Analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

L’introduction de ce billet est à lire ici.

Le rapport Bussière/Autin fait 56 pages, dont une page de titre, deux pages de sommaire, six pages de tableau récapitulatif et 13 pages d’annexes, soit selon la méthode préconisée dans le rapport, 34 pages « utiles ».

Le rapport est agréable à lire, me semble clair et la présentation des préconisations juste après la présentation de chaque problème est judicieuse, ainsi que le tableau récapitulatif. Le document pdf mis en ligne aurait mérité l’insertion de quelques liens hypertextes pour faciliter la lecture, en particulier le renvoi aux textes de loi. S’agissant d’un rapport destiné à être remis au Garde des Sceaux, à l’occasion d’une cérémonie formelle, je suppose que ma remarque est futile. En tout cas, certains rapports d’expertise mériteraient d’être aussi clairs 😉

Les lettres de mission adressées aux auteurs du rapport étant judicieusement jointe en annexe 1, il est possible de connaître la feuille de route établie à l’intention du groupe de travail:

« [La] modernisation [de la justice] doit s’attacher à faciliter l’accès à la justice, améliorer la qualité des décisions rendues mais aussi à faire en sorte qu’elles soient rendues dans des délais acceptables pour nos concitoyens.

L’expertise se trouve souvent au cœur de ces problématiques. Elle concentre nombre de critiques qui sont adressées à la justice et contribuent à sa mauvaise image. »

J’ai un peu tiqué dans la mesure où il me semble plus important de s’intéresser au bon fonctionnement de la justice plus qu’à son « image ». Ce point est corrigé à la fin de la lettre de mission:

« Je souhaite que le groupe que vous co-présiderez, nous permette à la fois de mieux appréhender l’ensemble des problèmes suscités par l’expertise dans tous les domaines (civils, commerciaux et pénaux) et de proposer toutes les solutions qui seraient de nature à améliorer le fonctionnement de la justice sur ce point et à mieux répondre aux attentes des usagers. ».

La mission est très générale et j’avoue que j’admire les magistrats qui l’ont acceptée, tant elle est vaste. Une critique néanmoins, les deux lettres de mission précisaient que le rapport devait être remis au ministre au plus tard à la fin de l’année 2010. Mon esprit positif me fait croire que les deux courageux magistrats ont eu de bonnes raisons de demander une prolongation de délai afin de le remettre le 1er avril 2011.

1ère partie: Expertise et accès à la Justice.

A – Améliorer l’accès à la justice au regard du choix de la mesure.

Shorter: le juge doit s’attacher à n’ordonner une expertise que dans les cas où elle est objectivement indispensable, car la république des experts, cela coute cher et c’est long.

Préconisation n°1: « Recourir davantage en matière civile, lorsque les conditions sont réunies, aux mesures d’instruction plus rapides et moins coûteuses que l’expertise: consultation et constatations. »

Ma remarque: c’est l’article 263 du code de procédure civile

Préconisation n°2: « Accroître en matière pénale le recours aux constatations par exemple en matière financière et informatique par:

– le développement des capacités techniques des services enquêteurs,

– l’amélioration de la formation des magistrats et enquêteurs,

– l’augmentation du nombre d’assistants spécialisés. »

Ma remarque: Il me semble parfaitement normal que les services enquêteurs voient leurs capacités techniques développées et que le nombre d’assistants spécialisés augmentent. Mais je n’ai pas l’impression que les moyens financiers suivront! Il semble plus facile pour le gouvernement actuel de choisir de « privatiser » un certain nombre de constatations en les externalisant au coup par coup auprès de particuliers qui vont utiliser leur propre matériel (ou celui de leur employeur). L’expert judiciaire est en train de devenir un prestataire de service, souple, jetable, renouvelable, et qui coute beaucoup moins cher qu’un fonctionnaire à plein temps. Je constate que, dans mon département, l’unique gendarme formé aux technologies informatiques modernes et ayant en charge (entre autres choses) les affaires d’intrusions informatiques, d’escroqueries informatiques, de contrefaçon de carte bancaire, et assurant l’assistance technique aux services de police et l’analyse criminelle (N-Tech), était quelque peu débordé par les nombreuses poursuites d’internautes dans des affaires de recel d’images et de films pédopornographiques, ce qui m’a valu d’être désigné pour traiter les affaires qu’il ne pouvait pas absorber. Nul augmentation d’effectif n’était en vue… Et c’était avant la fusion Police/Gendarmerie!

B – Améliorer l’accès à la justice au regard de l’information du justiciable.

Shorter: Un expert, c’est cher. Le justiciable ne le sait pas. Les magistrats ne connaissent pas bien les tarifs de leurs experts ni leurs réactivités.

Préconisation n°3: « Élaborer une fiche d’information sur l’expertise (site internet du Ministère). »

Ma remarque: Le rapport précise que le site internet du ministère de la Justice présente succinctement l’expert judiciaire, mais ne fournit aucune information sur le déroulement et le coût de l’expertise. Je n’ose même pas imaginer une fiche détaillant l’ensemble des coûts possibles pour toutes les catégories d’expertises possibles. Il n’y a qu’à déjà lire la nomenclature qui inventorie les différents experts judiciaires possibles… Faut-il indiquer au justifiable les coûts moyens d’un expert judiciaire « neige et avalanche » (A.9)? Ceux d’un expert judiciaire « gravures et arts graphiques » (B.3.8)? Les tarifs de l’expert judiciaire « travaux sous-marins » (C.1.29)?

Préconisation n°4: « Diffuser au niveau de chaque cour d’appel au profit exclusif des magistrats des éléments d’information sur les coûts et délais moyens des expertises réalisées par les différents experts inscrits sur la liste. »

Ma remarque: C’est la reconnaissance de l’excellent travail de la revue « Experts » qui réalise chaque année, sur la base du bénévola, une grande enquête auprès de ses lecteurs afin d’établir des statistiques sur le travail des experts judiciaires. Une reprise de ce travail par la puissance publique serait souhaitable, surtout qu’elle dispose déjà de tous les éléments puisqu’elle est l’ordonnateur des expertises et en contrôle les délais et le paiement. Par contre, je ne comprends pas le secret demandé: « au profit exclusif des magistrats ». Pourquoi ne pas publier ses chiffres de manière détaillée au profit de l’ensemble des justiciables?

Préconisation n°5: « Faire établir par l’expert dès la mise en œuvre de sa mission un calendrier des opérations d’expertise et un relevé du montant des frais et honoraires au fur et à mesure de leur engagement. »

Ma remarque: C’est pour moi le B.A.BA de la gestion de projet que de commencer par établir un budget prévisionnel et un échéancier des phases du projet. Un corolaire de cette préconisation sera toutefois le remboursement très rapide (moins de 90 jours) du montant des frais avancés et honoraires après recettage de la prestation de service.

C – Le prix de l’expertise.

Shorter: Le coût de certaines expertises rend difficile l’accès à la justice pour ceux dont les revenus sont faibles mais pas suffisamment pour que leurs frais de justice soient pris en charge par l’État. Par ailleurs, les prix fixés par l’État pour certaines expertises (médecine légale, psychiatrie…) sont si bas que les personnes les plus qualifiées pour les faire refusent de devenir expert judiciaire. Enfin, les délais de paiement des frais et honoraires des experts judiciaires sont dissuasifs.

Préconisation n°6: « Instaurer une assurance en ajoutant dans un contrat composite (assurance multirisque habitation…) une garantie obligatoire de protection juridique couvrant les domaines juridictionnels les plus sollicités. »

Ma remarque: Pas de problème si les français acceptent de payer un peu plus leurs assurances pour qu’elles prennent en charge les coûts parfois très élevés d’une expertise. Mais quid des français n’ayant pas de contrat « multirisque habitation »? Ne serait-il pas plus simple et juste de relever les plafonds des aides juridictionnelles? Comment ça, ça coute?

Préconisation n°7: « Développer localement les chartes entre les compagnies, les juridictions et les avocats afin de promouvoir les bonnes pratiques permettant une réduction des frais en cours d’expertise (cf. chartes de la Cour d’Appel de Paris, de Versailles…). »

Ma remarque: Dans la mesure où l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession, qu’il n’existe pas d’ordre des experts judiciaires, et que l’appartenance à une compagnie d’experts judiciaires n’est pas obligatoire, je ne vois pas en quoi la mise en place d’une charte s’imposera à tous les experts judiciaires. Mais il est vrai que cela n’altère pas les finances publiques.

Préconisation n°8: « Modifier l’article 280 du code de procédure civile pour rendre obligatoire la demande par l’expert de consignation complémentaire si la provision initiale s’avère manifestement insuffisante. »

Ma remarque: Très bonne idée, j’adhère pleinement à cette bonne pratique. Un souhait néanmoins: le traitement rapide de cette demande sinon les délais d’expertise vont singulièrement augmenter. Bon nombre d’experts ont les yeux rivés sur le temps qui passe, les réunions qui s’enchaînent et la date butoir qui approche. Si l’on doit ajouter à cela une demande de consignation complémentaire…

Préconisation n°9: « Modifier l’article 282 du code de procédure civile pour y insérer l’obligation faite à l’expert de transmettre aux parties sa demande de rémunération en même temps que son rapport. »

Ma remarque: Cela va dans le sens de la transparence. Chaque partie doit être tenue au courant des avancées de l’expertise, y compris de son coût. Que cette bonne pratique soit inscrite dans la loi plutôt que dans une charte locale me semble bienvenu.

Préconisation n°10: « Revaloriser certaines expertises tarifées (médecine légale, psychiatrie, psychologie…). »

Ma remarque: Les experts concernés vont être contents. Mon petit doigt me dit qu’il ne faut pas non plus s’attendre à une augmentation extraordinaire, rapport au budget de la justice et tout ça. Souvenez-vous aussi de la phrase maladroite de mon confrère «Quand on paie les expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femmes de ménage!». Le Garde des Sceaux de l’époque avait alors demandé sa radiation, refusée par la Cour d’Appel de Rouen qui avait estimé que l’expert n’avait commis aucune faute susceptible d’entraîner sa radiation et que son travail avait été « extrêmement fouillé et individualisé ». Je m’en étais fait ici même l’écho.

Préconisation n°11:  » Clarifier et simplifier les circuits de paiement en vue d’abréger les délais de règlement notamment dans le cadre de l’application du logiciel CHORUS. »

Ma remarque: clap clap clap. Sauf peut-être si cet article de Eco89 est toujours vrai…

Préconisation n°12: « Mettre financièrement les juridictions en capacité de régler sur toute l’année les mémoires des experts dans des délais raisonnables. »

Ma remarque: clap clap clap. Et qu’on soit bien d’accord: délai raisonnable = inférieur à 90 jours, sinon pénalités.

Préconisation n°13: « Modifier l’article R.115 du code de procédure pénale afin de permettre le versement d’acomptes provisionnels allant jusqu’à 50% du montant des frais et honoraires prévus. »

Ma remarque: clap clap clap. Aujourd’hui, c’est 33% maximum, le reste étant payé jusqu’à deux ans après. Je précise que je n’ai jamais demandé d’avance dans mes dossiers au pénal, et toujours attendu leur règlement presqu’en silence. Là encore, je pense malheureusement que le temps de traitement par la machine judiciaire de telles demandes vont entraîner l’augmentation des délais de réalisation des expertises.

La suite concerne la 2e partie du rapport, intitulée « Expertise et qualité de la justice ». Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

3 réflexions sur « Analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise »

  1. Bonjour,

    Cela fait 22 ans que je pratique l'expertise en informatique et 22 ans que l'institution judiciaire ressasse à peu de choses près les mêmes rengaines. Sauf que cela ne va pas en s'améliorant surtout en ce qui concerne les délais moyens de paiement des honoraires (et je ne parle pas de la vitesse de rendu des ordonnances de consignation complémentaire) et qu'il y a de moins en moins d'experts judiciaires, c'est un fait patent. Vous allez me dire que je suis pessimiste, mais un pessimiste n'est il pas un optimiste qui a de l'expérience !

  2. Merci beaucoup pour cette synthèse vraiment très utile !

    En ce qui concerne Chorus. Si j'ai bien compris, ce qui est prévu, c'est un règlement par défaut en salaires, avec possibilité de demander un règlement en honoraires, et cela au moyen d'une jolie lettre accompagnée de plusieurs justificatifs Urssaf. Du coup, je ne sais pas si ça va être vraiment très rapide, cette nouvelle procédure de traitement des mémoires de frais…

  3. Merci pour cet article qui nous éclaire sur le fonctionnement des expertises. En particulier sur le préconisation no 10.

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