur tous les frais engagés depuis le début de la procédure, à moins d’envisager de faire payer l’une des parties, alors même que l’expert disparaît du dossier… Je pense que cet article mériterait un sérieux développement, avec par exemple une procédure de récusation préalable à l’expertise et qui, une fois l’expert confirmé, lui permettrait ensuite de travailler jusqu’au bout.

Art.22-3 (1ère partie): “L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité.

L’expert doit accomplir personnellement la mission. Le but est, je suppose,de ne pas voir de sous-traitance abusive se développer. Oui, mais tous les experts judiciaires connaissent le problème posé par le sapiteur. A ma connaissance (mais je peux me tromper) le mot même de “sapiteur” n’apparaît pas dans les textes de loi. Rien que ce sujet mériterait un billet complet.

Diligence, impartialité et objectivité. Je reconnais que ces concepts “sonnent” justes. Mais donnez moi une mesure objective de chacun d’entre eux permettant de l’évaluer avec précision…

Art.22-3 (2nde partie): “Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies.

Le culte du secret… Je me souviens d’une affaire informatique en France dans laquelle un groupe d’experts avaient été désignés, parmi lesquels un américain. Une fois le rapport déposé, les magistrats (et les experts français) avaient découverts un peu surpris que l’expert américain, consultant et fort conscient de la bonne publicité qu’il pouvait se faire, avait publié son avis sur son site internet! Autre culture, autre vision.

Pour ma part, je trouve le concept peu clair et laissant le champ libre à trop d’interprétations.

Art.22-4: “L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis.

Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, “et attend les informations que le juge lui adresse immédiatement“.

Art.22-5 (1ère partie): “Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise

Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, “et attends pour démarrer ses opérations d’expertises, le feu vert du juge, celui-ci ayant demandé aux parties leurs avis (prévoir un délai imposé aux parties pour leur réponse)“.

Art.22-5 (2nde partie): “Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur.

Je soupçonne la plupart des experts judiciaire n’appartenant pas à des compagnies de ne pas souscrire à une telle assurance (en général parce qu’ils n’ont pas conscience des risques qu’ils prennent). C’est probablement le cas des experts désignés hors liste.

Remarque générale sur toutes ces règles déontologiques:

Toutes ses règles inscrites dans la loi mériteraient leur pendant en terme de sanction: que se passe-t-il si un expert n’a pas respecté l’une de ces règles? Volontairement ou involontairement? Est-il “déporté” d’office? Son travail sera-t-il rémunéré? Est-il radié des listes?

Préconisation n°22: “Créer «une déclaration d’acceptation de mission, d’indépendance et d’information» par l’expert, y compris sur l’existence d’une assurance, avant le début de ses opérations.”

Ma remarque: Cette déclaration permettra à l’expert de faire le point sur les parties en présence et ses liens éventuels, parfois très indirects. Le problème de l’assurance est un point essentiel car trop d’experts font l’impasse sur le sujet et en particulier les experts choisis hors listes.

A.4 L’évaluation des experts.

Shorter: Il n’existe pas aujourd’hui de dispositif permettant d’évaluer le travail des experts (sic).

Préconisation n°23: “Rendre obligatoire l’établissement contradictoire de fiches d’évaluation des expertises par les juridictions du fond, limitées à la pertinence, la clarté, les respects des délais, la précision des réponses apportées et communiquées à la cour d’appel préalablement à la réunion de la commission de réinscription.”

Ma remarque: L’évaluation du travail de quelqu’un est une chose complexe. Arriver à évaluer correctement le travail de tous les experts qu’un magistrat peut désigner à travers les 4 critères retenus me semble une aberration et complètement illusoire:

– nombre de pages utiles

– clarté des explications

– précision et pertinence des réponses apportées

– respect des délais impartis.

Comment évaluer un rapport lorsque les missions ont été mal définies? Qu’appelle-t-on “pages utiles”? Faut-il éviter les annexes? A quel public le rapport s’adresse-t-il? Quel est le niveau technique des personnes qui vont le lire? La clarté des explications supporte-t-elle le flou ou le gris de certaines réponses (tout n’est pas noir ou blanc)? Qui juge de la pertinence des réponses apportées? La personne qui juge de la pertinence des réponses apportées est-elle capable d’en percevoir la pertinence? Le respect des délais inclut-il les manœuvres dilatoires des parties, l’irréalisme parfois de certains délais fixés arbitrairement et imposés à l’expert?

La suite concerne l’amélioration de la qualité de la justice. Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

Analyse du rapport Bussière/Autin 2e partie

Ce billet est à lire après:

les prolégomènes et

Analyse du rapport Bussière/Autin 1ère partie.

Résumé des deux épisodes précédents: le rapport Bussière/Autin (téléchargeable ici) a été rédigé par un groupe de travail constitué de magistrats, d’avocats, d’experts et de représentants d’associations de consommateurs. Ce groupe a été chargé de réfléchir à l’amélioration, au travers la mesure d’expertise, de l’accès à la Justice et de la qualité des décisions rendues dans des délais acceptables. Le rapport qu’ils ont remis est très intéressant, clair et propose 38 préconisations que je m’amuse à commenter à mon petit niveau. Le billet précédent commentait les 13 premières.

2e partie: Expertise et qualité de la justice.

A – Améliorer la qualité de la justice au regard de l’expert.

A.1 – La formation des experts.

Shorter: Un expert connait bien son domaine d’expertise, mais pas a priori celui de la justice. Comment s’assurer que chaque expert judiciaire connait les principes fondamentaux du procès et les règles découlant de sa mise en œuvre dans le cadre des missions qui pourront lui être confiées?

Préconisation n°14: “Recommander aux compagnies d’experts de proposer ou développer dans toutes les cours d’appel une offre de formation préalable à l’inscription suivie de la délivrance d’une attestation.”

Ma remarque: Recommander une telle chose ne coute pas grand chose. Beaucoup de compagnies font déjà des efforts en ce sens. Pour ma part, je pense que l’enseignement ne s’improvise pas et qu’il faudrait plutôt s’adresser aux universités et aux grandes écoles. Comment, cela existe déjà? Bien entendu, il serait intéressant que la loi fixe le programme de ce type de formation, en encadre les coûts et la durée. Par exemple, à Sciences Po Aix-en-Provence, le programme dure actuellement une journée par semaine pendant 10 semaines, pour un coût de 1500 euros à la charge du postulant expert. Sans garantie bien entendu de se voir un jour inscrit sur une liste d’experts judiciaires. On a vu mieux pour attirer les meilleurs spécialistes (et ce n’est pas une critique de Sciences Po Aix).

Préconisation n°15: “Imposer dans un délai de six mois suivant la prestation de serment, une formation initiale qui serait organisée sous l’égide de l’ENM en partenariat avec le CNCEJ, les compagnies et les unions régionales d’experts.”

Ma remarque: Donc, après une formation préalable, une formation initiale… Questions: quelle durée? Quel coût (en dehors des déplacements à Bordeaux)? Et nos amis d’Outre-Mer? Ils viennent aussi à Bordeaux?

Préconisation n°16: “Harmoniser les modalités de formations par:

– une association des cours d’appel aux plans de formation des experts,

– la création sous l’égide de l’ENM d’une formation des «formateurs» permettant la diffusion d’une culture sur la procédure, l’expertise, l’environnement judiciaire et la comparution de l’expert à l’audience.”

Ma remarque: Le rapport précise que les «formateurs» (je n’ai pas compris la présence de guillemets) seront des magistrats et des experts (page 19 dernier paragraphe). Ces «formateurs» seront formés par l’ENM pour assurer au plan national la diffusion d’une culture partagée sur le rôle de l’expert et la portée de l’expertise dans son environnement judiciaire. Je n’ai pas compris dans quel cadre vont intervenir ces «formateurs-magistrats» et «formateurs-experts». Désolé.

A.2 – La sélection des experts.

Shorter: Ce n’est pas clair.

Préconisation n°17: “Modifier l’article R.222-5 du code de justice administrative en réservant aux seules cours administratives d’appel la faculté d’établir un tableau annuel de leurs experts et en prévoyant que ceux-ci sont choisis parmi les experts inscrits sur les listes dressées par les cours d’appel situées dans le ressort de la cour administrative d’appel concernée.”

Ma remarque: Puisque vous n’avez pas forcément suivi de formation préalable ou initiale en organisation de la Justice française, je me permets de vous rappeler l’excellent billet de Maître Eolas sur le grand divorce de 1790: la séparation des autorités administratives et judiciaires. Après (re)lecture de ce chef d’œuvre de billet pédagogique, vous comprendrez que les deux systèmes fonctionnent différemment: par exemple, pour les juridictions de l’ordre administratif, la constitution de listes d’experts pour l’information des juges n’est que facultative et ne répond à aucune réglementation particulière. Le Conseil d’État n’a pas non plus dressé de tableau national des experts et seules 4 des 8 cours administratives d’appel établissent chaque année le tableau de leurs experts.

Préconisation n°18: “Envisager soit l’abrogation de l’article R.122-25-1 du code de justice administrative, soit l’établissement d’une liste nationale des experts commune au Conseil d’État et à la Cour de cassation.”

Ma remarque: Il faut encore lire Maître Eolas pour bien comprendre le fonctionnement de l’autre justice. Je ne suis pas assez célèbre pour être inscrit sur la liste des experts près la Cour de Cassation, puisque pour postuler, il faut avoir été désigné dans une grande affaire et avoir effectué un travail particulièrement remarquable, ce qui a priori ne saurait arriver dans ma lointaine province. Et concernant “l’autre justice”, je n’ai jamais travaillé pour elle. Mais cette préconisation semble être réellement affaire de bon sens.

Préconisation n°19: “Motiver le refus d’inscription initiale sur les listes d’experts et prévoir cette obligation de motivation dans une disposition législative spécifique.”

Ma remarque: clap, clap, clap. Je reçois beaucoup de mails de postulants experts qui sont déçus de ne pas savoir pourquoi ils n’ont pas été retenus (trop jeunes? trop peu d’expériences? Pas d’accès à des équipements couteux?)

Préconisation n°20: “Préciser dans un article du décret 2004-1463 que le refus d’inscription initiale est motivé en référence notamment à une absence de compétence, d’insuffisance de moyens techniques ou d’intérêt pour la collaboration au service public de la justice et aux besoins.”

Ma remarque: Idem que ma remarque précédente.

La suite concerne la déontologie des experts judiciaires. Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

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PS: L’image fait référence à la tentation que l’on peut parfois avoir de déposer un dossier de demande d’inscription un peu, comment dire, trop publicitaire 😉

Analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

L’introduction de ce billet est à lire ici.

Le rapport Bussière/Autin fait 56 pages, dont une page de titre, deux pages de sommaire, six pages de tableau récapitulatif et 13 pages d’annexes, soit selon la méthode préconisée dans le rapport, 34 pages “utiles”.

Le rapport est agréable à lire, me semble clair et la présentation des préconisations juste après la présentation de chaque problème est judicieuse, ainsi que le tableau récapitulatif. Le document pdf mis en ligne aurait mérité l’insertion de quelques liens hypertextes pour faciliter la lecture, en particulier le renvoi aux textes de loi. S’agissant d’un rapport destiné à être remis au Garde des Sceaux, à l’occasion d’une cérémonie formelle, je suppose que ma remarque est futile. En tout cas, certains rapports d’expertise mériteraient d’être aussi clairs 😉

Les lettres de mission adressées aux auteurs du rapport étant judicieusement jointe en annexe 1, il est possible de connaître la feuille de route établie à l’intention du groupe de travail:

“[La] modernisation [de la justice] doit s’attacher à faciliter l’accès à la justice, améliorer la qualité des décisions rendues mais aussi à faire en sorte qu’elles soient rendues dans des délais acceptables pour nos concitoyens.

L’expertise se trouve souvent au cœur de ces problématiques. Elle concentre nombre de critiques qui sont adressées à la justice et contribuent à sa mauvaise image.”

J’ai un peu tiqué dans la mesure où il me semble plus important de s’intéresser au bon fonctionnement de la justice plus qu’à son “image”. Ce point est corrigé à la fin de la lettre de mission:

“Je souhaite que le groupe que vous co-présiderez, nous permette à la fois de mieux appréhender l’ensemble des problèmes suscités par l’expertise dans tous les domaines (civils, commerciaux et pénaux) et de proposer toutes les solutions qui seraient de nature à améliorer le fonctionnement de la justice sur ce point et à mieux répondre aux attentes des usagers.”.

La mission est très générale et j’avoue que j’admire les magistrats qui l’ont acceptée, tant elle est vaste. Une critique néanmoins, les deux lettres de mission précisaient que le rapport devait être remis au ministre au plus tard à la fin de l’année 2010. Mon esprit positif me fait croire que les deux courageux magistrats ont eu de bonnes raisons de demander une prolongation de délai afin de le remettre le 1er avril 2011.

1ère partie: Expertise et accès à la Justice.

A – Améliorer l’accès à la justice au regard du choix de la mesure.

Shorter: le juge doit s’attacher à n’ordonner une expertise que dans les cas où elle est objectivement indispensable, car la république des experts, cela coute cher et c’est long.

Préconisation n°1: “Recourir davantage en matière civile, lorsque les conditions sont réunies, aux mesures d’instruction plus rapides et moins coûteuses que l’expertise: consultation et constatations.”

Ma remarque: c’est l’article 263 du code de procédure civile

Préconisation n°2: “Accroître en matière pénale le recours aux constatations par exemple en matière financière et informatique par:

– le développement des capacités techniques des services enquêteurs,

– l’amélioration de la formation des magistrats et enquêteurs,

– l’augmentation du nombre d’assistants spécialisés.”

Ma remarque: Il me semble parfaitement normal que les services enquêteurs voient leurs capacités techniques développées et que le nombre d’assistants spécialisés augmentent. Mais je n’ai pas l’impression que les moyens financiers suivront! Il semble plus facile pour le gouvernement actuel de choisir de “privatiser” un certain nombre de constatations en les externalisant au coup par coup auprès de particuliers qui vont utiliser leur propre matériel (ou celui de leur employeur). L’expert judiciaire est en train de devenir un prestataire de service, souple, jetable, renouvelable, et qui coute beaucoup moins cher qu’un fonctionnaire à plein temps. Je constate que, dans mon département, l’unique gendarme formé aux technologies informatiques modernes et ayant en charge (entre autres choses) les affaires d’intrusions informatiques, d’escroqueries informatiques, de contrefaçon de carte bancaire, et assurant l’assistance technique aux services de police et l’analyse criminelle (N-Tech), était quelque peu débordé par les nombreuses poursuites d’internautes dans des affaires de recel d’images et de films pédopornographiques, ce qui m’a valu d’être désigné pour traiter les affaires qu’il ne pouvait pas absorber. Nul augmentation d’effectif n’était en vue… Et c’était avant la fusion Police/Gendarmerie!

B – Améliorer l’accès à la justice au regard de l’information du justiciable.

Shorter: Un expert, c’est cher. Le justiciable ne le sait pas. Les magistrats ne connaissent pas bien les tarifs de leurs experts ni leurs réactivités.

Préconisation n°3: “Élaborer une fiche d’information sur l’expertise (site internet du Ministère).”

Ma remarque: Le rapport précise que le site internet du ministère de la Justice présente succinctement l’expert judiciaire, mais ne fournit aucune information sur le déroulement et le coût de l’expertise. Je n’ose même pas imaginer une fiche détaillant l’ensemble des coûts possibles pour toutes les catégories d’expertises possibles. Il n’y a qu’à déjà lire la nomenclature qui inventorie les différents experts judiciaires possibles… Faut-il indiquer au justifiable les coûts moyens d’un expert judiciaire “neige et avalanche” (A.9)? Ceux d’un expert judiciaire “gravures et arts graphiques” (B.3.8)? Les tarifs de l’expert judiciaire “travaux sous-marins” (C.1.29)?

Préconisation n°4: “Diffuser au niveau de chaque cour d’appel au profit exclusif des magistrats des éléments d’information sur les coûts et délais moyens des expertises réalisées par les différents experts inscrits sur la liste.”

Ma remarque: C’est la reconnaissance de l’excellent travail de la revue “Experts” qui réalise chaque année, sur la base du bénévola, une grande enquête auprès de ses lecteurs afin d’établir des statistiques sur le travail des experts judiciaires. Une reprise de ce travail par la puissance publique serait souhaitable, surtout qu’elle dispose déjà de tous les éléments puisqu’elle est l’ordonnateur des expertises et en contrôle les délais et le paiement. Par contre, je ne comprends pas le secret demandé: “au profit exclusif des magistrats”. Pourquoi ne pas publier ses chiffres de manière détaillée au profit de l’ensemble des justiciables?

Préconisation n°5: “Faire établir par l’expert dès la mise en œuvre de sa mission un calendrier des opérations d’expertise et un relevé du montant des frais et honoraires au fur et à mesure de leur engagement.”

Ma remarque: C’est pour moi le B.A.BA de la gestion de projet que de commencer par établir un budget prévisionnel et un échéancier des phases du projet. Un corolaire de cette préconisation sera toutefois le remboursement très rapide (moins de 90 jours) du montant des frais avancés et honoraires après recettage de la prestation de service.

C – Le prix de l’expertise.

Shorter: Le coût de certaines expertises rend difficile l’accès à la justice pour ceux dont les revenus sont faibles mais pas suffisamment pour que leurs frais de justice soient pris en charge par l’État. Par ailleurs, les prix fixés par l’État pour certaines expertises (médecine légale, psychiatrie…) sont si bas que les personnes les plus qualifiées pour les faire refusent de devenir expert judiciaire. Enfin, les délais de paiement des frais et honoraires des experts judiciaires sont dissuasifs.

Préconisation n°6: “Instaurer une assurance en ajoutant dans un contrat composite (assurance multirisque habitation…) une garantie obligatoire de protection juridique couvrant les domaines juridictionnels les plus sollicités.”

Ma remarque: Pas de problème si les français acceptent de payer un peu plus leurs assurances pour qu’elles prennent en charge les coûts parfois très élevés d’une expertise. Mais quid des français n’ayant pas de contrat “multirisque habitation”? Ne serait-il pas plus simple et juste de relever les plafonds des aides juridictionnelles? Comment ça, ça coute?

Préconisation n°7: “Développer localement les chartes entre les compagnies, les juridictions et les avocats afin de promouvoir les bonnes pratiques permettant une réduction des frais en cours d’expertise (cf. chartes de la Cour d’Appel de Paris, de Versailles…).”

Ma remarque: Dans la mesure où l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession, qu’il n’existe pas d’ordre des experts judiciaires, et que l’appartenance à une compagnie d’experts judiciaires n’est pas obligatoire, je ne vois pas en quoi la mise en place d’une charte s’imposera à tous les experts judiciaires. Mais il est vrai que cela n’altère pas les finances publiques.

Préconisation n°8: “Modifier l’article 280 du code de procédure civile pour rendre obligatoire la demande par l’expert de consignation complémentaire si la provision initiale s’avère manifestement insuffisante.”

Ma remarque: Très bonne idée, j’adhère pleinement à cette bonne pratique. Un souhait néanmoins: le traitement rapide de cette demande sinon les délais d’expertise vont singulièrement augmenter. Bon nombre d’experts ont les yeux rivés sur le temps qui passe, les réunions qui s’enchaînent et la date butoir qui approche. Si l’on doit ajouter à cela une demande de consignation complémentaire…

Préconisation n°9: “Modifier l’article 282 du code de procédure civile pour y insérer l’obligation faite à l’expert de transmettre aux parties sa demande de rémunération en même temps que son rapport.”

Ma remarque: Cela va dans le sens de la transparence. Chaque partie doit être tenue au courant des avancées de l’expertise, y compris de son coût. Que cette bonne pratique soit inscrite dans la loi plutôt que dans une charte locale me semble bienvenu.

Préconisation n°10: “Revaloriser certaines expertises tarifées (médecine légale, psychiatrie, psychologie…).”

Ma remarque: Les experts concernés vont être contents. Mon petit doigt me dit qu’il ne faut pas non plus s’attendre à une augmentation extraordinaire, rapport au budget de la justice et tout ça. Souvenez-vous aussi de la phrase maladroite de mon confrère «Quand on paie les expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femmes de ménage!». Le Garde des Sceaux de l’époque avait alors demandé sa radiation, refusée par la Cour d’Appel de Rouen qui avait estimé que l’expert n’avait commis aucune faute susceptible d’entraîner sa radiation et que son travail avait été “extrêmement fouillé et individualisé”. Je m’en étais fait ici même l’écho.

Préconisation n°11: ” Clarifier et simplifier les circuits de paiement en vue d’abréger les délais de règlement notamment dans le cadre de l’application du logiciel CHORUS.”

Ma remarque: clap clap clap. Sauf peut-être si cet article de Eco89 est toujours vrai…

Préconisation n°12: “Mettre financièrement les juridictions en capacité de régler sur toute l’année les mémoires des experts dans des délais raisonnables.”

Ma remarque: clap clap clap. Et qu’on soit bien d’accord: délai raisonnable = inférieur à 90 jours, sinon pénalités.

Préconisation n°13: “Modifier l’article R.115 du code de procédure pénale afin de permettre le versement d’acomptes provisionnels allant jusqu’à 50% du montant des frais et honoraires prévus.”

Ma remarque: clap clap clap. Aujourd’hui, c’est 33% maximum, le reste étant payé jusqu’à deux ans après. Je précise que je n’ai jamais demandé d’avance dans mes dossiers au pénal, et toujours attendu leur règlement presqu’en silence. Là encore, je pense malheureusement que le temps de traitement par la machine judiciaire de telles demandes vont entraîner l’augmentation des délais de réalisation des expertises.

La suite concerne la 2e partie du rapport, intitulée “Expertise et qualité de la justice”. Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

Prolégomènes à l’analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

En 1996, mon épouse avocate me demande de l’aide pour comprendre un rapport d’expertise judiciaire informatique qui apparaît dans l’un de ses dossiers. Cela tombe bien, je suis ingénieur en informatique industrielle, docteur en intelligence artificielle informatique, professeur d’informatique dans une grande école d’ingénieurs et responsable informatique. La compréhension de ce rapport ne me pose aucun problème, mais je découvre ainsi le travail d’un informaticien qui s’est mis ponctuellement au service de la justice.

Ma femme me propose alors de postuler pour mettre mes propres compétences au service de la justice. Je trouve l’idée excellente car c’est pour moi un moyen de me rapprocher de l’univers professionnel de mon épouse.

En février 1997, je dépose un dossier de candidature. Plus exactement, un dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires de ma Cour d’Appel.

Première demande refusée, sans explication.

En février 1998, je redépose une demande d’inscription. Celle-ci sera acceptée, sans plus d’explication.

En janvier 1999, je prête serment et deviens à 35 ans l’un des plus jeunes experts judiciaires en informatique de France.

Me voici prêt à offrir mon concours à la justice.

“Offrir?” me dit mon épouse. “Tu vas avancer des dépenses qui devront t’être remboursées par l’une des parties au procès, ou par l’État, tu vas comptabiliser du temps qui peut être rémunérer sous forme d’honoraires. Il va te falloir tenir une comptabilité et établir des feuilles de frais et honoraires et en demander le remboursement.”

“Ah bon?” lui répondis-je. “Mais je suis pourtant d’accord pour travailler gratuitement. On me demande mon avis et je le donne. Le simple fait de considérer mon avis comme digne d’être écouté me comble et me suffit!”

“Mais oui, mais oui… Et comment comptes-tu payer l’URSSAF, CANCRAS et CARBALAS? Et ton assurance en responsabilité civile si tu commets une erreur? Et tes déplacements à l’autre bout de la région judiciaire? Et les journées de congé que tu devras prendre? Et les formations que tu vas devoir suivre?”

Moi: “…”

Les femmes étant souvent plus intelligentes que les hommes, et dans mon cas, plus compétentes en matière juridique, mon épouse s’est débrouillée avec les différents greffes ad hoc pour obtenir une grille des différents tarifs considérés comme normaux par les magistrats en charge du contrôle des expertises.

Ensuite, j’ai mis au point ma note de frais et honoraires.

Puis j’ai découvert la valeur du succès. Et parfois, l’exercice délicat des expertises privées. J’ai découvert un univers particulier, habité par des personnes extrêmement compétentes, mais aussi par ce que Dirdir appelait “des hommes d’affaires, des hommes de pouvoir” ici-même dans son rapport d’étonnement.

Pour conclure ses prolégomènes, je rappellerais à mes chers lecteurs que l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession réglementée et que l’expert est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public de la justice.

Il existe des associations loi 1901 regroupant les experts qui souhaitent y adhérer, soit par cour d’appel (compagnies pluridisciplinaires), soit par ce que vous voulez, la création d’association étant libre en France. Je parle de ces organisations dans les explications liminaires de ce billet sur mon passage en commission de discipline en 2008 à cause de la tenue de ce blog.

C’est donc avec un esprit d’indépendance, que je vais essayer d’analyser le rapport demandé en mai 2010 par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, réalisé par Madame Chantal Bussière, Premier Président de la Cour d’Appel de Bordeaux, et Monsieur Stéphane Autin, Procureur Général de la Cour d’Appel de Pau, rapport que j’appellerai “rapport Bussière/Autin”, remis le 1er avril 2011 et rendu public le 3 mai 2011. Vous pouvez le consulter dès maintenant ici.

Mon analyse sera personnelle, tiendra compte de mon expérience forcément limitée de petit expert judiciaire informatique provincial, et ne pourra pas être considérée comme la position officielle de l’ensemble des experts judiciaires.

Enfin, j’ai suivi une formation scientifique, la science est le domaine du doute, la critique du travail des autres est consubstantielle de l’activité scientifique et, les experts sont des êtres humains comme les autres.

Billet(s) à suivre.