Je reçois un courrier assez important concernant cette question, et je renvoie toujours à un billet du 1er janvier 2009. Curieusement, ce billet est toujours d’actualité et je vais me contenter de le réécrire, parce que vous le valez bien 😉
Le premier point à bien comprendre est qu’expert judiciaire n’est pas une profession, à l’exception peut-être des experts traducteurs interprètes qui semblent impliqués à plein temps (et plus). Pour la grande majorité des experts judiciaires, il s’agit d’une activité annexe et il n’est pas rare qu’un expert judiciaire ne soit désigné qu’une ou deux fois par an, voire moins. Comme les frais engagés et les honoraires sont en général payés avec deux années de retard (ou plus), vous comprendrez qu’il ne faut pas compter sur cela pour payer les logiciels d’analyses inforensiques derniers cris dont vous rêvez, ni les formations obligatoires demandées pour rester inscrit sur la liste des experts judiciaires…
Vous devez donc avoir un vrai métier, une profession qui remplit le réfrigérateur et vous permet de rester propre. De toutes façons, c’est votre vrai métier qui intéresse les magistrats, pour les compétences qu’il vous apporte, et pour l’accès aux éventuels moyens qu’il vous assure.
Les experts judiciaires sont des professionnels habilités chargés de donner aux juges un avis technique sur des faits afin d’apporter des éclaircissements sur une affaire. Ce sont des spécialistes de disciplines très variées (médecine, architecture, gemmologie, économie et finance, etc.). Leurs avis ne s’imposent pas aux juges qui restent libres.
Ensuite, devenir expert judiciaire, c’est très simple: il vous suffit de déposer un dossier avant le 1er mars de chaque année au procureur de la République. Votre dossier va suivre tout un parcours, et s’il est accepté, vous verrez votre nom inscrit sur une liste gérée par votre Cour d’Appel. L’inscription sur cette liste fait de vous un expert judiciaire. Bravo cher confrère ou chère consœur.
Reprenons au ralenti:
– quel dossier?
– quel procureur?
– quel parcours suit le dossier?
– quelles conditions devez-vous remplir?
– quelle bouteille ouvrir en cas d’inscription?
Le dossier.
Le dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires doit comprendre toutes les précisions utiles permettant de juger de la qualité de votre candidature, notamment les renseignements suivants :
1° Indication de la ou des rubriques ainsi que de la ou des spécialités dans lesquelles l’inscription est demandée. Vous trouverez la nomenclature des branches, rubriques et spécialités dans ce document pdf.
2° Indication des titres ou diplômes du demandeur, de ses travaux scientifiques, techniques et professionnels, des différentes fonctions qu’il a remplies et de la nature de toutes les activités professionnelles qu’il exerce avec, le cas échéant, l’indication du nom et de l’adresse de ses employeurs. En terme plus simple, ressortez votre CV et mettez le à jour.
3° Justification de la qualification du demandeur dans sa spécialité. Vous avez des lettres de recommandation, des courriers de vos pairs qui admirent vos compétences, c’est le moment de les sortir de leurs cadres et d’en faire une photocopie.
4° Le cas échéant, indication des moyens et des installations dont le candidat peut disposer. Vous travaillez dans une université et avez accès aux superordinateurs, vous êtes copain avec le technicien qui gère le microscope électronique du laboratoire, vous connaissez la tata du gardien du Grand collisionneur de hadrons du CERN, et vous pouvez utiliser ces installations, si possible gratuitement, alors c’est le moment de le signaler par écrit. L’institution judiciaire est si mal pourvue en budget par les politiques en charge des affaires…
En annexe à cette demande, il peut être judicieux de joindre un extrait du casier judiciaire et une copie certifiée conforme des diplômes présentés à l’appui de la demande, ainsi que les travaux déjà effectués dans les spécialités concernées. Soyez quand même synthétique, je ne suis pas sûr qu’une copie papier de votre thèse de 200 pages soit la bienvenue.
Un coup de téléphone à sa cour d’appel peut être utile pour savoir s’il faut des documents complémentaires (photos, etc.)
Le procureur de la République.
Une fois votre dossier de demande fin prêt, vous devez l’adresser avant le 1er mars au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel vous exercez votre activité professionnelle ou possédez votre résidence ou, pour les demandes d’inscription dans la rubrique traduction, au procureur de la République près le tribunal de grande instance du siège de la cour d’appel.
Nous sommes dans la 2e décennie du 3e millénaire, donc le courrier d’accompagnement du dossier pourra être imprimé à partir d’un traitement de texte, surtout si vous avez une écriture illisible. N’oubliez pas quand même de le signer d’une belle encre bleue (éviter le rouge ou le vert, trop originaux, et le noir pour différencier la photocopie de l’original). En vrai, tout le monde se fout de la couleur de la signature, mais n’oubliez pas de signer, sinon cela fait tache (et la vache à une tache qui tache est moins bien que la vache sans tache qui tache).
Vous ne connaissez pas l’adresse du tribunal d’instance auquel écrire? Pas de panique, le site du ministère de la justice devrait être à jour et vous aider. Lien ici.
Mon conseil personnalisé: à partir d’aujourd’hui, envoyez tous vos courriers postaux ayant un lien avec votre (future) activité d’expert judiciaire, en recommandé avec avis de réception et faites en sorte que le postier dont vous dépendez devienne votre meilleur ami. Vous enverrez donc votre dossier de candidature en recommandé avec avis de réception (et conserverez le récépissé d’envoi et celui de réception dans un dossier ad hoc).
Le parcours de votre dossier de demande.
Le procureur de la République instruit la demande d’inscription initiale: il va vérifier que vous remplissez les conditions requises (voir plus loin) et recueillir tous les renseignements possibles sur vos mérites. Je ne connais pas bien le travail réalisé, mais je pense qu’il y a ce que l’on appelle une enquête de bonne moralité. Dans mon cas, un policier est venu directement à mon domicile, et comme j’étais absent (j’étais au travail), il a discuté avec ma femme pour obtenir tous les renseignements possibles sur mon parcours… C’était une autre époque, un autre siècle, un autre millénaire, avant que la police ne dispose de 80 fichiers.
Ensuite, au cours de la deuxième semaine du mois de septembre, le procureur de la République transmet les candidatures au procureur général qui saisit le premier président de la cour d’appel aux fins d’examen par l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel.
Ce qu’il se passe à chaque étape fait parti des grands mystères de la création.
Les conditions à remplir.
1° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs.
2° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation.
3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce.
4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité.
5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante.
6° N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise.
7° Être âgé de moins de soixante-dix ans.
8° Pour les candidats à l’inscription sur une liste dressée par une cour d’appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, y avoir sa résidence.
Vous ne devez pas être déçu de ne pas être inscrit dès la première demande. Le nombre d’experts retenus tient à des facteurs indépendant des candidats, comme l’évolution du nombre d’expertises, le nombre d’experts dans une discipline, les orientations générales de la Chancellerie ou encore à d’autres facteurs relatifs à l’institution judiciaire. Seuls les magistrats pourraient indiquer quels sont les critères qui tiennent aux candidats eux-mêmes. Au vu des pièces demandées, on peut toutefois estimer que les magistrats examinent la compétence, l’expérience, la notoriété, la disponibilité, l’indépendance et les moyens de remplir les missions que présentent les candidats. Un conseil: après un refus, ne pas hésiter à représenter sa candidature l’année suivante, surtout si l’on peut faire valoir des éléments nouveaux.
Bouteille à ouvrir après inscription.
Un bon champagne fera l’affaire 😉
Pour autant, l’inscription n’est pas un un diplôme supplémentaire, mais une activité supplémentaire, parfois lourde, voire dangereuse pour la psyché dans certaines expertises en matière criminelle.
Les « experts cartes de visite » et autres businessmen sont très mal vus par les magistrats et rapidement mis hors circuit.
Si votre demande est acceptée, vous serez convoqué pour prêter serment. C’est aussi le bon moment pour contacter une compagnie d’experts pour parler formations, procédures, assurance, et pour comprendre également dans quel guêpier vous êtes tombé avant de contacter les impôts, l’URSAFF et autres joyeusetés à qui vous allez expliquer votre activité (et comment ils doivent la gérer).
Mais tout cela est une autre histoire, et concernant la bouteille, n’attendez pas la clôture de votre premier dossier.
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Image: Allégorie de la Justice
Références bibliographiques:
– Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.
– Site de la Cour de Cassation consacré aux experts judiciaires.
– Site du Ministère de la Justice et des Libertés.