Devenir expert judiciaire

Sur la tombe des Gardes Suisses tués par les émeutiers le 20 juin 1792, au Cours-la-reine à Paris, fleurissait un marronnier tous les ans au premier jour du printemps. De la même façon, tous les ans, un article paraissait dans la presse pour relater l’évènement, de faible importance il est vrai, mais attendu par les lecteurs.

L’encyclopédie en ligne Wikipedia nous donne ainsi l’origine du sens du mot “marronnier” en matière de journalisme, ainsi que sa définition: un article d’information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un évènement récurrent et prévisible.

Sans être journaliste, j’ai néanmoins sur ce blog un “marronnier”, qui nécessite chaque année un billet de ma part: le 1er janvier ouvre en effet la période de dépôt des dossiers de candidature pour devenir expert judiciaire, période qui prendra fin le 1er mars de la même année.

Et comme l’un des objectifs de ce blog est de permettre aux meilleurs d’entre vous de se dire “pourquoi pas moi”, voici un billet qui démontre avec brio ma maîtrise consommée de l’art du copier/collé. Les références bibliographiques des pillages effectués sont en bas de billet…

Vous avez toujours rêvé de mettre vos talents au service de la Justice?

Vous vous sentez capable de procéder à l’analyse d’un disque dur, d’une clef USB ou d’un cédérom tout abimé?

Vous n’avez pas peur d’organiser une réunion et de l’animer avec sérénité?

Vous n’avez pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs?

Les mots Warrant, Verus dominus, Usucapion, Urssaf, Quérable, Léonin, Forclusion, Exécution provisoire, Contradictoire ne vous font pas peur et vous vous sentez capable d’apprendre leur définition par coeur?

Vous êtes prêt à accepter un refus poli de votre dossier malgré sa grande qualité?

Vous savez chiffrer les dommages financiers causés par une informatisation partiellement ratée à cause d’un bug non reproductible?

Vous savez trouver un texte du Journal Officiel sans connaître sa date de parution?

Si vous avez répondu “Oui” à toutes ces questions, vous pouvez postuler pour devenir expert judiciaire (mais cela ne suffira pas!).

Commencer par lire attentivement le bon Journal Officiel (celui du 30 décembre 2004) en allant directement au texte 63 intitulé “Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires”.[Réf_1]

Mais savez-vous ce qu’est un expert judiciaire?

Les experts judiciaires sont des professionnels habilités chargés de donner aux juges un avis technique sur des faits afin d’apporter des éclaircissements sur une affaire. Ce sont des spécialistes de disciplines très variées (médecine, architecture, gemmologie, économie etfinance, etc.).

Leurs avis ne s’imposent pas aux juges qui restent libres.[Réf_2]

Comment devenir expert judiciaire?

Un technicien qui voudrait s’inscrire sur une liste d’experts judiciaires dressée par la cour d’appel doit envoyer une demande sous forme de lettre sur papier libre, précisant les domaines et/ou les spécialités pour lesquels la demande est introduite, ainsi que les rubriques de la liste pour lesquelles il souhaite son inscription.

En annexe à cette lettre doit figurer un curriculum vitae, un extrait du casier judiciaire et une copie certifiée conforme des diplômes présentés à l’appui de la demande, ainsi que les travaux déjà effectués dans les spécialités concernées et toute pièce permettant d’apprécier ses compétences.

Cette demande doit parvenir au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel le candidat exerce son activité professionnelle ou possède sa résidence, avant le 1er mars de chaque année pour les inscriptions à valoir l’année suivante.[Réf_3]

Quelles sont les conditions nécessaires?

Une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts que si elle réunit les conditions suivantes :

1° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs;

2° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation;

3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce;

4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité;

5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante;

6° N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise;

7° Sous réserve des dispositions de l’article 18, être âgé de moins de soixante-dix ans;

8° Pour les candidats à l’inscription sur une liste dressée par une cour d’appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, y avoir sa résidence.[Réf_4]

Y a-t-il des petits trucs à savoir?

«L’expertise judiciaire n’est pas une profession, c’est une fonction» qu’exercent de façon périodique des professionnels de la matière concernée (médecins, architectes…). «L’expert est un auxiliaire du juge, ce n’est pas un auxiliaire de justice comme l’avocat, qui exerce une profession vraiment judiciaire.»[Réf_5]

L’inscription n’est pas un un diplôme supplémentaire, mais une charge, parfois lourde, voire dangereuse dans certaines expertises en matière criminelle. Les candidats ne doivent pas être déçus ne pas être inscrits dès leur première demande.

Le nombre d’expert retenu tient à des facteurs indépendant des candidats, comme l’évolution du nombre d’expertises, le nombre d’experts dans une discipline, les orientations générales de la Chancellerie ou encore à d’autres facteurs relatifs à l’institution judiciaire. Seuls les magistrats pourraient indiquer quels sont les critères qui tiennent aux candidats eux-mêmes. Au vu des pièces demandées, on peut toutefois estimer que les magistrats examinent la compétence, l’expérience, la notoriété, la disponibilité, l’indépendance et les moyens de remplir les missions que présentent les candidats.

Un conseil : après un refus, ne pas hésiter à représenter sa candidature l’année suivante, surtout si l’on peut faire valoir des éléments nouveaux.[Réf_6]

Un coup de téléphone à sa cour d’appel peut être utile pour savoir s’il faut des documents complémentaires (photos, etc.)

Si votre demande est acceptée, vous serez convoqué pour prêter serment. C’est aussi le bon moment pour contacter une compagnie d’experts pour parler formations, procédures, assurance…

Plus d’informations en cliquant ici (mais il faudra réfléchir).[Réf_7]

Et quand vous aurez enfin votre nom inscrit sur l’une de ces listes, alors le travail ne fera que commencer…

Vous avez deux mois.

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[1] Réf: Zythom.

[2] Réf: Ministère de la Justice.

[3] Réf: Ministère de la Justice

[4] Réf: Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, version consolidée au 21 juillet 2007.

[5] Réf: Sénat.

[6] Réf: Paul Vidonne

[7] Réf: Zythom. Je vous l’avais dit: un marronnier!

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Crédit image Aviso.

13 réflexions sur « Devenir expert judiciaire »

  1. et vous pourrez même être convoqué au tribunal pour que le procureur se fasse un avis sur vous lors d’un entretien “informel”…

  2. Ah, si je n’étais pas parti de France… je pense depuis quelque temps à porter ma candidature mais le destin en a décidé autrement !

    En tout cas, je rejoins l’avis de Zythom : si vous êtes capables d’assumer correctement la tâche, inscrivez-vous. J’ai déjà eu à travailler sur différents dossiers impliquant des experts judiciaires qui n’étaient pas tout à fait au fait de certaines évolutions récentes de la sécurité informatique, ce qui a rendu le tout un tantinet plus complexe. La justice (et les victimes !) ont besoin de vous !

    Bonne année, par la même occasion.

  3. @Zythom, Bonne Année 2009 et continuez votre blog, un monument ! Juste une question. Je n’ai pas eu de réponse à ma demande précédente de Janvier 2008 et j’ai néanmoins fait tout le parcours. En cas d’absence de réponse pour la convocation du “serment” , quand dois je reformuler ma demande ? Dès maintenant, ou le système peut encore m’appeler ? Merci 😉

  4. @Anonyme: Pas de réponse après tout ce temps, je pense que cela signifie un non. Pour autant, à votre place, et pour avoir vécu exactement le même refus lors de ma première postulation, je n’hésiterais pas à refaire un dossier complet (chaque année?).

  5. Bonjour, j’ai créé mon entreprise individuelle en 1979.

    En 2006, suite à des impayés, j’ai demandé au tribunal de commerce ma mise en redressement judiciaire.

    Aujourd’hui j’honore mensuellement mon plan de continuation.

    Je souhaite m’engager dans une formation d’expert judiciaire en juin prochain.

    Pensez vous que le redressement judicaire de mon entreprise individuelle est un obstacle pour devenir expert judiciaire ?

    Vous remerciant pour votre réponse.

    Merci aussi pour tous les renseignements que je trouve sur votre blog.

  6. @Anonyme: Franchement, je n’en sais rien!
    Si vous affirmez “N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce”, et que vous remplissez les autres conditions, ET que l’assemblée a besoin d’une compétence comme la votre, alors pourquoi pas.

    Sinon, ce sera non.

  7. Bonjour,

    N'est expert judiciaire pour le temps d'un instant, celui qui a été nommé pour réaliser une expertise judiciaire.

    Le titre ne vaut que pour un dossier, une affaire.

    Le titre expert judiciaire ne peut donc être utilisé pour un blog, comme titre, publicité ou mention lors d'avis d'expert à titre privé, ni sur un annuaire public.

    Le(s) titre(s) officiel(s) est (sont) expert près la Cour d'Appel de…, expert agréé par la Cour de Cassation.

    Ainsi de grands professionnels, femmes et hommes de l'art, techniciens sont généralement non inscrit et non candidat, mais toute leur vie se voient confer des missions et expertises judiciaires.

    Lucien David LANGMAN
    Compagnie Nationale des Experts MCTH.

  8. @David: Comme votre monde est différent du mien! Je rencontre bon nombre d'experts judiciaires lors de conférences, et tout ce petit monde, moi y compris, se présente comme "expert judiciaire", alors même qu'un nombre important n'est pas en cours de mission. Il y a les textes, et il y a l'usage commun.

    Par ailleurs, on me parle souvent de personnes non inscrites sur des listes qui se feraient désigner par des magistrats. Je n'ai jamais rencontré de telles personnes.

    Mais je ne suis qu'un modeste expert judiciaire de province.

  9. Zython un grand merci pour votre réponse.

    Nos mondes ne sont pas différents, mais parallèles.

    La loi reste ferme sur l’utilisation du titre d’Expert Judiciaire même si l’usage de quelques uns trahit de fait l’engagement pris lors de la prestation de serment. Chacun décidant par la suite librement comme vous le soulignez de se comporter selon son désir et sa perception de ce qui peut être ou non.

    « Par ailleurs, on me parle souvent de personnes non inscrites sur des listes qui se feraient désigner par des magistrats. Je n'ai jamais rencontré de telles personnes. »

    Je pense que vous vouliez juste nous faire un petit clin d’œil, sachant que les grands spécialistes, Professeurs en médecine, ingénieurs de renom n’ont pas le privilège d’être sur ces listes dîtes judiciaires, leurs avis étant de fait comme vous le soulignez (pardonnez cette redite), et selon les usages les plus reconnus, demandés et sollicités en justice et plus particulièrement au pénal. La compétence étant la qualité retenue en la matière sans que ces experts ne soient amenés ou ne sollicitent ou courent après des missions.

    « Mais je ne suis qu'un modeste expert judiciaire de province. »
    Dîtes vous Zython, mais tous se doivent d’être modestes par respect envers les autres.

    Aujourd’hui ce fait jour une contestation montante au sein de juridictions, d’Organisations professionnelles concernant les compositions de ces fameuses listes dont nombre de noms ne sont pas cautionnés par les filières professionnelles dont ils revendiquent. La cooptation de l’intérieur étant remise en cause du fait de sinistres et erreurs grandissants.

    Ceci étant, cela n’empêche aucunement qu’un grand nombre d’experts soient de qualité et compétents.

    Lucien David LANGMAN
    Compagnie Nationale des Experts MCTH.

  10. Bon, la dernière discussion reviens de loing, mais j'ai l'impression que c'est l'article approprié.

    J'aurais voulu savoir si par acte répréhensible de moral le simple rappel à la loi en fesait parti.

    Je vous en remercie.

  11. @Anonyme: Un rappel à la loi n'est pas a priori inscrit sur le casier judiciaire mais reste dans les fichiers de la police et donc remontera probablement à la surface lors de l'enquėte de moralité. Mais comme on dit, qui ne tente rien n'a rien…

  12. Merci bien.

    Je vais garder sa dans un coing de ma tête en attendant de finir mes études.

    PS : j'apprécie beaucoup votre site.

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