Bio, nature et pollution

Conversation lors du conseil municipal:

Le Maire: « La société Truc dépose une demande d’implantation d’un stock de produits bio. Notre commune étant située dans le rayon de proximité prévu par la loi, le conseil municipal doit donner son avis sur cette implantation. »

Elu A: « Je ne comprends pas pourquoi une autorisation est nécessaire dès lors que ce sont des produits bio? »

Elu B: « Tu sais, si une grande quantité de produits bio se déverse dans une rivière, c’est quand même une pollution. »

Elu A: « Comment cela peut-il être une pollution, puisque ce sont des produits naturels? »

Zythom: « Et bien, jusqu’à preuve du contraire, le pétrole brut, c’est un produit naturel, non? »

SI qui RI

L’un des avantages des présentations fournisseurs est de pouvoir rencontrer des personnes ayant des préoccupations similaires aux miennes, et qui plus est autour d’une bonne table (en général).

J’assistais à une présentation VMware consacrée à la virtualisation des postes de travail sachant que je pourrais également y rencontrer plusieurs fournisseurs de serveurs et matériels SAN.

La journée s’écoule donc entre exposés, pauses et discussions techniques. Arrive l’heure du repas et me voici autour d’une table à discuter avec mes voisins des caractéristiques techniques des matériels présentés.

Au bout de quelques instants, je demande à mes voisins directs de m’indiquer le nom de leur entreprise ou établissement. Deux de mes voisins m’indiquent travailler comme ingénieurs dans un laboratoire du CNRS, me précisent leurs préoccupations actuelles et me racontent quelques anecdotes.

Un autre voisin m’indique travailler pour le ministère de l’intérieur. Intrigué par cette façon de se présenter, je lui demande de préciser:

Moi: « Vous travaillez dans le service informatique de la Préfecture? »

Lui: « Non, je suis un ancien des RG… Depuis la fusion décidée par notre Président, la DST et les RG forment maintenant les RI, c’est-à-dire les Renseignements Intérieurs. »

Cela a jeté comme un froid autour de la table autour de laquelle se trouvaient essentiellement des universitaires.

Et pourtant la suite de la conversation a été passionnante avec pour moi la découverte du monde du renseignement intérieur, notre FBI à la française comme indiqué dans le communiqué du ministère de l’intérieur.

Cela a été aussi l’occasion de découvrir les problèmes liés à la fusion de deux mondes à la culture opposée: les RG où la circulation de l’information (en interne) était encouragée et la DST où la règle d’or était le silence. Par exemple dans le premier cas les services informatiques pouvaient installer des bornes wifi sécurisées, alors que dans le deuxième cas l’usage du wifi était strictement interdit.

Cela m’a rappelé mon service militaire dans les transmissions où la devise de ma compagnie était « rien ne vaut que le silence ». Pour des transmetteurs, c’était surprenant.

Intermède musical sans rapport avec le sujet: ma chanson de régiment. [Sur l’air des «trompettes d’Aïda» de G. Verdi]

C’est nouuuus, les descendants des régiments d’Afri-ique,
Les chasseurs, les spahis, les gourmiers
Gardiens zzz-et défenseurs d’empires magnifi-iques
Sous l’ardent soleil chevauchant sans répit nos fiers coursiers
Toujours prêts z-à servir
A vaincre ou à mourir
Nos cœurs se sont t-unis
Pour la Patriiiie.

Pour les RI qui me lisent, aucun secret défense n’a été abordé, aucune information particulière, à part peut-être qu’il semble y avoir une imprimante par ordinateur, ce qui pourrait s’expliquer par la dispersion géographique des effectifs.

Mais je ne dirai rien.

Journal d’un bureau de vote

J’ai participé, en tant que conseiller municipal de ma commune, à la tenue d’un bureau de vote pour les élections européennes de dimanche dernier. J’ai même été assesseur! Voici le déroulement de ma journée, sous la forme de quelques notes.

7h45: Arrivée devant le bureau de vote. Je suis le premier. Le président du bureau est sans doute allé cherché l’urne qui a été mise en sureté à la Mairie la veille. Je suis un peu vaseux car je n’ai pas l’habitude de me lever aussi tôt (ni le dimanche, ni dans la semaine)…

7h48: L’adjoint au Maire me rejoint avec l’urne, les documents et les bulletins. Il ouvre notre bureau de vote.

7h55: Je place le drapeau français sur la façade. Je ressens une certaine émotion à faire ce geste car je n’en ai pas l’habitude. Ma génération n’a pas connu de guerre (je suis né après la guerre d’Algérie). Mon éducation personnelle ne m’a pas amené à être très sensible à ce symbole. Pourtant, seul dans le petit matin froid, j’ai une certaine fierté à placer le drapeau français sur la façade. Je ne m’attendais pas à cette sensation. Un regret néanmoins: au lieu de placer deux drapeaux français identiques côte à côte sur un support en « V », j’aurais bien aimé mettre un drapeau français ET un drapeau européen. Une proposition à faire lors du prochain conseil municipal.

8h00: Le bureau, préparé la veille par les services techniques, est maintenant ouvert et prêt à recevoir le public. Nous sommes quatre: un à l’entrée pour accueillir les personnes afin de vérifier qu’ils sont dans le bon bureau, et trois derrière la table.

Le premier à voter est un jeune qui ne s’est pas encore couché de sa soirée de samedi. Il est encore en forme et nous annonce qu’après avoir accompli son devoir civique, il ira dormir 48h…

Le suivant est un ancien qui se prépare à aller au marché.

Toute la journée, jusqu’à 18h, se succèderont des personnes de tous âges et de toutes conditions:

Un couple de personnes âgées. Lui, calme et goguenard. Elle, énergique et tranchante. Elle nous sort plusieurs cartes d’électeurs sans savoir laquelle elle doit utiliser. Nous lui indiquons la plus récente et lui prenons les cartes périmées pour les détruire, en lui expliquant qu’elle doit passer obligatoirement par les isoloirs pour voter. Elle demande à son mari d’entrer avec elle dans l’isoloir « parce que tu ne sauras pas choisir comme il faut ». Le mari sort de sa poche un bulletin de vote qu’il glisse aussitôt dans une enveloppe sous son nez (avec un pied dans l’isoloir). Madame porte la culotte, mais monsieur fait de la résistance. Nous restons sérieux tant qu’ils sont là. Eclats de rire ensuite.

Un jeune passe la porte. Il se trouve brutalement face à nous. Timide, il rougit jusqu’à la racine et regarde autour de lui. Il voit la table où se trouvent les bulletins de vote, en prend un et nous regarde. Il se retourne et prend deux ou trois autres bulletins au hasard, et entre dans l’isoloir des personnes handicapés à tablette basse. Il ressort, regarde le rideau avec le logo « handicapé », rougit encore et entre dans un autre isoloir. Le silence règne dans le bureau. Un ange passe. Nous reprenons notre conversation. Il sort de l’isoloir, rougit encore plus si c’était possible, et va chercher l’enveloppe de vote qu’il avait oublié. Il rentre dans l’isoloir. Il sort enfin et se dirige vers moi. C’est la première fois qu’il vote. Il présente sa carte d’électeur neuve et vierge, sa pièce d’identité et me donne son bulletin de vote. Je lui précise le plus gentiment possible que c’est à lui de le glisser dans l’urne. Il le reprend et le pose dans la fente. « A voté ». Il souffle un coup et sort. Je le vois sourire fièrement.

Une dame avec un chien. Elle entre avec son jeune labrador tout fougueux. En entrant dans l’isoloir, son chien tire sur la laisse et visite les autres isoloirs. Bien entendu, la laisse s’enroule autour des pieds métalliques des isoloirs. Nous voyons toute la structure des quatre isoloirs se déplacer à droite et à gauche au gré de l’humeur du chien. Sa maîtresse est ballotée (à l’intérieur) et se retrouve finalement à quatre pattes pour libérer le chien (et les isoloirs). Je lui donne un coup de main pour dénouer les nœuds (je suis le plus jeune du bureau). Je donne au chien un bout de la brioche qu’il a senti dès son entrée dans le bureau de vote. Nous avons aménagé un coin restauration discret pour notre usage. La journée est longue quand on attend. Je tiens le chien pendant qu’elle vote et lui offre un café quand elle sort. Nous sommes en province.

La femme radiée. Une femme entre dans le bureau et montre sa carte dès l’entrée: c’est le bon bureau. Elle prend les bulletins et l’enveloppe de vote et entre dans un isoloir. Elle vient jusqu’à moi, me donne sa carte d’électeur et sa pièce d’identité. Je vérifie que la carte est bien celle qui est valide, que le bureau de vote indiqué est le bon, que la carte est signée et annonce à voix haute le numéro d’inscription sur les listes électorales. Je prépare mon tampon pour mettre la date au dos de la carte. J’attends que mon collègue annonce à voix haute le nom de la femme inscrit sur la pièce d’identité. Rien. Sur la liste dont nous disposons, on passe directement du numéro 432 au numéro 434. Et madame a le numéro 433. Coup de fil au Directeur Général des Services de la Mairie. Il est sur place une minute après et emmène madame à la Mairie. Madame a déménagé et la préfecture a rayé son nom des listes. Elle ne votera pas. Quelle aberration administrative peut amener à ce résultat? Est-ce la faute de l’électeur qui ne se préoccupe de son inscription sur les listes que le jour du vote, est-ce la faute de la préfecture qui radie? Tout le bureau est un peu secoué.

A 18h00 nous fermons le bureau de vote. Les opérations suivantes sont identiques à celles déjà racontées dans ce billet. A 18h15 une famille est venue voter. Nous leur expliquons que le bureau fermait à 18h. Ils repartent mécontents.

A 18h45 nous amenons notre comptage à la Mairie où nous retrouvons les autres conseillers des autres bureaux de vote, ainsi qu’une partie de la population venue entendre les résultats.

A 20h, j’écoute les projections à la télévision. Avec 45% de participation, nous avons fait mieux que la moyenne française. Mais ce n’est pas brillant.

La journée a été rude pour l’Europe.

Un simple citoyen

Reprise du billet que j’ai écris chez Maitre Eolas qui m’a fait l’honneur de l’accepter. J’ai conscience qu’il s’agit du moins bon billet de la série écrite hier par les magistrats dans la catégorie Magistrats en colère du « Journal d’un Avocat » devenu pour un jour le « Journal des magistrats administratifs », mais je vous promets que je l’ai écrit d’une traite en essayant de contenir ma colère.

Avec en cadeau bonus une image de circonstance provenant du site despair.com

Je suis un simple citoyen qui a mis ses compétences au service de la justice. Celle-ci les a acceptées et m’a fait l’honneur de m’inscrire sur une liste mentionnant les personnes pouvant lui prêter main forte.

Je suis un expert judiciaire.

Sans formation initiale juridique particulière, je suis un témoin privilégié de ce qui se passe dans les tribunaux. A la fois extérieur à ce monde particulier, et participant actif à la recherche de la vérité.

Et comme citoyen spectateur, je vois beaucoup de choses:
– je vois des fonctionnaires formidables qui ne comptent pas leurs heures;
– je vois des magistrats compétents, élites des formations juridiques;
– je vois des moyens financiers toujours plus limités au détriment du justiciable;
– je vois des lois qui sont publiées chaque jour plus nombreuses, rendant obsolètes les codes à peine édités;
– je vois une rapidité d’évolution à faire frémir l’informaticien que je suis pourtant blasé par les changements continus;
– je vois les délais qui s’allongent;

Le citoyen que je suis a peur de sa justice.
J’ai peur de poursuivre l’Etat pour non paiement des factures qu’il me doit, parce que je connais la lenteur de la justice, lenteur due à l’aveuglement de l’Etat face aux besoins immenses d’une justice digne du XXIe siècle.

Mais l’Etat, c’est un peu moi, nous, me direz-vous.

Dans ce cas, j’ai honte que mon Etat soit montré du doigt par des organismes internationaux pour le manque de moyens mis à la disposition de sa justice.

Alors, quand j’ai la chance de pouvoir soutenir les personnes qui font la justice, les greffiers, les magistrats, et tout particulièrement les Tribunaux Administratifs, je n’hésite pas une seconde.

Et tant pis si cela choque les frileux, les bien pensants, ceux qui ont tout à gagner à rester silencieux pour défendre leur petit près carré. La justice, qui est parfois cruelle et aveugle, saura bien me faire rentrer dans le rang en me radiant de ses listes.

Mais j’aurai vu, et je pourrai témoigner.
Et je pourrai m’engager plus avant pour que cela change.

Fier d’etre expert judiciaire

Je ne peux pas le cacher, je suis fier d’être expert judiciaire. Je ne m’en vante pas partout, sauf peut-être sur ce blog, mais je suis fier que la justice ait décidé de m’accorder sa confiance pour accepter d’utiliser mes compétences. Pourtant je sais garder la tête froide, et rester modeste « comme il faut ».

Bien m’en a pris.

Je vérifie tout plusieurs fois lors d’une expertise. J’imagine toujours le pire, aussi ai-je plusieurs stratégies de vérification: je procède à une prise d’image avec tel outil, et pendant son analyse, je prends une autre image avec un autre outil et j’effectue dessus les vérifications et confirmations de mes découvertes (ou absences de découvertes).

Je prends des photos, des notes, des mémos. Je relie mes notes, je travaille sur plusieurs jours en essayant de suivre le conseil de David J. Way dans son manuel de construction de clavecin.

Mais surtout, quand je tombe sur quelque chose de curieux, je le signale par écrit dans mon rapport, et n’hésite pas à contacter l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) en charge de l’enquête.

Quitte parfois a être ridicule.

Dans ce dossier, j’avais ouvert l’unité centrale de l’ordinateur à la recherche d’un système de stockage: rien, nada, keutchi, walou. Et pas de système rack qui pourrait expliquer l’absence de disque dur comme dans ce dossier

Je contacte l’OPJ pour lui faire part de mon désarroi. Celui-ci s’étonne que je ne trouve rien car il a lui même éteins le PC lors de la saisie. Nous discutons un peu au téléphone et je lui déclare que je vais procéder de nouveau à un examen approfondi de l’unité centrale.

Le soir même, de retour dans mon bureau d’investigation, je réouvre l’unité centrale et regarde de nouveau à l’intérieur: une carte PCI « différente » attire alors mon regard… Mon premier disque dur SSD sur carte PCI.

Je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si j’avais rendu mon rapport en l’état. Comment ai-je pu passer à côté de cette nouvelle technologie. Fatigue? Incompétence?

Alors, un conseil aux jeunes experts judiciaires: soyez fiers d’être au service de la justice, mais restez modestes et n’ayez pas peur du ridicule. Croire que l’on est infaillible peut mener à la catastrophe.

Soyez fiers, mais ne faites pas le fier.

L’angoisse de l’intervention

Les Officiers de Police Judiciaire qui me contactent dans le cadre d’une enquête ont souvent de mon activité d’expert judiciaire une vision très particulière: je suis celui pour qui l’informatique n’a aucun secret.

C’est assez flatteur au premier abord, mais très stressant dès qu’il s’agit de ne pas décevoir les personnes qui vous font confiance.

Toute cette histoire commence comme d’habitude par un coup de téléphone: il s’agit d’intervenir dans une entreprise dans laquelle un salarié aurait commis une indélicatesse informatique.

Les OPJ me donnent quelques informations sur l’infraction, mais aucun détail technique: ni l’architecture du système informatique, ni le système d’exploitation utilisé, ni le nombre d’ordinateurs…

Me voici donc en route pour une destination technique inconnue.

Le fait de m’aventurer en terrain inconnu présente un certain charme sinon je n’aurais pas été passionné par la spéléologie, ni enseignant-chercheur, ni responsable informatique, ni responsable technique, ni conseillé municipal, ni papa de trois enfants… mais je suis quelqu’un de particulièrement inquiet de nature.

Je sais pourtant que l’inconnu fait parti de la vie. Je dirai même que c’est le sel de la vie. Oui, mais débarquer dans une entreprise pour chercher la trace d’une malversation sans connaitre le moindre élément technique reste pour moi une situation éprouvante.

Je n’aime pas particulièrement intervenir sur un lieu de travail, sous les yeux des salariés, en perturbant leur vie sociale. J’ai toujours l’impression de ne pas être à ma place.

Alors, et si mes collègues experts judiciaires qui le lisent veulent bien compléter cette liste, voici ce que je place dans ma valise:

– le boot CD d’analyse inforensique DEFT (ma distribution favorite depuis qu’HELIX est devenue payante);

– les outils de l’informaticien (tournevis de toutes tailles et de toutes formes)

– stylos et bloc notes (rien de plus gênant que d’avoir à demander sur place)

– un dictaphone numérique

– un ordinateur portable avec carte réseau gigabit et disque de grosse capacité pour la prise d’image en direct (perso j’utilise un disque dur SATA d’1,5 To dans un boitier externe USB, qui me sert également de « clef » USB)

– une lampe électrique, un bouchon 50 ohms et un connecteur en T (lire ICI pourquoi)

– quelques uns des outils conseillés par les dieux des réseaux universitaires

– le live CD d’ophcrack, c’est toujours impressionnant de trouver les mots de passe tout seul

– un câble réseau, un prolongateur et un câble croisé

– une boite de DVD à graver (et quelques disquettes formatées, cela sert encore…)

– une bouteille d’eau et un paquet de biscuits

[EDIT du 25/05/09 9h21 suite au commentaire de Stefan]

– un appareil photo

– un GPS

– du ruban adhésif toilé et résistant

– des élastiques de toutes tailles et des trombones.

– un clavier souple ne craignant pas l’humidité avec la connectique qui va bien.

– un tabouret en toile

– vis, patafix, colliers…

L’expert qui demande un trombone pour faire démarrer l’alim d’un PC passe pour un dieu. Celui qui ne trouve pas de trombone passe pour un c.n

[/EDIT]

[EDIT du 26/05/09 suite au commentaire de David Billard]

– disque eSATA (au lieu d’USB) ou mieux une tour sur roulette avec carte SATA adaptec + quelques disques vierges de rechange

– un ventilateur pour les disques

– une petite imprimante

– toute la connectique pour les organiseurs (Palms, Blackberry, iphone, etc.)

– des étiquettes / pastilles de couleur, des stylos et des feutres.

[/EDIT]

[EDIT du 27/05/09 suite au commentaire de Kilhian]

– un petit switch 10/100/1000

– un cable serie

– un cable usb

– une nappe IDE

– une nappe SATA

– des adaptateurs USB, SATA, IDE

[/EDIT]

Cela n’empêche pas la boule d’angoisse de se former lorsque l’on pousse la porte du lieu d’intervention (c’est une image, je suis loin derrière les forces de l’ordre).

Et bien sur, avant de partir en mission sur les lieux, ne pas oublier de demander s’il y a toujours de l’électricité. C’est une question qui fait toujours son petit effet…

Savoir faire

Un salarié quitte son entreprise. Lorsqu’il part, il emmène ses connaissances, son savoir-faire. Parfois, il emmène plus qu’il ne devrait, ou l’entreprise pense qu’il le fait. Et cela amène les deux parties devant un tribunal.

Et parfois, le dossier contient des pièces informatiques que le magistrat souhaite voir analysées par un expert judiciaire.

Me voici donc devant un ordinateur appartenant au salarié parti (son ordinateur personnel ou son nouvel ordinateur professionnel) et faisant l’objet d’une plainte de la part de son ancienne entreprise: le salarié aurait volé un fichier informatique contenant des formules appartenant à l’entreprise et contenant tout son savoir-faire.

Ma liste de missions est claire, j’organise la réunion, j’entends les parties, j’étudie attentivement les pièces, mène les investigations informatiques en présence des parties, rédige un pré-rapport, puis un rapport final avec réponse aux dires des parties.

J’ai eu à gérer plusieurs affaires de ce type, et souvent le cœur du problème concernait le départ de l’employé avec des fichiers Excel contenant des formules et des macros, fruits de nombreuses années d’expérience de l’entreprise.

Mon travail consiste alors à trouver des similitudes entre les formules utilisées par des différentes parties pour dire si oui ou non les fichiers (avec les formules) ont été « volés ». Techniquement, c’est assez intéressant en ce que cela demande d’être capable de scientifiquement définir la notion de similitude dans les formules Excel.

Parfois, il suffit de regarder le menu « Propriétés » du document pour y trouver le nom de l’ancienne entreprise…

Mais le plus fascinant est pour moi le travail des Avocats qui argumentent sur le terrain du Droit (qui n’est pas le mien). Cela m’a fait m’interroger sur les questions suivantes:

– à qui appartient l’expérience d’un salarié?

– quand un salarié quitte son entreprise, et qu’il recrée des outils de toute pièce, où est la limite entre copie « de mémoire » et savoir faire personnel?

Toutes ces questions ont des réponses juridiques sur lesquelles les avocats bataillent. Parfois j’en suis le témoin en réunion, et ces sujets sont passionnants. Mais c’est le travail du Juge que d’en trancher les nœuds, sauf inscription explicite dans les missions de l’expert.

Enfin, il m’arrive parfois de regarder autour de moi, dans mon bureau professionnel, toutes les choses qui s’y accumulent depuis 15 ans en me demandant ce qui m’appartient réellement, et que j’emporterais si je devais partir. Mon bollard et mon couteau peut-être?

Bien peu de chose en vérité.

Mais une bonne formation humaine et une solide expérience… Qu’il me faudra valoriser.

Easy speaking

Je suis en train de préparer un investissement important pour ma salle serveur: l’achat d’un SAN de 10 To pour remplacer notre « vieux » NAS qui a maintenant six ans (et 320 Go).

Je procède donc comme d’habitude par une première phase de documentation sur Internet pour ne pas avoir l’air trop bête devant mes fournisseurs lorsque la deuxième phase (discussion avec les fournisseurs potentiels) démarrera.

Je digère donc une masse importante d’informations issues des forums de professionnels, de wikipédia, des sites constructeurs et des blogs. A ce stade, j’en sais plus que je n’en n’aurais jamais besoin sur tous les types de réseaux de stockage, protocoles Fiber Channel, topologies de câblages, redondance, virtualisation, disques durs SATA, Sas, iSCSI etc.

C’est pourquoi je suis resté un peu surpris lorsque l’un de mes interlocuteurs de la phase 2 (ingénieur avant vente chez un fournisseur potentiel) m’a parlé des disques durs isqueuzy.

« C’est la technologie de pointe actuelle, tous les constructeurs la mette en avant! »

Pour ne pas avoir l’air trop ignorant (avec tout ce temps passé à préparer cet investissement), j’ai hoché la tête d’un air entendu. Mal m’en a pris, car je ne pouvais plus alors demander d’explications sur ce type de disque dur qui m’était inconnu.

Surtout que je n’avais qu’une idée en tête: expliquer que je souhaitais choisir plutôt la technologie SATA qui me semble offrir un prix au gigaoctet beaucoup plus intéressant malgré le nombre d’I/O inférieur lié entre autres choses à sa plus faible vitesse de rotation.

Je souhaitais l’avis des experts sur le principe d’utiliser une baie de 10 disques durs d’1 To à 7200 tr/mn, plutôt qu’une de 5 disques durs SAS à 15000 tr/mn (à prix beaucoup plus élevé).

Et mon interlocuteur qui ne me parlait que des disques durs isqueuzy…

Le lendemain, j’avais organisé une réunion similaire avec un autre fournisseur potentiel. Dès qu’il a prononcé le mot « isqueuzy », je lui ai demandé comment cela s’écrivait.

« Isqueuzy? Mais cela s’écrit i-S-C-S-I … »

Cela faisait deux jours que l’on me rebattait les oreilles du sigle iSCSI que j’avais bien évidemment lu dans tous les documents constructeurs.

Seulement voilà, moi je prononce ce sigle i-essai-essy… pas isqueuzy.

Pas vous?

Logistiscience

J’ai déjà raconté ici quelques anecdotes sur Casablanca (Maroc) où notre école se porte très bien avec un accueil chaleureux et un projet innovant:

Casablanca Maroc;

– Installation d’un système informatique (1) et (2);

Mission à la Maison Blanche et

Voyage à la Maison Blanche.

Mais nous continuons à nous développer à travers le monde et à créer des filiales dans différents pays.

Ce qui n’est pas sans poser parfois quelques problèmes de logistiques. Et le logisticien de l’entreprise, maintenant, c’est moi!

Lorsque l’on gère correctement et avec soins ses équipements, ceux-ci peuvent durer des années. Nous avons donc dans l’école des oscilloscopes, des multimètres, des ampèremètres, des voltmètres, des wattmètres, des trucmètres qui ont traversés les siècles, qui sont toujours fidèles à leur poste et surtout qui ont résisté à des hordes successives d’étudiants.

C’est donc ce matériel fiable et éprouvé, mais ancien, qui doit être envoyé à notre nouvelle succursale ouverte dans un pays lointain que j’appellerai « Dache ».

Problème: Comment organiser l’envoi à Dache de tout ce matériel?

A ce stade du récit, je dois préciser au lecteur égaré ici que je ne suis pas très familier avec les transporteurs, ni avec les douanes, et que mon plus gros transfert international de marchandises a été l’envoi par Interflora d’un bouquet en Belgique (on me signale dans l’oreillette qu’Interflora n’effectue pas de transfert de fleurs mais appelle un fleuriste situé près du destinataire. Je note d’effectuer moi-même l’appel pour faire baisser les couts).

1) Les transporteurs spécialisés dans l’expédition à Dache.

Pour établir les devis, tous les transporteurs contactés me demandent la liste détaillée du matériel, le poids, l’encombrement (H, L et l). Je reçois mes premiers devis. J’appelle les uns et les autres pour affiner, et pose la question des frais de douane.

2) Les frais de douane.

Apparemment, personne parmi ces professionnels ne sait me répondre sur ce que va couter le passage en douane à Dache. Je contacte donc la Douane française. Après quelques passages obligés par des fonctionnaires filtrants, j’obtiens une personne responsable ET compétente qui m’explique toute la procédure à suivre concernant la sortie de France. Je pose alors la question concernant l’entrée à Dache.

« Heu. Bon, je vais être franc. Les méthodes de la douane de Dache n’ont rien à voir avec celle des douanes européennes. Les montants des frais sont variables et dépendent des marchandises avec des règles évolutives… Mais je vais vous donner un contact à Dache. »

3) La douane de Dache.

Ne parlant pas la langue de Dache, pays non francophone, je m’appuie alors sur mon correspondant à Dache en lui fournissant les éléments dont je dispose pour régler le problème.

« Pas de problème. Je vais approcher les responsables des douanes« . Me répond-il.

Ce que je ne savais pas, c’est que cela prendrait six mois…

J’ai d’abord du fournir la liste des fabricants pour chaque appareil, ensuite compléter cette liste pour indiquer si ces fabricants étaient européens ou pas, puis envoyer une photo de chaque appareil, la date de fabrication, la valeur marchande (différente de la valeur comptable qui était nulle puisque le matériel était amorti depuis des décennies). Les paquets dans lesquels nous avions emballé les matériels ont été ouverts plusieurs fois, puis reconstitués. J’ai du fournir une liste du matériel par colis, le nombre de colis, le poids de chaque colis, le poids de l’ensemble…

Et six mois plus tard, toujours pas d’idée sur le cout total qu’allait représenter l’opération. J’en étais au stade où je suppliais mon chef d’envoyer l’ensemble et d’attendre que les douanes de Dache nous proposent un prix…

C’est alors que je réalisais à quel point mon esprit naïf avait occulté l’une des bases du fonctionnement de la culture de Dache: le principe du don, ou si vous préférez le mot persan: le « bakchich« .

J’avise mon correspondant à Dache qui me répond avec le plus grand sérieux du monde: « je suis croyant pratiquant, ma religion m’interdit de graisser la patte des fonctionnaires. »

Sage principe, en tout point conforme à ma propre religion, moi qui suis athée pratiquant tendance Pastafarisme et adepte du légalisme au sens large.

Oui, mais bon, comment je fais moi pour savoir combien va couter l’envoi de ma palette d’appareils?

4) La nouvelle piste.

Deux mois s’écoulent pendant lesquels mon stock encombre un local et fait de moi la risée de mon équipe technique. Ah ben quand j’irai à Dache, j’irai pas avec la compagnie Zythom, etc. Et puis les choses se sont accélérées.

Coup de fil de mon correspondant: « j’ai trouvé un plan. On donne tout gratuitement à une entreprise locale qui se charge de tout importer, de payer les « frais » de douane pour nous et on lui rachète le matériel au prix du transport. »

Moi: « Mais c’est légal comme procédure? »

Lui: « Mais bien sur, c’est de l’import/export. »

5) Le transporteur.

Deux jours plus tard, un camionneur se présente à l’accueil et me demande.

Le camionneur: « Je viens chercher la marchandise pour Dache. »

Moi: « Ah bon? Mais vous auriez pu prévenir… Bon, je vous montre le tas. »

Le camionneur: « Mais ce n’est pas emballé! C’est quoi ces cartons tous pourris?!? »

Moi: « Ben, ce sont des cartons récupérés auprès des informaticiens. C’est solide, et de toute façon on n’a pas mieux. Je pensais que vous alliez tout emballer vous même. »

Une heure plus tard, nous avions filmé la palette (ie: mis un film plastique tout autour), chargé le camion avec notre charriot élévateur et attaché le tout dans le camion comme nous pouvions.

Le camionneur: « Ne vous en faites pas. Ne soyez pas trop délicats. Mes gars au dépôt sont un peu bourrins et ce sont eux qui vont transborder le matériel. C’est pas fragile au moins? »

Moi, pressé d’en finir: « Non, non… »

Je regarde le camion partir et m’en vais sabler le champagne.

6) Epilogue.

Courriel reçu ce matin:

« matériel bien reçu. Pas de casse. Tous les appareils sont testés et fonctionnels. Merci. »

Un miracle du Monstre en spaghettis volant (FSM en anglais).

Loué soit-il.

Forward to the past

Comme je l’ai déjà signalé, j’ai plusieurs casquettes à mon arc (sic): expert judiciaire en informatique, responsable informatique et technique dans une grande école d’ingénieurs, et conseiller municipal dans ma commune.

J’aime beaucoup ces différentes casquettes, moins certainement que je n’aime mes trois enfants, mon épouse et mes amis, mais beaucoup quand même. J’aime la spéléologie, les réseaux de neurones bouclés, la science fiction et l’espace.

Mais je crois que ma grande passion reste encore l’informatique.

Aussi loin que je remonte dans le temps, je trouve une attirance vers cet outil parfois machiavélique. Co-créateur du club d’informatique de mon lycée, nous avions persuadé un parent d’élève de nous prêter une fois par semaine l’ordinateur qu’il utilisait dans son entreprise, et le professeur de math nous enseignait les rudiments de la programmation (les algorithmes de réduction des fractions entières). C’était avant l’IBM PC et ses futurs machines compatibles, c’était avant internet.

Puis je me souviens d’une visite du centre Pompidou (Beaubourg) où un des premiers ordinateurs IBM trônait dans le hall d’entrée, avec le programme ELIZA en libre service. Je me souviens avec fierté avoir osé m’assoir sous le regard des adultes intimidés par cette machine.

A peine entré dans l’âge impertinent, je quémandais lors d’une visite au SICOB des impressions en code ASCII sur papier listing de posters représentant des pinups peu vêtues… Je me souviens que les vendeurs d’imprimantes profitaient de la lente avancée des têtes d’impression pour racoler les adultes pendant que je me tenais en arrière, prêt à répondre « moi » dès que le vendeur proposait le listing à l’assistance.

L’informatique grand public faisait son arrivée dans ma vie avec un TRS-80 Modèle I qui m’avait couté deux mois de travail d’été chez Félix Potin (on y revient!). Et avec lui une nouvelle vie, avec la découverte de la synchronisation des cassettes magnétiques (pas trop fort le son) et les boucles de temporisation au milieu des programmes assembleurs « car sinon cela va trop vite ». L’année suivante, je sacrifiais un autre mois de salaire pour passer la mémoire de 16 ko à 48 ko (oui: ko).

La parenthèse de l’enfer de la prépa passée, je me retrouvais entrant en école d’ingénieurs en même temps que des IBM PC à double lecteur de disquette 5″1/4. J’y aidais le responsable informatique à déballer les cartons, et son assistant de l’époque (aujourd’hui DSI dans la même école) se souvient de moi comme étant le seul étudiant autorisé à entrer dans la salle serveur pour y chercher les listings d’impression (contenant les résultats des exécutions nocturnes de nos programmes « en batch »). L’informatique individuelle progressait avec peine dans le centre de calculs.

Le diplôme en poche, je répondais présent à mes obligations militaires de 12 mois, dont 11 passés comme scientifique du contingent (après un mois assez dur de classes en Allemagne) dans le service informatique des armées. J’y ai participé à l’aventure du Calculateur Militaire Français qui devait équiper les équipements des trois armées (char, avion, etc). J’y ai rencontré une fois Serge Dassault qui ne doit pas se souvenir du petit porte serviette de l’IPA (Ingénieur Principal de l’Armement).

Mais surtout, pendant cette période riche pour moi en recherche documentaire, j’ai eu l’occasion de donner une suite à mon DEA en intelligence artificielle: la préparation d’une thèse sur les réseaux de neurones.

Outre le métier de « faisant office de » responsable informatique attitré du laboratoire, j’y ai compris que… et bien… je n’ai rien appris pendant mes dures études. Et surtout rien compris. Dure réalité que d’avoir à tout réapprendre pour chercher à comprendre en profondeur.

Je n’y ai pas prié afin d’obtenir un esprit sain dans un corps sain (réf), mais j’y ai découvert la spéléologie à laquelle j’ai pu apporter mon savoir faire en représentation 3D fil-de-fer et calculs trigonométriques.

Bref, une belle thèse avec des bons côtés (réf). Et c’est sur ces fondements que s’appuie le reste de ma carrière…

Ce billet est dédié à toutes les personnes qui m’ont aidé tout au long de cette période: du professeur de mathématiques à mon directeur de thèse et mentor (l’autre ami d’Ulysse), en passant par ce sergent instructeur qui est venu me voir pendant ma corvée TIG pour me dire « non, sérieux, Zythom, vous êtes ingénieur? ».

Qu’ils soient tous remerciés.

Je reste un nain sur leurs épaules de géants.