Le morpion du jour des trois jours

Dans le cadre des rediffusions hivernales, le billet d’aujourd’hui a été publié le 22 juin 2009 et était le premier de ma rubrique “Service militaire“. J’ai été assez surpris du succès de cette rubrique, surtout auprès des plus jeunes de mes lecteurs, si j’en juge par les commentaires. Bonne (re)lecture 😉

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J’ai conscience que beaucoup de lecteurs de ce blog viennent pour y lire
des anecdotes sur le monde de l’expertise judiciaire. C’est mal connaitre l'”esprit” de ce blog: j’y confie tout ce qui me passe par la
tête ou presque et entre autre chose des anecdotes pour ma famille et
mes amis. J’ai décidé d’inaugurer une nouvelle rubrique dans la
catégorie “privée”: des anecdotes sur mon service militaire. A petite
dose.

Je n’ai jamais vraiment aimé l’armée, mais j’ai toujours trouvé qu’elle
représentait un mal nécessaire, un passage obligatoire qu’il fallait
prendre du meilleur côté possible. Évidemment, maintenant que le service
militaire n’est plus obligatoire, cela fait un peu “vieux papi”. Mais
il fut un temps pas si lointain où pour tous les garçons qui
atteignaient 18 ans, la question militaire devenait incontournable.

Les trois jours

Dans mon lycée, les pires légendes couraient sur ces fameux trois jours
de casernement: les lits étaient sales, les douches collectives
malodorantes, il fallait se lever à cinq heures du matin pour passer son
temps à attendre…

Déjà, la plupart du temps, les trois jours n’en duraient qu’un seul. En
tout cas, ce fut le cas de tout ceux qui m’accompagnaient. Arrivés le
matin, nous avons commencé par des tests de logique: une heure à cocher
des cases en courant contre la montre. Mes amis redoublant m’avaient
prévenu: tu ne finiras pas le questionnaire. Il faut essayer de répondre
juste au maximum de questions.

On nous a fait ensuite patienter une heure le temps pour les appelés de procéder à la correction.

Munis de nos résultats, nous voici en train de poursuivre le parcours fléché vers étape suivante: la visite médicale.

Je ne suis pas quelqu’un qui fait les premiers pas quand je ne connais
personne. J’étais donc un peu isolé parmi la dizaine de petits groupes
qui s’étaient formés alentour. Un gars plutôt rondouillard s’approche de
moi et me demande si je sais où il faut aller pour la suite. Je lui
réponds qu’il suffit de suivre les énormes flèches et de lire les
indications. Pas rassuré pour autant, il me demande la note que j’ai
obtenu aux tests. Je lui réponds discrètement: j’ai eu 20. Il me regarde
avec des yeux tous ronds: quoi! A ben ça alors. Moi j’ai eu 7 et
j’aurais voulu travailler comme cuisinier. Ils m’ont dit qu’il fallait
avoir au moins 10 pour s’engager.

Je compatis avec lui. Il me suivra toute la journée, se méfiant des
flèches et des indications, préférant suivre mon 20 plutôt que son bon
sens à lui. Je ne sais s’il a eu raison.

La visite médicale est un grand classique. Nous voici dix alignés face à
un mur sur lequel sont accrochés dix urinoirs. Au commandement, nous
avançons avec notre flacon de verre vide pour le remplir. Quelques
minutes ensuite, nous nous reculons avec notre verre de liquide chaud à
la main. Sauf mon camarade d’infortune qui, tout rouge, annonce d’une
petite voix qu’il n’a plus envie, ayant cédé à un besoin naturel
quelques instants avant la visite médicale. L’appelé de service lui
explique qu’il doit pouvoir fournir quelques gouttes en se forçant un
peu… Ce qu’il fera avec grandes difficultés et moultes soupirs.

Puis vient l’examen de l’acuité visuelle. Nous sommes en file indienne.
Je suis juste derrière mon camarade cuisinier. Lorsque le médecin lui
demande de se cacher l’œil droit, je le vois mettre sa main sur l’œil
droit et appuyer fortement dessus tout en lisant les lignes de
caractères. Quand le médecin lui demande de faire la même chose avec
l’autre œil, son œil droit était devenu incapable de lire quoi que ce
soit… Le médecin haussa les épaules et cria: suivant! Je pris bien
garde à placer ma main devant mon œil. On apprend toujours des erreurs
d’autrui.

Tous les futurs appelés ayant eu au dessus de 15 aux tests de logique
devaient passer un autre test que j’attendais avec impatience: le test
de morse. Nous allions passer une heure à nous entrainer à apprendre à
reconnaitre trois lettres, I N et T[*].
L’entrainement consistait à suivre les indications fournies dans les
hauts parleurs par une bande magnétique. Chaque époque a ses NTICE.
Passé l’heure d’entrainement, l’épreuve proprement dite commençait. Mes
amis m’avaient prévenu: la grille des réponses comportait des groupes de
cinq lettres à remplir. Les hauts parleurs allaient passer les sons
morses à un rythme initial très lent, puis accélérer sensiblement
jusqu’à soutenir un rythme tellement rapide qu’il était impossible pour
un débutant de le soutenir. Le truc consistait alors à sauter les
groupes de cinq lettres non reconnues et d’essayer de grappiller des
points en saisissant au vol quelques groupes de lettres. Résultat: 20 🙂

C’est probablement pour cela que j’ai ensuite effectué mon mois de
classes dans les transmissions. Cela ne peut pas être un hasard…

PS: Je n’ai jamais su ce qu’était devenu mon camarade morpion du jour
des trois jours. S’il me lit ici, qu’il sache que si j’avais l’air sur
de moi, j’étais également un peu perdu. J’espère qu’il a trouvé le
bonheur qu’il méritait.

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[*] INT, c’était également le nom d’une grande école d’ingénieurs: l’Institut National des Télécommunications. Un hasard??

4 réflexions sur « Le morpion du jour des trois jours »

  1. Je chipotte, mais l'INT n'existe plus. je fais parti de la première promo après le changement de nom. résultat: je suis diplomé de Télécom Sud Paris (je ne sais jamais s'il faut mettre les accents)

  2. Eu plus de chance ? Pour les récalcitrants devant les urinoirs… Il y avait quelques WC afin de se concentrer plus tranquillement…
    Injustice de la vie… J'ai vu un conscrit pleurer n'ayant pas atteint la note minimale pour passer les tests d'élèves officiers de réserve… Alors que je les ai passés sans soucis… Et sans en "profiter".

  3. Heureusement, j'ai évité le service militaire,
    En raison de ma dyslexie,
    Sans parler du fait que le test de morse, aucune possibilité, même avec QI 142.

  4. Vu que c'est un blog informatique… et que l'on parle 3 jours… Occasion d'allumer la radio à la station ma vie, épisode :
    "J'ai passé les "3 jours" avec la version Jeux Video .."

    Suite aux tests medicaux, direction pour les évaluations intellectuelles:

    Chacun une cabine, un ecran, 10 touches numérotées de 1 à 0 (en passant par les autres chiffres :p)

    Test d'intelligence:
    Premiere question de souvenir… "êtes vous un homme ou une femme…"
    Grosse latence du terminal (ou stress allongeant les secondes ?)…
    Je me suis dit l'écran est tactile version SNCF (ouha !)
    … nan…
    J'imagine 1:Homme, 2: femme
    Je n'aurais pas du …
    Je tape 1 à cet instant s'affiche le choix multiple
    -> "Mauvaise réponse… vous êtes un homme"
    Premiere lecon: à l'armée on imagine pas… et les initiatives ne sont pas forcément bien vu…
    Après je me suis ultra appliqué en me souvenant de la leçon de l'uniforme qui nous avait accueili : "Y en a qui ont voulu jouer aux malins…ben ils se les peles actuellement à Bitch !" (je les passais ces trois jours dans le Sud…J'ai supposé que Bitch devait être quelque part où la chaleur du soleil n'etait qu'un concept…)

    Test de ??? … jeux video version 8bits
    – Un labyrinthe avec chemin facilement identifiable,
    – un petit triangle comme vaisseau (de souvenir),
    – deux manettes (haut-bas d'une main, gauche droite l'autre)
    – deux pédales (pour la suite de l'histoire)
    – un chrono 😀

    Question: etes vous familier avec les ordinateurs (1- jamais touché, 2- occasionnellement, … ) => 1 … 😉 (école scientifique… mais on met toutes ses chances de son coté)

    Et le jeu commence…
    Au debut je faisais attention à ne pas toucher les mur, sinon explosion
    Mais au deuxieme crash je me suis appercu qu'il n'y avait pas de pénalité au crash (le vaisseau apparait à l'endroit du crash, pas de pénalité de temps)
    … hehehe … plus de virage à négocier 😀
    Puis apres pas mal de niveaux … nouvelles consigne
    Son grave (pas le aigu) => pedale droite
    Signalement grosse ampoule (à droite je crois) => pédale gauche
    …Et c'est reparti…
    et puis changement de consignes régulierement…
    Debut de la mal au crane, mains humides, odeur de sueur dans la cabine fermée… mais à fond dans le defis 😀

    Fin du test de jeu video… remise d'un dossier papier…
    Direction dernier debreef…
    Attente en ligne devant bureau fermé, grande porte blanche…(Même pas penser a lire le dossier à la reflexion…le stress)
    Bonjour, hum (lecture du dossier)… prepa militaire ? nan ? plus d'1m80 … humm … vous serez dans l'artillerie (mon souvenir)…
    Au revoir !

    Au final, monsieur le président Chirac permettra un surcis d'un an pour ceux qui ont un CDI apres leur diplome… puis surcis supplémentaire d'un an… puis disparition … pas d'artillerie et de compréhension du determinisme militaire pour que j'arrive dans l'artillerie.

    Lors de mes 3 jours, j'ai eu aussi affaire à une personne qui suivait la consigne "suivez les fleches vertes" à la lettre…
    Et qui finissait toujours dans la coure centrale (signalétique des sorties de secours).
    Il semblait de bonne foi (vu qu'ensuite ils nous suivait) et l'ambiance intellectuellement stimulante de la garnison ainsi que le stress omnipresent de ces "3 jours" devaient effectivement faire partie de l'équation…(a moins que cela ne soit la biere à ~1 francs disponible dans le foyer…)

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