Gestion de stress

Cet après-midi là, tous les ordinateurs du travail se sont mis à planter (sauf le mien;). Mon téléphone a commencé à crépiter et mes voisins de bureau à venir me voir, goguenards.

Aussitôt, je suis aller rejoindre mon équipe en salle serveurs.

Première chose, redémarrer la production. Comprendre ensuite si possible, mais arrêter le moins longtemps possible la structure. Et pour cela, il faut un peu de calme: je prends les téléphones de mon équipe pour éliminer le plus possible les interférences avec le monde extérieur. Je deviens le seul point d’entrée du service informatique (je réponds à tous les appels, poliment mais très succinctement: « Nous avons un gros problème, nous nous en occupons, merci de votre appel mais il va falloir patienter »).

Nous commençons une analyse de tous les symptômes du problème. Les serveurs sont très lents. Seuls les serveurs Windows semblent atteints. Il est difficile, voire impossible, d’ouvrir une session distante dessus. Une attaque virale?

Je continue de répondre aux appels et à accueillir les personnes qui se déplacent jusqu’au service (en général des étudiants envoyés par les professeurs à la pêche aux informations).

Est-ce une instabilité liée au système de virtualisation? Dans ce cas, pourquoi les machines virtuelles GNU/Linux ne semblent pas affectées?

Je suis calme et ma sérénité gagne toute l’équipe. Nous sommes en train de faire un diagnostic différentiel sans canne et sans Vicodin… Les hypothèses fusent librement et nous les soupesons chacune pour trouver une piste.

Qu’est-ce qui peut bien mettre tout notre système par terre? Nous lançons iptrafic pour regarder les trames réseaux.

« Tiens, les machines de Casablanca se synchronisent sur notre WSUS local. Pas bon ça! »

« Peut pas être en rapport avec le problème, les débits en jeux sont trop faibles: 10Mb/s d’un côté, 2Gb/s de l’autre, un rapport de 200 entre les deux… »

« Un problème de synchro entre les deux annuaires, alors »

« OK, reboote l’un des deux serveurs AD, attend qu’il soit en ligne et reboote le deuxième ensuite, on verra bien »

La situation de crise est bien là. L’école est arrêtée, je sais que l’on me reprochera d’avoir failli. Mais le moment n’est pas encore à assumer le problème, le moment est à la recherche d’une solution pour retrouver un bon fonctionnement…

Nous sommes calmes, les gestes sont précis et les hypothèses, plus ou moins loufoques, sont passées au crible les unes après les autres.

« Si c’est un problème réseau, on est mal »

« C’est sur, nous n’avons pas de sondes temps-réel, à peine une surveillance snmp des principaux switches. »

« Tous les serveurs Windows fonctionnent au ralenti, plusieurs personnes n’arrivent pas à s’y connecter, ceux déjà connectés ont des timeouts, et certaines machines sous XP se figent »

« Regarde la carte réseaux de la console, elle clignote comme une folle. »

« Bon, pas le temps de lancer un Wireshark. On reboote le cœur de réseau. Si ce n’est pas cela. On débranche tout. On arrête toutes les VM, tous les serveurs physiques, et on redémarre tout ».

Et comme dans une opération dans un bloc chirurgical, nous arrêtons le cœur (trois alimentations à mettre sur off), nous comptons jusqu’à dix, puis l’on remet tout sous tension.

Le cœur de réseau repart… Sur nos écrans, nous lançons différents tests pour jauger le fonctionnement des serveurs. Je regarde les courbes de charge. Il faut environ une minute pour que les autotests du cœur de réseau aboutissent et que le système soit de nouveau opérationnel. Nous retenons notre souffle.

Les étudiants dans le couloir nous font des petits signes d’encouragement. Les cours reprennent. Le problème est résolu. Notre switch principal était en vrille. Pourquoi? Pour l’instant, nous ne savons pas. J’ai peur d’une attaque virale qui serait passée à travers les antivirus. Il faudra bien que cela nous arrive, maintenant que l’on a abandonné Novell…

L’alerte aura durée un quart d’heure. C’est trop, beaucoup trop. Maintenant il faut que j’explique à 1000 personnes que je n’ai pas été capable d’empêcher cela. Mais pendant un quart d’heure, l’équipe a fait corps et travaillé avec une puissance que l’on ne trouve que dans les situations d’urgence.

Et ça, c’est beau.

Vie privée, vie publique

Depuis quelques années maintenant, j’utilise internet comme outil de travail, de loisir ou comme moyen d’expression.

Jeune chercheur en informatique, j’ai appris son existence en 1989 et m’en suis servi pour mon doctorat en intelligence artificielle (et ouais:). Internet était un outil réservé aux chercheurs et pour eux.

J’ai assisté ensuite à l’apparition des fournisseurs d’accès à Internet. C’est l’époque pionnière de l’Internet, devenu entretemps « Web », avec l’apparition de nombreux usages rendus accessibles au grand public.

Puis est venu le temps des marchands. Les grandes entreprises se sont installées, le business s’est déployé, la professionnalisation d’Internet s’est effectuée, au gré des bulles financières. L’outil est devenu encore plus accessible au grand public. Internet a perdu sa majuscule et est devenu indispensable à de plus en plus de personnes.

L’utilisateur que je suis s’est adapté, a évolué, a pris part aux changements. Parfois je me suis un peu opposé: je surfe toujours et encore sur un web dénué de publicités grâce au plugin AdBlockPlus de Firefox. Rien de révolutionnaire.

Je participe toujours au formidable élan de partage qui s’est emparé de la toile à cause des débits très faibles et de l’explosion du nombre d’usagers à la fin des années 90. Je rappelle que Napster date de 1999, à une époque où les modems 14.4, 28.8 étaient encore très nombreux face aux riches modems 33 et 56kbps. Et, oui, j’ai connu les bauds

Je partage les distributions GNU/Linux que je télécharge par ailleurs, je partage des logiciels gratuits plus rares, difficile à trouver autrement sur le réseau, je partage des logiciels en accord avec mes passions et avec les licences de partage qui sont nombreuses dans ce domaine.

Je ne partage pas les produits commerciaux lorsque leurs licences l’interdisent.

Avec le temps, je me suis constitué un volume de données que je partage plutôt conséquent: 300 Go de données disponibles en upload sur ma liaison ADSL grâce aux protocoles P2P.

Mais j’ai pris conscience, il y a quelques semaines, que lorsque j’énonçais ce fait dans mon entourage professionnel ou judiciaire, de plus en plus de monde me regardait en coin. Je n’étais pas normal. Je me comportais bizarrement, voire illégalement.

Pour une partie de mon entourage, j’étais devenu à leurs yeux un PIRATE.

Dans certaines situations, cette étiquette sulfureuse peut être plutôt agréable, pour quelqu’un qui a plutôt souffert de l’époque où « informaticien » était plutôt une profession honteuse. Cette réputation est un peu une revanche de la période où, plus jeune, j’avais l’impression que les filles regardaient plus facilement vers les garçons du fond de la classe que vers ceux du 1er rang (j’étais au 2e rang, ce sont les fayots qui étaient au 1er rang!)…

Mais plus les années passent, plus les politiques s’emparent du phénomène internet et plus ils souhaitent y mettre de l’ordre. Avec les conséquences actuelles que l’on connait avec les lois HADOPI et LOPPSI. Conséquences que les politiques n’ont pas pu ou voulu percevoir, enferrés qu’ils sont avec une vision à court terme.

Et fatalement, la machine à broyer les vies va se mettre en route.

C’est donc le plus naturellement du monde que je me suis posé la question: avec mon serveur P2P, mes envies de partage et ma connaissance des réseaux éponymes, apparaître aux yeux de mon entourage professionnel et familial comme un pirate ne pouvait-il pas logiquement risquer de m’attirer des ennuis avec la police, la justice et la société toute entière.

Je me voyais déjà me battre avec le monde entier pour tenter de retrouver mon honneur perdu: mais Mme Michu, partager des distributions GNU/Linux, c’est autorisé vous savez!!! Combat perdu d’avance. L’Etat m’a battu d’avance. Alea iACTA est…

Comment concilier des aspirations qui paraissent de plus en plus libertaires et une tranquillité méritée par mon statu de quadra bobo provincial?

C’est à l’occasion d’un rêve que la réponse m’est apparue dans sa plus grande simplicité: je me voyais debout à la fenêtre de la mairie brandissant un drapeau français en criant « veux pas haine, problèmes derrière ». Les rêves les plus fous étant ceux qui l’on déchiffre le mieux, j’ai compris au petit matin que j’avais mélangé le reportage d’Arte de la veille consacré à Pierro le fou du gang des tractions avant, avec sa devise « Traction Avant, Police derrière » et une déformation phonétique du sigle informatique

Une fois n’est pas coutume, mon cerveau nocturne s’étant comporté comme un oracle de Turing, j’ai donc pris la peine de m’enquérir d’une protection pour ma réputation afin que Madame Michu puisse de nouveau me voir comme un chapeau chevalier blanc. Lorsque l’on interdit au lieu d’éduquer, on fait du contournement un sport national avec des conséquences pires que la situation de départ.

Pour faire simple, sans aller jusqu’à l’embarrassante complexité d’un changement de nationalité, je suis allé voir les pays du monde civilisé ayant la plus haute estime de la protection de la vie privée de leurs internautes.

Etant le maître de mon avis, j’ai décidé que la Suède réunissait ces deux critères (civilisation et vie privée). J’ai été aidé un peu par cette multinationale (ce qui peut surprendre en matière de vie privée) et beaucoup par cette personne privée cette communauté.

J’ai choisi Anonine associé à VPN Lifeguard, dans une machine virtuelle vmware Window XP sans IPv6. Beaucoup l’on déjà fait, d’autres le feront. Je n’ai pas changé mes habitudes de surf, je n’ai pas honte de ma vie privée, ni ne fais de choses honteuses en privée.

Et vous n’imaginez pas ma joie quand je surfe sur internet, ou quand je partage mes distributions GNU/Linux, sous les traits d’un grand et beau suédois. C’est comme cela que j’aimerais que vous pensiez à moi, quand vous verrez mon adresse IP dans vos logs.

Dans mes bras Ikea! Hej Stockholm!

Broderskap frihet jämlikhet!

Et je vais pouvoir réouvrir le relais Tor que j’avais fermé par peur d’illégalité…

Au nom de la commune

20h30, c’est le début du conseil municipal. Comme d’habitude, tous les conseillers sont là ou presque. Le pompier arrivera en retard, à cause de son métier. L’infirmière aussi.

La liste des sujets à débattre est longue, et le conseil municipal risque fort de se terminer tard dans la nuit. Mais nous sommes là, tous les 26, assis dans cette grande salle avec les tables en carré.

Parmi les sujets du jour du soir, un point qui fait débat dans la commune depuis plusieurs années: la construction d’une aire d’accueil de gens du voyage.

La commune où j’habite vient juste de franchir la barre des 5000 habitants. C’est un seuil important, et parmi les nouvelles obligations de la commune, il y a celle de mettre à la disposition des gens du voyage un endroit où pouvoir séjourner. Le conseil municipal précédent avait déjà débattu de la question, mais sans pouvoir trouver un endroit adéquat.

Le maire, conscient des difficultés à fédérer les conseillers sur un projet particulier, a choisi d’inviter au conseil municipal le spécialiste de l’accueil des gens du voyage de la communauté d’agglomération à laquelle la commune appartient.

Cette personne nous a présenté pendant une heure les différents aspects de la communauté des gens du voyage, bien loin des clichés que pouvaient avoir certains conseillers. Il nous a parlé des difficultés rencontrées par cette communauté, de sa richesse culturelle mais aussi de sa pauvreté, de son illettrisme parfois. Il nous a montré les contradictions de notre société qui souhaite sédentariser ces populations pour permettre la scolarisation réussie des jeunes, et qui considère les aires d’accueil comme des lieux de passage.

Il nous a expliqué leur mode de vie, leur travail et leurs aspirations. Par exemple, il nous a montré que beaucoup d’aires d’accueil de notre communauté d’agglomération étaient construites sur un modèle architectural identique, avec des défauts (blocs sanitaires utilisés pour le stockage de nourriture, pas d’emplacement prévu pour un lave linge, pas de rangements…)

Il s’est dit étonné et particulièrement heureux d’avoir appris que notre conseil municipal avait décidé de passer par un bureau d’étude auquel nous avions demandé l’établissement de plans pour notre future aire d’accueil. Il était surtout content d’avoir pu participer à la critique du projet avant sa réalisation, afin de nous faire profiter de son expérience de plus de dix années à son poste.

Enfin, il était content de l’emplacement choisi par le conseil municipal lors d’une délibération précédente: près du centre culturel et sportif de la commune, près d’un arrêt de bus pour l’école et près des commerces.

Le conseil municipal étudie alors avec soin les travaux de la commission voirie qui avait en charge le suivi du travail du bureau d’étude. L’aménagement de l’aire d’accueil retenu par la commission est voté par le conseil municipal à l’unanimité. Celle-ci sera végétalisée et permettra l’accueil de 16 familles.

Le maire nous lit alors la pétition qui circule dans la commune et demandant le déplacement de la future aire d’accueil à un endroit « moins visible », près de la 2×2 voies qui traverse la commune. Le maire explique que l’endroit choisi par les organisateur de cette pétition se trouve dans la zone des 100m inconstructibles de la voie rapide et répond point par point à tous les arguments de la pétition.

Le maire a conclu sa présentation en ces termes: « nous travaillons sur ce projet depuis des mois, voire des années. Il se termine alors que le gouvernement de la France est en pleine polémique sur une catégorie de gens du voyage. C’est triste, mais c’est comme cela. Je vous propose une chose simple: lorsque l’aire sera terminée, nous irons tous accueillir en personne, ensemble et au nom de la commune les premières familles qui viendront s’y installer. » Sa proposition a été acceptée par tous.

Dommage qu’il n’y avait personne dans le public, car ce soir là, nous avons appris beaucoup sur les autres.

Fin du conseil municipal: 2h du matin.

L’expert judiciaire ou le collaborateur biodégradé

Monsieur Z. est un expert judiciaire qui a de la bouteille: 20 années de pratique de l’expertise judiciaire et le double d’expérience professionnelle. Il ne gagne pas beaucoup d’argent, mais dans son domaine, c’est un technicien reconnu.

Il travaille consciencieusement chaque dossier et s’applique à rendre des rapports clairs et complets.

Ce matin, il a rendez-vous pour une dernière réunion dans une affaire qui en a compté de nombreuses, tant le dossier était complexe. Il sait qu’après cette réunion, il remettra aux parties un pré-rapport pour leur permettre de lui faire part de leurs réflexions (les dires des parties) auxquelles il répondra dans son rapport définitif.

Mais nous n’en sommes pas là, et Monsieur Z. se rend à la réunion qu’il a organisée avec les parties et leurs avocats. Il espère que tout le monde sera présent, parce qu’il en a passé du temps à faire converger tous les agendas vers une date qui puisse satisfaire tout le monde. Il est serein, malgré le stress qui monte un peu.

La réunion se déroule en présence de tout le monde, Monsieur Z. écoute les différents points de vue, pose des questions sur ce dossier qu’il connait maintenant très bien, et commence à préparer les parties en donnant oralement l’avis qu’il compte mettre dans son pré-rapport. C’est alors que la situation dérape: l’une des personnes présente perd ses nerfs et agresse l’expert en le jetant à terre! Les avocats s’interposent, mais trop tard et Monsieur Z. est sonné.

Le soir même, Monsieur Z. dépose une plainte contre son agresseur. Dès le lendemain, il contacte le magistrat qui l’a désigné dans cette affaire pour prendre conseil auprès de lui. Il lui explique que les investigations sont presque terminées, qu’il est prêt à remettre un pré-rapport aux parties et que c’est quand son agresseur a compris que le vent était contraire qu’il s’est jeté sur lui. Le magistrat lui demande de finir son expertise. Un mois plus tard, il remet son pré-rapport aux parties, ainsi qu’une copie pour information au magistrat.

Une semaine après le dépôt du pré-rapport, l’agresseur dépose une demande en récusation de l’expert à la « suite d’un incident révélant une inimitié notoire au sens de l’article 341 CPC« . Lorsqu’un expert est récusé, il est relevé de ses missions et un autre expert est désigné pour le remplacer. Si le rapport est déjà déposé, celui-ci est nul et le travail est considéré comme non fait.

Cette demande est rejetée quelques mois plus tard. L’expert n’est pas récusé. Appel de cette décision est aussitôt fait.

Pendant ce temps là, la plainte de Monsieur Z. arrive en haut de la pile du tribunal correctionnel. L’agresseur est jugé et est condamné.

Quatre mois s’écoulent encore pendant lesquels l’expert continue ses investigations, répond aux dires des parties et rédige son rapport final qu’il dépose au tribunal. Il joint à son rapport sa note de frais pour les dépenses avancées dans ce dossier (location d’une salle de réunion, déplacements, etc) et sa note d’honoraires pour le temps passé et le prix de son expérience.

Un an après, la Cour d’Appel juge la demande de récusation de l’expert et confirme l’ordonnance rejetant la demande de récusation. L’expert n’est pas récusé. Un pourvoi est formé pour contester cette décision.

Monsieur Z. n’est toujours pas payé de ses diligences.

Deux ans plus tard, la Cour de cassation, sur le fondement de l’impartialité objective (l’expert est en procès avec l’une des parties du fait du dépôt de sa plainte), casse la décision de la Cour d’appel et renvoie devant une autre Cour. Cette dernière statue sur la demande de récusation un an plus tard et décide que l’inimitié notoire est caractérisée.

Monsieur Z. est récusé.

Monsieur Z. ne sera pas payé de ses diligences.

Monsieur Z. est condamné à payer à son agresseur l’ensemble des coûts de toutes les procédures (les « entiers dépens »).

Monsieur Z. est ruiné.

Il décède peu de temps après.

Il transmet à ses héritiers une dette substantielle.

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J’ai déjà écrit en 2007 un billet sur cette affaire, « Les risques du métier« , mais je voulais la réécrire d’une autre manière qui me semble plus vivante (on peut dire aussi plus « romancée »). Lisez les deux billets pour comparer. Qu’en pensez-vous?

J’ai reparlé de cette affaire avec d’éminents juristes (dont certaine très proche) qui m’ont tout de suite fait remarquer qu’il était dangereux de déposer une plainte contre l’une des parties d’un dossier que l’on traite. Monsieur Z. n’aurait donc pas dû déposer plainte et poursuivre son expertise, tout en écrivant aux parties que le geste de son agresseur était dû à un fort stress (et qu’en grand seigneur il pouvait comprendre et pardonner). Ou s’il déposait plainte, il devait stopper son travail et déposer « en l’état » son rapport (et sa note de frais et honoraires).

Je fais respectueusement remarquer à mes juristes favoris que Monsieur Z., expert dans son domaine, mais conscient de ne pas être juriste, s’était retourné vers « son » magistrat pour prendre conseil. Qui d’autre pouvait lui dire qu’il risquait d’être abusé de la sorte?

Pour ma part, je reprends la conclusion de mon billet initial, citation de mon confrère Gérard ROUSSEAU, Docteur en droit, expert honoraire près la Cour de cassation:

Si l’agression devient l’une des possibilités d’obtenir une récusation, la formation à l’expertise judiciaire devra pour le moins inclure une épreuve de lutte gréco-romaine, qui pourrait utilement être enseignée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, les magistrats étant eux-mêmes récusables.

Chers confrères ou futurs confrères, préférez les conseils de votre avocat (ou abonnez vous à la revue Experts).

Gouvernement 3.0

J’ai commencé ce blog il y a 20 ans déjà, le 5 septembre 2006, avec cet abyssal questionnement « Pourquoi Zythom« .

Dès le départ, j’y ai dévoilé beaucoup de moi-même, même si mon anonymat devait fatalement tomber lors de mon entrée au gouvernement Nitot de 2022. Petit rappel pour mes jeunes lecteurs (en cette année 2026):

Revenons en 2022, il fait beau et chaud, les plages sont bondées malgré la montée du niveau des eaux. L’ONU est occupée avec la décontamination radioactive de l’Iran et les Etats-Unis toujours en guerre civile avec l’Alaska. L’Europe élargie est en paix malgré le marasme économique et la France vient juste de se doter d’un nouveau président de la République (fonction honorifique depuis le changement de constitution de 2017).

Tristan Nitot annonce la formation de son gouvernement avec une équipe qui fera basculer la France dans le 3.0e millénaire:

Maître Eolas, garde des Sceaux, ministre de la Justice,

Aliocha, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Développement Durable,

Jean Quatremer, ministre des Affaires Étrangères et Européennes,

Bénédicte Desforges, ministre de l’Intérieur,

Elu local, ministre de la Solidarité, de la Fonction publique, du Développement Rural et de l’Aménagement du territoire,

Marion Montaigne, ministre du Travail et de l’Éducation nationale,

Dr Goulu, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

Sid, ministre de la Défense et de la Cyberguerre,

Fourrure, ministre de la Santé Humaine et Animale,

Veuve Tarquine, ministre des Sports,

Bertrand Lemaire, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État,

Laurent Gloaguen, ministre de la Mer et des Voies de communication Numériques,

Boulet, ministre de la Culture et des Contenus Numériques,

Koztoujours, ministre du Culte,

Marion, ministre de la Famille,

Authueil, ministre chargé des Relations avec le Parlement

Ce gouvernement tiendra 42 mois, durée pendant laquelle les plus grandes réformes jamais entreprises seront menées, avec entre autres:

– la réforme du Code Civil (actuel Code Eolas)

– l’intervention des avocats en début de toute procédure

– le mariage LGBT et la réforme du droit d’adoption

– un SIG open source

– la parité dans toutes les assemblées électives

– une charte déontologique des journalistes

– un observatoire de lutte contre les abus de la comm’

– l’enseignement du fonctionnement des institutions européennes

– le retour de la police de proximité

– la lutte anticorruption

– la mise en place de garderies et centres aérés pour tous

– la grande réforme de la Recherche

– la sécurisation de tous les sites internet stratégiques

– la mise en place d’IPv16

– la loi sur l’exception culturelle qui a permis la mise en place de tous les sites légaux de partage d’œuvres numériques françaises (et le rayonnement culturel de la France)

– la course à pied comme sport national

– la fin du célibats des prêtres et la suppression du droit local alsacien-mosellan

– l’ouverture des services publics sur les créneaux 12-14h et 17-20h

et bien d’autres encore.

Bien sur, toutes ces réformes ont donnée lieux à de nombreux combats homériques, y compris au sein du gouvernement. Moi, je n’étais que secrétaire d’État chargé de la Prospective et du Développement du Numérique Commercial et Non Commercial, mais j’ai vécu avec bonheur la suppression des lois Hadopi IV et Loppsi III, la réforme des droits d’auteur et droits voisins, la mise en place du réseau 10Gb symétrique pour tous, et la réforme des expertises judiciaires.

Mais vous savez tout cela, puisque j’en ai beaucoup parlé ici tout au long de ces années.

En mémoire à mon innocence d’alors, en souvenir de ce 5 septembre 2006 et de toute l’eau qui a coulé depuis sous les ponts, je vous associe tous à ce joyeux bloganniversaire !

Ad nauseam

Bon alors, là, c’est une série de photos d’un mariage. Avec toutes les scènes habituelles que l’on peut trouver classiquement. Voilà les invités, les amis, certainement la belle famille… Quelques photos d’enfants qui jouent dans le cortège, dans la salle des fêtes, dans le noir de la fête.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien pour l’instant, des enfants qui jouent, ça n’est pas « pédopornographique ». Même si quand on a l’intitulé de la mission en tête, toute image d’enfant devient suspecte. RAS.

Tiens, un fichier ZIP qui contient des images pornographiques. Un coup de baguette magique pour supprimer le mot de passe. 200 images. Bien. Des jeunes, des vieux, des jeunes filles en socquettes et tresses. Tout cela m’a l’air d’avoir l’âge requis malgré les épilations de rigueurs.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien pour l’instant, du porno bien classique. C’est plus trash que « Bonjour Madame », mais rien de « pédopornographique ».

Ah, c’est quoi ça? Elle me paraît très jeune cette petite. Ah oui, moins de 15 ans, peut-être bien moins de 10. Elle est en maillot de bain, mais prend des poses très suggestives. Les décors changent, mais c’est toujours elle, et toujours dans des poses très très suggestives. Ah, une autre petite fille! Et une autre encore. Plus de 1000 photos de petites filles dans des décors plus ou moins artistiques. Je suis très mal à l’aise devant mon écran d’ordinateur devant ce pseudo travail artistique de catalogue de mode bizarre.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, rien de réellement « pédopornographique », mais quand même un peu. Je préfère laisser la décision aux enquêteurs. Les photos seront annexées au rapport d’expertise judiciaire.

Je continue l’étude du contenu de ce disque dur qui m’a été remis sous scellé. Je vérifie pour la nième fois que la porte de mon bureau est bien fermée à clef. Et mes trois enfants savent qu’il ne faut pas me déranger. Un dossier complet contenant des milliers d’images d’hommes. De la pornographie homosexuelle. Des images crues, des scènes torrides d’une sexualité que je ne partage pas.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». Bon, on ne me demande pas d’informations sur les goûts sexuels de l’utilisateur du disque dur. Toutes les images LGBT sont à classer dans la catégorie normale. RAS donc.

Tiens, je retrouve l’un des messieurs présents sur les photos du mariage. Il se prend en photo dans sa salle de bain. Dans toutes les positions et sous toutes les coutures. Enfin les coutures… Ce doit être l’utilisateur du disque dur. C’est un peu bizarre de garder ce type de photos sur son ordinateur. A son âge.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». On ne me demande pas mon avis personnel sur l’attitude « normale » à avoir dans l’intimité de sa salle de bain. RAS.

Un dossier contenant des bandes dessinées pour adulte. Des centaines de BD. Des milliers de pages à regarder. Tiens, il y a des mangas. Euh, des mangas adultes avec des représentations d’enfants en situation pornographique.

C’est quoi déjà l’intitulé exact de la mission: « rechercher toutes les images de nature pédopornographique ». La loi punit la représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique (source bulletin officiel du ministère de la justice n° 86, 1er avril – 30 juin 2002). Les images sont annexées au rapport d’expertise.

L’analyse continue ainsi, ad nauseam.

Je suis informaticien.

Je suis expert judiciaire inscrit dans cette spécialité.

Le magistrat qui me désigne le sait et me fixe une mission précise, technique.

On ne me demande pas mes opinions en matière de sexe.

On ne me demande pas de faire de la psychologie de comptoir en décidant ce qui est normal ou pas.

Quand j’ai un doute, ou que je me sens mal à l’aise, je ne dois pas me contenter de dire: je mets en annexe, les autres feront le tri. Il faut décider ce qui relève de la mission. Il faut décider ce qui relève de la dénonciation de crime.

Le reste, c’est la vie privée.

Et parfois, c’est dur de faire les choix, quand on sait qu’on peut briser une vie.

Mais briser la vie de qui? Celle de l’utilisateur du disque dur? Celle de sa prochaine victime s’il y en a une? La mienne?

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Image tirée du site officiel de la série télévisée Cold Case.

Promotion 2015

C’est déjà l’effervescence dans mes équipes, bien que la mi-août soit à peine franchie. Il faut mettre l’école en ordre de bataille pour accueillir les étudiants, les nouveaux aussi bien que les anciens. Il y a des salles à reconfigurer, 75 ordinateurs à installer pour remplacer ceux devenus obsolètes, la sécurité à vérifier et toutes les améliorations à faire pour progresser dans la qualité (technique) de l’enseignement en tenant compte de toutes les remarques faites tout au long de l’année.

Il y a les commandes à faire, les commandes en retard, les demandes de dernière minute, les urgences imprévues. Il faut créer les comptes des nouveaux arrivants, les listes de diffusion, les groupes de TD et de TP…

Tiens, à propos des nouveaux, c’est quoi déjà le nom de la nouveau promo? La promotion 2015. Bien, et ils sont nés en quelle année ceux-là? En 1992?

1992, c’est l’année de mon doctorat…

Alors, je vais me prêter ici à un exercice classique, mais permettant de se remettre les idées en place:

Les étudiants qui ont 18 ans aujourd’hui et qui vont entrer dans l’école d’ingénieurs où je travaille (école en 5 ans sans classe prépa intégrée) sont nés l’année de la signature du traité de Maastricht également appelé traité de l’Union européenne. Cette Union comptait alors 12 pays membres.

C’est en 1992 que le nombre de domaines internets a franchi la barre du million (120 millions aujourd’hui). Il y a alors 26 sites web « raisonnablement fiables » dans le monde. Les navigateurs s’appellent Erwise et ViolaWWW. C’est aussi l’année de la naissance de NCSA Mosaïc, le premier navigateur web populaire.

Microsoft sort son Windows 3.1 (et Windows for Workgroups) se caractérisant par l’abandon du mode réel et la présence par défaut d’une police TrueType ainsi que de plusieurs polices utiles préinstallées.

Apple utilise encore une pomme colorée comme logo et étend sa famille Macintosh avec la gamme Performa.

1992 est aussi l’année du décès de John George Kemeny, mathématicien américain qui a développé le langage de programmation BASIC et de l’arrêt de la fabrication du ZX Spectrum.

Les étudiants de la promotion 2015 avaient deux ans lors de la découverte de la grotte Chauvet en Ardèche, trois ans quand le système GPS a été complètement opérationnel et cinq ans lorsque le robot Pathfinder se posa sur Mars. Ils avaient six ans lors de la sortie de Windows 98, soit l’âge que j’avais quand j’ai regardé l’homme marcher sur la lune pour la première fois.

Ils avaient neuf ans lors des attentats du 11 septembre 2001.

Purs produits de la génération Y, ils ne savent pas ce que c’est qu’une cassette audio ou un walkman. Pour eux, MP3 c’est un baladeur numérique, pas un format de fichier, un portable, c’est un téléphone et le minitel, le truc que mamie garde sur un napperon dans un coin. Ils n’ont jamais vu un cadran téléphonique rotatif et une cabine téléphonique, c’est un endroit (rare) pour appeler au sec avec son portable.

Ils ne savent pas ce que c’est qu’un monoski

Maintenant que vous avez tous pris un petit coup de vieux, je vous rassure un peu: ils n’ont pas encore appris les joies des pointeurs de structures de pointeurs, ils n’ont pas encore compris qu’une probabilité nulle ne signifie pas nécessairement que l’évènement est impossible, ne connaissent pas encore les points d’Young-Weierstrass ni la norme ISO 9001…

Ils n’ont pas encore eu le temps de graver « i <3 u » dans le bois des tablettes des amphis.

Mais ils sont jeunes… eux.

USA 2010

Trois semaines de vacances de rêve, enfin pour ceux qui aiment la randonnée…

Cela fait maintenant plusieurs fois que ma tribu décide de partir aux Etats-Unis pour visiter les parcs nationaux en camping sous tentes. Et quand je dis tribu, je veux dire quatre adultes et sept enfants de 8 à 19 ans (la majorité alcoolique est encore à 21 ans là-bas), le tout reparti dans deux grosses voitures de 2 tonnes (louées pour 3 semaines pour 800 euros!) et dans quatre tentes Quechua ultra légères (c’est comme ça que nous reconnaissions facilement les français là-bas;).

Voici le programme effectué, si vous souhaitez utiliser les services de la compagnie Zythom-Tour:

– Atterrissage à Phoenix (Arizona). 1ère nuit dans un hôtel grand luxe qui brade ses chambres l’été (pour cause de chaleur: 46°C à l’ombre – 85$ la nuit pour une chambre de six)

– 1er jour: Montezuma Castle National Monument et Wupatki National Monument. Camping.

– 2e jour: Sunset Crater Volcano National Monument. Arrivée à Grand Canyon National Park et repérage de la randonnée du lendemain. Camping à Desert View.

– 3e jour: Descente à pied dans le Grand Canyon en suivant le chemin de randonnée « Bright Angel » jusqu’à « plateau Point », soit 1000 m de dénivelé sous 40°C. Chacun de nous porte deux bouteilles d’eau que nous remplissons à chaque point d’eau sur le parcours. Par bonheur, nous avons effectué la remontée sous un orage bien rafraichissant.

– 4e jour: Navajo National Monument. Le camping prévu est plein, le plan B est jugé trop sommaire, le plan C est une maison dans le motel San Juan (avec douches et baignade dans la rivière;)

– 5e jour: Monument Valley Navajo Tribal Park (en voiture). Camping Sand Island (avec pétroglyphes).

– 6e jour: Visite de « Valley of The Gods« , puis de Hovenweep National Monument. Camping Morefield (avec douches gratuites).

– 7e jour: Visite de Mesa Verde National Park.

– 8e jour: Anasazi Heritage Center museum. Camping Squaw Flat.

– 9e jour: Randonnée de 20 km dans Canyonlands National Park à partir de « Elephant Hill » jusqu’à Druid Arch avec retour à pied au camping. Le soir, nous dévorons nos S’mores bien méritées…

– 10e jour: Pétroglyphes de Newspaper Rock State Historic Monument, puis visite de Arches National Park (rando de 5 km pour voir Delicate Arch au coucher du soleil). Camping.

– 11e jour: Retour à Canyonlands pour voir « Island in the sky » et la Green River. Fin de journée à « Arches » pour une petite rando dans « Devil’s Garden« . Hôtel à Moab.

– 12e jour: Capitol Reef National Park. Randonnée « Old Wagon Trail » (2h). Camping Fruita.

– 13e jour: Grosse journée randonnée dans Capitol Reef: Cohab Canyon, Frying Pan (la bien nommée), Cassidy Arch et Grand Wash. Au retour, baignade sous une cascade et visite des pétroglyphes Frémont et d’une école mormone.

– 14e jour: Kodachrome Basin State Park. Deux randos: « Grand Parade » et « Shakespeare Arch ». Camping du parc.

– 15e jour: « Scenic Drive » de Bryce Canyon National Park. Randonnée « touristique » dans le parc. Camping Sunset.

– 16e jour: Le « clou » du voyage, une randonnée en backpacking dans Bryce Canyon pour dormir dans un background campground. Nous sommes seuls dans la nature sauvage. Il faut transporter sa nourriture, son couchage, sa tente et tous ses déchets. Départ de « Bryce Point » sous les yeux amusés des américains qui prennent en photos les plus petits enfants (8 et 9,5 ans) avec leurs sacs à dos. Camping à « Yellow Creek Group Site » après 6,5 km.

– 17e jour: Retour de back campground avec une rando de 14 km chargés comme des mules. Il faut en plus porter son eau (pour 11!) car il n’y a pas de point d’eau. Sortie du canyon par « Whiteman Connecting Trail ». Cette randonnée est mon plus beau cadeau d’anniversaire pour mes 2F ans… Camping à Red Canyon Campground.

– 18e jour: Retour dans la masse touristique à Zion National Park avec randonnée en tong sur « Emerald Pool », « Riverside Walk » et « Weeping Rock ». Camping Watchman.

– 19e jour: Grosse randonnée dans Zion: Angels Landing (attention au vertige!) et West Rim Trail jusqu’à « Cabin Spring ».

– 20e jour: Pipe Spring National Monument. Retour à Grand Canyon, mais côté North Rim. Coucher de soleil sur Grand Canyon à observer à « Cape Royal ». Camping Kebab National Forest.

– 21e jour: Retour vers Phoenix, arrêt à Navajo Bridge. Hôtel à Phoenix.

Et voilà. Le tout pour 3900 km en voiture.

De retour en France, nous avons tous dormi 16h d’affilé.

Et j’ai encore les jambes douloureuses d’avoir autant marché.

Mais cela en valait vraiment la peine, surtout avec les enfants.

Il ne me reste plus qu’à trier les 3400 photos prises par nos quatre appareils numériques.

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La photo illustrant ce billet est pour une fois de votre serviteur et représente des pétroglyphes de Wallpaper Rock dont un me fait penser à un satellite artificiel moderne…

La prise de risque

J’ai effectué avec mes deux techniciens une migration importante ce week-end: nous sommes passés d’un environnement Novell à un environnement Microsoft. Cela nous a amené à changer d’annuaire pour l’authentification (eDirectory vers Active Directory), à changer de serveur de fichiers (Netware vers Windows 2008 R2), à changer nos serveurs d’impression, à transférer 2000 comptes (fichiers + droits) et à modifier nos logiciels et systèmes de sauvegarde.

Après 11 années passées comme expert judiciaire informatique à constater les échecs des autres, il me semblait important de mettre toutes les chances de mon côté pour éviter la catastrophe.

1) Préludes:

L’idée d’abandonner un système pour un autre ne vient pas brutalement. C’est une idée qui murit depuis plusieurs années et qui s’impose comme évidente. Nous sommes équipés depuis 20 ans d’un OS réseau Novell. Nous avons suivi, au rythme de nos capacités et priorités d’investissement, les différentes évolutions de ce produit, pour rester bloqué sur la version précédant leur passage à SUSE Linux.

J’utilise GNU/Linux depuis longtemps, principalement pour gérer l’accès internet, la sécurité, le monitoring des serveurs et l’hébergement web. Après avoir démarré en 1993 avec la distribution Yggdrasil, j’ai adopté pendant plusieurs années la distribution Slackware, pour migrer ensuite vers le Chapeau Rouge. N’approuvant pas le choix fait avec l’apparition du projet Fedora, j’ai finalement opté pour la distribution Debian qui équipe maintenant tous mes serveurs GNU/Linux.

Parallèlement, les besoins de l’entreprise m’imposaient un certain nombre de logiciels nécessitant pour fonctionner, la présence d’un serveur Windows. Des logiciels comme Catia, Matlab, Comsol ou encore Octime, Adesoft ou Cegid, tournent de manière native dans l’environnement Windows.

Je me suis donc trouvé à un moment à la croisée des chemins avec un choix important à faire: basculer vers un linux commercial au doux nom de boisson alcoolisée apéritive amère ou vers l’univers classique Windows.

C’est une prise de risque dans un cas comme dans l’autre.

Finalement, en tenant compte également du fait que nous ne sommes que trois pour gérer une quinzaine de serveurs, 350 PC et 2000 comptes utilisateurs, j’ai préféré limiter le nombre de systèmes d’exploitation à maitriser. J’ai donc choisi de limiter la salle serveur à deux univers: Windows pour l’annuaire, les serveurs de fichiers, les applications et les DNS internes, et Debian GNU/Linux pour les passerelles, routeurs, serveurs proxy, le monitoring, les firewalls, les DNS externes et les serveurs webs.

2) La migration:

Je pense qu’il faut être modeste et réaliste. Il est difficile de consacrer un temps important à la préparation d’une telle migration alors que les tâches du quotidien et le service à rendre aux utilisateurs occupent déjà très largement mes deux techniciens et moi-même. Après quelques mois de réflexion en mode coucou sur mes autres projets, je me suis rendu à l’évidence, il me fallait l’aide d’un consultant externe pour faire baisser la prise de risque.

J’ai donc appelé ma SSII favorite qui m’a monté une prestation que nous avons construite sur six jours suffisamment espacés pour que le travail préparatoire à faire puisse être réalisé. Chaque jour était bloqué pour que mon équipe puisse se consacrer pleinement à cette activité. Le personnel et les étudiants étaient prévenus que pendant cette période, les temps de résolution des demandes d’intervention allaient être dégradés, sauf urgence absolue.

A la fin de chaque journée, nous faisions un point sur l’état d’avancement, sur les tâches restant à faire, les arbitrages sur les priorités… L’affaire s’annonçait bien, la date de migration prévue a été maintenue, confirmée et enfin est arrivée.

3) Le D day:

Parmi les leçons apprises des échecs observés lors de mes expertises judiciaires, la plus importante consiste à rythmer la migration avec les étapes claires suivantes:

– GO/NOGO: on décide de migrer (ou pas) la vieille de la date prévue;

– Le Rubicon: savoir quand le point de non retour se présente et décider de franchir le pas, ou décider l’annulation et la remise en état. Ces décisions sont lourdes de sens et difficiles à prendre. Le cœur du risque est ici.

– Le mur du fond de l’impasse: il faut être capable de se rendre compte que l’on s’est engagé dans une voie sans issu. Savoir renoncer est une des clefs de la survie en spéléologie, comme en informatique.

– Aller se coucher avant que l’erreur ne se produise: David .J. Way l’écrivait très bien dans un manuel de construction de clavecin que j’aime citer sur ce blog.

Le jour « J » s’est déroulé pour nous samedi dernier. L’entreprise vide était notre royaume pour la journée. Le briefing de la veille nous avait attribué à chacun notre zone d’intervention.

Il régnait dans la mienne comme un parfum de victoire au petit matin.

4) La victoire totale:

Autant le dire tout de suite, la migration s’est déroulée comme sur des roulettes. L’ensemble des utilisateurs a pu s’authentifier dès le démarrage de son poste de travail, accéder à ses applications et ses fichiers et imprimer comme d’habitude.

Bien sur, en salle serveur, base de commandement où convergent tous les appels à l’aide des combattants du quotidien, nous avons traité quelques demandes Ctrl-Alt-Suppr vites réglées[1], et quelques soucis propres aux informaticiens (la nouvelle sauvegarde fonctionne-t-elle?).

Bien sur, comme tout séisme, il y a quelques répliques, mais celles-ci sont de moins en moins graves et de plus en plus faciles à résoudre.

Finalement, la prise de risque la plus grande aura été de planifier ce genre de migration juste avant de partir en vacances. Je suis en congé ce soir. A moi les Youessai! Bonnes vacances à tous, et ne prenez pas de risque: sauvegardez vos données et ne changez pas vos mots de passe avant de partir.

A dans trois semaines!

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[1] Demande: « j’ai appuyé sur les touches Ctrl, Alt et Suppr comme demandé pour me connecter, mais rien ne se passe ». Réponse: « Il faut appuyer sur les trois touches en même temps ».

En ma conscience

Il existe une difficulté de l’activité d’expert judiciaire (en informatique) dont je n’ai pas encore parlée: donner un avis indépendamment de toute opinion personnelle.

Ce dont je vais parler est une évidence pour l’ensemble des magistrats, et pour les avocats, mais pour moi, cela a été une découverte, un travail de fond qu’il m’a fallu mener et encore une lutte de tous les instants.

Le magistrat qui désigne un expert judiciaire dans un dossier lui donne un ensemble de missions. Et l’expert judiciaire a juré « d’apporter son concours à la Justice, d’accomplir sa mission, de faire son rapport, et de donner son avis en son honneur et en sa conscience. »

Qu’est-ce que donner son avis en sa conscience?

Mon dictionnaire Petit Robert édition mars 1991 me donne la définition suivante pour le mot « avis » (et qui s’applique au contexte): Ce que l’on pense, ce que l’on exprime sur un sujet.

En matière informatique, cela peut paraître simple: l’informatique est perçue par un grand nombre de personne comme une science et/ou une technologie et un bon expert sera celui qui répondra à une question simple blanc ou noir, oui ou non, alors qu’un mauvais expert dira « gris » ou c’est un peu compliqué, peut-être. Exemple de question « simple »: l’ordinateur était-il allumé à 1h27 du matin? Monsieur l’expert répondez! Oui ou non? Tout bon technicien sait qu’en la matière la réponse peut être complexe (horloge de bios déréglée intentionnellement ou non, heures d’été/hivers prises ou non en compte, etc).

Or, si j’élimine l’informatique théorique qui est une science, l’informatique est un outil et l’informaticien son grand clerc. Et on attend de l’expert judiciaire en informatique qu’il s’applique avec méthode à répondre aux missions qui lui sont confiées. Et quand j’écris méthode, je sous-entends bien évidemment « LA méthode scientifique ». Il suffit de lire le long article que wikipédia rédige sur la question pour comprendre qu’il n’y a pas de manière unique pour procéder à une analyse. Chaque expert aura donc « sa » méthode.

En sa conscience?

Le mot a eu plusieurs sens au cours de l’histoire et il est à prendre ici au sens « conscience morale ».

Wikipédia nous éclaire sur ce point:

[Pour le philosophe] Alain, la conscience est «le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger. Ce mouvement intérieur est dans toute pensée; car celui qui ne se dit pas finalement: «que dois-je penser?» ne peut pas être dit penseur. La conscience est toujours implicitement morale; et l’immoralité consiste toujours à ne point vouloir penser qu’on pense, et à ajourner le jugement intérieur. On nomme bien inconscients ceux qui ne se posent aucune question d’eux-mêmes à eux-mêmes» (Définitions, dans Les Arts et les Dieux).

Pour Alain, il n’y a donc pas de morale sans délibération, ni de délibération sans conscience. Souvent la morale condamne, mais lorsqu’elle approuve, c’est encore au terme d’un examen de conscience, d’un retour sur soi de la conscience, de sorte que «toute la morale consiste à se savoir esprit», c’est-à-dire «obligé absolument»: c’est la conscience et elle seule qui nous dit notre devoir.

La question demeure cependant de savoir quelle origine attribuer à la conscience morale. Car si pour Rousseau «les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments »(ibid.), il n’en sera plus ainsi pour Kant, qui considérera au contraire la conscience morale comme l’expression de la raison pratique − et encore moins pour Bergson, qui verra en elle le produit d’un conditionnement social, ou pour Freud, qui la situera comme l’héritière directe du surmoi (Le Malaise dans la culture, VIII), instance pourtant en majeure partie inconsciente.

En d’autres termes, nous pouvons dire que la conscience morale désigne le jugement moral de nos actions (définition donnée par les professeurs de lycée généraux en classe de terminale)

Mon niveau philosophique personnel essaiera de retenir pour le mot « conscience » cette dernière définition…

Il se trouve que ma conscience morale a été particulièrement réveillée par mon activité de conseiller municipal (dont je parle finalement assez peu sur ce blog). Je participe au développement d’une commune de 5000 habitants, avec des décisions à prendre dans tous les domaines: construction d’une aire d’accueil des gens du voyage, aménagement des lotissements, construction de logements avec mixité sociale, PLU, site web de la commune, animations culturelles, etc. Cela m’a sorti de chez moi et obligé à l’action.

Cette activité dans la science des affaires de la Cité m’a transformé, m’a fait murir et nécessairement cherche à interférer avec mon activité d’expert judiciaire.

Un exemple? Je suis un opposant fondamental aux lois Hadopi et Loppsi dans toutes leurs versions. Je l’indique de manière ironique sur ce blog ici, ici et . Comment vais-je gérer les futures missions qui me seront fatalement confiées si l’usine à gaz la machine Hapodi est lancée?

Un autre exemple? Un immonde patron veut licencier un gentil salarié et demande une expertise judiciaire. Comment mettre à part mes opinions et mon ressenti personnels des personnes que j’interroge? Mes questions sont-elles biaisées? Est-ce que j’explore tous les chemins possibles en toute objectivité?

Ma conscience morale doit-elle intervenir? Suis-je un « expert rouge » comme on parle parfois des « juges rouges »?

Ma réponse est non. Il me faut développer une conscience morale qui transcende ma morale politique et qui lui soit supérieure. Nous sommes en temps de paix et je ne dois pas désobéir à la loi. Je dois apporter mon concours à la Justice et cela, sans état d’âme, en mon honneur et ma conscience. Plus j’avance en âge et plus j’apprends à me connaître. Et j’ai l’impression que cela renforce mon indépendance.

J’aime bien cette phrase de Bruno Frappat, certes parlant du journal Le Monde sous les feux de l’actualité, mais qui pourrait tout aussi bien s’appliquer aux experts judiciaires: « L’indépendance n’est pas un statut, c’est un état d’esprit. Celui qui consiste à repérer ses… dépendances. Chacun de nous est dépendant de sa formation, de l’époque dans laquelle il vit, de ses préjugés, de ses passions, de ses humeurs, du climat qui l’environne, du maelström médiatique, des modes, des réseaux, des connivences de toutes tailles. »

Elle aurait pu me servir de conclusion, mais je lui préfère ce dernier vers du poème de Victor Hugo « La conscience« :

L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

Personne ne peut fuir sa conscience.

J’espère simplement éviter de finir comme mon confrère le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, qui fit pourtant une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup –qu’il croyait– sûr.