A propos Zythom

Informaticien Ex²pert Judiciaire, Irresponsable de la SSI, 3 enfants, marié à une avocate (ma vie n'est pas facile). Clé PGP: 0u 41-j3 m15 c3773 pu741n d3 cl3f

Ad nauseam

Bon alors, là, c’est une série de photos d’un mariage. Avec toutes les scènes habituelles que l’on peut trouver classiquement. Voilà les invités, les amis, certainement la belle famille… Quelques photos d’enfants qui jouent dans le cortège, dans la salle des fêtes, dans le noir de la fête.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien pour l’instant, des enfants qui jouent, ça n’est pas « pédopornographique ». Même si quand on a l’intitulé de la mission en tête, toute image d’enfant devient suspecte. RAS.

Tiens, un fichier ZIP qui contient des images pornographiques. Un coup de baguette magique pour supprimer le mot de passe. 200 images. Bien. Des jeunes, des vieux, des jeunes filles en socquettes et tresses. Tout cela m’a l’air d’avoir l’âge requis malgré les épilations de rigueurs.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien pour l’instant, du porno bien classique. C’est plus trash que « Bonjour Madame », mais rien de « pédopornographique ».

Ah, c’est quoi ça? Elle me paraît très jeune cette petite. Ah oui, moins de 15 ans, peut-être bien moins de 10. Elle est en maillot de bain, mais prend des poses très suggestives. Les décors changent, mais c’est toujours elle, et toujours dans des poses très très suggestives. Ah, une autre petite fille! Et une autre encore. Plus de 1000 photos de petites filles dans des décors plus ou moins artistiques. Je suis très mal à l’aise devant mon écran d’ordinateur devant ce pseudo travail artistique de catalogue de mode bizarre.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien de réellement « pédopornographique », mais quand même un peu. Je préfère laisser la décision aux enquêteurs. Les photos seront annexées au rapport d’expertise judiciaire.

Je continue l’étude du contenu de ce disque dur qui m’a été remis sous scellé. Je vérifie pour la nième fois que la porte de mon bureau est bien fermée à clef. Et mes trois enfants savent qu’il ne faut pas me déranger. Un dossier complet contenant des milliers d’images d’hommes. De la pornographie homosexuelle. Des images crues, des scènes torrides d’une sexualité que je ne partage pas.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, on ne me demande pas d’informations sur les goûts sexuels de l’utilisateur du disque dur. Toutes les images LGBT sont à classer dans la catégorie normale. RAS donc.

Tiens, je retrouve l’un des messieurs présents sur les photos du mariage. Il se prend en photo dans sa salle de bain. Dans toutes les positions et sous toutes les coutures. Enfin les coutures… Ce doit être l’utilisateur du disque dur. C’est un peu bizarre de garder ce type de photos sur son ordinateur. A son âge.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». On ne me demande pas mon avis personnel sur l’attitude « normale » à avoir dans l’intimité de sa salle de bain. RAS.

Un dossier contenant des bandes dessinées pour adulte. Des centaines de BD. Des milliers de pages à regarder. Tiens, il y a des mangas. Euh, des mangas adultes avec des représentations d’enfants en situation pornographique.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». La loi punit la représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique (source bulletin officiel du ministère de la justice n° 86, 1er avril – 30 juin 2002). Les images sont annexées au rapport d’expertise.

L’analyse continue ainsi, ad nauseam.

Je suis informaticien.

Je suis expert judiciaire inscrit dans cette spécialité.

Le magistrat qui me désigne le sait et me fixe une mission précise, technique.

On ne me demande pas mes opinions en matière de sexe.

On ne me demande pas de faire de la psychologie de comptoir en décidant ce qui est normal ou pas.

Quand j’ai un doute, ou que je me sens mal à l’aise, je ne dois pas me contenter de dire: je mets en annexe, les autres feront le tri. Il faut décider ce qui relève de la mission. Il faut décider ce qui relève de la dénonciation de crime.

Le reste, c’est la vie privée.

Et parfois, c’est dur de faire les choix, quand on sait qu’on peut briser une vie.

Mais briser la vie de qui? Celle de l’utilisateur du disque dur? Celle de sa prochaine victime s’il y en a une? La mienne?

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Image tirée du site officiel de la série télévisée Cold Case.

Promotion 2015

C’est déjà l’effervescence dans mes équipes, bien que la mi-août soit à peine franchie. Il faut mettre l’école en ordre de bataille pour accueillir les étudiants, les nouveaux aussi bien que les anciens. Il y a des salles à reconfigurer, 75 ordinateurs à installer pour remplacer ceux devenus obsolètes, la sécurité à vérifier et toutes les améliorations à faire pour progresser dans la qualité (technique) de l’enseignement en tenant compte de toutes les remarques faites tout au long de l’année.

Il y a les commandes à faire, les commandes en retard, les demandes de dernière minute, les urgences imprévues. Il faut créer les comptes des nouveaux arrivants, les listes de diffusion, les groupes de TD et de TP…

Tiens, à propos des nouveaux, c’est quoi déjà le nom de la nouveau promo? La promotion 2015. Bien, et ils sont nés en quelle année ceux-là? En 1992?

1992, c’est l’année de mon doctorat…

Alors, je vais me prêter ici à un exercice classique, mais permettant de se remettre les idées en place:

Les étudiants qui ont 18 ans aujourd’hui et qui vont entrer dans l’école d’ingénieurs où je travaille (école en 5 ans sans classe prépa intégrée) sont nés l’année de la signature du traité de Maastricht également appelé traité de l’Union européenne. Cette Union comptait alors 12 pays membres.

C’est en 1992 que le nombre de domaines internets a franchi la barre du million (120 millions aujourd’hui). Il y a alors 26 sites web « raisonnablement fiables » dans le monde. Les navigateurs s’appellent Erwise et ViolaWWW. C’est aussi l’année de la naissance de NCSA Mosaïc, le premier navigateur web populaire.

Microsoft sort son Windows 3.1 (et Windows for Workgroups) se caractérisant par l’abandon du mode réel et la présence par défaut d’une police TrueType ainsi que de plusieurs polices utiles préinstallées.

Apple utilise encore une pomme colorée comme logo et étend sa famille Macintosh avec la gamme Performa.

1992 est aussi l’année du décès de John George Kemeny, mathématicien américain qui a développé le langage de programmation BASIC et de l’arrêt de la fabrication du ZX Spectrum.

Les étudiants de la promotion 2015 avaient deux ans lors de la découverte de la grotte Chauvet en Ardèche, trois ans quand le système GPS a été complètement opérationnel et cinq ans lorsque le robot Pathfinder se posa sur Mars. Ils avaient six ans lors de la sortie de Windows 98, soit l’âge que j’avais quand j’ai regardé l’homme marcher sur la lune pour la première fois.

Ils avaient neuf ans lors des attentats du 11 septembre 2001.

Purs produits de la génération Y, ils ne savent pas ce que c’est qu’une cassette audio ou un walkman. Pour eux, MP3 c’est un baladeur numérique, pas un format de fichier, un portable, c’est un téléphone et le minitel, le truc que mamie garde sur un napperon dans un coin. Ils n’ont jamais vu un cadran téléphonique rotatif et une cabine téléphonique, c’est un endroit (rare) pour appeler au sec avec son portable.

Ils ne savent pas ce que c’est qu’un monoski

Maintenant que vous avez tous pris un petit coup de vieux, je vous rassure un peu: ils n’ont pas encore appris les joies des pointeurs de structures de pointeurs, ils n’ont pas encore compris qu’une probabilité nulle ne signifie pas nécessairement que l’évènement est impossible, ne connaissent pas encore les points d’Young-Weierstrass ni la norme ISO 9001…

Ils n’ont pas encore eu le temps de graver « i <3 u » dans le bois des tablettes des amphis.

Mais ils sont jeunes… eux.

Le rempart

J’ai revu récemment le film « Des hommes d’honneur » avec Jack Nicholson et Tom Cruise. Il y a à la fin du film une scène d’anthologie où le personnage joué par Jack Nicholson craque et parle « vrai ». Je n’ai pas résisté à l’envie de détourner cette scène sur un sujet qui m’est « cher ». Extrait:

Nous vivons dans un monde qui a des murs, et ces murs doivent être gardés par des hommes en arme. Qui va s’en charger? Vous?

Je suis investi de responsabilités qui sont pour vous totalement insondables. Vous pleurez Santiago le P2P et vous maudissez les Marines HADOPI.

C’est un luxe que vous vous offrez. Vous avez le luxe d’ignorer ce que moi je sais trop bien. La mort de Santiago du P2P, bien que tragique, a probablement sauvé des vies. Et mon existence, bien que grotesque et incompréhensible pour vous, sauve des vies.

Vous ne voulez pas la vérité parce qu’au tréfonds de votre vie frileuse de tout petit bourgeois vous ME voulez sur ce mur, vous avez besoin de moi sur ce mur.

Notre devise c’est « Honneur Code Loyauté » « SACEM SCAM SCPP ». Pour nous ces mots sont la poutre maitresse d’une vie passée à défendre des bastions. Chez vous ces mots finissent en gag.

Je n’ai ni le temps ni le désir de m’expliquer devant un homme qui peut se lever et dormir sous la couverture d’une liberté que moi je protège et qui critiquera après coup ma façon de la protéger.

J’aurai préféré que vous me disiez merci et que vous passiez votre chemin ou alors je vous suggère de prendre une arme et de vous mettre en sentinelle postée.

Jack Nicholson, dans « Des Hommes d’Honneur ».

Alors « Code rouge » ?

L’expert et l’avocat dans le procès pénal

Les rapports entre l’expert judiciaire et les avocats sont parfois complexes. Mais j’ai la chance d’avoir épousé une avocate, ce qui me permet d’avoir un décodage particulièrement efficace des us et coutumes de cette partie des gens de robe.

Pour illustrer le sujet, je laisse à votre appréciation plusieurs passages extraits de l’excellent mémoire de Philippe THOMAS « L’expert et l’avocat dans le procès pénal ».

L’avocat doit défendre les intérêts des personnes qu’il représente, dans l’expertise son rôle appuie ou combat les conclusions d’une expertise, son objectif n’est pas de rechercher une quelconque vérité mais d’obtenir l’adhésion même momentanée du juge dans son argumentation qui sera reprise dans la motivation d’une décision.

Il s’agit ici d’une stratégie de la règle du contradictoire où un rapport de force s’engage contre «l’adversaire», car le magistrat jouit d’une liberté d’action dans la présentation du rapport d’expertise qu’il peut évaluer, rejeter ou entériner avant d’en faire ou non la source de sa décision.

Le recours à l’expert est un recours à «la personne qualifiée», à «l’homme de l’art», c’est le technicien, le comptable, l’artiste, le médecin etc. qui accepte de mettre son savoir au service de la Justice.

[…]

Le principe du contradictoire et de la contre-expertise sont par conséquent indispensables tout particulièrement dans les sciences humaines et les sciences appliquées plus favorables à l’interprétation subjective.

L’avocat ne doit donc pas sous-estimer la force d’un rapport d’expertise défavorable pour son client et doit agir en conséquence, notamment en cas de non-respect de la procédure, où quand la qualité du rapport d’expert est de mauvaise qualité, plein d’erreurs où entaché d’un vice de forme.

[…]

Les limites du débat contradictoire dépendent de la bonne ou de la mauvaise interprétation d’une expertise, la multiplication des techniques scientifiques peuvent nous conduire à envisager un nouveau métier de personnes capables de comprendre et traduire le même langage que l’expert judiciaire en jouant un rôle d’interface entre les parties en présence.

C’est devant cette évolution que selon toute vraisemblance, les avocats spécialisés supplanteront les avocats généralistes.

Mais dans sa culture, l’avocat français admet difficilement son incompétence dans un domaine en particulier, cela concerne plus les avocats généralistes et ce mode de pensée est appuyé par les centres de formation des avocats qui demandent une connaissance générale du droit processuel, cette position explique que la défense d’une partie peut être mal représentée si elle se situe en dehors du débat technique à l’instruction et à l’audience.

Le risque du hors-jeu est donc permanent quand des difficultés de compréhension apparaissent, ce qui engage la responsabilité professionnelle de l’avocat. Il est utile de rappeler à ce propos que l’avocat qui a prêté serment de probité a moins d’excuses pour le transgresser qu’un simple justiciable.

L’avocat qui cause un préjudice à son client peut être envisagé sous différentes hypothèses, il n’a pas été diligent, il a été négligent, inconséquent, absent ou franchement malhonnête et une procédure qui aurait pu être gagnée se retrouve perdue.

[…]

Il est dommage que le conseil national des barreaux (CNB) ne prenne pas véritablement en considération l’importante évolution de la situation.

Le CNB estimait en 2008 que «La complexité croissante du droit, de la procédure et des contentieux, impose une technicité accrue des avocats. En outre, la réponse aux besoins de notre clientèle, qui réclame toujours plus de compétences, rend nécessaire l’accession du plus grand nombre à une ou plusieurs spécialités.»

Mais dans la réalité l’avocat reste seul pour se remettre en question et redéfinir son rôle dans la représentation d’une partie. Nous prendrons par exemple, l’avocat spécialiste en finances, dans la réglementation bancaire avec à l’appui de sa formation juridique une seconde formation d’économiste.

Peut-il apprécier avec justesse les conclusions d’une analyse chimique ou de la configuration architecturale d’un logiciel ou bien de la différence qui existe entre l’ADN nucléaire et l’ADN mitochondrial?

C’est pourquoi l’avocat s’attachera à comprendre les tenants et aboutissants d’une expertise et veiller à une description intelligible du rapport qui éclaire les zones favorables aux intérêts du client.

[…]

Si le rapport contient des inexactitudes et/ou des conclusions préjudiciables pour le mis en cause ou la partie civile, l’avocat doit soumettre à l’expert des questions pertinentes et utiles aux intérêts de la partie qu’il représente.

[…]

L’avocat doit bien connaître le rapport d’expertise avant de reprendre les points qui posent un problème à son client, il peut s’agir de contradictions entre le rapport et les conclusions, d’un procédé expertal décrié, d’erreur de calcul, ou d’interprétations qui sont personnelles.

Il s’agit aussi de préparer la plaidoirie finale et d’essayer de redimensionner un rapport en adaptant un vocabulaire plus accessible dans un sens plus favorable à la partie que l’avocat représente.

[…]

Il s’agit pour l’avocat de déterminer la crédibilité d’une expertise qui apparaît comme un élément de preuve, ainsi lorsque cette dernière acquière une valeur préjudiciable à son client, l’avocat doit viser la légitimité de l’expertise et exposer les risques de la dénaturation.

[…]

Si les dépositions des témoins à l’audience sont en contradiction avec les conclusions de l’expert, le Président demande alors aux experts, au ministère public, à la défense et s’il y a lieu à la partie civile, de présenter leurs observations.

Les tribunaux ou les Cours peuvent alors décider, soit de passer outre le témoignage qui viendrait contredire une expertise, soit de décider le renvoi du jugement à une date ultérieure ainsi toute mesure complémentaire d’expertise pourra être demandée.

Lorsque l’accusation repose sur l’expertise, l’affaire est renvoyée pour un complément d’expertise, cependant le budget du ministère de la Justice et l’encombrement des tribunaux ne favorisent pas ce genre de décision.

Sans renvoi, l’avocat doit se débrouiller avec ce qu’il a, c’est à dire un rapport d’expertise contredit par les témoignages, l’habilité du plaideur doit seconder habilement la parfaite connaissance du rapport d’expertise.

[…]

La souveraineté des Juges ne garantit pas l’équité dans un procès, c’est donc à l’avocat de veiller au principe du contradictoire, c’est ainsi qu’il soumettra ses conclusions qui oblige le juge à une réponse tant sur la forme que sur le fond.

Le mémoire est consultable dans son intégralité ici « Philippe THOMAS « L’expert et l’avocat dans le procès pénal ».

USA 2010

Trois semaines de vacances de rêve, enfin pour ceux qui aiment la randonnée…

Cela fait maintenant plusieurs fois que ma tribu décide de partir aux Etats-Unis pour visiter les parcs nationaux en camping sous tentes. Et quand je dis tribu, je veux dire quatre adultes et sept enfants de 8 à 19 ans (la majorité alcoolique est encore à 21 ans là-bas), le tout reparti dans deux grosses voitures de 2 tonnes (louées pour 3 semaines pour 800 euros!) et dans quatre tentes Quechua ultra légères (c’est comme ça que nous reconnaissions facilement les français là-bas;).

Voici le programme effectué, si vous souhaitez utiliser les services de la compagnie Zythom-Tour:

– Atterrissage à Phoenix (Arizona). 1ère nuit dans un hôtel grand luxe qui brade ses chambres l’été (pour cause de chaleur: 46°C à l’ombre – 85$ la nuit pour une chambre de six)

– 1er jour: Montezuma Castle National Monument et Wupatki National Monument. Camping.

– 2e jour: Sunset Crater Volcano National Monument. Arrivée à Grand Canyon National Park et repérage de la randonnée du lendemain. Camping à Desert View.

– 3e jour: Descente à pied dans le Grand Canyon en suivant le chemin de randonnée « Bright Angel » jusqu’à « plateau Point », soit 1000 m de dénivelé sous 40°C. Chacun de nous porte deux bouteilles d’eau que nous remplissons à chaque point d’eau sur le parcours. Par bonheur, nous avons effectué la remontée sous un orage bien rafraichissant.

– 4e jour: Navajo National Monument. Le camping prévu est plein, le plan B est jugé trop sommaire, le plan C est une maison dans le motel San Juan (avec douches et baignade dans la rivière;)

– 5e jour: Monument Valley Navajo Tribal Park (en voiture). Camping Sand Island (avec pétroglyphes).

– 6e jour: Visite de « Valley of The Gods« , puis de Hovenweep National Monument. Camping Morefield (avec douches gratuites).

– 7e jour: Visite de Mesa Verde National Park.

– 8e jour: Anasazi Heritage Center museum. Camping Squaw Flat.

– 9e jour: Randonnée de 20 km dans Canyonlands National Park à partir de « Elephant Hill » jusqu’à Druid Arch avec retour à pied au camping. Le soir, nous dévorons nos S’mores bien méritées…

– 10e jour: Pétroglyphes de Newspaper Rock State Historic Monument, puis visite de Arches National Park (rando de 5 km pour voir Delicate Arch au coucher du soleil). Camping.

– 11e jour: Retour à Canyonlands pour voir « Island in the sky » et la Green River. Fin de journée à « Arches » pour une petite rando dans « Devil’s Garden« . Hôtel à Moab.

– 12e jour: Capitol Reef National Park. Randonnée « Old Wagon Trail » (2h). Camping Fruita.

– 13e jour: Grosse journée randonnée dans Capitol Reef: Cohab Canyon, Frying Pan (la bien nommée), Cassidy Arch et Grand Wash. Au retour, baignade sous une cascade et visite des pétroglyphes Frémont et d’une école mormone.

– 14e jour: Kodachrome Basin State Park. Deux randos: « Grand Parade » et « Shakespeare Arch ». Camping du parc.

– 15e jour: « Scenic Drive » de Bryce Canyon National Park. Randonnée « touristique » dans le parc. Camping Sunset.

– 16e jour: Le « clou » du voyage, une randonnée en backpacking dans Bryce Canyon pour dormir dans un background campground. Nous sommes seuls dans la nature sauvage. Il faut transporter sa nourriture, son couchage, sa tente et tous ses déchets. Départ de « Bryce Point » sous les yeux amusés des américains qui prennent en photos les plus petits enfants (8 et 9,5 ans) avec leurs sacs à dos. Camping à « Yellow Creek Group Site » après 6,5 km.

– 17e jour: Retour de back campground avec une rando de 14 km chargés comme des mules. Il faut en plus porter son eau (pour 11!) car il n’y a pas de point d’eau. Sortie du canyon par « Whiteman Connecting Trail ». Cette randonnée est mon plus beau cadeau d’anniversaire pour mes 2F ans… Camping à Red Canyon Campground.

– 18e jour: Retour dans la masse touristique à Zion National Park avec randonnée en tong sur « Emerald Pool », « Riverside Walk » et « Weeping Rock ». Camping Watchman.

– 19e jour: Grosse randonnée dans Zion: Angels Landing (attention au vertige!) et West Rim Trail jusqu’à « Cabin Spring ».

– 20e jour: Pipe Spring National Monument. Retour à Grand Canyon, mais côté North Rim. Coucher de soleil sur Grand Canyon à observer à « Cape Royal ». Camping Kebab National Forest.

– 21e jour: Retour vers Phoenix, arrêt à Navajo Bridge. Hôtel à Phoenix.

Et voilà. Le tout pour 3900 km en voiture.

De retour en France, nous avons tous dormi 16h d’affilé.

Et j’ai encore les jambes douloureuses d’avoir autant marché.

Mais cela en valait vraiment la peine, surtout avec les enfants.

Il ne me reste plus qu’à trier les 3400 photos prises par nos quatre appareils numériques.

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La photo illustrant ce billet est pour une fois de votre serviteur et représente des pétroglyphes de Wallpaper Rock dont un me fait penser à un satellite artificiel moderne…

La prise de risque

J’ai effectué avec mes deux techniciens une migration importante ce week-end: nous sommes passés d’un environnement Novell à un environnement Microsoft. Cela nous a amené à changer d’annuaire pour l’authentification (eDirectory vers Active Directory), à changer de serveur de fichiers (Netware vers Windows 2008 R2), à changer nos serveurs d’impression, à transférer 2000 comptes (fichiers + droits) et à modifier nos logiciels et systèmes de sauvegarde.

Après 11 années passées comme expert judiciaire informatique à constater les échecs des autres, il me semblait important de mettre toutes les chances de mon côté pour éviter la catastrophe.

1) Préludes:

L’idée d’abandonner un système pour un autre ne vient pas brutalement. C’est une idée qui murit depuis plusieurs années et qui s’impose comme évidente. Nous sommes équipés depuis 20 ans d’un OS réseau Novell. Nous avons suivi, au rythme de nos capacités et priorités d’investissement, les différentes évolutions de ce produit, pour rester bloqué sur la version précédant leur passage à SUSE Linux.

J’utilise GNU/Linux depuis longtemps, principalement pour gérer l’accès internet, la sécurité, le monitoring des serveurs et l’hébergement web. Après avoir démarré en 1993 avec la distribution Yggdrasil, j’ai adopté pendant plusieurs années la distribution Slackware, pour migrer ensuite vers le Chapeau Rouge. N’approuvant pas le choix fait avec l’apparition du projet Fedora, j’ai finalement opté pour la distribution Debian qui équipe maintenant tous mes serveurs GNU/Linux.

Parallèlement, les besoins de l’entreprise m’imposaient un certain nombre de logiciels nécessitant pour fonctionner, la présence d’un serveur Windows. Des logiciels comme Catia, Matlab, Comsol ou encore Octime, Adesoft ou Cegid, tournent de manière native dans l’environnement Windows.

Je me suis donc trouvé à un moment à la croisée des chemins avec un choix important à faire: basculer vers un linux commercial au doux nom de boisson alcoolisée apéritive amère ou vers l’univers classique Windows.

C’est une prise de risque dans un cas comme dans l’autre.

Finalement, en tenant compte également du fait que nous ne sommes que trois pour gérer une quinzaine de serveurs, 350 PC et 2000 comptes utilisateurs, j’ai préféré limiter le nombre de systèmes d’exploitation à maitriser. J’ai donc choisi de limiter la salle serveur à deux univers: Windows pour l’annuaire, les serveurs de fichiers, les applications et les DNS internes, et Debian GNU/Linux pour les passerelles, routeurs, serveurs proxy, le monitoring, les firewalls, les DNS externes et les serveurs webs.

2) La migration:

Je pense qu’il faut être modeste et réaliste. Il est difficile de consacrer un temps important à la préparation d’une telle migration alors que les tâches du quotidien et le service à rendre aux utilisateurs occupent déjà très largement mes deux techniciens et moi-même. Après quelques mois de réflexion en mode coucou sur mes autres projets, je me suis rendu à l’évidence, il me fallait l’aide d’un consultant externe pour faire baisser la prise de risque.

J’ai donc appelé ma SSII favorite qui m’a monté une prestation que nous avons construite sur six jours suffisamment espacés pour que le travail préparatoire à faire puisse être réalisé. Chaque jour était bloqué pour que mon équipe puisse se consacrer pleinement à cette activité. Le personnel et les étudiants étaient prévenus que pendant cette période, les temps de résolution des demandes d’intervention allaient être dégradés, sauf urgence absolue.

A la fin de chaque journée, nous faisions un point sur l’état d’avancement, sur les tâches restant à faire, les arbitrages sur les priorités… L’affaire s’annonçait bien, la date de migration prévue a été maintenue, confirmée et enfin est arrivée.

3) Le D day:

Parmi les leçons apprises des échecs observés lors de mes expertises judiciaires, la plus importante consiste à rythmer la migration avec les étapes claires suivantes:

– GO/NOGO: on décide de migrer (ou pas) la vieille de la date prévue;

– Le Rubicon: savoir quand le point de non retour se présente et décider de franchir le pas, ou décider l’annulation et la remise en état. Ces décisions sont lourdes de sens et difficiles à prendre. Le cœur du risque est ici.

– Le mur du fond de l’impasse: il faut être capable de se rendre compte que l’on s’est engagé dans une voie sans issu. Savoir renoncer est une des clefs de la survie en spéléologie, comme en informatique.

– Aller se coucher avant que l’erreur ne se produise: David .J. Way l’écrivait très bien dans un manuel de construction de clavecin que j’aime citer sur ce blog.

Le jour « J » s’est déroulé pour nous samedi dernier. L’entreprise vide était notre royaume pour la journée. Le briefing de la veille nous avait attribué à chacun notre zone d’intervention.

Il régnait dans la mienne comme un parfum de victoire au petit matin.

4) La victoire totale:

Autant le dire tout de suite, la migration s’est déroulée comme sur des roulettes. L’ensemble des utilisateurs a pu s’authentifier dès le démarrage de son poste de travail, accéder à ses applications et ses fichiers et imprimer comme d’habitude.

Bien sur, en salle serveur, base de commandement où convergent tous les appels à l’aide des combattants du quotidien, nous avons traité quelques demandes Ctrl-Alt-Suppr vites réglées[1], et quelques soucis propres aux informaticiens (la nouvelle sauvegarde fonctionne-t-elle?).

Bien sur, comme tout séisme, il y a quelques répliques, mais celles-ci sont de moins en moins graves et de plus en plus faciles à résoudre.

Finalement, la prise de risque la plus grande aura été de planifier ce genre de migration juste avant de partir en vacances. Je suis en congé ce soir. A moi les Youessai! Bonnes vacances à tous, et ne prenez pas de risque: sauvegardez vos données et ne changez pas vos mots de passe avant de partir.

A dans trois semaines!

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[1] Demande: « j’ai appuyé sur les touches Ctrl, Alt et Suppr comme demandé pour me connecter, mais rien ne se passe ». Réponse: « Il faut appuyer sur les trois touches en même temps ».

En ma conscience

Il existe une difficulté de l’activité d’expert judiciaire (en informatique) dont je n’ai pas encore parlée: donner un avis indépendamment de toute opinion personnelle.

Ce dont je vais parler est une évidence pour l’ensemble des magistrats, et pour les avocats, mais pour moi, cela a été une découverte, un travail de fond qu’il m’a fallu mener et encore une lutte de tous les instants.

Le magistrat qui désigne un expert judiciaire dans un dossier lui donne un ensemble de missions. Et l’expert judiciaire a juré « d’apporter son concours à la Justice, d’accomplir sa mission, de faire son rapport, et de donner son avis en son honneur et en sa conscience. »

Qu’est-ce que donner son avis en sa conscience?

Mon dictionnaire Petit Robert édition mars 1991 me donne la définition suivante pour le mot « avis » (et qui s’applique au contexte): Ce que l’on pense, ce que l’on exprime sur un sujet.

En matière informatique, cela peut paraître simple: l’informatique est perçue par un grand nombre de personne comme une science et/ou une technologie et un bon expert sera celui qui répondra à une question simple blanc ou noir, oui ou non, alors qu’un mauvais expert dira « gris » ou c’est un peu compliqué, peut-être. Exemple de question « simple »: l’ordinateur était-il allumé à 1h27 du matin? Monsieur l’expert répondez! Oui ou non? Tout bon technicien sait qu’en la matière la réponse peut être complexe (horloge de bios déréglée intentionnellement ou non, heures d’été/hivers prises ou non en compte, etc).

Or, si j’élimine l’informatique théorique qui est une science, l’informatique est un outil et l’informaticien son grand clerc. Et on attend de l’expert judiciaire en informatique qu’il s’applique avec méthode à répondre aux missions qui lui sont confiées. Et quand j’écris méthode, je sous-entends bien évidemment « LA méthode scientifique ». Il suffit de lire le long article que wikipédia rédige sur la question pour comprendre qu’il n’y a pas de manière unique pour procéder à une analyse. Chaque expert aura donc « sa » méthode.

En sa conscience?

Le mot a eu plusieurs sens au cours de l’histoire et il est à prendre ici au sens « conscience morale ».

Wikipédia nous éclaire sur ce point:

[Pour le philosophe] Alain, la conscience est «le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger. Ce mouvement intérieur est dans toute pensée; car celui qui ne se dit pas finalement: «que dois-je penser?» ne peut pas être dit penseur. La conscience est toujours implicitement morale; et l’immoralité consiste toujours à ne point vouloir penser qu’on pense, et à ajourner le jugement intérieur. On nomme bien inconscients ceux qui ne se posent aucune question d’eux-mêmes à eux-mêmes» (Définitions, dans Les Arts et les Dieux).

Pour Alain, il n’y a donc pas de morale sans délibération, ni de délibération sans conscience. Souvent la morale condamne, mais lorsqu’elle approuve, c’est encore au terme d’un examen de conscience, d’un retour sur soi de la conscience, de sorte que «toute la morale consiste à se savoir esprit», c’est-à-dire «obligé absolument»: c’est la conscience et elle seule qui nous dit notre devoir.

La question demeure cependant de savoir quelle origine attribuer à la conscience morale. Car si pour Rousseau «les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments »(ibid.), il n’en sera plus ainsi pour Kant, qui considérera au contraire la conscience morale comme l’expression de la raison pratique − et encore moins pour Bergson, qui verra en elle le produit d’un conditionnement social, ou pour Freud, qui la situera comme l’héritière directe du surmoi (Le Malaise dans la culture, VIII), instance pourtant en majeure partie inconsciente.

En d’autres termes, nous pouvons dire que la conscience morale désigne le jugement moral de nos actions (définition donnée par les professeurs de lycée généraux en classe de terminale)

Mon niveau philosophique personnel essaiera de retenir pour le mot « conscience » cette dernière définition…

Il se trouve que ma conscience morale a été particulièrement réveillée par mon activité de conseiller municipal (dont je parle finalement assez peu sur ce blog). Je participe au développement d’une commune de 5000 habitants, avec des décisions à prendre dans tous les domaines: construction d’une aire d’accueil des gens du voyage, aménagement des lotissements, construction de logements avec mixité sociale, PLU, site web de la commune, animations culturelles, etc. Cela m’a sorti de chez moi et obligé à l’action.

Cette activité dans la science des affaires de la Cité m’a transformé, m’a fait murir et nécessairement cherche à interférer avec mon activité d’expert judiciaire.

Un exemple? Je suis un opposant fondamental aux lois Hadopi et Loppsi dans toutes leurs versions. Je l’indique de manière ironique sur ce blog ici, ici et . Comment vais-je gérer les futures missions qui me seront fatalement confiées si l’usine à gaz la machine Hapodi est lancée?

Un autre exemple? Un immonde patron veut licencier un gentil salarié et demande une expertise judiciaire. Comment mettre à part mes opinions et mon ressenti personnels des personnes que j’interroge? Mes questions sont-elles biaisées? Est-ce que j’explore tous les chemins possibles en toute objectivité?

Ma conscience morale doit-elle intervenir? Suis-je un « expert rouge » comme on parle parfois des « juges rouges »?

Ma réponse est non. Il me faut développer une conscience morale qui transcende ma morale politique et qui lui soit supérieure. Nous sommes en temps de paix et je ne dois pas désobéir à la loi. Je dois apporter mon concours à la Justice et cela, sans état d’âme, en mon honneur et ma conscience. Plus j’avance en âge et plus j’apprends à me connaître. Et j’ai l’impression que cela renforce mon indépendance.

J’aime bien cette phrase de Bruno Frappat, certes parlant du journal Le Monde sous les feux de l’actualité, mais qui pourrait tout aussi bien s’appliquer aux experts judiciaires: « L’indépendance n’est pas un statut, c’est un état d’esprit. Celui qui consiste à repérer ses… dépendances. Chacun de nous est dépendant de sa formation, de l’époque dans laquelle il vit, de ses préjugés, de ses passions, de ses humeurs, du climat qui l’environne, du maelström médiatique, des modes, des réseaux, des connivences de toutes tailles. »

Elle aurait pu me servir de conclusion, mais je lui préfère ce dernier vers du poème de Victor Hugo « La conscience« :

L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

Personne ne peut fuir sa conscience.

J’espère simplement éviter de finir comme mon confrère le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, qui fit pourtant une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup –qu’il croyait– sûr.

L’expert judiciaire ou le collaborateur biodégradable

Comme indiqué dans ce billet, je souhaite aborder quelques aspects de l’activité d’expert judiciaire qui me semblent discutables, et cela avant d’être aigri par une radiation éventuelle.

La procédure d’inscription sur les listes d’experts judiciaires est longue et répond à un processus obscur. Vous ne savez pas bien qui analyse votre demande, qui juge de vos compétences et finalement vous ne savez même pas pourquoi votre candidature est acceptée ou refusée. A mon avis, beaucoup de personnes qui ont des compétences techniques qui pourraient aider la justice ne se font pas connaitre, et d’autre part, la considération du système envers « ses » experts est bien médiocre en ce qu’elle ne leur assure pas beaucoup de protections.

Il se trouve que je viens de recevoir le numéro 90 de la revue à laquelle tout expert devrait être abonné: « Revue Experts – Revue de l’expertise » et je me régale de l’article rédigé par mon confrère Gérard Rousseau. Je vous en livre ici quelques extraits savoureux.

Titre: l’expert judiciaire ou le collaborateur biodégradable.

[…] L’expert n’appartient à aucun corps judiciaire. Chargé de donner un avis (et seulement un) sur une question technique, il est, parce que sa technique est étrangère au droit, un étranger. Il appartient à une autre race: nous sommes à la limite de l’apartheid. On n’hésitera donc pas à lui retirer ses papiers voire à l’expulser – le radier avec sanctions à l’appui.

[…] L’expert est en première ligne lorsque l’issue du procès est fondée sur des constatations techniques. Certes, il ne donne qu’un avis, que le juge n’est pas tenu de suivre, mais on peut raisonnablement penser que cet avis aura une importance certaine. Il fera donc l’objet de toutes les attentions de la part des conseils. Si ceux-ci perçoivent une orientation dans une direction qui ne leur convient pas, il fera l’objet de menaces plus ou moins larvées, voire de moyens procéduraux: demande de remplacement, de récusation, de soupçons quant à son impartialité.

[…] La liste [des experts] n’est autre qu’un annuaire… Mais cet instrument d’information est un pur produit du « régime de l’absurdie »: tout y est conçu avec grand soin à l’envers de la logique la plus élémentaire, dans l’inscription autant que dans l’appréciation de la compétence. […] La procédure d’inscription sur une liste, « bureaucratique et routinière » (Laurence Dumoulin, sociologue), imaginée par le législateur est imbécile ou diabolique:

– imbécile car la politique d’inscription est telle que le nombre de techniciens inscrits diminue dans des proportions insoupçonnées, ce qui amènera, devant l’évolution de la complexité technique, les juridictions à faire appel à des non inscrits;

– diabolique car ceux qui ont obtenu leur inscription à l’issue d’un parcours du combattant sont enfermés dans une nasse dont ils n’ont pas conscience.

[…] Il faudra comprendre comment les compétences [de l’expert] sont définies et appréciées par des incompétents.

[…]La procédure [d’inscription] instituée, comme toute bonne réforme à la française, n’apporte rien de plus au niveau de la compétence. Qui peut croire que deux ans d’inscription [probatoire] permettront à celui qui postule pour les cinq ans de prouver son expérience dans sa spécialité? Il est parfaitement possible qu’il n’ait pas été désigné comme expert. L’aurait-il été, quand bien même? Pour déposer un rapport le délai de deux ans dans lequel s’inclut le temps de l’appréciation (par qui et qui en rend compte à qui?) est totalement inepte.

Les incompétents notoires pour apprécier la compétence des techniciens se sont maintenus et ont même renforcé leur présence par un rideau de fumée procédurale qui ne fait aucune illusion.

[…] On ne s’étonnera pas que l’expert – donc la qualité de la justice et le respect du justiciable – en soient lourdement affectés. L’expert abusé, comment le justiciable ne le serait-il pas?

Merci M. Rousseau, je n’aurais pas mieux écrit.

Rubrique « Critiques » donc.

66 ans

C’est vrai que c’est difficile. Beaucoup plus difficile que je n’aurais pu l’imaginer. Mais j’ai encore quelques forces, et il faut que je profite des quelques moments de lucidité dont je dispose pour témoigner.

Tout a commencé pour moi quand j’ai été retenu comme finaliste lors des sélections pour l’expédition Mars 2020. La compétition était rude et personne n’aurait misé sur moi à cause de mes 56 ans. Pourtant j’ai été retenu dans le groupe des 10 finalistes de ce grand projet européen.

Lorsque nous avons été réunis pour le choix final, personne ne s’attendait à l’annonce qui allait nous être faite ce jour là: pour rattraper son retard immense sur les américains, et compte tenu de la compétition acharnée entre les deux blocs, l’Europe avait décidé que l’expédition vers Mars serait un vol sans retour pour une seule personne.

200 jours de vol spatial, un « atterrissage » sur Mars et une vie à terminer seul sur place.

Nous étions dix sélectionnés, il ne pouvait y avoir qu’un seul volontaire pour cette émigration… Nous avions un mois pour nous décider et donner notre réponse, mais dans ma tête, c’était déjà oui.

Les médias ont relaté dans les moindres détails tous les aspects de la mission: le vol et mes déboires avec les éruptions solaires imprévues, le choc de la redécouverte de la pesanteur. J’en ai aussi déjà raconté une partie ici même.

Le choix de mon mode de vie avait choqué beaucoup de terriens. Comment peut-on abandonner le ciel bleu de la Terre pour venir s’installer seul sur Mars au fond d’un gouffre de 1000 mètres de profondeur?

Mais surtout, comment expliquer l’abandon de sa famille sur Terre?

Maintenant que dix années ont passée, et que mes forces diminuent ainsi que ma raison, je prends le temps de regarder en arrière et de chercher des réponses.

Ma famille d’abord. Seules les personnes qui aiment vraiment peuvent comprendre que j’aime toujours ma famille et qu’elle m’aime aussi. La distance n’a pas tué notre amour et la séparation des corps n’a pas empêché les liens de perdurer. Point final. C’est déjà assez difficile de se parler devant plusieurs milliards de personnes. Heureusement, nous avons nos réunions hebdomadaires via notre réseau privé personnel.

La mission s’est révélée passionnante. Explorations, consolidations du camp de base, choix du camp de profondeur, aménagements, montage de la station. Tout le monde a pu suivre en direct (ou presque) avec effroi mon auto-opération des dents (j’avais pourtant été opéré de presque tout pour éviter ce genre de situation). Mais j’ai fait bien rire la Terre avec ma phrase lors de la dégustation de mon premier plat issu de mes plantations martiennes « un petit plat pour un homme, un plat de géant pour l’humanité ». Pour quelqu’un qui n’avait pas la main verte, mes travaux nourrissent maintenant un milliard de personnes.

Ce qui est plus difficile à vivre, c’est la maladie. Une détresse psychologique réactionnelle. Après toutes ces années passées sous terre, après tout ce temps à craindre la panne majeure définitive, à boire la glace accumulée en quantité quasi inépuisable au fond de ce gouffre. Mais au moins, cela me changeait des longues nuits à regarder aux tréfonds de l’âme humaine lors de mes expertises judiciaires informatiques, dans une vie antérieure. Pourtant, l’esprit a fini par craquer, et je n’ai maintenant que quelques heures de lucidité par jour avant de sombrer dans une léthargie contemplative. Dix ans, c’est très long.

Il s’en est passé des choses sur la Terre pendant dix ans. Il y en a eu des crises économiques, financières, politiques, écologiques et guerrières. Il a même été question plusieurs fois d’interrompre l’envoi des cargos automatiques qui alimentent en matériaux la station que je prépare pour les suivants.

Je sais depuis quelques jours, comme vous, qu’ils ne viendrons pas avant vingt ans pour des raisons budgétaires et politiques.

Je leur laisserai un petit mot.

Digne et loyal magistrat

Lors d’un repas entre juristes où je tenais le rôle d’accompagnant, la conversation volait d’un sujet brulant à un autre, toujours sur l’actualité juridique, qu’elle soit internationale, nationale, locale ou même personnelle.

Et moi, j’écoutais attentivement ces dames (l’autre homme de la soirée était le maitre de maison et préparait le repas en cuisine). Ces sujets me fascinent toujours et je posais de temps en temps une question de néophyte pour rester dans la conversation qui me passionnait.

Je connaissais de vue toutes les femmes présentes, avocates et collègues de mon épouse, sauf une. Cette dernière était plutôt silencieuse et intervenait avec parcimonie dans la conversation.

Lorsque le thème des rapports avocats-magistrats est (naturellement) abordé, je me rends compte avec stupeur que la jeune femme inconnue de moi est une magistrate. A partir de ce moment là, je n’ai pas pu m’empêcher de la bombarder de questions tant ma curiosité est grande sur le sujet (c’était avant de lire avec assiduité le blog de Maitre Eolas).

A sa grande surprise d’ailleurs, puisqu’elle a reconnu qu’en général, lorsqu’elle annonçait sa profession dans un diner, cela avait plutôt tendance à refroidir les convives et à faire glisser la discussion vers des horizons moins dangereux.

Dangereux de discuter avec un magistrat?

J’ai au contraire gardé de cette conversation le souvenir d’un métier passionnant exercé par des personnes brillantes. Bien sur, j’étais fasciné par le pouvoir de cette personne, mais aussi par son humanité et sa solitude.

J’en profite pour rappeler ici le serment des magistrats: « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».

Alors, en rappelant que c’est l’objectif principal de mon anonymat que de pouvoir le faire sans arrière pensée, je voudrais rendre un hommage simple à toute la profession des magistrats.

Pour tout le travail effectué sans compter les heures.

Pour la complexité des lois créées par les gouvernements et députés successifs. Pour leurs fréquentes modifications aussi (quand je pense que je me plains parfois de la rapidité d’évolution de l’informatique).

Pour la difficulté croissante de l’exercice de leur profession.

Parce qu’il est très difficile d’exercer un métier qu’il est de bon ton aujourd’hui de critiquer vertement.

Alors que notre démocratie a besoin de ces magistrats.