Mademoiselle

J’ai toujours appelé mes étudiantes « madame », et cela les a toujours fait réagir de façons diverses.

Un jour, alors que j’étais en train de faire cours dans un amphithéâtre, une étudiante arrive en retard. J’ai une gestion des retards qui consiste à ne jamais rien dire quand la personne retardataire se fait discrète. Après tout, tout le monde peut arriver en retard, avec même parfois une très bonne raison. Il me semble inutile que je perturbe moi-même le cours en faisant une remarque.

Sauf que cette jeune personne (mes étudiants ont entre 17 et 25 ans) a décidé de venir s’assoir au milieu de l’amphithéâtre au milieu d’une rangée, obligeant ainsi la moitié des étudiants de la rangée à se lever pour qu’elle puisse aller s’assoir.

Je m’interromps alors, regarde la personne en train de faire bouger tout le monde et prends ma voix la plus glaciale possible en prenant l’amphithéâtre à témoin: « Je vais attendre que Madame s’installe ! »

L’étudiante me répond du tac au tac: « Mademoiselle ! Pas Madame ! »

Je lui explique alors, toujours avec ma voix la plus glaciale: « Votre vie privée ne regarde que vous. Je n’ai pas à connaître votre situation familiale, si vous êtes mariée ou célibataire. Dans la mesure où je m’adresse aux jeunes hommes ici présents sous le vocable « Monsieur », en non pas « Mondamoiseau » pour la plupart, par souci d’égalité, je m’adresse à toutes les jeunes femmes ici présentes sous le terme « Madame », ne vous en déplaise! »

Ayant mis tous les étudiants mâles de mon côté par ce trait d’humour décapant, je poursuivais mon cours, magistral et serein, comme un petit Salomon d’amphithéâtre (ref).

J’ai toujours regretté l’attitude que j’avais eue ce jour là, car il est si facile de clouer au pilori une jeune fille, même un peu impertinente, quand on dispose du « pouvoir » de l’autorité du professeur. A ma décharge, il arrive aussi que les professeurs se fassent déborder par l’impertinence des étudiants, mais c’est une autre histoire.

Dans la plupart des cas, les étudiantes réagissent par un sourire, surtout si cela se passe à la fin d’une discussion, quand je réponds à un « Au revoir, Monsieur » par un « Au revoir, Madame ». J’ai souvent comme remarque: « C’est la première fois qu’on m’appelle comme ma mère! ». J’explique ensuite ma vision de l’égalité mondamoiseau-mademoiselle, ce qui les fait franchement rire. Parfois la discussion peut même se prolonger sur le thème plus général du sexisme, avec des idées qui n’ont rien à envier aux suffragettes…

Je leur rappelle également qu’avant la Première Guerre mondiale, les femmes étaient généralement considérées comme intellectuellement inférieures, voire ne pouvant pas penser par elles-mêmes, ce qui ne lasse pas de les surprendre, elles qui s’engagent dans des études d’ingénieurs!

Une fois, dans mon bureau, une étudiante est restée tétanisée par mon « Au revoir Madame » et s’est effondrée en larmes… Entre deux sanglots, elle m’a expliqué que sa maman venait de mourir et que sans le faire exprès, le fait de l’appeler, elle sa fille, Madame, avait touché une corde sensible. Je me suis excusé comme j’ai pu, tout en lui donnant mon mouchoir en tissu (propre!) confirmant ainsi à ses yeux être définitivement ancré dans le XXe siècle…

Pourtant, je suis heureux de rappeler en conseil municipal qu’on ne dit pas ‘heure des mamans’ pour la sortie des classes, mais ‘heure des parents’ (ou ‘heure des nounous’). J’accompagne tous les jours mes enfants à l’école, et je ne suis pas au chômage pour autant. Les mentalités changent doucement, très doucement, et cela passe par une attention aussi sur les petits détails.

Je vouvoie aussi mes étudiants, par respect, même les plus jeunes, ce qui ne manque pas également d’en étonner certains.

Il faut bien là aussi une première fois.

Lætitia 38 ans

Les bureaux sont déserts. Bien qu’il soit encore tôt le matin, personne ne viendra me déranger car les bureaux resteront vides. L’entreprise est fermée depuis plusieurs mois, mais le mobilier et les équipements sont encore en place. A part cette fine couche de poussière, tout me donne l’impression que dans quelques minutes une vie active va envahir les lieux, remplissant l’atmosphère de bruits et d’agitation.

Ma mission est de récupérer, à la demande du tribunal de commerce, toutes les données concernant les sites internets des anciens clients.

J’ai fait remettre l’électricité en intervenant auprès du liquidateur judiciaire. Je me suis fait ouvrir les portes par le gardien de l’immeuble d’entreprises, et il m’a aidé à réenclencher le disjoncteur avant de me laisser seul dans les lieux. Tout un ensemble de bureaux, des locaux techniques, des salles de réunion, une cuisine, pour moi tout seul.

Je pose mon sac dans l’entrée sur le bureau d’accueil. J’en sors un poste de radio que je branche pour mettre un peu de vie. J’ouvre les volets de plusieurs fenêtres pour faire entrer la lumière. Je fais le tour des pièces pour repérer les lieux. Je prends des notes: salle serveurs, ordinateurs dans tel et tel bureau, je suis le câblage du réseau pour trouver les baies de brassage et les actifs du réseau. En une heure, j’ai redémarré le réseau, les machines de la salle serveurs et quelques ordinateurs de bureau.

Le liquidateur judiciaire m’a laissé les mots de passe de l’administrateur du réseau, mais je récupère quelques mots de passe complémentaires avec mon live CD Ophcrack. Je commence l’inspection des disques durs des serveurs: organisation générale des données, logiciels installés, structure du réseau, etc.

Au bout de quelques heures, je me rends compte que toutes les données concernant les sites internets des clients ont été effacées. Et la présence du programme eraser sur le compte de l’administrateur m’a vite fait comprendre que mes tentatives de récupération de données seront certainement vouées à l’échec. Mais j’essaye quand même et n’abandonne qu’après moultes vérifications. Nada, que tchi, que pouic. L’informaticien aurait aussi bien pu laisser bien en évidence sur une table un post-it avec mention GTFO.

Bon. Les données de la salle serveurs sont FUBAR… Il ne me reste qu’à vérifier si une copie traine quelque part sur un disque dur dans les différents bureaux. Je sens que l’après-midi va être longue, très longue.

Pendant que le poste de radio de l’entrée crie sa joie de vivre, je m’installe dans ce qui semble avoir été le bureau de la secrétaire. Quelques cartes de visite trainant sur la table m’indiquent que je suis assis à la place qu’occupait une certaine Lætitia, qui justement signifie « joie » en latin, secrétaire de direction.

Je profane son ordinateur et explore les catacombes. Son fond d’écran montre une femme d’environ 40 ans avec des enfants. Le calendrier de sa messagerie Outlook m’indique qu’elle a programmé un rendez-vous périodique intitulé « sauvegardes mensuelles ». Tiens tiens.

J’ouvre les tiroirs du bureau et tombe sur deux bandes magnétiques de type DAT.

Je retourne dans la salle serveurs où se trouve un lecteur DAT (mais curieusement plus aucune bande…) et entreprend la lecture des données stockées sur les deux bandes. Bingo. Lætitia était chargée de mettre de côté hors salle serveurs une bande de sauvegarde mensuelle contenant toutes les données des serveurs, y compris et surtout celles concernant les sites internets des clients. Les inscriptions sur les boites m’ont également indiqué que l’informaticien avait prévu le stockage d’une sauvegarde pour les mois pairs et d’une autre pour les mois impairs.

En rangeant mes affaires, je suis resté quelques minutes à regarder Lætitia sur son fond d’écran. Et je l’ai remercié, au nom de ses anciens clients.

Sur le bureau de la salle serveur, j’ai laissé un petit papier où j’ai écrit ROFLMAO. J’espère que l’admin aurait apprécié.

Le rapport Znaty sur Hadopi et TMG

La Hadopi vient de rendre public sur son site internet, le rapport d’expertise privé qu’elle a commandé à mon confrère David Znaty.

J’en suis heureux, car j’avais demandé le 30 décembre 2011 sur Twitter à M. Eric Walter, secrétaire général de la Hadopi, s’il était possible d’avoir accès au rapport de M. Znaty. Celui-ci m’avait gentiment répondu comme le montre ce petit échange, mais sans donner suite:

En tout cas, le rapport est maintenant disponible et je l’ai dévoré avec beaucoup d’intérêts. Je me permets de faire quelques remarques, à chaud, et en tant que citoyen:

– il s’agit d’un rapport d’expertise privé, et non d’un rapport d’expertise judiciaire demandé par la justice.

Un expert ayant le titre protégé « d’expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris », et celui « d’expert judiciaire près la Cour de Cassation » peut réaliser des expertises demandées par une partie. Ce travail peut être joint aux documents déposés par la partie au procès, mais le juge peut demander une expertise, contradictoire celle-ci, qui sera cette fois revêtue du sceau « d’expertise judiciaire ».

Mon confrère David Znaty étant agréé auprès des plus hautes Cours de France, j’ai parfaitement confiance en sa capacité de suivre les règles déontologiques des experts judiciaires, et en particulier la 6ème: « L’expert doit remplir sa mission avec impartialité. Il doit procéder avec dignité et correction en faisant abstraction de toute opinion subjective, de ses goûts ou de ses relations avec des tiers. »

C’est pour cela que ce rapport m’intéresse tant, car il va répondre à un certain nombre de questions que je me pose sur les moyens techniques utilisés par Hadopi.

– 1ère déception: le rapport de 29 pages n’est pas publié avec ses annexes.

Dès qu’un point devient très technique dans le rapport, l’expert renvoie à la lecture d’une annexe contenant les détails techniques intéressants. En particulier, dans le cas présent, les algorithmes de calculs des empreintes numériques et la collecte des adresses IP… Cela vide particulièrement l’intérêt de ce rapport. Après une petite recherche sur internet, il semblerait que les annexes soient gardées dans un coffre de la Hadopi pour être présentées dans le cadre d’un procès à la demande du juge ou de l’expert qu’il aura désigné. Frustrant. Il va falloir attendre un procès où l’internaute mis en cause mettra en ligne toutes ces informations (ce qui ne manquera pas d’arriver). La transparence a des limites.

– Les missions confiées par la Hadopi à M. Znaty concernent a méthode utilisée pour créer l’empreinte numérique d’une œuvre, la comparaison de cette empreinte avec l’œuvre originale, le processus de collecte des adresses IP, les processus entre les différents acteurs.

Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le fait que l’internaute est responsable de la sécurisation de son accès internet, clef de voute de la riposte graduée. Si vous n’êtes pas capable de prouver que vous avez déployé l’état de l’art en matière de surveillance de votre propre accès internet, ET que votre adresse IP est flashée par Hadopi en lien avec un téléchargement illégal, le titulaire de l’abonnement est coupable.

– la première partie du rapport décrit de manière particulièrement succincte les réunions effectuées chez les différents acteurs du processus.

Je suis surpris de n’avoir que finalement assez peu d’informations: seuls quelques noms de sociétés (par exemple ALPA, Gaumont, Pathé, SCPP, SACEM, SPPF, TMG…) sont cités. Les deux principales sociétés impliquées dans les algorithmes de création d’empreintes numériques sont cachées derrières les deux acronymes inventés FPA et FPM.

Les informations intéressantes ont été reportées dans les annexes… confidentielles. Dommage.

– le secret des algorithmes.

L’expert mentionne dans son rapport (bas page 17): « FPA n’a pas souhaité, tout comme FPM, exposer son savoir faire« .

Puis, page 23, dans sa réponse aux questions qui font l’objet de sa mission, il écrit « Pour répondre à cette partie de la mission et compte tenu du fait que FPM et FPA ont refusé de dévoiler leur savoir faire, je me suis attaché à vérifier la robustesse de leurs méthodes par les exposés qui m’ont été faits (cas pour FPA) et par un complément de test dans le cas de FPM (cf. Annexes 2.2.1 et 2.2.2)« .

Là, je dois dire que je tique un peu. Comment peut-on apporter un avis indépendant quand celui-ci n’est basé que sur les affirmations des entreprises, celles-ci se retranchant derrière le sceau du secret?

– Les faux positifs.

Sans être moi même un mathématicien hors pair, je sais qu’il n’est pas possible d’affirmer une règle en ayant simplement effectué quelques essais. Je suis très réservé sur les tests qui montrent la robustesse des algorithmes et en particulier sur le côté péremptoire de la conclusion du bas de la page 24: « les algorithmes de calcul d’empreintes de FPA sont robustes et garantissent la non existence de faux positifs ».

Idem pour la conclusion de la page 25: « les algorithmes de comparaison d’empreintes de FPA et les algorithmes de comparaison d’empreintes de FPM sont robustes et garantissent la non existence de faux positifs« .

Je rappelle qu’en informatique, on appelle robustesse la capacité d’un programme informatique à fonctionner dans des conditions non nominales, comme les erreurs de saisie, etc.

– Collecte des adresses IP: rien sur les fichiers fakes.

J’utilise à titre personnel pas mal les réseaux P2P pour permettre le partage de fichiers ISO de distributions GNU/Linux, BSD et en particulier d’anciennes versions de logiciels open source. Je reste un partisan du logiciel Emule et je gère une base de partage assez importante.

Il m’arrive, lorsque je cherche une distribution un peu rare, de télécharger un fichier sur les réseaux P2P, puis de me rendre compte que les informations à ma disposition étaient erronées (souvent le nom du fichier): pensant télécharger une distribution Yggdrasil, je me retrouve avec une copie d’un film pornographique, de très belle facture certes, mais très loin de l’objet désiré. Il y a plusieurs parades pour cela, mais pendant quelques minutes, voire quelques heures, j’ai malgré moi partagé un fichier illicite (à l’insu de mon plein gré) avant de me rendre compte du problème et de supprimer le fichier de mon disque dur.

CONCLUSION:

Ce rapport me fait me poser beaucoup plus de questions, principalement à cause des annexes gardées confidentielles. C’est dommage, d’autant plus que ces annexes seront probablement rendues publiques lors des procès qui auront lieu sous peu.

Ce moment magique où le disque dure

Mon activité d’expert judiciaire en informatique est connue de mon entourage et de mes amis, en particulier le fait que je sais « faire parler » un disque dur. Il m’arrive donc parfois d’être contacté par un ami qui m’avoue son désespoir de ne plus arriver à lire les données de son disque dur. La conversation donne en général ceci:

« Je n’arrive plus à accéder à mon disque dur externe. J’y stocke les photos de la famille. Je me suis pris les pieds dans l’alim et le disque dur a volé dans la pièce… Quand je l’ai rebranché, plus rien. »

Ce moment gênant où le disque dur ne démarre plus…

« … mais rassure moi, tu as bien des sauvegardes? »

Ce moment troublant où l’on réfléchit à la date de la dernière sauvegarde.

« Heu, mouis, mais pas récentes. »

« Bon. Qu’est ce qu’il fait comme bruit ton disque dur? »

« Et bien, justement, il ne fait plus aucun bruit. Enfin, si, un petit sifflement d’une seconde, puis rien pendant deux secondes, puis de nouveau un petit sifflement… »

« Ok. Ton disque dur est mort. Tu peux faire une croix sur tes données. »

Ce moment particulier où l’on annonce que toutes les données sont perdues à jamais…

« Non!? Et tu ne peux rien y faire? Même toi?

« Bah. A l’impossible nul n’est tenu. Si ton disque est mort, à part l’intervention d’une société spécialisée avec démontage en salle blanche, je ne vois pas. »

Le deuil.

Étape 1: le choc.

Cette courte phase du deuil survient lorsqu’on apprend la perte. C’est une période plus ou moins intense où les émotions semblent pratiquement absentes.

Exemple: « …!? »

Étape 2: la colère.

Phase caractérisée par un sentiment de colère face à la perte. La culpabilité peut s’installer dans certains cas. Période de questionnements.

Exemple: « Mais c’est nul! Tu peux rien faire? Mais alors, comment je vais récupérer mes données? $#%!§ (biiip) »

Étape 3: le marchandage.

Phase faite de négociations, chantages…

Exemple: « Non, mais tu peux vraiment rien faire? Et si je t’envoie le disque dur, tu peux essayer quand même? Avec un peu de chance… Et puis, toi, tu sais y faire avec ça. A chaque fois que je t’appelle, mon PC remarche, même quand tu interviens à distance! »

Étape 4: la dépression.

Phase plus ou moins longue du processus de deuil qui est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse.

Exemple: « Toutes les photos depuis la naissance du dernier!!! Pourtant, j’avais décidé d’acheter ce disque dur pour faire des sauvegardes. Mais bon, voilà, plutôt qu’un disque de secours, c’est vite devenu un disque principal, avec toute la place qu’il proposait. Comment je vais faire? »

Étape 5: l’acceptation.

Dernière étape du deuil où l’endeuillé reprend du mieux. La réalité de la perte est beaucoup plus comprise et acceptée. L’endeuillé peut encore ressentir de la tristesse, mais il a retrouvé son plein fonctionnement. Il a aussi réorganisé sa vie en fonction de la perte.

Exemple: « Écoute, j’ai bien compris que je n’avais aucune chance de récupérer mes données, mais plutôt que de jeter le disque dur, je te l’envoie pour que tu tentes l’impossible, même le démontage. Si tu y arrives, c’est fantastique, et si tu ne peux vraiment rien faire, c’est tant pis pour moi. »

Une fois le disque dur récupéré, j’ai immédiatement branché celui-ci sur une prise de courant. Résultat: bzzz (1s) « … » (2s) bzzz (1s), etc.

Comme expliqué à mon camarade, je ne suis pas magicien. Un disque dur est un miracle de technologie, une mécanique de précision. Tellement précis que les têtes de lecture sont profilées pour flotter sur un coussin d’air au plus près des plateaux magnétiques.

Je démonte quand même le boitier USB. J’en extrais le disque dur que je branche directement sur mon PC. Même bruit particulier. Comme si quelque chose empêchait les plateaux de se mettre à tourner. Je pars me coucher.

Le lendemain soir, je retrouve le disque dur que j’ai posé sur mon bureau où il va finir sa vie comme presse-papier. Je le regarde, pensif. Bzzz, « … », bzzz, « … », c’est vraiment comme si le moteur électrique n’arrivait pas à lancer la rotation des plateaux. J’inspecte les vis particulières qui scellent le boitier. Je sais que si je l’ouvre, dans l’atmosphère normalement poussiéreuse de mon bureau, je condamne définitivement les données stockées sur les plateaux.

Il ne me reste plus qu’une seule chose à tenter, une méthode que je tiens de mon père, qu’il tenait lui même de son père.

Je branche le disque dur sur une alimentation SATA externe que j’utilise lorsque je n’ai plus assez de branchements issus de l’alimentation de mon PC. Je constate qu’il fait toujours ce bruit de « démarrage bloqué ».

Je le saisis fermement.

Je le soulève de 10 cm au dessus de mon bureau.

Je frappe cette mécanique de précision, sensible et fragile, sèchement sur la surface de bois de mon bureau.

Une fois.

Deux fois.

Sur la tranche.

Sur le dessus.

Ce moment fascinant où l’on tape sur le bureau avec un disque dur.

Et ce soir là, un petit miracle s’est produit. Quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant. Le genre de truc qu’on lit sur internet sans vraiment y croire, du même genre que le coup du congélateur. Impossible ou improbable, il a toujours quelqu’un qui vous jure que ça marche, que ça a marché.

J’ai frappé un disque dur sur mon bureau, et il s’est remis à fonctionner. La méthode utilisée par mes père et grand-père sur leur télévision fonctionne donc. C’était donc vrai, la force brutale peut vaincre l’ingénierie la plus pointue.

J’ai pu récupérer toutes les données et rendre à un papa heureux toutes ses précieuses photos. J’ai certainement un peu entamé la durée de vie de son disque, mais je l’ai prévenu: « fais tes sauvegardes et prie pour que ton disque dure ».

—————

– Cette anecdote n’a aucun intérêt si ce n’est peut-être parce qu’elle est parfaitement authentique.

– J’engage mes lecteurs à ne pas répéter cet acte désespéré sur leurs propres disques durs, et encore moins sur des disques durs ne leur appartenant pas. Il s’agit effectivement ici d’un miracle. Et par définition, cela ne se reproduira pas.

– Aucun scellé n’a été blessé pendant cette séquence.

Emilie 4 ans

Émilie a 4 ans et s’est faite violer plusieurs fois par un ami de son père. Ce que ne savait pas Émilie, c’est que son violeur a pris des photos et filmé la scène. En fait, Émilie, à son âge, ne sait pas grand chose de la vie, si ce n’est qu’elle fait une confiance aveugle à ses parents et aux grandes personnes en général.

Ce que ne savait pas son violeur, c’est que les photos et films qu’il a faits seraient vus sur son ordinateur par un de ses « amis » qui les a vendus ensuite via des forums undergrounds spécialisés dans les images pornographiques « exotiques ».

Ce que ne savaient ni Émilie, ni son violeur, c’est que ces scènes feraient le tour du monde en quelques mois, s’ajoutant aux images de ce type dans les compilations pédophiles qui s’échangent sous le manteau, dévoyant les sites de partage et la magnifique liberté d’internet.

Jusqu’à cet ordinateur mis sous scellé et qui se trouve sur mon bureau.

Un ordinateur dont l’officier de police judiciaire m’a raconté la courte histoire: son propriétaire est en prison pour une autre histoire, il a obtenu l’autorisation d’utiliser son ordinateur dans sa cellule, il a visionné plusieurs séries d’images pornographiques en compagnie d’autres compagnons de cellule, dont certaines à caractère pédopornographique. Il a été dénoncé, son ordinateur a été saisi, une procédure ouverte.

J’ai brisé le scellé, procédé à la copie numérique du disque dur, et commencé son analyse inforensique.

J’ai trié toutes les images extraites, et tous les films. J’ai regardé chaque image pour déterminer sa nature. J’ai vu toutes ces jeunes filles d’à peine 10 ans, dénudées, aux sourires tristes, prenant des poses suggestives. Et je t’ai vu, Émilie. Bébé à peine grandi, avec tes yeux confiants, regardant un sexe d’homme trop grand pour toi. J’ai fermé les yeux et pensé à mes trois enfants qui jouent à l’étage… J’ai pensé à mes étudiants vingtenaires qui vivent à cent à l’heure leur jeunesse insouciante. J’ai senti des larmes couler sur mes joues en me disant que, bordel, à mon âge j’étais encore trop sensible. Que je pensais qu’avec le temps, comme les étudiants en médecine, comme les pompiers, comme les policiers, j’allais m’endurcir…

Alors je rouvre les yeux et je continue mon classement. Ton prénom est dans le nom de plusieurs fichiers. Ton âge aussi, et l’histoire de ton viol. Les films sont d’une atrocité sans nom. Je redresse mon esprit vacillant en cherchant dans les métadonnées des fichiers d’éventuelles traces utiles pour les enquêteurs. Je note les dates présumées de création, de modification et de dernier accès.

Je me demande l’âge que tu as aujourd’hui. La vie que tu mènes. Un bonheur est-il possible après un début de vie aussi terrible?

Je ne sais pas.

J’imprime quelques photos pour le rapport.

Il faudra que je pense à prévenir l’opératrice du centre de photocopies où j’ai mes habitudes. Il faudra que je pense à prévenir aussi la greffière à qui je vais remettre mon rapport. A ma question, elle répondra « je ne regarderai pas, je n’arrive pas à m’habituer ». Cela m’a rassuré.

A chaque expertise où l’on me demande de rechercher des images et films pédopornographiques, je retrouve ton visage. Presque à chaque fois. Tu es mon « effet Streisand » à moi.

Émilie, je pense encore à toi. Dans mon esprit, tu auras toujours 4 ans. J’espère que dans le tien, tu as tout effacé.

Comment devenir expert judiciaire

Je reçois un courrier assez important concernant cette question, et je renvoie toujours à un billet du 1er janvier 2009. Curieusement, ce billet est toujours d’actualité et je vais me contenter de le réécrire, parce que vous le valez bien 😉

Le premier point à bien comprendre est qu’expert judiciaire n’est pas une profession, à l’exception peut-être des experts traducteurs interprètes qui semblent impliqués à plein temps (et plus). Pour la grande majorité des experts judiciaires, il s’agit d’une activité annexe et il n’est pas rare qu’un expert judiciaire ne soit désigné qu’une ou deux fois par an, voire moins. Comme les frais engagés et les honoraires sont en général payés avec deux années de retard (ou plus), vous comprendrez qu’il ne faut pas compter sur cela pour payer les logiciels d’analyses inforensiques derniers cris dont vous rêvez, ni les formations obligatoires demandées pour rester inscrit sur la liste des experts judiciaires…

Vous devez donc avoir un vrai métier, une profession qui remplit le réfrigérateur et vous permet de rester propre. De toutes façons, c’est votre vrai métier qui intéresse les magistrats, pour les compétences qu’il vous apporte, et pour l’accès aux éventuels moyens qu’il vous assure.

Les experts judiciaires sont des professionnels habilités chargés de donner aux juges un avis technique sur des faits afin d’apporter des éclaircissements sur une affaire. Ce sont des spécialistes de disciplines très variées (médecine, architecture, gemmologie, économie et finance, etc.). Leurs avis ne s’imposent pas aux juges qui restent libres.

Ensuite, devenir expert judiciaire, c’est très simple: il vous suffit de déposer un dossier avant le 1er mars de chaque année au procureur de la République. Votre dossier va suivre tout un parcours, et s’il est accepté, vous verrez votre nom inscrit sur une liste gérée par votre Cour d’Appel. L’inscription sur cette liste fait de vous un expert judiciaire. Bravo cher confrère ou chère consœur.

Reprenons au ralenti:

– quel dossier?

– quel procureur?

– quel parcours suit le dossier?

– quelles conditions devez-vous remplir?

– quelle bouteille ouvrir en cas d’inscription?

Le dossier.

Le dossier de demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires doit comprendre toutes les précisions utiles permettant de juger de la qualité de votre candidature, notamment les renseignements suivants :

1° Indication de la ou des rubriques ainsi que de la ou des spécialités dans lesquelles l’inscription est demandée. Vous trouverez la nomenclature des branches, rubriques et spécialités dans ce document pdf.

2° Indication des titres ou diplômes du demandeur, de ses travaux scientifiques, techniques et professionnels, des différentes fonctions qu’il a remplies et de la nature de toutes les activités professionnelles qu’il exerce avec, le cas échéant, l’indication du nom et de l’adresse de ses employeurs. En terme plus simple, ressortez votre CV et mettez le à jour.

3° Justification de la qualification du demandeur dans sa spécialité. Vous avez des lettres de recommandation, des courriers de vos pairs qui admirent vos compétences, c’est le moment de les sortir de leurs cadres et d’en faire une photocopie.

4° Le cas échéant, indication des moyens et des installations dont le candidat peut disposer. Vous travaillez dans une université et avez accès aux superordinateurs, vous êtes copain avec le technicien qui gère le microscope électronique du laboratoire, vous connaissez la tata du gardien du Grand collisionneur de hadrons du CERN, et vous pouvez utiliser ces installations, si possible gratuitement, alors c’est le moment de le signaler par écrit. L’institution judiciaire est si mal pourvue en budget par les politiques en charge des affaires…

En annexe à cette demande, il peut être judicieux de joindre un extrait du casier judiciaire et une copie certifiée conforme des diplômes présentés à l’appui de la demande, ainsi que les travaux déjà effectués dans les spécialités concernées. Soyez quand même synthétique, je ne suis pas sûr qu’une copie papier de votre thèse de 200 pages soit la bienvenue.

Un coup de téléphone à sa cour d’appel peut être utile pour savoir s’il faut des documents complémentaires (photos, etc.)

Le procureur de la République.

Une fois votre dossier de demande fin prêt, vous devez l’adresser avant le 1er mars au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel vous exercez votre activité professionnelle ou possédez votre résidence ou, pour les demandes d’inscription dans la rubrique traduction, au procureur de la République près le tribunal de grande instance du siège de la cour d’appel.

Nous sommes dans la 2e décennie du 3e millénaire, donc le courrier d’accompagnement du dossier pourra être imprimé à partir d’un traitement de texte, surtout si vous avez une écriture illisible. N’oubliez pas quand même de le signer d’une belle encre bleue (éviter le rouge ou le vert, trop originaux, et le noir pour différencier la photocopie de l’original). En vrai, tout le monde se fout de la couleur de la signature, mais n’oubliez pas de signer, sinon cela fait tache (et la vache à une tache qui tache est moins bien que la vache sans tache qui tache).

Vous ne connaissez pas l’adresse du tribunal d’instance auquel écrire? Pas de panique, le site du ministère de la justice devrait être à jour et vous aider. Lien ici.

Mon conseil personnalisé: à partir d’aujourd’hui, envoyez tous vos courriers postaux ayant un lien avec votre (future) activité d’expert judiciaire, en recommandé avec avis de réception et faites en sorte que le postier dont vous dépendez devienne votre meilleur ami. Vous enverrez donc votre dossier de candidature en recommandé avec avis de réception (et conserverez le récépissé d’envoi et celui de réception dans un dossier ad hoc).

Le parcours de votre dossier de demande.

Le procureur de la République instruit la demande d’inscription initiale: il va vérifier que vous remplissez les conditions requises (voir plus loin) et recueillir tous les renseignements possibles sur vos mérites. Je ne connais pas bien le travail réalisé, mais je pense qu’il y a ce que l’on appelle une enquête de bonne moralité. Dans mon cas, un policier est venu directement à mon domicile, et comme j’étais absent (j’étais au travail), il a discuté avec ma femme pour obtenir tous les renseignements possibles sur mon parcours… C’était une autre époque, un autre siècle, un autre millénaire, avant que la police ne dispose de 80 fichiers.

Ensuite, au cours de la deuxième semaine du mois de septembre, le procureur de la République transmet les candidatures au procureur général qui saisit le premier président de la cour d’appel aux fins d’examen par l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel.

Ce qu’il se passe à chaque étape fait parti des grands mystères de la création.

Les conditions à remplir.

1° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs.

2° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation.

3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce.

4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité.

5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante.

6° N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise.

7° Être âgé de moins de soixante-dix ans.

8° Pour les candidats à l’inscription sur une liste dressée par une cour d’appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, y avoir sa résidence.

Vous ne devez pas être déçu de ne pas être inscrit dès la première demande. Le nombre d’experts retenus tient à des facteurs indépendant des candidats, comme l’évolution du nombre d’expertises, le nombre d’experts dans une discipline, les orientations générales de la Chancellerie ou encore à d’autres facteurs relatifs à l’institution judiciaire. Seuls les magistrats pourraient indiquer quels sont les critères qui tiennent aux candidats eux-mêmes. Au vu des pièces demandées, on peut toutefois estimer que les magistrats examinent la compétence, l’expérience, la notoriété, la disponibilité, l’indépendance et les moyens de remplir les missions que présentent les candidats. Un conseil: après un refus, ne pas hésiter à représenter sa candidature l’année suivante, surtout si l’on peut faire valoir des éléments nouveaux.

Bouteille à ouvrir après inscription.

Un bon champagne fera l’affaire 😉

Pour autant, l’inscription n’est pas un un diplôme supplémentaire, mais une activité supplémentaire, parfois lourde, voire dangereuse pour la psyché dans certaines expertises en matière criminelle.

Les « experts cartes de visite » et autres businessmen sont très mal vus par les magistrats et rapidement mis hors circuit.

Si votre demande est acceptée, vous serez convoqué pour prêter serment. C’est aussi le bon moment pour contacter une compagnie d’experts pour parler formations, procédures, assurance, et pour comprendre également dans quel guêpier vous êtes tombé avant de contacter les impôts, l’URSAFF et autres joyeusetés à qui vous allez expliquer votre activité (et comment ils doivent la gérer).

Mais tout cela est une autre histoire, et concernant la bouteille, n’attendez pas la clôture de votre premier dossier.

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Image: Allégorie de la Justice

Références bibliographiques:

Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.

– Site de la Cour de Cassation consacré aux experts judiciaires.

– Site du Ministère de la Justice et des Libertés.

Marcel 70 ans

Marcel a 70 ans et s’est acheté un PC. Un beau PC tout neuf qu’il a acheté auprès du marchand au coin de la rue. Mais Marcel n’est pas content, car au bout de trois mois son PC ne marche plus.

Alors Marcel a contacté le marchand qui lui a dit de lui amener son PC. Après l’avoir gardé deux semaines, le marchand lui a rendu en lui disant qu’il ne pouvait rien faire, que le PC n’était pas réparable à moins de changer tous les composants importants, qu’il avait du prendre une surtension liée à la foudre, qu’il aurait fallu le brancher sur une prise parafoudre…

Et Marcel, il a l’impression de se faire avoir, et ça, Marcel, il n’aime pas.

J’ai beau expliquer à Marcel qu’il ne faut pas qu’il me raconte tout ça, pas tout de suite, car le marchand n’est pas encore arrivé. Marcel ne m’écoute pas, il en a gros sur le cœur, alors il parle et me raconte son histoire. Je vois bien que Marcel est en colère, je vois bien qu’il ne m’écoute pas quand je lui explique que la procédure étant contradictoire, nous ne devons pas commencer tant que toutes les parties convoquées ne sont pas arrivées. Je cherche du regard un appui de son avocat, mais celui-ci m’indique d’un haussement d’épaule son impuissance à canaliser son client.

Marcel a 70 ans, nous sommes chez lui dans son salon, assis sur le canapé, son avocat et moi. Marcel nous a servi un café et des petits gâteaux. L’intérieur de la maison est propre et bien rangé. Il y a une petite odeur de cuisine et j’essaye de deviner le plat qu’il s’est préparé à midi. Pour détourner la conversation, je lui demande ce qu’il s’est cuisiné. Un peu surpris, il me répond et m’explique que son épouse est morte depuis cinq ans et me raconte sa vie de veuf. Le changement de sujet lui a fait du bien, il semble se détendre.

Je regarde ma montre et constate que le marchand a une demi-heure de retard. J’ai pourtant été clair sur la convocation envoyée en recommandé avec avis de réception. J’abandonne Marcel et son avocat en leur demandant de m’excuser et je téléphone au marchand. Celui-ci me répond qu’il n’a pas que cela à faire et voudrait savoir qui va payer son déplacement… Je prends alors ma voix la plus glaciale possible et lui explique que la réunion d’expertise ayant été régulièrement convoquée, celle-ci se tiendra même en l’absence d’une des parties et qu’il prend le risque de ne pas voir ses éventuelles explications prises en compte. Je lui rappelle enfin qu’il est probable que l’ensemble des frais d’expertise soit à sa charge si le magistrat en décide ainsi. Et que le compteur tourne depuis déjà une demi-heure…

Cinq minutes après, le marchand est dans la place, seul, ayant estimé inutile de se faire accompagner par un avocat. La réunion d’expertise peut enfin commencer.

Le marchand prend toute l’affaire de très haut et commence à dénigrer l’avocat de Marcel. Celui-ci ne se laisse pas faire et explique au marchand quelques aspects intéressants de la loi en matière commerciale. Je les laisse s’expliquer un peu en regardant Marcel. Celui-ci s’est assis dans un fauteuil et regarde la scène avec un petit sourire. Il a sur ses genoux un dossier contenant toutes les pièces qu’il a rassemblées.

Une fois que le marchand s’est fait calmer par l’avocat de Marcel, je reprends la parole et explique que je souhaite entendre successivement chaque partie dans le calme, explique mon rôle auprès du tribunal et énonce les missions qu’il m’a données. Je passe la parole à Marcel qui semble ravit de recommencer à tout m’expliquer: l’achat du PC auprès du marchand, l’achat d’une prise parafoudre sur les conseils de son fils, facture à l’appui avec date antérieure à celle de l’achat du PC, sa découverte de l’informatique sur son nouveau matériel, avec l’aide de son fils, la panne inexpliquée au bout de trois mois et le refus du marchand de faire jouer la garantie après avoir gardé le matériel deux semaines.

Marcel s’exprime avec des mots simples. Il est en colère mais sa voix ne tremble pas. Son avocat a sa main posée sur son bras. Il a probablement à peu près l’âge de son fils. Le marchand est debout dans un coin de la pièce et a du mal à garder son calme. Une fois que Marcel a terminé, je passe le bâton de parole au marchand.

Celui-ci explique que la carte mère a subit un choc électrique dû à une surtension qui n’est pas couverte par la garantie, que son équipe et lui ont déjà passé beaucoup de temps sur ce dépannage, un temps supérieur à la valeur marchande du produit.

En présence des deux parties, j’ouvre l’unité centrale du PC et constate l’absence de traces visibles de surtension. Je constate la présence d’une multiprise parafoudre sur laquelle est branchée l’alimentation de l’unité centrale ainsi que l’écran de l’ordinateur. Je constate que l’écran fonctionne correctement en le branchant sur mon PC de test que j’ai amené dans mon coffre de voiture. J’y branche dessus à titre de vérification le disque dur du PC de Marcel, le lecteur DVD et l’alimentation. Tous ces éléments fonctionnent correctement. Après plusieurs tests, je constate que seule la carte mère est défectueuse.

Pendant tout ce temps, Marcel observe avec intérêt mes manipulations. Je le vois même prendre des notes de mes explications, ainsi qu’une photo.

« C’est pour mon fils » m’explique-t-il.

Dans mon rapport, j’indique au magistrat que la cause de la panne est un défaut sur la carte mère, défaut d’origine inconnue, apparu pendant la période de garantie. J’indique la date approximative de la panne, basée sur l’analyse du disque dur, sur les déclarations de Marcel et le dépôt du PC chez le marchand pour réparation. Je joins au rapport un extrait des analyses d’ERDF des impacts de foudre sur la période concernée sur son réseau de distribution, montrant qu’aucune fluctuation n’a eu lieu à cette date.

Un an et demi après, j’ai appelé le greffe du tribunal pour essayer de connaître la décision du tribunal. La greffière m’a répondu: « remise en état de l’ordinateur concernant le dommage matériel, paiement des honoraires d’avocat et des frais d’expertise, et enfin un dommage moral au titre du préjudice d’agrément, le tout entièrement à la charge du marchand ».

Aujourd’hui Marcel est mort, mais je suis sûr qu’avant de disparaître, il ne s’est surement pas laissé faire.