Interviews

Coup sur coup, trois personnes m’ont demandé si j’acceptais de répondre à leurs questions. Je me suis prêté au jeu et je me suis dit que cela pourrait avoir sa place ici, comme un retour d’expérience.

Jérôme tient le blog Genma et a mis en ligne ici un échange que nous avons eu par email. Je vous invite à aller le lire et a découvrir son blog par la même occasion.

La revue MISC m’a fait l’honneur de s’intéresser à mon activité d’expert judiciaire et devrait publier le résultat de nos discussions dans son prochain numéro. Je suis encore abonné à un très petit nombre de revues, celles que je considère comme indispensables: MISC, GNU/Linux magazine France et « Revue Experts« . Je suis d’autant plus fier d’avoir été contacté par MISC. A quand une interview dans Linux Mag et dans Revue Experts?

Enfin, voici l’interview d’Alban réalisée dans le cadre de son projet tutoré sur les infractions informatiques et les attaques informatiques possible sur un réseaux wifi, effectué à l’IUT d’Orsay.

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Question: Expliquez votre rôle lors du déroulement d’une affaire judiciaire, le juge d’instruction vous confie divers matériels informatiques à expertiser avec une mission précise?

L’expert judiciaire peut intervenir dans de nombreuses procédures judiciaires, par exemple en matière commerciale ou dans une instruction. A chaque fois le rôle de l’expert est identique: il donne un avis indépendant au magistrat (qui est libre de le suivre ou de ne pas le suivre) en charge du dossier. Dans le cadre d’une instruction dans laquelle du matériel informatique a été saisi et mis sous scellé, le magistrat instructeur peut demander l’avis d’un expert judiciaire en informatique et lui confier les scellés. L’expert judiciaire doit alors répondre à des questions précises posées par le magistrat et mentionnées dans son ordre de mission. Dans mon cas, les questions sont souvent axées autour de la présence de fichiers d’un certain type. Dans ce billet, je donne un exemple de mission:

– Assister les services d’enquête du Commissariat de AAA au cours de la perquisition qui s’effectuera au NN rue YY à AAA et à la saisie du matériel informatique utile à la manifestation de la vérité;

– Prendre possession, dans ce même commissariat du scellé n°NN (PV n°NNNN/NNN) comportant les faux billets de 50 euros, portant le même numéro NNNNNNNNN, saisis par les services d’enquête au NN rue YY à AAA le NN mois NNNN;

– Analyser les faux billets ainsi que les contenus des disques durs, imprimantes et autres matériels informatiques utiles à la manifestation de la vérité, saisis;

– Dire si le matériel informatique saisi a été utilisé pour la contrefaçon, la falsification ou l’impression des faux billets saisis;

– Faire tous actes utiles à la manifestation de la vérité.

Question: Dans votre blog vous relatez une majorité d’affaires de pédo-pornographie, pensez-vous pour autant qu’internet est un repère de pédophiles?

Internet est un ensemble de réseaux informatiques reliés les uns aux autres. Ce n’est pas le seul, mais c’est le plus connu. De plus en plus de personnes dans le monde accèdent à internet, plus de 2 milliards d’après le site internetworldstats.com. Parmi ces personnes, il y a beaucoup de gens normaux, mais aussi des voleurs, des gangsters, des adorateurs du nazisme, des pédophiles, des zoophiles, etc. et cela dans des proportions qui doivent a priori être les mêmes que dans tout groupe d’êtres humains de très grande taille. Internet n’est pas un repère de pédophile, pas plus que ne l’est le réseau téléphonique ou le réseau autoroutier.

Il est par contre exact que j’ai écris beaucoup de billets sur des expertises judiciaires dans lesquelles j’étais missionné pour chercher sur des scellés des images de nature pédopornographique. Je vois à cela au moins deux explications:

– j’ai ouvert ce blog à fond noir pour évacuer par l’écriture le mal être que me cause ce type de dossier. En parler me fait du bien car je reçois le soutien de nombreux lecteurs. Je parle plus volontiers des dossiers qui me remuent que des dossiers qui concernent des litiges entre une SSII qui a mal gérée l’informatisation de sa cliente.

– sur l’ensemble des affaires que j’ai eues à gérer, les dossiers de recherche d’images pédopornographiques sont les plus nombreux. Il faut peut-être en chercher la cause auprès du garde des sceaux et des instructions qu’il donne dans les priorités des poursuites qui doivent être engagées.

Je pense que si j’avais été médecin, j’aurais sans doute écris beaucoup de billets sur des humains malades, sans pour cela qu’il faille en déduire que tous les humains sont tout le temps malades. Le fait que l’État poursuive en priorité les détenteurs d’images pédophiles échangées par internet ne signifie pas que tous les internautes sont des pédophiles. Même si certains politiques essayent de faire croire le contraire.

Question: Avez vous déjà réalisé des expertises pour des affaires d’infractions informatiques. Sont elles différentes des autres affaires?

Tous mes dossiers au pénal concernent des infractions informatiques supposées. Mais je soupçonne que derrière ce terme, vous voulez parler des cybercrimes, c’est-à-dire des infractions pénales commises au moyen d’un système informatique connecté à un réseau. Je suppose également que par « autres affaires » vous voulez parler de mes autres dossiers, comme par exemple des litiges entre un particulier et son vendeur informatique. La spécificité des cybercrimes est directement liée à sa définition: la présence d’un réseau (en général internet) présente rapidement un aspect international et donc l’intervention auprès de structures administratives, judiciaires ou commerciales étrangères. Les crimes concernés peuvent ne laisser que peu de traces à remonter (ou trop comme dans le cas des attaques DDOS). Un individu peut pénétrer un système à l’autre bout de la planète. Mais fondamentalement, chaque affaire est unique. Elles sont donc toutes différentes les unes des autres.

Question: Vous inspectez des disques durs, des GPS, avez vous été amené à étudier des équipements réseaux ou un système d’information dans son ensemble?

Oui, plusieurs fois. Je raconte dans ce billet une expertise dans une entreprise qui avait fermée. Je donne aussi un exemple d’analyse de messagerie faite in situ.

Question: Dans l’établissement ou vous travaillez, un accès internet est mis à la disposition des élèves, quels moyens avez vous mis en place pour respecter la LCEN et la conservation des logs de connexion?

Comme la plupart de mes collègues responsables informatiques, j’ai mis en place une charte informatique expliquant les règles d’usage de l’informatique de l’établissement et en particulier de l’accès internet. J’ai mis en place un serveur proxy SQUID transparent sur la passerelle de l’établissement pour relever les logs des accès internet. Ceux-ci sont croisés avec les adresses IP fournies par le serveur DHCP et les logs de connexion aux comptes informatiques. Ils sont ensuite stockés sur un serveur dédié pour être détruits automatiquement au bout de 12 mois. Par contre, j’ai toujours refusé de mettre en place un système de filtrage listes blanches / listes noires. Je compte plus sur la pédagogie et les explications que sur un système de blocage plus ou moins arbitraire et de toute façon très inefficace.

Question: Utilisez vous la technologie wifi dans établissement, si oui comment l’avez vous sécurisée?

Oui, comme dans toutes les grandes écoles d’ingénieurs, le wifi est maintenant un réseau indispensable. J’utilise un produit opensource qui s’appelle pfsense très facile à installer et qui de plus gère parfaitement le load balancing entre notre accès RENATER et une box ADSL. Toutes les bornes de l’établissement sont des bornes premiers prix non protégées. La connexion est donc très simple pour tous les équipements wifi. Une fois connecté sur le réseau wifi situé sur un LAN dédié, le lancement du navigateur déclenche une page web https spéciale gérée par pfsense et que l’on appelle « portail captif ». Il faut alors entrer ses login et mot de passe gérés par le LDAP de l’établissement (un AD Windows 2008 R2). Chaque étudiant (ou chaque chercheur) est responsable de son chiffrage (connexions https ou VPN privé) s’il souhaite protéger ses données qui passent « en clair » via les ondes radios wifi. Je dois reconnaître que la sécurité est loin d’être parfaite, mais elle me semble suffisante pour l’établissement.

Question: Votre fonction d’expert vous rend elle plus sensible dans votre rôle de responsable informatique?

La pratique des expertises judiciaires me plonge dans des affaires où des erreurs ont été commises. Il est évident que je tire les leçons à titre professionnel (et privé) de ces erreurs pour améliorer mon système informatique. L’exemple le plus parlant est celui des sauvegardes et des plans de reprise après incident. J’ai rencontré une entreprise qui a eu un sinistre dans sa salle serveur et qui était toute fière de disposer de toutes ses données sauvegardées, mais qui n’avait aucune solution pour les réinstaller (serveurs introuvables sur le marché, pas de machines de secours). J’ai également eu à gérer beaucoup de réunions d’expertise où la tension était palpable. Cette expérience me sert dans les situations de crise que je peux rencontrer dans mon univers professionnel. Être expert judiciaire, c’est aussi aller voir chez les autres comment cela se passe, quelles solutions ont été choisies, quelles méthodes sont utilisées. Et cela, c’est toujours enrichissant.

Bonne chance pour votre projet tutoré.

Cordialement,

Zythom

Le vélo

Pour changer un peu du billet précédent et aborder un sujet plus léger, si je puis dire, j’ai une révélation à vous faire: j’ai (sans doute provisoirement) abandonné ma voiture pour aller travailler… en vélo.

J’ai pratiqué beaucoup de sports dans ma jeunesse (foot, natation, tennis, ski, voile, handball, aviron, badminton, squash, pour finir par spéléologie jusqu’à l’âge adulte), mais depuis quelques années (disons une dix-huitaine d’années) je suis surtout concentré sur les sports virtuels…

Alors, quand Mme Zythom s’est plainte du coussin qui poussait autour de ma taille, j’ai décidé de prendre une décision un jour d’envisager de peut-être m’intéresser à l’éventualité de reprendre une activité sportive. Les années ont passé, j’ai tâté un peu du jogging, sport peu sur s’il en est (enfin surtout si l’on est une femme), mais avec de piètres résultats. Je n’ai pas la volonté de veuve Tarquine, ni de mon beau frère marathonien…

Alors, parmi plusieurs autres résolutions de janvier, j’ai inscrit dans ma « wish list« :

– encourager le personnel de l’établissement à venir en vélo plutôt qu’en voiture

– venir moi-même en vélo

– acheter un vélo

J’ai donc construit au printemps, à la demande de mes collègues, un garage à vélos dans l’enceinte de mon lieu de travail, pour permettre le rangement de 16 vélos en toute sécurité, à l’abri des intempéries et des dégradations. J’ai également fait rénover la douche et les vestiaires attenants. La dizaine de collègues cyclistes m’ont chaudement remercié et nous avons pu également y garer trois vélos que l’on met en prêt pour les petits déplacements urbains de la journée.

Restait à faire le saut moi-même… C’est ainsi que j’ai pu vérifier qu’il est difficile de modifier ses habitudes de confort bien assimilées.

Première étape: prévenir mes enfants que je ne pourrais plus les accompagner le matin à leur collège/lycée et qu’ils vont devoir prendre le bus à la place chaque matin. « pas grave m’a dit l’ainée », « mais tu vas jamais y arriver! » m’a dit la cadette.

Deuxième étape: acheter un vélo. Mon vieux biclou ayant fait son temps et la rouille son œuvre, il me fallait choisir un nouvel instrument de torture qui puisse aussi être un fidèle compagnon. J’ai fait ce que je sais faire de mieux: je suis aller voir sur internet. Et j’ai étudié les vélos à assistance électrique, les vélos de course, les vélos de ville, les vélos tout terrain, les vélos à 1000 vitesses, les vélos à cardan, les freins à disque, à tambour, à étrier à tirage latéral, à tirage central, à double pivot… J’ai fini par aller voir un marchand à qui j’ai expliqué le cahier des charges suivant:

Je voudrais un vélo:

– pour aller au travail tous les jours et en revenir

– qui ne fait pas de bruit quand je freine (freins à disque ou à tambour)

– avec une chaine qui ne salisse pas (cardan ou chaine carénée)

– avec un porte bagage et des sacoches pour transporter mes affaires

– avec moins de cinq vitesses, si possible sans plateau ni dérailleur

– avec des lumières avant et arrière sur dynamo

– avec un casque et un gilet de sécurité

– avec une « sucette rouge » pour faire passer les voitures au large

– pas cher, solide et demandant le moins d’entretien possible.

« Pas de problème » m’a répondu le vendeur en allant chercher le vélo de mes rêves dans son arrière boutique. Tout y est, sauf le frein avant qui est à patins, mais bien réglé pour ne pas faire de bruit. La dynamo est un système d’aimants placés sur les rayons des roues et alimente des leds clignotantes à l’avant et à l’arrière.

Troisième étape: repérer le trajet sur Google maps. Établir minutieusement le chemin à parcourir entre la maison et le boulot en découvrant des pistes cyclables inconnues, en estimant la distance probable et en évitant les endroits les plus dangereux, les ronds points de folie, etc. Bilan, après une étude approfondie, mathématique, rigoureuse, je tiens un parcours qui n’a rien à voir avec le chemin que j’emprunte habituellement, chemin optimisé par 18 années d’expérimentations scientifiques voiturières.

Quatrième étape: le choix des vêtements. Comment s’habiller pour aller en vélo au travail? J’opte pour la solution tennis+jean+Tshirt avec dans mes sacoches une chemise pliée proprement, une serviette de bain avec savon-douche, un coupe-vent et un poncho pour la pluie. Je laisse dans mon bureau des chaussettes de rechange (en cas de fortes pluies) et mes chaussures de sécurité de travail.

Cinquième étape: ben faut y aller maintenant… 10 km aller, 10 km retour: 25 minutes dans chaque cas (au lieu de 15 mn en voiture), 35 mn en cas de pluie (le poncho se gonfle comme une voile…).

Cela fait maintenant six semaines que j’ai abandonné ma voiture pour me rendre cinq jours par semaine au travail. Au début, j’avais un peu mal aux jambes et aux fesses (rapport à la selle). Maintenant, j’ai toujours mal aux jambes et aux fesses. Je crois qu’il faut que j’insiste 🙂 J’ai découvert que je pouvais écouter la radio avec mon baladeur MP3. J’ai découvert un univers où l’on peut remercier les gens qui vous laissent passer (piétons, automobilistes, autres cyclistes). J’ai aussi découvert les nuages de moucherons (et leur goût!), les promeneurs de chiens avec laisse de 20m, les branches basses, les pas-priorités-aux-vélos dans les ronds-points…

Et pour l’instant, même les matins pluvieux ne m’ont pas encore découragé. On verra avec la neige de cet hiver. Il reste à survivre aux automobilistes et aux autres cyclistes.

Jusqu’ici tout va bien.

Jusqu’ici tout va bien.

Jusqu’ici tout va bien.

J’ai même perdu 2 kg.

Une vie privée

Daniel a 40 ans. Il travaille dans une grande société. Il est plutôt bien avec sa hiérarchie, il reste dans le coup au niveau technique même si les nouveaux embauchés dans son service « poussent » un peu et marchent sur ses plates-bandes. Il en a vu d’autres…

Le soir, après le travail, il rentre comme beaucoup de monde avec les transports en commun. Il lit les journaux gratuits, ou un magasine, ou un livre qu’il a toujours sur lui. Il se tient au courant des affaires du monde, il s’intéresse aux potins des peoples ou s’évade dans l’univers créé par un auteur de roman à succès.

Arrivé chez lui, il se détend avec ses enfants, prépare le repas car sa femme travaille aussi, mais rentre plus tard. La famille est réunie autour de la table, chacun raconte sa journée et ses activités. Daniel et sa femme couchent les enfants, s’assurent que les dents sont brossées et que tous les écrans sont bien éteints (la DS et les téléphones portables sont rangés dans le couloir sur leurs chargeurs respectifs).

Daniel regarde un peu la télévision avec sa femme, mais préfère, au bout d’un petit quart d’heure, se retrouver seul dans son bureau devant son ordinateur. Il aime bien discuter avec quelques amis sur internet, tout en surfant sur des sites en lien avec ses centres d’intérêt. Plutôt qu’un blog qu’il trouve trop indiscret, Daniel tient un journal intime sur son ordinateur. C’est pratique d’ailleurs, parce qu’avec l’ordinateur, il peut noter plus facilement les liens des sites qu’il commente pour lui-même dans son journal intime informatisé.

Daniel est dans l’air du temps.

Daniel aime bien, un peu plus tard dans la soirée, aller surfer sur quelques sites pornographiques. Il commence par des sites de charme, où les femmes sont légèrement vêtues, et dans des poses qu’il trouve excitantes. Puis, il passe à des sites plus hards, avec des vrais bout de films pornographiques. Dans son journal intime, il note chaque masturbation avec un commentaire sur le film qui a soutenu sa libido. S’il a un peu honte, il sait que c’est lié à son éducation, et n’en tient pas compte. La puissance du désir, et la satisfaction du plaisir sont des tempêtes qui balayent tout sur leur passage.

Avec le temps, Daniel a repéré quelques thèmes qui l’émoustillent un peu plus que les autres sur les sites pornographiques. Daniel aime bien les filles qui s’habillent en collégiennes, qui ont des couettes, et des petits seins. Daniel repère les mots clefs qui donnent accès à ce type de contenu: teen, preteen, etc. La plupart des mots clefs sont donnés sur des forums de lutte contre la pornographie enfantine. Daniel est un habitué de la lecture des forums en général, mais il va surtout sur les forums d’échange de photos artistiques de nus de tous âges.

Sur son ordinateur, Daniel stocke des photos et des films pornographiques. Il ne les regarde pas souvent, mais il aime bien les accumuler. Il aime bien l’idée d’avoir sa propre collection et l’idée de pouvoir la regarder quand ça le chante. Mais internet est si vaste, qu’il préfère finalement continuer l’exploration de nouveautés et sa collection s’agrandit. A quoi bon effacer ou faire le tri, son espace disque est si grand. Et Daniel veille bien à ce que son compte informatique soit protégé par un mot de passe qu’il est le seul à connaître. Sa vie privée ne regarde que lui. Il veut conserver un espace intime pour lui seul. Ses fantasmes ne regardent personne d’autre.

Daniel aimait bien les catalogues de vêtements féminins de vente par correspondance. Il se rappelle très bien ses émois d’adolescent sur les pages présentant les sous-vêtements. Il a trouvé plusieurs sites où l’on voit des jeunes filles d’une dizaine d’années en petit maillots de bain dans des poses très suggestives. Certaines parfois sortent de l’eau avec des vêtements qui leur collent à la peau. Daniel sent qu’il franchit une limite, mais seul derrière son ordinateur, il lance quelques recherches et commence à télécharger des ZIP d’images pornographiques mettant en scène des enfants.

Daniel note avec précision dans son journal le jour où il a commencé sa collection d’images pédopornographiques. Pendant plusieurs années, Daniel amassera des dizaines de milliers d’images et de films d’enfants torturés par des adultes.

Ces images, ces films et ce journal intime, j’ai du en feuilleter tous les éléments, Daniel ayant fini par être repéré par les services de police. Son ordinateur m’a été remis sous scellé pour être expertisé avec comme mission d’en « extraire tout fichier de nature pédopornographique ». Pendant plusieurs semaines, tous les soirs et les week-ends, je me suis enfermé dans mon bureau pour analyser chaque image, chaque film et chaque passage du journal intime de Daniel.

Je ne sais pas comment réagissent les autres experts judiciaires, ou les OPJ, greffiers, magistrats et avocats traitant de ce sujet. Je suppose qu’ils sont plus forts que moi. Parce que, quand j’ai analysé le fichier zip mentionné dans le journal intime de Daniel par le commentaire « images particulièrement excitantes », moi, je pleurais en silence devant mon ordinateur.

Épilogue:

Je ne sais pas ce que Daniel est devenu, s’il a été jugé ou condamné. Je ne suis pas juge de son comportement, je ne sais pas s’il est malade, s’il a fait un pas de trop, si la société doit se féliciter d’un passage à l’acte virtuel qui empêchera le vrai passage à l’acte. Je ne sais pas si les Daniel doivent être pourchassés, ou ceux qui les alimentent en photos et films sordides. Ce que je pense, c’est que les hommes qui font réellement subir ces tortures aux enfants, les filment et en font commerce doivent être recherchés et punis. Ce que je pense aussi, c’est qu’il est parfaitement inutile de faire croire qu’en cherchant à « civiliser internet », on empêchera ces personnes de nuire IRL. Les moyens techniques et les procédures d’investigation existent, mais les moyens humains et les financements manquent. Les politiques doivent trouver ce travail trop dans l’ombre.

Il y a beaucoup d’endroits dans le monde où une vie ne vaut pas chère. C’est un concept simple que tout le monde comprend, moi le premier. Et pourtant, c’est vraiment dur de se le prendre de plein fouet en mettant des images et des films dessus. C’est certainement ce que l’on doit apprendre en premier dans les écoles de journalisme. Pas dans les écoles d’informatique.

Daniel est-il un pédophile IRL? Un futur pédophile? Je ne sais pas.

Les fantasmes de Daniel financent-ils des réseaux pédophiles? Je ne sais pas, mais les services de police le savent, eux. Et les politiques en charge des décisions. Mais à force d’utiliser ce prétexte pour lutter contre le « piratage » de chansons, comment savoir? Avais-je à entrer dans la vie privée de Daniel, dans ses fantasmes? La société devait-elle détruire la vie de Daniel en saisissant son ordinateur?

Finalement, je ne sais pas grand chose.

Mais je m’interroge.

Analyse du rapport Bussière/Autin 3e partie

Ce billet est à lire après

les prolégomènes,

Analyse du rapport Bussière/Autin 1ère partie, et

Analyse du rapport Bussière/Autin 2e partie.

Résumé des épisodes précédents: le rapport Bussière/Autin (téléchargeable ici) a été rédigé par un groupe de travail constitué de magistrats, d’avocats, d’experts et de représentants d’associations de consommateurs. Ce groupe a été chargé de réfléchir à l’amélioration, au travers la mesure d’expertise, de l’accès à la Justice et de la qualité des décisions rendues dans des délais acceptables. Le rapport qu’ils ont remis est très intéressant, clair et propose 38 préconisations que je m’amuse à commenter à mon petit niveau. Les billets précédents commentaient les 20 premières.

A.3 La déontologie des experts.

Shorter: Les obligations déontologiques des experts judiciaires sont éparpillées dans plusieurs textes de loi et manquent de précision. De plus les textes se limitent aux experts inscrits sur les listes de cours d’appel et sur la liste nationale de la Cour de cassation. Quid des experts non inscrits et de ceux intervenant devant les juridictions administratives ou dans des procédures amiables?

Préconisation n°21: « Insérer l’ensemble des principes déontologiques des experts sous l’article 22 du décret du 23 décembre 2004. Proposition de rédaction: après l’article 22, insérer les dispositions suivantes:

Art.22-1 – L’expert doit remplir sa mission en toute indépendance. Il en fait la déclaration au juge qui le commet ou au juge chargé du contrôle lors de l’acceptation de sa mission.

Art.22-2 – L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge. S’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle.

Art.22-3 – L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité.

Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies.

Art.22-4 – L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis.

Art.22-5 – Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise ainsi que de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur. »

Ma remarque: « Shorter: clap clap, clap, mais ».

Reprenons au ralenti ces différentes propositions.

Art.22-1: shorter: l’expert doit déclarer être indépendant.

Cela me paraît une chose importante. Mais la définition d’indépendance peut être trompeuse. Si je me réfère à wikipédia, l' »indépendance est l’absence de relation (de sujétion, de cause à effet, de coordination) entre différentes entités. » Cela soulève beaucoup de questions dès lors que l’on mesure une certaine gradation dans les relations possibles entre un expert et une partie. Un exemple simple pour ne pas alourdir le billet: si j’utilise le logiciel TRUC dans mon entreprise, et que je suis lié par un contrat de support avec l’éditeur de TRUC, dois-je considérer que je suis dépendant de l’éditeur de TRUC? Alors même que le fait de bien connaître le logiciel TRUC et son éditeur peut être un avantage dans le cadre d’une expertise judiciaire technique? Remplacez « TRUC » par un logiciel très courant de traitement de texte…

Art.22-2: la récusation.

La récusation d’un magistrat fait l’objet de plusieurs articles de lois (Code de procédure civile, Code de l’organisation judiciaire, Code du travail, Code de procédure pénale, etc.). Je trouve un peu court la simple mention « L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge« . L’expert n’est pas un juge. L’expert a peut-être beaucoup d’autres raisons d’être récusé. Il ne le sait peut-être même pas lui-même. Et pourtant, il lui faut estimer cela par lui-même, alors même qu’il n’est pas juriste et ne connait sans doute pas toute la jurisprudence, ni même tous les liens qui pourraient être cachés, directs ou indirects avec les parties. Et pourtant « s’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle. » Et bien entendu, je suppose, faire une croix volontairement sur tous les frais engagés depuis le début de la procédure, à moins d’envisager de faire payer l’une des parties, alors même que l’expert disparaît du dossier… Je pense que cet article mériterait un sérieux développement, avec par exemple une procédure de récusation préalable à l’expertise et qui, une fois l’expert confirmé, lui permettrait ensuite de travailler jusqu’au bout.

Art.22-3 (1ère partie): « L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité. »

L’expert doit accomplir personnellement la mission. Le but est, je suppose,de ne pas voir de sous-traitance abusive se développer. Oui, mais tous les experts judiciaires connaissent le problème posé par le sapiteur. A ma connaissance (mais je peux me tromper) le mot même de « sapiteur » n’apparaît pas dans les textes de loi. Rien que ce sujet mériterait un billet complet.

Diligence, impartialité et objectivité. Je reconnais que ces concepts « sonnent » justes. Mais donnez moi une mesure objective de chacun d’entre eux permettant de l’évaluer avec précision…

Art.22-3 (2nde partie): « Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies. »

Le culte du secret… Je me souviens d’une affaire informatique en France dans laquelle un groupe d’experts avaient été désignés, parmi lesquels un américain. Une fois le rapport déposé, les magistrats (et les experts français) avaient découverts un peu surpris que l’expert américain, consultant et fort conscient de la bonne publicité qu’il pouvait se faire, avait publié son avis sur son site internet! Autre culture, autre vision.

Pour ma part, je trouve le concept peu clair et laissant le champ libre à trop d’interprétations.

Art.22-4: « L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis. »

Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, « et attend les informations que le juge lui adresse immédiatement« .

Art.22-5 (1ère partie): « Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise »

Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, « et attends pour démarrer ses opérations d’expertises, le feu vert du juge, celui-ci ayant demandé aux parties leurs avis (prévoir un délai imposé aux parties pour leur réponse)« .

Art.22-5 (2nde partie): « Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur. »

Je soupçonne la plupart des experts judiciaire n’appartenant pas à des compagnies de ne pas souscrire à une telle assurance (en général parce qu’ils n’ont pas conscience des risques qu’ils prennent). C’est probablement le cas des experts désignés hors liste.

Remarque générale sur toutes ces règles déontologiques:

Toutes ses règles inscrites dans la loi mériteraient leur pendant en terme de sanction: que se passe-t-il si un expert n’a pas respecté l’une de ces règles? Volontairement ou involontairement? Est-il « déporté » d’office? Son travail sera-t-il rémunéré? Est-il radié des listes?

Préconisation n°22: « Créer «une déclaration d’acceptation de mission, d’indépendance et d’information» par l’expert, y compris sur l’existence d’une assurance, avant le début de ses opérations. »

Ma remarque: Cette déclaration permettra à l’expert de faire le point sur les parties en présence et ses liens éventuels, parfois très indirects. Le problème de l’assurance est un point essentiel car trop d’experts font l’impasse sur le sujet et en particulier les experts choisis hors listes.

A.4 L’évaluation des experts.

Shorter: Il n’existe pas aujourd’hui de dispositif permettant d’évaluer le travail des experts (sic).

Préconisation n°23: « Rendre obligatoire l’établissement contradictoire de fiches d’évaluation des expertises par les juridictions du fond, limitées à la pertinence, la clarté, les respects des délais, la précision des réponses apportées et communiquées à la cour d’appel préalablement à la réunion de la commission de réinscription. »

Ma remarque: L’évaluation du travail de quelqu’un est une chose complexe. Arriver à évaluer correctement le travail de tous les experts qu’un magistrat peut désigner à travers les 4 critères retenus me semble une aberration et complètement illusoire:

– nombre de pages utiles

– clarté des explications

– précision et pertinence des réponses apportées

– respect des délais impartis.

Comment évaluer un rapport lorsque les missions ont été mal définies? Qu’appelle-t-on « pages utiles »? Faut-il éviter les annexes? A quel public le rapport s’adresse-t-il? Quel est le niveau technique des personnes qui vont le lire? La clarté des explications supporte-t-elle le flou ou le gris de certaines réponses (tout n’est pas noir ou blanc)? Qui juge de la pertinence des réponses apportées? La personne qui juge de la pertinence des réponses apportées est-elle capable d’en percevoir la pertinence? Le respect des délais inclut-il les manœuvres dilatoires des parties, l’irréalisme parfois de certains délais fixés arbitrairement et imposés à l’expert?

La suite concerne l’amélioration de la qualité de la justice. Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

Analyse du rapport Bussière/Autin 2e partie

Ce billet est à lire après:

les prolégomènes et

Analyse du rapport Bussière/Autin 1ère partie.

Résumé des deux épisodes précédents: le rapport Bussière/Autin (téléchargeable ici) a été rédigé par un groupe de travail constitué de magistrats, d’avocats, d’experts et de représentants d’associations de consommateurs. Ce groupe a été chargé de réfléchir à l’amélioration, au travers la mesure d’expertise, de l’accès à la Justice et de la qualité des décisions rendues dans des délais acceptables. Le rapport qu’ils ont remis est très intéressant, clair et propose 38 préconisations que je m’amuse à commenter à mon petit niveau. Le billet précédent commentait les 13 premières.

2e partie: Expertise et qualité de la justice.

A – Améliorer la qualité de la justice au regard de l’expert.

A.1 – La formation des experts.

Shorter: Un expert connait bien son domaine d’expertise, mais pas a priori celui de la justice. Comment s’assurer que chaque expert judiciaire connait les principes fondamentaux du procès et les règles découlant de sa mise en œuvre dans le cadre des missions qui pourront lui être confiées?

Préconisation n°14: « Recommander aux compagnies d’experts de proposer ou développer dans toutes les cours d’appel une offre de formation préalable à l’inscription suivie de la délivrance d’une attestation. »

Ma remarque: Recommander une telle chose ne coute pas grand chose. Beaucoup de compagnies font déjà des efforts en ce sens. Pour ma part, je pense que l’enseignement ne s’improvise pas et qu’il faudrait plutôt s’adresser aux universités et aux grandes écoles. Comment, cela existe déjà? Bien entendu, il serait intéressant que la loi fixe le programme de ce type de formation, en encadre les coûts et la durée. Par exemple, à Sciences Po Aix-en-Provence, le programme dure actuellement une journée par semaine pendant 10 semaines, pour un coût de 1500 euros à la charge du postulant expert. Sans garantie bien entendu de se voir un jour inscrit sur une liste d’experts judiciaires. On a vu mieux pour attirer les meilleurs spécialistes (et ce n’est pas une critique de Sciences Po Aix).

Préconisation n°15: « Imposer dans un délai de six mois suivant la prestation de serment, une formation initiale qui serait organisée sous l’égide de l’ENM en partenariat avec le CNCEJ, les compagnies et les unions régionales d’experts. »

Ma remarque: Donc, après une formation préalable, une formation initiale… Questions: quelle durée? Quel coût (en dehors des déplacements à Bordeaux)? Et nos amis d’Outre-Mer? Ils viennent aussi à Bordeaux?

Préconisation n°16: « Harmoniser les modalités de formations par:

– une association des cours d’appel aux plans de formation des experts,

– la création sous l’égide de l’ENM d’une formation des «formateurs» permettant la diffusion d’une culture sur la procédure, l’expertise, l’environnement judiciaire et la comparution de l’expert à l’audience. »

Ma remarque: Le rapport précise que les «formateurs» (je n’ai pas compris la présence de guillemets) seront des magistrats et des experts (page 19 dernier paragraphe). Ces «formateurs» seront formés par l’ENM pour assurer au plan national la diffusion d’une culture partagée sur le rôle de l’expert et la portée de l’expertise dans son environnement judiciaire. Je n’ai pas compris dans quel cadre vont intervenir ces «formateurs-magistrats» et «formateurs-experts». Désolé.

A.2 – La sélection des experts.

Shorter: Ce n’est pas clair.

Préconisation n°17: « Modifier l’article R.222-5 du code de justice administrative en réservant aux seules cours administratives d’appel la faculté d’établir un tableau annuel de leurs experts et en prévoyant que ceux-ci sont choisis parmi les experts inscrits sur les listes dressées par les cours d’appel situées dans le ressort de la cour administrative d’appel concernée. »

Ma remarque: Puisque vous n’avez pas forcément suivi de formation préalable ou initiale en organisation de la Justice française, je me permets de vous rappeler l’excellent billet de Maître Eolas sur le grand divorce de 1790: la séparation des autorités administratives et judiciaires. Après (re)lecture de ce chef d’œuvre de billet pédagogique, vous comprendrez que les deux systèmes fonctionnent différemment: par exemple, pour les juridictions de l’ordre administratif, la constitution de listes d’experts pour l’information des juges n’est que facultative et ne répond à aucune réglementation particulière. Le Conseil d’État n’a pas non plus dressé de tableau national des experts et seules 4 des 8 cours administratives d’appel établissent chaque année le tableau de leurs experts.

Préconisation n°18: « Envisager soit l’abrogation de l’article R.122-25-1 du code de justice administrative, soit l’établissement d’une liste nationale des experts commune au Conseil d’État et à la Cour de cassation. »

Ma remarque: Il faut encore lire Maître Eolas pour bien comprendre le fonctionnement de l’autre justice. Je ne suis pas assez célèbre pour être inscrit sur la liste des experts près la Cour de Cassation, puisque pour postuler, il faut avoir été désigné dans une grande affaire et avoir effectué un travail particulièrement remarquable, ce qui a priori ne saurait arriver dans ma lointaine province. Et concernant « l’autre justice », je n’ai jamais travaillé pour elle. Mais cette préconisation semble être réellement affaire de bon sens.

Préconisation n°19: « Motiver le refus d’inscription initiale sur les listes d’experts et prévoir cette obligation de motivation dans une disposition législative spécifique. »

Ma remarque: clap, clap, clap. Je reçois beaucoup de mails de postulants experts qui sont déçus de ne pas savoir pourquoi ils n’ont pas été retenus (trop jeunes? trop peu d’expériences? Pas d’accès à des équipements couteux?)

Préconisation n°20: « Préciser dans un article du décret 2004-1463 que le refus d’inscription initiale est motivé en référence notamment à une absence de compétence, d’insuffisance de moyens techniques ou d’intérêt pour la collaboration au service public de la justice et aux besoins. »

Ma remarque: Idem que ma remarque précédente.

La suite concerne la déontologie des experts judiciaires. Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

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PS: L’image fait référence à la tentation que l’on peut parfois avoir de déposer un dossier de demande d’inscription un peu, comment dire, trop publicitaire 😉

Analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

L’introduction de ce billet est à lire ici.

Le rapport Bussière/Autin fait 56 pages, dont une page de titre, deux pages de sommaire, six pages de tableau récapitulatif et 13 pages d’annexes, soit selon la méthode préconisée dans le rapport, 34 pages « utiles ».

Le rapport est agréable à lire, me semble clair et la présentation des préconisations juste après la présentation de chaque problème est judicieuse, ainsi que le tableau récapitulatif. Le document pdf mis en ligne aurait mérité l’insertion de quelques liens hypertextes pour faciliter la lecture, en particulier le renvoi aux textes de loi. S’agissant d’un rapport destiné à être remis au Garde des Sceaux, à l’occasion d’une cérémonie formelle, je suppose que ma remarque est futile. En tout cas, certains rapports d’expertise mériteraient d’être aussi clairs 😉

Les lettres de mission adressées aux auteurs du rapport étant judicieusement jointe en annexe 1, il est possible de connaître la feuille de route établie à l’intention du groupe de travail:

« [La] modernisation [de la justice] doit s’attacher à faciliter l’accès à la justice, améliorer la qualité des décisions rendues mais aussi à faire en sorte qu’elles soient rendues dans des délais acceptables pour nos concitoyens.

L’expertise se trouve souvent au cœur de ces problématiques. Elle concentre nombre de critiques qui sont adressées à la justice et contribuent à sa mauvaise image. »

J’ai un peu tiqué dans la mesure où il me semble plus important de s’intéresser au bon fonctionnement de la justice plus qu’à son « image ». Ce point est corrigé à la fin de la lettre de mission:

« Je souhaite que le groupe que vous co-présiderez, nous permette à la fois de mieux appréhender l’ensemble des problèmes suscités par l’expertise dans tous les domaines (civils, commerciaux et pénaux) et de proposer toutes les solutions qui seraient de nature à améliorer le fonctionnement de la justice sur ce point et à mieux répondre aux attentes des usagers. ».

La mission est très générale et j’avoue que j’admire les magistrats qui l’ont acceptée, tant elle est vaste. Une critique néanmoins, les deux lettres de mission précisaient que le rapport devait être remis au ministre au plus tard à la fin de l’année 2010. Mon esprit positif me fait croire que les deux courageux magistrats ont eu de bonnes raisons de demander une prolongation de délai afin de le remettre le 1er avril 2011.

1ère partie: Expertise et accès à la Justice.

A – Améliorer l’accès à la justice au regard du choix de la mesure.

Shorter: le juge doit s’attacher à n’ordonner une expertise que dans les cas où elle est objectivement indispensable, car la république des experts, cela coute cher et c’est long.

Préconisation n°1: « Recourir davantage en matière civile, lorsque les conditions sont réunies, aux mesures d’instruction plus rapides et moins coûteuses que l’expertise: consultation et constatations. »

Ma remarque: c’est l’article 263 du code de procédure civile

Préconisation n°2: « Accroître en matière pénale le recours aux constatations par exemple en matière financière et informatique par:

– le développement des capacités techniques des services enquêteurs,

– l’amélioration de la formation des magistrats et enquêteurs,

– l’augmentation du nombre d’assistants spécialisés. »

Ma remarque: Il me semble parfaitement normal que les services enquêteurs voient leurs capacités techniques développées et que le nombre d’assistants spécialisés augmentent. Mais je n’ai pas l’impression que les moyens financiers suivront! Il semble plus facile pour le gouvernement actuel de choisir de « privatiser » un certain nombre de constatations en les externalisant au coup par coup auprès de particuliers qui vont utiliser leur propre matériel (ou celui de leur employeur). L’expert judiciaire est en train de devenir un prestataire de service, souple, jetable, renouvelable, et qui coute beaucoup moins cher qu’un fonctionnaire à plein temps. Je constate que, dans mon département, l’unique gendarme formé aux technologies informatiques modernes et ayant en charge (entre autres choses) les affaires d’intrusions informatiques, d’escroqueries informatiques, de contrefaçon de carte bancaire, et assurant l’assistance technique aux services de police et l’analyse criminelle (N-Tech), était quelque peu débordé par les nombreuses poursuites d’internautes dans des affaires de recel d’images et de films pédopornographiques, ce qui m’a valu d’être désigné pour traiter les affaires qu’il ne pouvait pas absorber. Nul augmentation d’effectif n’était en vue… Et c’était avant la fusion Police/Gendarmerie!

B – Améliorer l’accès à la justice au regard de l’information du justiciable.

Shorter: Un expert, c’est cher. Le justiciable ne le sait pas. Les magistrats ne connaissent pas bien les tarifs de leurs experts ni leurs réactivités.

Préconisation n°3: « Élaborer une fiche d’information sur l’expertise (site internet du Ministère). »

Ma remarque: Le rapport précise que le site internet du ministère de la Justice présente succinctement l’expert judiciaire, mais ne fournit aucune information sur le déroulement et le coût de l’expertise. Je n’ose même pas imaginer une fiche détaillant l’ensemble des coûts possibles pour toutes les catégories d’expertises possibles. Il n’y a qu’à déjà lire la nomenclature qui inventorie les différents experts judiciaires possibles… Faut-il indiquer au justifiable les coûts moyens d’un expert judiciaire « neige et avalanche » (A.9)? Ceux d’un expert judiciaire « gravures et arts graphiques » (B.3.8)? Les tarifs de l’expert judiciaire « travaux sous-marins » (C.1.29)?

Préconisation n°4: « Diffuser au niveau de chaque cour d’appel au profit exclusif des magistrats des éléments d’information sur les coûts et délais moyens des expertises réalisées par les différents experts inscrits sur la liste. »

Ma remarque: C’est la reconnaissance de l’excellent travail de la revue « Experts » qui réalise chaque année, sur la base du bénévola, une grande enquête auprès de ses lecteurs afin d’établir des statistiques sur le travail des experts judiciaires. Une reprise de ce travail par la puissance publique serait souhaitable, surtout qu’elle dispose déjà de tous les éléments puisqu’elle est l’ordonnateur des expertises et en contrôle les délais et le paiement. Par contre, je ne comprends pas le secret demandé: « au profit exclusif des magistrats ». Pourquoi ne pas publier ses chiffres de manière détaillée au profit de l’ensemble des justiciables?

Préconisation n°5: « Faire établir par l’expert dès la mise en œuvre de sa mission un calendrier des opérations d’expertise et un relevé du montant des frais et honoraires au fur et à mesure de leur engagement. »

Ma remarque: C’est pour moi le B.A.BA de la gestion de projet que de commencer par établir un budget prévisionnel et un échéancier des phases du projet. Un corolaire de cette préconisation sera toutefois le remboursement très rapide (moins de 90 jours) du montant des frais avancés et honoraires après recettage de la prestation de service.

C – Le prix de l’expertise.

Shorter: Le coût de certaines expertises rend difficile l’accès à la justice pour ceux dont les revenus sont faibles mais pas suffisamment pour que leurs frais de justice soient pris en charge par l’État. Par ailleurs, les prix fixés par l’État pour certaines expertises (médecine légale, psychiatrie…) sont si bas que les personnes les plus qualifiées pour les faire refusent de devenir expert judiciaire. Enfin, les délais de paiement des frais et honoraires des experts judiciaires sont dissuasifs.

Préconisation n°6: « Instaurer une assurance en ajoutant dans un contrat composite (assurance multirisque habitation…) une garantie obligatoire de protection juridique couvrant les domaines juridictionnels les plus sollicités. »

Ma remarque: Pas de problème si les français acceptent de payer un peu plus leurs assurances pour qu’elles prennent en charge les coûts parfois très élevés d’une expertise. Mais quid des français n’ayant pas de contrat « multirisque habitation »? Ne serait-il pas plus simple et juste de relever les plafonds des aides juridictionnelles? Comment ça, ça coute?

Préconisation n°7: « Développer localement les chartes entre les compagnies, les juridictions et les avocats afin de promouvoir les bonnes pratiques permettant une réduction des frais en cours d’expertise (cf. chartes de la Cour d’Appel de Paris, de Versailles…). »

Ma remarque: Dans la mesure où l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession, qu’il n’existe pas d’ordre des experts judiciaires, et que l’appartenance à une compagnie d’experts judiciaires n’est pas obligatoire, je ne vois pas en quoi la mise en place d’une charte s’imposera à tous les experts judiciaires. Mais il est vrai que cela n’altère pas les finances publiques.

Préconisation n°8: « Modifier l’article 280 du code de procédure civile pour rendre obligatoire la demande par l’expert de consignation complémentaire si la provision initiale s’avère manifestement insuffisante. »

Ma remarque: Très bonne idée, j’adhère pleinement à cette bonne pratique. Un souhait néanmoins: le traitement rapide de cette demande sinon les délais d’expertise vont singulièrement augmenter. Bon nombre d’experts ont les yeux rivés sur le temps qui passe, les réunions qui s’enchaînent et la date butoir qui approche. Si l’on doit ajouter à cela une demande de consignation complémentaire…

Préconisation n°9: « Modifier l’article 282 du code de procédure civile pour y insérer l’obligation faite à l’expert de transmettre aux parties sa demande de rémunération en même temps que son rapport. »

Ma remarque: Cela va dans le sens de la transparence. Chaque partie doit être tenue au courant des avancées de l’expertise, y compris de son coût. Que cette bonne pratique soit inscrite dans la loi plutôt que dans une charte locale me semble bienvenu.

Préconisation n°10: « Revaloriser certaines expertises tarifées (médecine légale, psychiatrie, psychologie…). »

Ma remarque: Les experts concernés vont être contents. Mon petit doigt me dit qu’il ne faut pas non plus s’attendre à une augmentation extraordinaire, rapport au budget de la justice et tout ça. Souvenez-vous aussi de la phrase maladroite de mon confrère «Quand on paie les expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femmes de ménage!». Le Garde des Sceaux de l’époque avait alors demandé sa radiation, refusée par la Cour d’Appel de Rouen qui avait estimé que l’expert n’avait commis aucune faute susceptible d’entraîner sa radiation et que son travail avait été « extrêmement fouillé et individualisé ». Je m’en étais fait ici même l’écho.

Préconisation n°11:  » Clarifier et simplifier les circuits de paiement en vue d’abréger les délais de règlement notamment dans le cadre de l’application du logiciel CHORUS. »

Ma remarque: clap clap clap. Sauf peut-être si cet article de Eco89 est toujours vrai…

Préconisation n°12: « Mettre financièrement les juridictions en capacité de régler sur toute l’année les mémoires des experts dans des délais raisonnables. »

Ma remarque: clap clap clap. Et qu’on soit bien d’accord: délai raisonnable = inférieur à 90 jours, sinon pénalités.

Préconisation n°13: « Modifier l’article R.115 du code de procédure pénale afin de permettre le versement d’acomptes provisionnels allant jusqu’à 50% du montant des frais et honoraires prévus. »

Ma remarque: clap clap clap. Aujourd’hui, c’est 33% maximum, le reste étant payé jusqu’à deux ans après. Je précise que je n’ai jamais demandé d’avance dans mes dossiers au pénal, et toujours attendu leur règlement presqu’en silence. Là encore, je pense malheureusement que le temps de traitement par la machine judiciaire de telles demandes vont entraîner l’augmentation des délais de réalisation des expertises.

La suite concerne la 2e partie du rapport, intitulée « Expertise et qualité de la justice ». Elle sera traitée dans un prochain billet.

Peut-être.

Prolégomènes à l’analyse du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise

En 1996, mon épouse avocate me demande de l’aide pour comprendre un rapport d’expertise judiciaire informatique qui apparaît dans l’un de ses dossiers. Cela tombe bien, je suis ingénieur en informatique industrielle, docteur en intelligence artificielle informatique, professeur d’informatique dans une grande école d’ingénieurs et responsable informatique. La compréhension de ce rapport ne me pose aucun problème, mais je découvre ainsi le travail d’un informaticien qui s’est mis ponctuellement au service de la justice.

Ma femme me propose alors de postuler pour mettre mes propres compétences au service de la justice. Je trouve l’idée excellente car c’est pour moi un moyen de me rapprocher de l’univers professionnel de mon épouse.

En février 1997, je dépose un dossier de candidature. Plus exactement, un dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires de ma Cour d’Appel.

Première demande refusée, sans explication.

En février 1998, je redépose une demande d’inscription. Celle-ci sera acceptée, sans plus d’explication.

En janvier 1999, je prête serment et deviens à 35 ans l’un des plus jeunes experts judiciaires en informatique de France.

Me voici prêt à offrir mon concours à la justice.

« Offrir? » me dit mon épouse. « Tu vas avancer des dépenses qui devront t’être remboursées par l’une des parties au procès, ou par l’État, tu vas comptabiliser du temps qui peut être rémunérer sous forme d’honoraires. Il va te falloir tenir une comptabilité et établir des feuilles de frais et honoraires et en demander le remboursement. »

« Ah bon? » lui répondis-je. « Mais je suis pourtant d’accord pour travailler gratuitement. On me demande mon avis et je le donne. Le simple fait de considérer mon avis comme digne d’être écouté me comble et me suffit! »

« Mais oui, mais oui… Et comment comptes-tu payer l’URSSAF, CANCRAS et CARBALAS? Et ton assurance en responsabilité civile si tu commets une erreur? Et tes déplacements à l’autre bout de la région judiciaire? Et les journées de congé que tu devras prendre? Et les formations que tu vas devoir suivre? »

Moi: « … »

Les femmes étant souvent plus intelligentes que les hommes, et dans mon cas, plus compétentes en matière juridique, mon épouse s’est débrouillée avec les différents greffes ad hoc pour obtenir une grille des différents tarifs considérés comme normaux par les magistrats en charge du contrôle des expertises.

Ensuite, j’ai mis au point ma note de frais et honoraires.

Puis j’ai découvert la valeur du succès. Et parfois, l’exercice délicat des expertises privées. J’ai découvert un univers particulier, habité par des personnes extrêmement compétentes, mais aussi par ce que Dirdir appelait « des hommes d’affaires, des hommes de pouvoir » ici-même dans son rapport d’étonnement.

Pour conclure ses prolégomènes, je rappellerais à mes chers lecteurs que l’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession réglementée et que l’expert est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public de la justice.

Il existe des associations loi 1901 regroupant les experts qui souhaitent y adhérer, soit par cour d’appel (compagnies pluridisciplinaires), soit par ce que vous voulez, la création d’association étant libre en France. Je parle de ces organisations dans les explications liminaires de ce billet sur mon passage en commission de discipline en 2008 à cause de la tenue de ce blog.

C’est donc avec un esprit d’indépendance, que je vais essayer d’analyser le rapport demandé en mai 2010 par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, réalisé par Madame Chantal Bussière, Premier Président de la Cour d’Appel de Bordeaux, et Monsieur Stéphane Autin, Procureur Général de la Cour d’Appel de Pau, rapport que j’appellerai « rapport Bussière/Autin », remis le 1er avril 2011 et rendu public le 3 mai 2011. Vous pouvez le consulter dès maintenant ici.

Mon analyse sera personnelle, tiendra compte de mon expérience forcément limitée de petit expert judiciaire informatique provincial, et ne pourra pas être considérée comme la position officielle de l’ensemble des experts judiciaires.

Enfin, j’ai suivi une formation scientifique, la science est le domaine du doute, la critique du travail des autres est consubstantielle de l’activité scientifique et, les experts sont des êtres humains comme les autres.

Billet(s) à suivre.

L’insolence des riches

Quand j’ai vu le Président de la République Nicolas Sarkozy inviter ses amis du premier cercle dans un grand restaurant le soir de son élection, quand j’ai vu la Garde des Sceaux Rachida Dati s’habiller des plus belles parures de haute couture, quand j’ai vu les décisions politiques, Dadvsi, Hadopi, Loppsi, prises au nom des intérêts des plus riches, j’ai compris qu’une partie du monde politique travaillait pour maintenir les acquis de quelques uns. Et si possible, pour en profiter soit même un peu, voire beaucoup.

J’ai ouvert les yeux me diront les plus clairvoyants.

Pourtant, en travaillant chaque semaine dans le conseil municipal ou dans différentes commissions d’une commune de 5000 habitants, je peux constater qu’à l’échelon le plus bas, l’enrichissement personnel n’est pas un objectif recherché des élus consacrant tout leur temps à la gestion des dossiers communaux.

La signification principale du « Pouvoir » à ce niveau semble être le pouvoir de décider ce qui est bon pour la commune.

La semaine dernière, il s’est passé un évènement peu banal dans la vie du conseil municipal: une partie des habitants d’un quartier est venu protester d’une décision (ancienne) du conseil municipal de créer près de leur lotissement une zone artisanale.

Les faits: nous constatons que de nombreux artisans sont installés sur la commune, mais travaillent chez eux. Le coût des terrain en lotissement privé est de 250 €/m², alors que dans une zone artisanale, il serait de 80 €/m². Les camionnettes des différents artisans ont du mal à se garer, leurs fournisseurs aussi. Le conseil municipal, après étude d’aménagement effectuée par un bureau spécialisé, a donc voté à l’unanimité la création d’une zone artisanale à un endroit idéalement situé par rapport aux accès routiers. Publicité de cette décision a été faite à travers plusieurs organes de communication (site internet et revue municipale).

La réaction: le terrain, actuellement non constructible, appartient à une riche famille qui comptait bien revendre celui-ci par petites parcelles dès qu’il serait classé constructible. Le bénéfice d’un classement en zone artisanale est donc pour eux bien moins intéressant. Dès lors, une pétition a été organisée pour diaboliser les artisans qui devenaient alors des fauteurs de trouble, des personnes bruyantes et surtout, pour instiller la croyance que la zone artisanale allait faire baisser la valeur des biens immobiliers voisins.

Une précision: ma commune voit le prix de ses terrains augmenter de 10% chaque année depuis 10 ans, ce qui entraine le doublement de leur valeur en 7 ans! Même les terrains situés sous les lignes EDF à très haute tension sont vendus en quelques jours au prix fort! Alors, la proximité d’une zone artisanale…

La discussion: la montée de la peur est similaire à l’effet larsen en sonorisation électronique. Une quarantaine de personnes sont donc venues plus ou moins remontées perturber le dernier conseil municipal. Le maire les a reçus, dans la salle des mariages, et a écouté leurs doléances. Il a ensuite expliqué la décision du conseil municipal et présenté les différentes options qui s’offraient à nous pour le terrain concerné: création d’une zone artisanale, création d’une aire d’accueil des gens du voyage (grand silence dans la salle) ou création d’une zone boisée.

La décision: celle-ci reste encore du ressort du conseil municipal qui peut parfaitement maintenir sa décision antérieure. Ce qui est amusant, c’est que l’ensemble des personnes présentes, à une exception près, était très enthousiaste à l’idée d’une zone arborée. La seule personne qui semblait très réticente, était celle qui avait compris que le prix d’une zone boisée est (pour lui) d’environ 10 €/m². C’est à cela que j’ai reconnu le propriétaire du terrain.

L’insolence des riches affronte parfois le pouvoir des pauvres.

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L’image, cliquable pour l’avoir en grand, est une excellente publicité Bentley. Je suis presque sur que, comme toute publicité, elle ciblait bien son public… Soyons positifs, et voyons-y un très bon second degré.

Les mentors

Je parle souvent ici de mes souvenirs, des faits de mon passé qui m’ont marqué. Conformément à la ligne éditoriale de ce blog, les anecdotes sont égocentrées et tirées de ma propre expérience.

Pourtant, je ne suis que ce que mes maîtres ont fait de moi. Je suis un nain posté sur les épaules de géants.

Quels sont ces géants?

– Mes parents, bien sur, qui m’ont élevé (au sens propre et figuré);

– Ma sœur, qui m’a soutenu, en particulier pendant les années noires des classes préparatoires;

– Ma femme, qui a éveillé ma conscience morale (et pas que), en particulier lors de nos discussions sur la peine de mort;

– Mes professeurs, de la crèche au doctorat, et en particulier LP qui m’a appris à désapprendre au début de mes années de recherche;

– Les spéléologues JYP et AJ qui ont partagé avec patience et passion leurs connaissances sportives et intellectuelles abyssales;

– Les élus que je côtoie une fois par semaine et qui consacrent (eux) beaucoup (plus) de temps à régler les problèmes de la vie de notre collectivité;

– Les experts judiciaires, et en particulier ceux (et ils sont nombreux) qui offrent, plus qu’ils ne monnayent, leur savoir-faire à la justice;

– Les auteurs de SF, Asimov, Clark, van Vogt, Herbert, Dick, Lovecraft, Bradbury, Pohl, Heinlein, Simak, Sturgeon, Haldeman, Laumer et les autres, qui peuplent mes soirées et mes rêves d’explorations spatiales et temporelles;

– Les blogueurs, et en particulier Maître Eolas, qui m’ont encouragé, pris sous leurs ailes, et conseillé quand certains ne me voulaient pas que du bien;

– Les étudiants qui, par leur travail, leurs exigences et leur enthousiasme, font que tous les matins, j’ai hâte d’être au boulot;

– Mes enfants, qui me montrent presque tous les jours que l’on peut apprendre à ses aînés;

Et puis bien sur, il y a vous, chère lectrice et cher lecteur, qui me faites l’honneur de venir encore ici, sur ce petit coin d’internet alors qu’il y a tant de chose à voir ailleurs.

Je suis la somme de toutes les expériences que vous m’avez apportées.

Merci encore à tous.

GPS

Nous utilisons de plus en plus d’appareils qui tracent nos déplacements, en toute connaissance de cause, mais parfois aussi à notre insu.

J’ai découvert récemment dans un article que certains systèmes GPS d’information de trafic routier utilisent le fait que, même en veille, nos téléphones mobiles se signalent aux bornes du réseau. Une accumulation anormale de téléphones sur une route signifie donc un bouchon, information que l’on peut relayer aux abonnés à ces systèmes d’alertes routières. Sans le savoir, vous contribuez au fonctionnement de ces systèmes.

Dans le cadre d’une affaire de grand banditisme, une expertise judiciaire a été ordonnée sur le système GPS d’une des voitures saisies. Voici son histoire.

Certaines voitures haut de gamme disposent d’un système GPS intégré. Il s’agit ici d’un GPS comprenant un disque dur. Les OPJ ayant placé ce disque dur sous scellé, me voici avec une analyse hors du commun. Je contacte le magistrat en charge du dossier. Celui-ci me rassure, il dispose de suffisamment d’éléments. L’expertise est demandée en complément, au cas où… Me voici donc avec un disque dur à analyser, mais sans le mode d’emploi détaillé, si je puis dire.

Mon premier réflexe est de procéder à une copie bit à bit du disque dur, en utilisant les outils qui me servent pour mes autres expertises judiciaires: bloqueur d’écriture, création d’une image numérique fidèle (tenant compte des éventuels secteurs défectueux du disque) et analyse de celle-ci. Seulement voilà, le disque dur est formaté avec un format propriétaire inconnu par mes outils d’analyse. Pas d’analyse possible à mon niveau… et aucune information exploitable pour l’instant.

Démarre alors une après-midi de coups de téléphone. Tout d’abord à l’OPJ pour qu’il me donne plus de détails sur la marque et le modèle du GPS. Des coups de fils au distributeur français, au sous traitant allemand, au distributeur « Europe ». Après moultes musiques d’attente, de rappel à cause de réunions, de filtres de secrétaireries, j’arrive au sésame de tout expert judiciaire (comme de toute personne appelant à l’aide un support): une personne compétente techniquement au bout du fil.

Après plusieurs jours de négociations, d’explications, d’échanges d’emails, nous convenons de la procédure suivante: j’amènerai moi-même à la structure technique parisienne le disque dur pour qu’il soit analysé en ma présence via une procédure interne spéciale propre au constructeur. Sous le sceau de la confidentialité.

Le jour J, me voici dans un petit local de banlieue, accueilli par un technicien attentif. Je lui explique les conditions dans lesquelles je souhaite que soit effectuée l’opération, je lui fournis mon bloqueur d’écritures et le disque dur. Il place le tout dans un système d’analyse propriétaire qui effectue la lecture complète des données du disque dur. Il m’explique que le GPS embarqué effectue environ une mesure par seconde et la stocke sur le disque dur considéré comme une bande sans fin. Je ressors de là avec un fichier Excel contenant toutes les mesures (et bien sur le disque dur remis sous scellé).

Me voici de retour chez moi avec un ensemble de coordonnées GPS codées en dégrés décimaux WGS84 (World Geodetic System 1984) et un ensemble de conseils précieux fournis par le technicien « faites bien attention lors de la conversion si vous comptez utiliser des cartes pour y placer les points ».

C’est effectivement assez délicat de passer de celles-ci à mes habituelles coordonnées LAMBERT (utilisées en spéléo avec les cartes IGN d’état major) au format sexagésimal (base 60).

J’ai donc eu l’idée d’utiliser Google Earth qui utilise une projection cylindrique simple avec un plan de référence WGS84 pour sa base d’images. J’ai ainsi pu placer les points de mon fichier Excel sur une carte (après moultes essais, je dois l’avouer). Et étudier les déplacements de la voiture concernée. Et ses arrêts longues durées à certaines adresses. Adresses qui se sont révélées être celles de présumés complices, soi-disant inconnus de l’utilisateur de la voiture.

Comme Google Earth n’est pas un logiciel d’expertise (lire les conditions d’utilisation) et ne garantit pas l’exactitude des reports de points, j’ai effectué plusieurs vérifications avec mes cartes IGN pour m’assurer que je ne commettais par d’erreur. J’ai rendu un rapport complet expliquant ma méthode et les adresses des points d’arrêt relevés. Le magistrat au téléphone avait l’air content de mon travail. Malheureusement je ne connais pas les suites données au dossier, étant « expulsé » de la procédure dès le dépôt de mon rapport.

Mais depuis, je ne regarde plus mon téléphone ni mon Tomtom de la même manière…