Je rame

Il y a quelques temps, j’ai rencontré mon moi d’il y a 25 ans: j’ai repris un sport que j’ai pratiqué pendant mes trois années d’école d’ingénieurs, l’aviron. Cela m’a fait tout drôle de refaire des gestes que je croyais perdu dans les limbes de ma mémoire. Et il faut croire que c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas vraiment.

Alors je ferme les yeux, et je me retrouve dans un huit d’aviron (huit rameurs, huit rames et un barreur). Nous sommes immobiles, bateau arrêté, pelles dans l’eau, jambes pliées, prêts à donner toute notre puissance.

Autour de nous des centaines de personnes nous observent. Il s’agit d’un spectacle-exhibition. La rivière est étroite à cet endroit là, les pontons et les quais sont remplis de curieux.

Nos yeux sont fixés sur le premier rameur qui va donner la cadence. Sur le quai, l’entraineur tient un drapeau et va nous donner le signal de départ. Nous sommes là pour montrer au public la technique du départ de course en aviron.

A l’arrière du bateau une corde est attachée et disparaît dans l’eau.

Le drapeau tombe, tous ensembles nous poussons sur nos jambes avec les bras tendus. Nos fesses sont posées sur des sièges coulissants. Le premier coup de rame s’effectue à 3/4 de coulisse. Les bras tirent ensuite pour sortir les pelles de l’eau et repousser l’aviron dans l’air.

Vite les jambes se replient, les pelles plongent ensemble dans l’eau. Les deux coups de rames suivants se font à 1/2 coulisse. Deux coups rapides donc: clac, clac. Le bateau prend de la vitesse.

Le quatrième coup de rame s’effectue à 3/4 de coulisse. Tous les coups de rame suivants se font à pleine coulisse, à pleine puissance. Le bateau atteint une vitesse incroyable: en quelques secondes, nous sommes passés d’une immobilité parfaite à un bolide qui fend l’eau.

Derrière nous la corde s’est tendue, et le skieur nautique est sorti de l’eau. Nous l’avons tracté sur cent mètres sous les applaudissements du public. La puissance développée au départ d’un huit d’aviron est telle qu’elle permet de sortir un skieur nautique de l’eau (le tracter ensuite est enfantin).

Souvenir.

Je rouvre les yeux, nous sommes en septembre 2011, et j’ai des ampoules plein les mains et les pieds. L’eau bouillonne autour de moi, nous ramons en soulevant des gerbes d’eau, à peine synchronisés les uns avec les autres.

On ne devrait pas vieillir…

Mais alors comment se remplir la tête de souvenirs?

😉

Une histoire simple et banale 6e partie

Ce billet est la suite de celui-ci.

Cette série de billets commence avec celui-ci.

Nous sommes samedi matin. J’ai prévenu mon épouse (et mes enfants) que j’allais travailler tout le week-end à la maison dans mon bureau, où de toute façon ils me voient la plupart du temps. Ce dossier ne m’oblige pas à fermer ma porte à clef, comme celui-ci ou celui-là, donc je vais pouvoir être disponible s’ils ont besoin de moi pour un devoir, une partie de ping-pong tennis de table ou un peu de couture. Mais j’ai besoin de concentration.

J’ai devant moi toutes les pièces qui m’ont été communiquées par les parties, tous les courriers, tous les bordereaux, mes notes manuscrites et vocales. J’ai vérifié que toutes les pièces ont bien été communiquées aux parties adverses. J’ai vérifié que toutes les règles de procédures ont bien été respectées, du moins de mon côté.

Il faut maintenant que je donne mon avis, par écrit, dans un pré-rapport.

Un pré-rapport, c’est un rapport complet que l’on soumet aux parties pour qu’elles l’étudient, le critiquent, fassent des remarques et posent des questions. Je modifierai ensuite ce pré-rapport en fonction des remarques et le complèterai de mes réponses aux questions des parties que l’on appelle des dires.

J’ai déjà précisé en détail dans ce billet comment j’organisais mes rapports d’expertise. Voyons ici ce que cela donne (les éléments repris du billet sont en italique entre guillemets).

Je vous propose de lire la suite de ce billet en chaussant des lunettes d’avocat (soit celui d’ARRAKIS, soit celui de CORRINO, soit celui de l’éditeur du logiciel ERP/PGI) et d’essayer de me faire part de vos dires en commentaire(s).


Maitre,

Je vous prie de trouver ci-joint mon pré-rapport d’expertise. Il s’agit d’un document de travail adressé à toutes les parties. Vous pouvez m’adresser vos remarques sous forme de dires jusqu’à la date du X minuit, date à partir de laquelle j’entreprendrai la rédaction du rapport définitif. Les dires postérieurs à cette date ne seront pas pris en compte.

Je vous rappelle que les dires doivent également être adressés en copie à l’ensemble des parties.

Je vous prie d’agréer, Maitre, l’expression de mes sentiments distingués


1) La partie procédurale.

« Vous trouverez dans cette partie tous les éléments concernant la nomination de l’expert (date, n° de PV, etc), les différentes références du dossier (références du tribunal, de la maréchaussée, de l’expert, voire des parties), les missions de l’expert telles que précisées par le magistrat, les dates et lieux de réunions, les noms et coordonnées des participants à l’affaire… Bref, tout ce qui relève de la procédure. C’est pratique d’avoir cela en un seul endroit et cela permet à un œil exercé d’avoir une vision globale de cet aspect du dossier. »

Je ne m’étendrai pas sur cette partie assez rébarbative, à rédiger pourtant minutieusement. Cela montre l’importance et la difficulté du métier de secrétaire.

2) La partie technique.

« Cette partie doit être rédigée (à mon avis) pour être lue par un autre expert. Elle doit contenir les détails des investigations: les noms des logiciels utilisés, les procédures utilisées, la méthodologie d’investigation jusque dans ces détails les plus précis. Pour ma part, je la conçois comme le cahier que tiennent les expérimentateurs dans les laboratoires de recherche. Toute personne connaissant bien le domaine doit pouvoir lire cette partie et reproduire les mêmes investigations (d’où l’intérêt des analyses non modificatrices, par exemple avec bloqueur d’écriture). »

Lors de la 2e réunion d’expertise, j’ai scrupuleusement noté toutes les opérations effectuées, fait des copies d’écran, et imprimé des informations. Tout ceci est retranscrit ici sans effort de pédagogie particulier. Il doit s’agir de faits, je ne donne pas d’avis argumenté.

3) Les réponses aux questions posées par le magistrat.

« C’est le cœur du rapport. C’est la transcription en langage clair et intelligible pour le profane de la partie technique du rapport. C’est un exercice difficile car il demande une bonne pédagogie et une bonne connaissance du niveau technique du lecteur auquel le rapport est destiné (magistrat, enquêteur, avocat…). De nombreux magistrats sont maintenant parfaitement au fait des nouvelles technologies et de leurs limites ou possibilités. L’utilisation de notes de bas de page permettent de rappeler la définition d’un concept potentiellement abscons. Il ne s’agit pas pour autant d’écrire un cours. »

Les missions confiées à l’expert étaient les suivantes:

– Mission n°1: Convoquer les parties et entendre tous sachants.

Pré-rapport: Après avoir régulièrement convoqué la première réunion d’expertise par courriers avec avis de réception (voir annexe X), celle-ci a eu lieu le X au siège social de la société ARRAKIS. Monsieur X, président directeur général de la société ARRAKIS était présent et assisté par Monsieur Léto, directeur informatique et Maître X, avocat au barreau de X. Monsieur X, gérant de la société CORRINO, était également présent et assisté de Monsieur X, informaticien spécialiste du logiciel ERP/PGI salarié de la société CORRINO et de Maitre X, avocat au barreau de X. Enfin, Maitre X représentait la société X éditrice du logiciel ER/PGI. La feuille d’émargement de cette réunion est jointe au présent rapport en annexe X.

La réunion s’est déroulée de telle heure à telle heure.

En fin de réunion, les parties m’ont autorisé à convoquer une nouvelle réunion d’expertise limitée cette fois aux seuls informaticiens, Messieurs X de la société ARRAKIS et X de la société CORRINO, a fin de procéder à des analyses purement techniques permettant de répondre aux missions qui m’ont été confiées. Ces analyses sont présentées de manière contradictoire dans le présent document afin de permettre aux parties de formuler leurs remarques et questions sous forme de dires.

La date du X a été retenue pour cette 2e réunion et la convocation a été faite oralement le X à la fin de la 1ère réunion d’expertise.

Lors de la 2e réunion, j’ai pu rencontrer Monsieur X, technicien chez ARRAKIS, qui m’a fourni une aide logistique lors de l’installation du logiciel ERP/PGI (voir feuille d’émargement en annexe X).

– Mission n°2: Dire si le logiciel PGI était installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI.

Pré-rapport: A la date du X, la société CORRINO a procédé à l’installation chez ARRAKIS du logiciel ERP, conformément au contrat de prestation informatique joint en annexe X. Cette installation s’est déroulée jusqu’à la date de X, soit X mois. La recette du logiciel a été effectuée le X (voir annexe X). Aucune copie, ni sauvegarde, de l’état de l’installation qui a été réceptionnée ce jour là, ne m’a été présentée. Le logiciel ERP, devenu PGI pendant la phase d’installation, a été utilisé en production dès ce jour là, sur un système informatique régulièrement sauvegardé, mais dont les sauvegardes ne permettent un retour arrière que sur un horizon d’une année (voir annexe X décrivant le schéma de sauvegarde).

Par contre, lors de la 1ère réunion d’expertise, la société CORRINO m’a indiqué avoir rencontré les difficultés suivantes: du fait de la fusion-acquisition (voir annexe X), le logiciel ERP mentionné dans le contrat d’installation changeait de nom et s’intégrait à une suite logicielle sous l’appellation « PGI ». Ce changement de nom était associé à des changements techniques puisque la suite logicielle « PGI » couvrait un champ fonctionnel plus large que celui de la suite logicielle « ERP » (voir comparatif en annexe X). Parmi ces changements techniques, la gestion des droits utilisateurs était différente (voir annexe X).

Lors de la 1ère réunion d’expertise, Monsieur X de la société CORRINO, m’a indiqué « qu’il était probable que des droits niveau 1 aient été mis à tous les utilisateurs pendant la période de tests et de pré-production afin de se concentrer sur les bugs rencontrés sans être gêné par des problèmes de droits, surtout qu’ils étaient gérés différemment ».

A ma question de savoir si les droits avaient été remis en niveau 2 pour les utilisateurs concernés, il m’a indiqué ne pas se souvenir si lui ou l’un de ses collaborateurs avaient traité cette question.

Pour autant, si je n’ai pas trouvé trace d’une modification du paramétrage du logiciel ERP/PGI pour obtenir des droits supérieurs à l’ensemble des utilisateurs, j’ai bien relevé la modification inverse, c’est-à-dire celle ramenant les différents utilisateurs au niveau 2, à la date du X, soit quelques jours après l’alerte effectuée par l’éditeur de PGI.

Je ne peux donc vérifier personnellement si le logiciel PGI était installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI.

– Mission n°3: Si non, établir les responsabilités des sociétés ARRAKIS et CORRINO.

Pré-rapport: Dans l’hypothèse (non prouvée) où le logiciel n’aurait pas été installé par la société de service CORRINO en conformité avec les licences concédées par l’éditeur de PGI, la responsabilité de la non conformité incomberait à pleine responsabilité à la société CORRINO. En effet, le contrat de prestation (voir annexe X) prévoit l’installation de licences niveau 2 et de deux licences niveau 1 pour deux informaticiens. Le paramétrage correct du logiciel était à la charge de la société CORRINO.

– Mission n°4: Estimer les préjudices.

Pré-rapport: Le logiciel ERP/PGI est paramétré pour garder la trace de toutes les opérations effectuées par les utilisateurs utilisant des fonctions réservées au niveau 1. L’historique est conservé avec un horizon variable et ne permet pas de remonter jusqu’à la mise en service du logiciel lors de la prestation d’installation de la société CORRINO.

Pour autant, à partir de toutes les sauvegardes étudiées lors de la réunion technique (2e réunion d’expertise), j’ai pu constater l’absence d’utilisation des fonctionnalités réservées au niveau 1. La seule utilisation constatée est celle ayant corrigé les droits des utilisateurs après alerte de l’éditeur du logiciel (à la date du X, tous les utilisateurs ont été ramené au niveau 2 conformément aux licences acquises).

A mon avis, l’éditeur du logiciel ERP/PGI n’a subi aucun préjudice, malgré le mauvais paramétrage du logiciel par la société CORRINO, paramétrage corrigé dès qu’il a été signalé.

– Mission n°5: Donner tout élément utile à la manifestation de la vérité.

Je regrette que les sociétés ARRAKIS et CORRINO n’aient pas conservé de sauvegardes de l’état du système à la date de la recette, suite à l’installation initiale. Cet état des lieux aurait permis de constater la réalité des droits configurés initialement.

Par ailleurs, le temps passé entre l’installation initiale et la réunion d’expertise n°2 est supérieur à l’horizon total de la stratégie de sauvegarde mise en œuvre par la société ARRAKIS. Cette stratégie de sauvegarde, conforme aux règles de l’art, ne m’a permis de couvrir que partiellement l’historique des opérations nécessitant des droits de niveau 1 (voir chronologie en annexe X). Je ne peux pas connaître les éventuelles opérations qui auraient été effectuées dans les trous de cet historique.

Enfin, mon expérience personnelle montre que beaucoup de prestataires informatiques, ou même de services informatiques, donnent aux utilisateurs plus de droits que nécessaire pendant les phases de tests afin de se concentrer en priorité sur d’autres problèmes de paramétrage. Lorsque tous les problèmes de paramétrage ont été abordés, les droits des utilisateurs sont affinés, soit pour sécuriser les accès (lecture seule, invisibilité de certaines données, par exemple), soit pour correspondre exactement aux licences accordées par l’éditeur.

La société CORRINO n’a pas effectué cette dernière partie du paramétrage, probablement à cause d’une maîtrise technique fragilisée par le changement de logiciel pendant la prestation (le logiciel ERP est devenu PGI).

4) Les réponses aux questions posées par les parties.

[« En matière civile et commerciale, la procédure est contradictoire. Les parties peuvent poser des questions à l’expert (par écrit: cela s’appelle des dires), et celui-ci est tenu d’y répondre dans son rapport. Lorsque les avocats ont la gentillesse de me faire parvenir leur dire sous forme électronique, c’est le règne du copier/coller dans le rapport, avec insertion de ma réponse entre chaque question. Si les dires sont transmis sous forme papier uniquement, c’est le règne du copier/coller, mais cette fois avec ciseaux et colle à papier – un régal d’archaïsme (mais bon, c’est plus rapide que l’OCR…). »]

Cette partie est vide pour l’instant.

5) Les annexes.

[« Il est indispensable de placer en annexe toutes les pièces utiles à la lecture du rapport. Ceci même si le nombre d’annexes est important. Il peut être judicieux de placer en annexe un cédérom contenant une version numérisée des documents. Cela allège le rapport final, à condition de citer les passages importants des annexes dans le corps du rapport pour en faciliter la lecture (et non pas un renvoi vers une annexe dématérialisée). La numérotation des annexes est un vrai casse tête. En effet, chaque partie a déjà son propre référencement, et l’expert ne fait qu’ajouter un nouveau classement. »]

Pour faciliter le travail de lecture et diminuer le coût de l’expertise, je ne place en annexe pour l’instant que les documents cités dans le présent pré-rapport, ainsi que les bordereaux de communication de pièces des parties.


Merci au lecteur intéressé de choisir l’une des parties à la cause et de s’essayer en commentaire à la rédaction de dires. La réponse aux dires fera l’objet du prochain billet de la série. De mon point de vue, les dires de l’avocat de la société CORRINO et de celui de l’éditeur du logiciel doivent être les plus intéressants à rédiger (c’est toujours plus drôle d’être l’avocat du Diable ;).

A vous !

La suite de ce billet est à lire ici.

Dialogue avec un expert judiciaire

Parmi les obligations de l’expert judiciaire, il y a celle qui consiste à devoir rester à jour sur le plan technique, à maintenir une veille permanente sur son domaine d’expertise. Dans mon cas, il y a bien entendu la pratique professionnelle quotidienne, mais je suis abonné à de nombreux flux d’informations sur internet et bien entendu, abonné à plusieurs revues spécialisées. Je lis scrupuleusement en particulier la revue Experts, que je recommande à tous les experts judiciaires, et plusieurs revues des éditions Diamond: GNU/Linux magazine et MISC.

La revue MISC (Multi-system & Internet Security Cookbook), spécialisée dans la sécurité informatique, m’a fait l’honneur de publier dans son numéro 56 une interview de votre serviteur. Par courtoisie vis à vis de la rédaction, j’ai laissé passer suffisamment de temps pour que le numéro suivant sorte, avant de publier ici sur mon blog cette interview réalisée par Frédéric Raynal, avec son aimable autorisation. Bonne lecture.

Présentation

MISC: Zythom, qui êtes vous?

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Je suis depuis 2006 l’auteur du blog de « Zythom, blog d’un informaticien expert judiciaire ». L’idée m’est venue parce que j’avais du mal à parler à mes amis ou à ma famille de la souffrance que je ressentais sur certains dossiers d’expertises judiciaires, en particulier en matière de recherches d’images et de films pédopornographiques. Cette souffrance est concrétisée sur le blog par le choix d’un fond noir, très décrié par certains de mes lecteurs. De fil en aiguille, le blog est devenu le réceptacle de plus de 600 billets écrits autour de quatre axes: mon activité d’expert judiciaire, mon métier de responsable informatique et technique, mes découvertes du monde politique comme conseiller municipal et des anecdotes plus « privées » pour mes amis et ma famille. Conçu au départ pour « crier dans le désert », le blog a trouvé une audience d’environ 10 000 visites par mois autour de 4 à 5 billets publiés. Je dois pour cela remercier le blogueur Maître Eolas de « Journal d’un Avocat » qui m’a fait découvrir à ses lecteurs en me mettant dans sa blogroll. Sans lui, je crierais toujours dans le désert, sans cet échange apporté par les commentateurs du blog que je salue également.

MISC: D’où vient le pseudo « Zythom »?

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Je réponds à cette question sur ce billet de mon blog:

https://zythom.fr/2006/09/pourquoi-zythom.html

« Zythom est le dernier mot de mon dictionnaire. La signification m’importe peu et ça sonne bien. »

J’ajoute d’ailleurs qu’en vérité, le dernier mot de mon dictionnaire de l’époque était « zythum » et que je me suis trompé en le retranscrivant de manière phonétique. Une recherche sur google m’indiquait en mai 2006 que ce pseudo était libre, alors je l’ai adopté 🙂

L’expert judiciaire en informatique

MISC: C’est quoi « expert judiciaire’ en informatique »

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Je vais construire ma réponse en trois phases: qu’est-ce qu’un expert, qu’est-ce qu’un expert judiciaire et qu’est-ce qu’un expert judiciaire en informatique.

Un expert? Nous sommes tous les experts de quelque chose. Par notre parcours professionnel, ou tout simplement nos activités personnelles, nous développons des compétences pointues dans un domaine particulier: certains deviennent experts dans l’art de bouturer un rosier, d’autres dans celui de réussir un bon petit plat, ou dans la collection de cartes postales…

Un expert judiciaire? Lorsque les magistrats doivent juger une affaire, ils s’appuient sur tout leur savoir faire en matière de droit. Mais il arrive que dans certains dossiers, ils leur faillent faire appel à des non juristes, pour des compétences techniques qui leur échappent. Comment faut-il guider les magistrats pour leur permettre de choisir un expert, parmi tous ceux qui se disent experts du domaine concerné? La loi a organisé un système de listes, une par Cour d’Appel, et une pour la Cour de Cassation. Être inscrit sur l’une de ces listes fait de vous un expert judiciaire.

Un expert judiciaire en informatique? Vous l’avez deviné, il s’agit d’une personne inscrite sur une liste d’expert judiciaire, et qui connaît bien le domaine informatique. Pour être honnête, l’expression n’existe pas réellement dans l’univers judiciaire, car les experts judiciaires sont catalogués selon une nomenclature particulière où l’informatique apparaît à plusieurs endroits. Par exemple, la rubrique E.1.2 correspond à « Internet et multimédia », E.1.3 à « Logiciels et matériels », E.1.4 à « Mise en œuvre des systèmes d’information », E.1.5 à « Télécommunications et grands réseaux ». Mais vous avez également la rubrique F.5.5 qui concerne « Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication », ou G.2.5 les « Documents informatiques ».

Personnellement, je suis qualifié E.1.3 « Logiciels et matériels ». Je suis donc un « expert judiciaire en logiciels et matériels ». C’est plus simple pour tout le monde de dire expert judiciaire en informatique (mais l’univers judiciaire est plus précis).

Sinon, pour reprendre mes exemples précédents, l’expert dans l’art de bouturer les rosiers pourra demander son inscription à la rubrique A.8 « Horticulture », le fin cuisinier en A.2 « Agro-alimentaire » et le collectionneur de cartes postales en B.3.14 « Philatélie ».

Tous les métiers sont représentés, et dans tous les domaines. Vous avez même des experts en fumisterie (C.1.26 « Thermique »)…

MISC: Comment le devient-on?

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Il suffit de demander au greffe de votre Cour d’Appel un dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires, de le remplir et de l’adresser avant le 1er mars au procureur de la République du tribunal de grande instance de votre domicile ou de votre activité professionnelle. Et environ huit mois plus tard, vous recevez un courrier vous indiquant que vous êtes accepté (ou pas). Vous ne savez pas pourquoi vous êtes pris ou refusé. Dans mon cas, et il semble que cela soit fréquent, j’ai été refusé la première fois et accepté l’année suivante.

Si vous êtes accepté, vous prêtez le serment suivant « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience » et vous devenez expert judiciaire pour une période probatoire de trois années. Ensuite, votre expérience et l’acquisition des connaissances juridiques nécessaires au bon déroulement des missions d’expertises seront évaluées. Si tout va bien, vous serez alors inscrit sur la liste des experts judiciaires pour cinq ans, période à la fin de laquelle il faudra demander votre réinscription, de nouveau pour une période de cinq années.

MISC: Pourquoi le devient-on?

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La question est ambigüe et dépend du point de vue.

Du point de vue de la justice:

Les critères de choix de la commission de sélection composée de magistrats et d’experts restent un mystère pour moi. Néanmoins, en parcourant différents textes, et en particulier le décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, j’ai pu comprendre qu’une candidature doit réunir les conditions suivantes:

1° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs;

2° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation;

3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce;

4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité;

5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante;

6° N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise;

7° Sous réserve des dispositions de l’article 18, être âgé de moins de soixante-dix ans;

8° Pour les candidats à l’inscription sur une liste dressée par une cour d’appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, y avoir sa résidence.

Du point de vue de l’expert judiciaire:

Chaque personne a ses propres motivations. Je pense que beaucoup considère l’inscription sur la liste des experts judiciaires comme l’apothéose d’une longue et brillante carrière, avec la reconnaissance de leurs compétences et le prestige qu’ils en retirent auprès de leurs pairs. Certains comptent peut-être sur le titre pour développer leur clientèle ou pour consolider leur notoriété professionnelle.

Pour ma part, ayant été l’un des plus jeunes experts judiciaires en informatique de France – j’ai été inscrit à 35 ans – je ne peux pas dire que cela couronnait ma carrière, ni que cela développerait ma clientèle (je suis salarié). Ma raison première était de me rapprocher de l’univers de travail de mon épouse qui est avocate. Elle m’aide d’ailleurs beaucoup à appréhender les subtilités juridiques de certaines situations, parfois dangereuses pour l’expert, en particulier dans le respect des procédures et la réponse appropriée à faire dans les cas un peu tendus. Ma deuxième motivation était personnelle: j’ai toujours rêvé être au cœur de l’enquête, à la recherche de preuves, de documents cachés ou des traces laissées par le « méchant ». J’avoue que j’ai été servi et que je continue à avoir le frisson quand les gendarmes ou les policiers m’amènent un ensemble de scellés informatiques « à faire parler »…

Enfin, avec le recul, je dois dire que le savoir faire que j’acquière avec l’activité d’expert judiciaire me sert beaucoup professionnellement: l’animation des réunions d’expertises judiciaires m’a donné de l’assurance et une aisance à la conduite des situations de crises. Et puis, voir ailleurs toutes les erreurs pouvant être commises, cela donne quand même à réfléchir sur ses propres pratiques techniques et permet de les améliorer. Je lis mieux les contrats de prestations et prépare mieux les grandes migrations informatiques maintenant.

MISC: Un truc me titille dans votre réponse sur comment devient-on expert judiciaire. Très souvent, le mot « expert » est largement galvaudé. Et là, si j’ai bien suivi, je ne vois aucune évaluation d’un savoir-faire. Du coup, j’ai l’impression de pouvoir revendiquer le titre d’expert en fumisterie sans que personne n’y trouve rien à redire. Ai-je raté quelque chose?

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Le mot « expert » n’est pas protégé. Toute personne qui le souhaite peut revendiquer le titre d’expert en quelque chose et en faire une plaque ou des cartes de visite. Les expressions protégées sont « expert judiciaire près la Cour d’Appel de » et « expert judiciaire près la Cour de Cassation ». Nul ne peut les utiliser sans être inscrit sur les listes concernées. Il faut donc faire attention et ne pas confondre « expert automobile » (pour les assurances) et « expert judiciaire automobile » (rubrique E.7.4). Idem pour les experts immobiliers, les experts comptables, etc. L’adjectif « judiciaire » change tout.

Concernant l’évaluation des compétences, dans le dossier de demande d’inscription, vous devez joindre tous les éléments permettant d’apprécier votre savoir-faire: études initiales, publications, parcours professionnel, projets importants, etc. et la commission de sélection prendra, si elle en a besoin, les meilleurs candidats. Ne pas être pris ne signifie pas nécessairement que l’on soit mauvais, mais simplement que le besoin d’experts dans votre domaine est déjà satisfait. Et être accepté ne signifie pas que l’on soit le meilleur de son domaine, mais le meilleur qui a postulé. Et comme les contraintes pesant sur l’expert judiciaire sont fortes, dans certains domaines – comme l’informatique – les meilleurs ne postulent pas nécessairement.

MISC: Comment est gérée votre activité d’expertise par rapport à votre employeur principal? Est-ce comme pour les militaires de réserve avec un temps donné accordé par l’employeur, ou est-ce sur vos soirées et week-ends?

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J’ai demandé l’autorisation à mon employeur d’exercer une activité parallèle. Cela m’a été accordé très facilement dans la mesure où je me suis engagé à ne jamais mélanger les deux activités. Je fais mes expertises le soir, le week-end ou en posant des jours de congés pris sur mes cinq semaines de congés payés.

Le travail de l’expert judiciaire en informatique

MISC: Quel est le déroulement d’une procédure? Le jeu de l’expertise, de la contre-expertise, et comment est tranché celui qui a raison? Juste sur l’art du discours?

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Les procédures diffèrent selon que vous intervenez dans une procédure administrative, commerciale, civile, pénale, etc.

Dans le cas des procédures civiles, l’aspect contradictoire est très important, là où il peut être inexistant en matière pénale, lors d’une instruction par exemple, où je travaille seul dans mon laboratoire.

Dans tous les cas, la procédure se termine pour l’expert judiciaire par le dépôt d’un rapport écrit. Il est alors dessaisi du dossier.

Il est possible qu’une autre expertise soit demandée, et dans ce cas, un autre expert sera désigné. Il est possible également qu’un groupe d’experts soit désigné, et rende un avis collectif, avec une partie personnelle pour chacun en cas de divergence d’avis.

Celui qui tranche est toujours le juge, qui n’est pas lié par l’avis des experts.

Dans le cas d’une cour d’assise, le rapport d’expertise peut être présenté oralement par l’expert (nous sommes dans le cadre d’une procédure orale), et la décision est prise par le jury.

On peut être un piètre orateur et un très bon expert judiciaire, au moins en France.

MISC: Au niveau des affaires que vous traitez, quand on écoute le législateur, tout tourne autour soit de la pédophilie / pédo-pornographie, soit du terrorisme. Est-ce effectivement ce que vous constatez dans les affaires que vous traitez.

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Les lois en France sont faites par les élus du peuple, c’est-à-dire par des femmes et hommes politiques. La politique des poursuites pénales est (encore aujourd’hui) décidée par le Garde des Sceaux qui demande aux Procureurs de poursuivre en priorité tel ou tel délits ou crimes. Je constate que depuis le milieu des années 2000 (vers 2004 ou 2005) les magistrats me désignent beaucoup plus souvent sur des missions de recherches d’images ou de films pédopornographiques. Auparavant, j’étais surtout désigné sur des affaires commerciales ou civiles.

Pour faire une réponse complète, je ne sais pas si le fait que je sois beaucoup désigné sur des affaires pédopornographiques dépend des directives données aux magistrats, des augmentations de ce type d’affaire (j’en doute), de mes compétences techniques, des tarifs particulièrement bas que je pratique (je divise souvent par deux ou trois le nombre d’heures effectivement passées), du fait que je rends mes rapports toujours dans les délais ou que j’accepte de travailler pour un tribunal qui ne paye mes honoraires (et frais avancés) que deux ans après…

Mais le fait est qu’aujourd’hui, plus de la moitié de mes dossiers sont de ce type, soit environ cinq sur dix par an.

MISC: Si le terrorisme est essentiellement traité par les services de renseignement, on a l’impression de l’extérieur que les services de police / gendarmerie sont surtout concentrées sur la pédophilie. Et pourtant, « trainant » sur internet depuis 15-20 ans, je ne suis jamais tombé sur de tels contenus. Quel est l’ampleur de ce fléau?

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Je ne peux pas répondre de manière scientifique sur ce point, n’ayant pas une vision suffisamment globale pour juger correctement l’ampleur du fléau. Par contre, il est relativement simple d’accéder sur internet à des contenus pédopornographiques dès lors qu’on les cherche. Il existe de nombreux sites ou forums qui permettent l’échange de fichiers de toute sorte, de manière légale ou non. Et parmi ces fichiers, certains sont de nature pédopornographique. Encore faut-il bien préciser ce que l’on entend par là: par exemple, des bandes dessinées représentants des enfants pré-pubères se livrant ou présentés comme se livrant à une activité sexuelle explicite ne sont pas interdites dans tous les pays (exemple le Japon avec certains mangas). Et ce qui est autorisé dans certains pays se retrouve très souvent sur internet accessible aux pays où cela est interdit. Cela fait réfléchir un peu sur la notion de liberté.

Mais je peux faire une réponse politique: sur la quantité d’informations disponibles sur internet, une infime minorité concerne à mon avis la pédopornographie. Et il est possible de contrer celle-ci avec les méthodes traditionnelles de luttes contre les réseaux mafieux. La pédopornographie est surtout utilisée comme prétexte pour faire passer des lois liberticides par des personnes qui ont des intérêts dans le contrôle.

MISC: Les interventions sont-elles toutes autour de l’analyse post-mortem ou sont-elles parfois d’autre nature?

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La plupart de mes expertises sont des analyses de scellés dans le cadre d’affaires à l’instruction. Il s’agit donc pour moi de réaliser une copie fidèle des supports numériques (disque dur, cédérom, clefs USB, etc) pour ne pas risquer de dégrader le scellé, puis d’analyser la copie pour répondre aux questions qui me sont posées.

Mais il y a beaucoup d’expertises in situ, en particulier dans des dossiers auprès des tribunaux de commerce, en général des litiges entre une entreprise, une SSII et un éditeur de logiciel. Il s’agit alors d’analyses de systèmes opérationnels présentant des bugs (selon l’une des parties).

Il y a également toutes les expertises qui consistent à assister les OPJ ou les huissiers lors de perquisitions. Là, c’est l’inconnu, je ne sais jamais sur quoi je vais tomber: une entreprise avec 15 ordinateurs en réseau et trois serveurs, dont un situé ailleurs, un particulier avec du GNU/Linux, de l’Apple ou du Windows 98…

MISC: J’ai dans l’idée qu’il est assez facile facile de fabriquer du faux sur un ordinateur et qu’en conséquent, la falsification d’une « preuve » informatique est loin d’être impossible. Alors, même si une décision de justice se prend sur un faisceau d’éléments, comment appréhender ce doute?

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Un bon expert judiciaire en informatique n’affirme rien qu’il ne puisse présenter de manière scientifique. Je n’écris pas « Monsieur X, propriétaire du PC, a fait telle chose », mais « l’utilisateur du compte informatique X a fait telle chose ». Et encore, après avoir vérifié la présence éventuelle de spywares, malware et autres chevaux de troie. Je n’écris pas « Monsieur X a stocké des images pédopornograhiques », mais « J’ai trouvé trace d’images pédopornographiques sur le scellé qui m’a été remis », etc.

J’ai écris dans un billet récent: « j’ai suivi une formation scientifique, la science est le domaine du doute, la critique du travail des autres est consubstantielle de l’activité scientifique et, les experts sont des êtres humains comme les autres. »

Si j’ai le moindre doute, je le mets par écrit dans mon rapport d’expertise.

MISC: Avez vous déjà été confronté à de telles situations?

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Pas encore, mais j’ai la hantise de l’être un jour, surtout si c’est trop tard, comme le Professeur Tardieu dont je raconte l’histoire dans ce billet:

https://zythom.fr/2007/12/lternel-voyage-de-la-science.html

Questions complémentaires qui ont déjà fait l’objet de billets détaillés que nous vous recommandons très fortement d’aller lire

MISC: Quels sont les besoins pour faire une expertise? Des tournevis, des disques durs, …

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J’ai une rubrique sur mon blog consacrée à cette réponse:

https://zythom.fr/search/label/Les%20outils

Tout dépend de la nature de l’expertise: s’il s’agit d’un travail de recherche à faire seul dans son laboratoire, j’ai plus de moyens que s’il s’agit d’accompagner des OPJ lors d’une perquisition.

J’ai écrit un billet qui décrit le contenu de ma valise d’intervention:

https://zythom.fr/2009/05/langoisse-de-lintervention.html

Mais pour faire bref, citons: des connecteurs et adaptateurs, câbles réseau, stylos, papier, plein de tournevis, une lampe électrique, un live CD d’ophcrack, un tabouret en toile, vis, patafix, colliers…

MISC: Quelles sont les expertises qui vous ont marqué (bref, le coin des anecdotes tant dramatiques que comiques)

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Les expertises qui m’ont le plus marqué sont celles relative aux images et aux films pédopornographiques. Cela a été la raison d’ouverture de mon blog et ma méthode de d’évacuation. Je suis papa de 3 enfants et je ressentais avec mes tripes le viol de ces jeunes enfants. L’un de mes premiers billets sur le sujet a été diversement apprécié: https://zythom.fr/2006/11/lhorreur-de-la-pdophilie.html

Extrait: Comment expliquer l’horreur d’une image pédophile?

Une image pédophile, c’est une enfant de quatre ans empalée sur un sexe d’homme. On y voit clairement la souffrance de l’enfant liée à la différence de taille entre les deux sexes.

Une image pédophile, c’est un garçonnet de cinq ans sodomisé par un homme qui lui déchire le corps.

Une image pédophile, c’est une fillette qui a en bouche un sexe plus grand que sa tête.

Un dossier pédophile, c’est un expert judiciaire qui pleure tout seul dans son atelier.

Sinon, j’ai aussi été bien secoué par un film trouvé sur un disque dur mis sous scellé. Il s’agissait du massacre d’une femme à la machette. Je reconnais ne pas être préparé à ce type de vidéo. Il a fallu pourtant que je la visualise entièrement pour remplir ma mission (en l’occurrence la recherche de vidéos pédopornographiques, parfois insérées dans d’autres films). C’est une histoire que j’ai raconté dans ce billet: https://zythom.fr/2009/09/un-petit-week-end.html (attention, âmes sensibles s’abstenir).

L’usage que certains jeunes ados font d’internet me bouleverse parfois:

https://zythom.fr/2009/11/manon13.html

Sinon, j’ai aussi parfois des souvenirs de belles rencontres, comme celle-ci

https://zythom.fr/2009/04/le-noir.html

où j’ai travaillé avec un jeune mal voyant.

J’ai également assouvi un rêve d’enfant en fouillant avec une greffière dans la caverne d’Ali Baba que constitue un entrepôt de scellés: https://zythom.fr/2007/07/la-salle-derrire-au-fond.html

J’ai une petite pensée pour les salariés qui ont sans le savoir un rôle déterminant dans une catastrophe informatique:

https://zythom.fr/2009/08/le-dernier-maillon.html

Enfin, j’ai été assez secoué par mon passage devant la justice pour avoir tenu le blog de Zythom. Je raconte cette histoire dans cette série de billets:

https://zythom.fr/2009/01/laffaire-zythom-introduction.html

En général, j’ai assez peu de souvenirs comiques liés aux expertises, ou en tout cas je préfère ne pas en parler pour ne froisser personne. Je préfère l’autodérision, comme par exemple dans ce billet

https://zythom.fr/2006/12/le-sicle-des-lumires.html

MISC: Rentrer dans un exemple précis d’une expertise, d’un début à la fin, ça serait super intéressant avec les multiples aspects (juridiques, techniques, etc.), mais ça serait bien trop long pour cette rubrique. Cependant, si vous voulez rédiger cela, n’hésitez pas :p

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C’est l’objet de mon blog, rubrique « anecdotes d’expertises » que je vous invite à explorer:

https://zythom.fr/search/label/Anecdotes%20expertises

Le mot de la fin de la rédaction

Pour Zythom: merci! Merci pour le temps que vous avez pris à rédiger ces réponses élaborées. Et merci surtout pour ce blog qui permet de rappeler que la sécurité est avant tout une histoire de personnes.

Pour les lecteurs: pour ceux qui ne connaissent pas son blog, nous vous en recommandons plus que fortement la lecture, c’est bon, parfois drôle, souvent émouvant, et ça fait un bien fou.

Mon 11 septembre 2001

Le 11 septembre 2001, je me souviens très bien de ce que je faisais, comme beaucoup de monde, alors que je suis souvent incapable de me souvenir avec précision de ce que je faisais la semaine dernière.

J’étais en TP d’informatique avec mes étudiants. Un TP consacré à la recherche d’information sur Internet… Altavista était encore l’un des moteurs de recherche les plus utilisés. Windows 98 SE était encore bien utilisé dans mon établissement. C’était une autre époque, un autre monde.

J’étais en TP avec mes étudiants quand l’un d’entre eux m’appelle pour me montrer les deux tours en feu. L’information a fait le tour de la salle et nous nous sommes tous retrouvés hypnotisés face aux écrans.

J’aimerais pouvoir dire que j’ai tenu des propos alertes sur le monde libre face à la lâcheté du terrorisme. Mais je me souviens surtout avoir dit à mes étudiants quelque chose comme: « A force d’opprimer les peuples, de vivre grassement sur leur misère, les pauvres se rebellent… Le fossé est trop grand entre ceux qui ont des problèmes de cholestérol et ceux qui ont des problèmes de malnutrition. »

Un étudiant m’a alors regardé en disant: « Monsieur Zythom, nous sommes en train de regarder des milliers de personnes mourir. Ce n’est pas le moment de parler politique. »

Me faire ouvrir les yeux et le cœur si justement par un jeune de 18 ans m’a montré à quel point je pouvais être à côté de la plaque dans un moment historique.

A titre de pénitence, j’ai regardé mourir des gens en boucle toute la soirée. Et je n’ai plus jamais fait la moindre allusion plus ou moins politique avec mes étudiants.

Alors oui, je me souviens d’où j’étais, de ce que je faisais, mais aussi de ce que je disais. Et chaque année, les commémorations me renvoient à ma propre insensibilité. Je suis pitoyable.

Et vous, vous souvenez vous vraiment de votre attitude ce jour là?

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Photographie Marc Lamey

Une histoire simple et banale 5e partie

Ce billet est la suite de celui-ci.

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Me voici de nouveau présent dans l’entreprise ARRAKIS. Quinze jours ont passé, je suis en présence de Monsieur Léto, le DSI de l’entreprise, et d’un de ses ingénieurs. Nous allons enfin pouvoir aborder la partie technique du problème.

Tout d’abord, je lui rappelle les conditions de l’exercice que nous nous apprêtons à faire: je dois réaliser moi-même toutes les opérations, avec son aide bien entendu, mais moi-même.

« Ah bon? Mais nous avons déjà installé le serveur de test et procédé à l’installation de PGI et d’une première sauvegarde… »

« Et bien, cela montre que c’est possible, vous avez certainement résolu tous les petits désagréments que l’on rencontre dans ce genre d’installation, ce qui va nous faire gagner beaucoup de temps, mais je dois procéder moi-même à l’installation pour pouvoir remplir ma mission. »

Nous voici donc à recommencer l’installation d’un deuxième serveur de test (je préfère que l’on garde le 1er pour permettre à l’informaticien d’aller vérifier le paramétrage qu’il-a-mis-en-place-mais-pas-noté-sur-une-fiche-de-procédure-parce-que-bon-hein-on-a-autre-chose-à-faire). Je pousse les cédéroms, je suis les procédures, je prends des copies d’écran pour mon rapport. Comme je m’y attendais, tout cela prend quand même du temps, c’est-à-dire une bonne partie de la matinée.

Vient ensuite la restauration de la plus vieille sauvegarde, datant d’un an, et en particulier des dumps de la base. Mon objectif n’est pas de peaufiner un serveur de pré-production, ni de convaincre Monsieur Léto de l’utilité des exercices de restauration.

Je lui glisse quand même un petit avis personnel sur le fait de procéder à une sauvegarde complète du système AVANT installation du logiciel PGI, puis à une sauvegarde juste APRÈS recettage, sauvegardes qu’il est judicieux de conserver INDÉFINIMENT en cas de litige ultérieur. Il me répond assez classiquement, qu’on n’est pas en permanence à penser à une situation de litige avec ses partenaires. C’est une erreur, il faut toujours prévoir le pire.

Nous prélevons le contenu de la table contenant les droits des utilisateurs, selon la procédure indiquée par l’éditeur dans le fameux courrier à l’origine de l’affaire. J’utilise les outils de l’éditeur, avec lesquels je suis peu familier, sous la commande de l’ingénieur qui lui les connaît bien et manque plusieurs fois de m’arracher le clavier des mains tant il est exaspéré de ne pouvoir taper lui même les commandes. Pour me racheter un peu à ses yeux, je joue avec Toad sur mon PC pour examiner les entrailles du logiciel PGI.

Nous procédons ainsi pour toutes les sauvegardes encore actives dans la société ARRAKIS. Nous mangeons un sandwich sur place, entre deux restaurations de dump de la base. A chaque fois, je prélève une copie du contenu de la table des droits des utilisateurs que j’imprime aussitôt avec une mise en page basique.

A chaque fois, je constate invariablement que tous les utilisateurs sont au niveau 1, alors qu’ils devraient être uniquement au niveau 2.

A partir d’un certain moment, le contenu de la table change, juste après la réception du courrier de l’éditeur informant de l’anomalie constatée.

Je demande alors à Monsieur Léto s’il peut m’expliquer la différence entre le niveau 1 et le niveau 2 et quelles sont les opérations permises uniquement par le niveau 1. Il sort le manuel du logiciel PGI, me trouve la page répondant à mes questions. Je note que le niveau 1 permet d’utiliser des outils réservés aux administrateurs de la base. Je constate sur le système de production que ces outils ne sont pas installés sur les postes des utilisateurs, mais uniquement sur le poste de Monsieur Léto et de son ingénieur système. Je constate que la société ARRAKIS a payé pour avoir le droit niveau 1 pour deux utilisateurs dits « avancés ». Je constate également (grâce à mon petit outil « Toad ») que le logiciel PGI historise les accès privilégiés de niveau 1. Je peux ainsi constater que l’historique du système de production nous montre que les accès niveau 1 ont été limités dans le temps à la période du projet de déploiement initial et à quelques accès (probablement lors d’opérations de maintenance effectuées par la société CORRINO). Tous les accès ont été effectués à partir des deux postes affectés aux deux utilisateurs et toujours sous leurs identifiants personnels.

Je demande les bons d’interventions de la société CORRINO signés par Monsieur Léto à la fin de chaque intervention, ce qu’il me fournit assez facilement (c’est rare). Je note de les demander également à la société CORRINO.

Je demande enfin le fonctionnement des synchronisations horaires des systèmes informatiques (serveurs et postes utilisateurs). Monsieur Léto me montre que tous ses systèmes se synchronisent sur un groupe de serveurs de temps indépendants de l’entreprise et garantissant l’heure exacte sur tous les postes. Il souligne l’importance de cette exigence par la présence d’un logiciel de pointage horaire pour tous les salariés qui ne sont pas au forfait jour.

Il est 20h30, j’ai tous les éléments techniques pour rédiger mon pré-rapport.

Il me manque les documents de chaque avocat contenant leurs arguments au sujet de leur estimation des préjudices. Il me faudra ensuite relancer l’un des avocats qui tarde à m’adresser ce document.

Il me reste à rédiger mon pré-rapport, puis à le soumettre aux parties[1] pour qu’elles m’adressent leurs dires.

La suite de ce billet est à lire ici.

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Crédit images darkroastedblend.com

[1] A chaque entreprise ET à son avocat, en recommandé avec avis de réception. Il arrive que l’entreprise se fâche avec son avocat et que celui-ci soit déchargé du dossier. N’envoyer qu’aux avocats est donc risqué. N’envoyer qu’aux entreprises fait perdre du temps, en particulier aux avocats. De plus, c’est mettre ceux-ci dans une situation de découvrir mon travail après leur cliente, ce que je trouve particulièrement impoli. Je recommande donc de toujours adresser les documents à la fois aux entreprises ET à leurs avocats.

Une histoire simple et banale 4e partie

Ce billet est la suite de celui-ci.

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Il est 14h. La réunion peut reprendre. Je vois sur les visages que la pause d’une heure que j’ai accordée n’a pas été suffisante. Les repas ont du être expédiés. Tant pis. Tout le monde n’est pas encore arrivé, mais les trois parties sont représentées. Je commence toujours à l’heure, malgré le « quart d’heure régional » universel dans chaque région de France. Un avocat appelle son cabinet parce qu’il n’avait pas vraiment prévu de rester toute la journée. Pour éviter d’entrer trop vite dans le vif du sujet, j’organise avec Monsieur Léto (DSI d’ARRAKIS) l’opération de restauration des sauvegardes de PGI. Je prends rendez-vous sous quinzaine pour ne pas prendre de retard et respecter la date de dépôt de mon rapport telle que fixée par le tribunal. Note à moi-même: ne pas oublier de poser un jour de congé sur cette date auprès de mon employeur, en espérant qu’une réunion importante ne viendra pas s’y coller d’ici là.

Tout le monde est là. J’aborde le point n°4 de ma mission: l’estimation des préjudices. Tout le monde est concentré.

Dès ma première mission d’expertise, j’ai été confronté au problème de l’estimation du préjudice. Ayant été nommé expert judiciaire à 35 ans, je ne peux pas dire que j’avais une grande expérience de la vie d’un responsable informatique ou d’un dirigeant d’entreprise. Quand bien même, chaque entreprise est différente, chaque secteur d’activité aussi, et bien entendu, chaque problème a des conséquences différentes.

J’ai donc compris très vite qu’il était plus facile, plus réaliste et plus proche de la vérité de commencer par demander aux parties, à tour de rôle, leur propre estimation de leurs préjudices, avec leurs arguments techniques.

Dans le dossier qui m’intéresse ici, j’ai commencé par la société ARRAKIS, plus précisément par son avocat. Celui-ci m’explique qu’il entend prouver que sa cliente n’a pas demandé la configuration de droits informatiques supérieurs à ceux qu’elle a acquis par licence, et que s’il est prouvé que la configuration permettait des actions illicites, elle n’en a pas fait usage. Elle estime la procédure engagée par l’éditeur de PGI à l’encontre de sa cliente comme abusive et nuisible aux bons rapports à venir nécessaire au travail en confiance entre un client et son fournisseur. Il demande le remboursement des frais d’expertise et le paiement des frais engagés dans la procédure, soit les honoraires d’avocat et le temps passé par les personnes à traiter ce dossier. Il va me fournir une liste détaillée et argumentée. Bien.

Je fais remarquer un peu perfidement que cette estimation est assez différente de celle apparaissant dans les documents présentés au Tribunal… L’avocat me répond avec le sourire que face à un tribunal, il faut parfois hausser un peu la barre pour arriver à obtenir le juste prix. Les deux autres avocats ne bronchent pas. Je continue à prendre des notes.

L’avocat de la société CORRINO estime lui que sa cliente a fait correctement son travail. Qu’à l’époque, les instructions d’installation du logiciel PGI n’était pas très claires suite à l’évolution ERP vers PGI en cours de projet. Que, sous réserve d’une hypothèse non prouvée, des droits informatiques trop grands aient pu être accordés, c’était uniquement pour faciliter les tests du logiciel et son appropriation par les équipes informatiques des deux sociétés. Il estime le préjudice de la société CORRINO relatif à la perte d’image et de confiance de la société ARRAKIS, soit 10 000 euros et au paiement des frais de la procédure abusivement engagée par l’éditeur de PGI. Je demande que me soit fournies les factures des frais engagés et une estimation des frais à venir.

Enfin, l’avocat de l’éditeur du logiciel PGI, prend la parole. Il est le seul représentant de l’éditeur qui n’a pas jugé bon de lui adjoindre un informaticien.

« Monsieur l’expert, il n’est pas contestable que le logiciel PGI, dont la société ARRAKIS a acquis un droit d’usage « niveau 2 », est installé d’une manière non conforme puisque tous les utilisateurs disposent d’un « niveau 1″. Je peux le prouver sur la base d’une table que la société ARRAKIS nous a adressé à notre demande. Je demande donc le paiement de la licence correspondant à un droit d’usage de deux ans au niveau 2 pour tous les utilisateurs, ainsi que le paiement d’un montant amiable permettant de clore le dossier contentieux. L’ensemble s’élève à 100 000 euros. »

Je fais remarquer que les droits d’installation ne sont pas nécessairement au niveau 2 depuis l’installation du logiciel, il y a deux ans. « C’est fort probable » me répond l’avocat. « Mais ce n’est pas prouvé » répondis-je.

J’écoute alors les trois avocats débattre, se répondre, s’interpeler sur des points de droit. Droit des contrats, droit des licences, droit d’usage, droit de ceci, droit de cela. Je ne suis pas dans mon élément. Je demande la parole.

J’explique alors que je suis un spécialiste informatique, un technicien. Que les arguments de droit qui me sont proposés dans cette discussion, me sont pour la plupart incompréhensibles.

Cela jette un froid dans la réunion. Il n’est pas « correct » d’énoncer son incompétence. Je continue malgré tout en expliquant que je souhaite que les trois avocats me fournissent chacun un document sous quinzaine dans lequel ils vont pouvoir exposer tous leurs arguments juridiques. Je les analyserai avant de les joindre à mon rapport. Inutile de leur dire que mon épouse va bosser pour moi.

Il est 17h. Je propose de clore la réunion. Je remercie tout le monde (malgré les quelques noms d’oiseaux qui ont fusé) pour son bon déroulement. J’ai 100 km de route à faire et la journée a été épuisante nerveusement.

Et je n’ai pas encore vu un seul ordinateur dans cette expertise.

La suite de ce billet est à lire ici.

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Crédit images darkroastedblend.com