Je suis souvent contacté par des nouveaux experts judiciaires (sans doute grâce au référencement de ce blog) qui veulent avoir quelques conseils sur « comment ça se passe ensuite ».
Conseil n°1 : Inscrivez-vous à la compagnie pluridisciplinaire de votre cour d’appel.
Il y a de forte chance que vous rencontriez le président de cette compagnie, ou un représentant (quel joli mot), lors de votre prestation de serment. Inscrivez-vous pour au moins la raison suivante : votre adhésion inclut une assurance en responsabilité civile INDISPENSABLE à la réalisation de vos missions d’expertise (et vous ne trouverez pas moins cher tout seul de votre côté). Attention : certaines de vos missions peuvent avoir des enjeux financiers très importants, et au moindre faux pas de votre part, sans assurance… BOOM !
Conseil n°2 : Vous n’aurez aucun ami dans la tempête.
Vous allez vous trouver au milieu d’une guerre procédurale, souvent avec de forts enjeux. Lors des réunions contradictoires, les parties vont s’écharper, et vous feront les yeux doux si elles sentent que votre avis leur sera favorable, mais montreront les dents dans le cas contraire. Or, cela ne doit pas influencer votre avis, sans pour autant vous obliger à un avis tiède qui tente de ménager tout le monde. Mais l’expert n’est pas tout puissant : vous devrez expliquer votre avis, et répondre aux dires d’avocats. Si la situation s’envenime, ne comptez sur personne pour vous défendre : vous serez seul dans cette tempête. Ni le magistrat qui vous a missionné, ni le greffe du tribunal, ni votre compagnie pluridisciplinaire, ni vos confrères experts ne vous aideront (peut-être parfois une parole d’encouragement, ou un regard de compassion). Relisez ce billet si vous n’êtes pas convaincu.
Conseil n°3 : Évitez les comportements à risque.
Madame Marie-Claude MARTIN, quand elle était vice-présidente du TGI de Paris, écrivait sur les experts judiciaires :
[…] plusieurs comportements sont susceptibles d’être observés :
– L’expert sans problème : Je lis la mission, elle rentre parfaitement dans mes attributions, je l’accepte.
– L’expert aventureux, ou téméraire, ou intéressé : La mission ne paraît pas relever de ma compétence, mais elle m’intéresse ; je prendrai un sapiteur ultérieurement […]
– L’expert optimiste qui dit toujours oui : Je suis surchargé, je prends quand même cette mission, je me ferai aider au besoin par l’équipe qui m’entoure […].
– L’expert stressé qui ne sait pas dire non : Je suis surchargé, mais si je dis non, je ne serai plus désigné et je vais rapidement me trouver sans mission.
Soyez l’expert sans problème…
Conseil n°4 : Travaillez le Droit ou mariez vous avec un(e) avocat(e).
Ne croyez pas qu’une formation de quelques semaines va faire de vous un spécialiste du Droit. De la même manière qu’il vous a fallu des années de formation puis de pratique pour établir votre propre compétence, connaître par cœur les articles 263 à 284-1 du code de procédure civile, et les articles 156 à 169-1 du code de procédure pénale, ne fera pas de vous un professionnel de ces questions. Essayer de maîtriser tous les aspects des procédures expertales, c’est bien, mais ne vous faites pas embarquer par plus fort que vous sur les questions de droit. Ce n’est pas ce qui vous est demandé, mais c’est le piège dans lequel rêvent de vous faire tomber tous les avocats quand vous allez les chercher sur leur terrain.
Conseil n°5 : Ne prenez pas les avocats pour des ignorants techniques de votre domaine.
Pour faire court, j’ai croisé des avocats qui en savent plus que moi sur l’informatique en général ou sur la sécurité informatique en particulier. Je peux en citer quelques uns : Maître Alexandre Archambault, Maître Eolas, Maître Alain Bensoussan, Maître Olivier Itéanu, et bien d’autres. L’attitude minimale à prendre avec eux est celle de l’écoute active et d’une certaine modestie, tout en prenant ses propres responsabilités !
Conseil n°6 : Ne faites pas de phobie administrative ou mariez vous avec un(e) comptable.
Il va falloir apprendre à tenir une comptabilité, à faire des factures, à choisir une structure juridique pour permettre tout cela (autoentrepreneur par exemple), comprendre les procédures administratives associées, les déclarations d’impôts, et surtout, surtout, SURTOUT s’armer de patience, de courage et d’opiniâtreté pour comprendre Chorus Pro… Ce système va vous demander des numéros impossibles à obtenir, des informations sibyllines que seuls les grands prêtres connaissent et rejeter impitoyablement toutes vos tentatives farfelues d’obtenir la juste contrepartie de vos diligences. Je vous offre 10 mn de mode d’emploi vidéo.
Conseil n°7 : Demandez des précisions techniques avant d’accepter une mission.
« Examiner l’ordinateur scellé n°12 » est une mission un peu vague. Est-ce un ordinateur Windows, un Mac, un AS/400, un Tera-1000-2 ? Les moyens que VOUS mettrez en œuvre A VOS FRAIS ne sont pas les mêmes. Idem pour les téléphones, tout le monde n’a pas une mallette spécialisée d’analyse. Et je ne connais aucun expert ayant réussi à faire passer le coût d’achat de ses équipements d’analyse sur Chorus Pro.
Conseil n°8 : Sécurisez votre environnement informatique d’expertise ou mariez vous avec un(e) RSSI.
Là aussi , pour faire court, imaginez que la police débarque chez vous parce que votre enfant a insulté un ministre sur Twitter, et qu’elle découvre les 150000 images et films pédopornographiques stockés sur votre disque dur dans le dossier TEMP au lieu d’être chiffrés dans le dossier EXPERTISES_PENALES. La nuit va être difficile.
Voilà, j’espère que ces quelques conseils vont sauver votre future activité d’expert judiciaire. Si quelqu’un avait pu me les donner avant de démarrer mes expertises, jamais je n’aurais commencé ^^.