Prolégomènes à l’analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

En 1996, mon épouse avocate me demande de l’aide pour comprendre un rapport d’expertise judiciaire informatique qui apparaît dans l’un de ses dossiers. Cela tombe bien, je suis ingénieur en informatique industrielle, docteur en intelligence artificielle informatique, professeur d’informatique dans une grande école d’ingénieurs et responsable informatique. La compréhension de ce rapport ne me pose aucun problème, mais je découvre ainsi le travail d’un informaticien qui s’est mis ponctuellement au service de la justice.

Ma femme me propose alors de postuler pour mettre mes propres compétences au service de la justice. Je trouve l’idée excellente car c’est pour moi un moyen de me rapprocher de l’univers professionnel de mon épouse.

En février 1997, je dépose un dossier de candidature. Plus exactement, un dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires de ma Cour d’Appel.

Première demande refusée, sans explication.

En février 1998, je redépose une demande d’inscription. Celle-ci sera acceptée, sans plus d’explication.

En janvier 1999, je prête serment et deviens à 35 ans l’un des plus jeunes experts judiciaires en informatique de France.

Me voici prêt à offrir mon concours à la justice.

“Offrir?” me dit mon épouse. “Tu vas avancer des dépenses qui devront t’être remboursées par l’une des parties au procès, ou par l’État, tu vas comptabiliser du temps qui peut être rémunérer sous forme d’honoraires. Il va te falloir tenir une comptabilité et établir des feuilles de frais et honoraires et en demander le remboursement.”

“Ah bon?” lui répondis-je. “Mais je suis pourtant d’accord pour travailler gratuitement. On me demande mon avis et je le donne. Le simple fait de considérer mon avis comme digne d’être écouté me comble et me suffit!”

“Mais oui, mais oui… Et comment comptes-tu payer l’URSSAF, CANCRAS et CARBALAS? Et ton assurance en responsabilité civile si tu commets une erreur? Et tes déplacements à l’autre bout de la région judiciaire? Et les journées de congé que tu devras prendre? Et les formations que tu vas devoir suivre?”

Moi: “…”

Les femmes étant souvent plus intelligentes que les hommes, et dans mon cas, plus compétentes en matière juridique, mon épouse s’est débrouillée avec les différents greffes ad hoc pour obtenir une grille des différents tarifs considérés comme normaux par les magistrats en charge du contrôle des expertises.

Ensuite, j’ai mis au point ma note de frais et honoraires.

Puis j’ai découvert la valeur du succès. Et parfois, l’exercice délicat des expertises privées. J’ai découvert un univers particulier, habité par des personnes extrêmement compétentes, mais aussi par ce que Dirdir appelait “des hommes d’affaires, des hommes de pouvoir” ici-même dans son rapport d’étonnement.

Pour conclure ses prolégomènes, je rappellerais à mes chers lecteurs que l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession réglementée et que l’expert est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public de la justice.

Il existe des associations loi 1901 regroupant les experts qui souhaitent y adhérer, soit par cour d’appel (compagnies pluridisciplinaires), soit par ce que vous voulez, la création d’association étant libre en France. Je parle de ces organisations dans les explications liminaires de ce billet sur mon passage en commission de discipline en 2008 à cause de la tenue de ce blog.

C’est donc avec un esprit d’indépendance, que je vais essayer d’analyser le rapport demandé en mai 2010 par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, réalisé par Madame Chantal Bussière, Premier Président de la Cour d’Appel de Bordeaux, et Monsieur Stéphane Autin, Procureur Général de la Cour d’Appel de Pau, rapport que j’appellerai “rapport Bussière/Autin”, remis le 1er avril 2011 et rendu public le 3 mai 2011. Vous pouvez le consulter dès maintenant ici.

Mon analyse sera personnelle, tiendra compte de mon expérience forcément limitée de petit expert judiciaire informatique provincial, et ne pourra pas être considérée comme la position officielle de l’ensemble des experts judiciaires.

Enfin, j’ai suivi une formation scientifique, la science est le domaine du doute, la critique du travail des autres est consubstantielle de l’activité scientifique et, les experts sont des êtres humains comme les autres.

Billet(s) à suivre.

Une réflexion sur « Prolégomènes à l’analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise »

  1. Bonjour,

    "petit expert judiciaire informatique provincial"

    Ne vous dévalorisez pas ainsi, vous êtes aussi grand que tout ceux qui se prennent la peine de se mettre sur la pointe des pieds pour jeter un coup d'oeil au dessus de la masse. Et surtout, vous êtes de ceux qui nous font grandir.

    Merci pour vos billets.

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