J’aime beaucoup l’outil Twitter qui me permet de découvrir des liens ou des informations en quelques heures minutes sur tous les thèmes. Hier, je suis tombé sur un flood de @eBlacksheep qui racontait un souvenir militaire qui m’a touché, parce que j’ai connu à peu près la même expérience. Je le publie ici, pour mon plaisir et avec son aimable autorisation. Je garde la mise en page propre aux messages courts de Twitter.
Sur la colline, le vent sibérien brûle mes derniers espoirs de confort. J’attends le transport qui me soustraira aux morsures du froid.
Contingent 99/12, je me souviens. Le Valdahon, la petite Sibérie. On nous a coupé les cheveux, très courts.
On nous a ordonné de mettre des joggings bleus électriques avec un sigle bleu blanc rouge et une épée.
Et puis nous avons attendu, raides et alignés, dans le froid de la petite Sibérie, dans le vent furieux d’appétit.
Nous ne savions pas. Nous ne savions pas que notre bonheur par la suite de porter le kaki serait la marque de notre chute.
Un matin, soleil endormi derrière l’horizon nous nous levons. Saisis immédiatement par le vent hurlant, dévoreur de talent.
Au garde à vous, nous attendons. Nos yeux pleurent, nos âmes se tapissent au fond d’un vide insoupçonné.
L’on part chercher un fusil, un FAMAS et un chargeur vide. Les camions arrivent. Nous les regardons plein d’espoir, promesse d’ailleurs.
Nous attendons, stoïques et souffrants, dans le vent. L’odeur du gasoil froid nous retourne le cœur, l’esprit s’est rendu au midi.
Nous montons enfin, le treillis raidi, la parka à peine doublée, insignifiants talismans. La petite Sibérie nous a pris.
Dans le camion, c’est pire, partout le vent, le cahot et le tumulte. Froid assis est pire que froid debout.
Nous arrivons dans des bois blancs, le givre à l’œuvre a dévoré les couleurs et nous regarde menaçant.
Paquetage ordonné, tente montée de tremblements, de doigts gourds, de larmes gelées. Vient le rassemblement.
Il neige. Une neige pourrie, mouillée qui gèle à nos pieds. Nous partons en maraude dans les bois accomplir moult exploits.
De retour, transis, gelés, épuisés, mouillés jusqu’au ticheurt un feu nous attend au camp de fortune. Vite, mettre les pieds dedans.
Enfin sentir la vie, la flamme, l’espoir. Vite se détourner, courir, ils ont lancé une grenade dans le feu en rigolant grassement.
Trois blessés pour cette blague de potache. L’un a couru, épuisé, dans une branche et saigne abondamment. Les autres brûlés par les braises.
Il faut demeurer aware, c’est la guerre. La nuit, mouvements par petits groupes. Les infirmiers font des va-et-vient.
Le froid a aboli nos sens, nous perdons l’équilibre, ne voyons plus, nos gestes ne sont plus nos volontés. Beaucoup de blessés.
Des branches, des racines, des visages giflés, des entorses. Certains craquent et menacent de leurs armes chargées à blanc.
Dans la tente, l’ordre de dormir avec son FAMAS est donné. C’est l’ordre de dormir avec un pain de glace à ses côtés.
Nul sommeil pour celui qui mouillé, frigorifié, affamé est allongé sur la terre gelée. Attente. Espoir du jour, du soleil froid.
Enfin. Deux ne se sont pas réveillés, ils sont hospitalisés. Hypothermie. Je calcule pour autant que je peux.
En 24 heures de terrain le peloton a perdu plus d’un homme par heure.
Nous repartons, mes doigts mouillés et gelés ressemblent à la peau fripée d’un vieux bébé. Mon index ne bouge plus.
Pour tirer sur les cibles en carton cachées dans la forêt, je bouge ma main, l’index raide sur la gâchette.
Ce n’est plus un coup de doigt, c’est un coup de main. Mouvement, une grenade explose au ralenti, je plonge en planant longtemps, j’atterris.
Les épines du buisson m’accueillant ont fait leur œuvre. ma main est visqueuse dans le gant mouillé.
Le pouce ouvert, flétri et mou, s’est offert sans résistance à la pointe de la nature. Ce n’est rien me dit-on.
Je lèche mon sang. Vampire de moi même. Encore deux blessés dans mon groupe, cette fois, retour au camp.
Le colonel commandant le régiment est là, mine sévère. Le peloton est décimé. Alerté par l’infirmerie, il est venu commander.
Le regard dur sur l’adjudant chef commandant le peloton, il ordonne le retour au régiment.
Je me souviens, petite Sibérie. Je me souviens du vent idiot, du froid insensé qui faisait sonner les cloches de la destruction.
3 février 2012 eBlacksheep