Chercheur

J’ai gouté aux joies de la recherche pendant toutes mes années de doctorat. J’y ai appris la modestie et découvert la passion. La modestie car j’ai du reprendre en profondeur toutes les connaissances que j’avais accumulées lors de mes études. Je savais calculer une série de Fourrier, une transformée de Legendre, mais je n’avais pas compris réellement le fond des choses, l’utilité concrète, les conditions de validité, etc.

La passion car le monde de l’intelligence artificielle est extraordinairement passionnant.

Le temps a passé, le fleuve de la vie m’a emporté sur d’autres rivages. La passion est restée pour les activités que j’exerce. Pourquoi?

Je suis resté au fond de moi-même un chercheur.

Mais vous qui me lisez, savez-vous ce qu’est vraiment un chercheur?

Encore une « Questions à deux euros« .

J’ai trouvé dans « Le manuel de Frascati 2002 » publié par l’OCDE le texte suivant:

Les chercheurs sont des spécialistes travaillant à la conception

ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de

méthodes et de systèmes nouveaux et à la gestion des projets

concernés.

Je dois vous avouer qu’en lisant ce texte, je me suis rendu compte que je restreignais dans mon esprit beaucoup trop la notion de chercheur. Je reste encore aujourd’hui une personne travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes et de systèmes nouveaux et à la gestion des projets concernés.

Je ne suis pas le seul. Beaucoup parmi les blogueurs que je lis entrent dans cette catégorie.

Einstein était allemand.

Nous sommes tous des chercheurs allemands…

Cela me fait plaisir.

Vista et ses thumbcaches

Je croule sous les expertises pédopornographiques.

J’ai quatre dossiers ouverts en parallèle!

Du jamais vu pour moi…

Pour ceux qui découvrent ce blog, je les invite à lire sur ce thème ce billet, celui-ci et celui-là.

Pour analyser un scellé, j’ai pris l’habitude de procéder d’abord à une prise d’image numérique du disque dur, pour ensuite étudier son contenu (celui de l’image, pas le disque dur original).

Pour étudier le contenu de l’image, je procède toujours à peu près de la même manière: je lâche mes chiens scripts à la recherche d’images sur l’ensemble du disque dur, et pendant que mes fidèles limiers explorent la totalité du disque dur (zone allouée et non-allouée), je flâne moi-même avec un explorateur de fichiers pour m’imprégner de la logique de son propriétaire.

Cette fois-ci ma flânerie me montrait une belle machine neuve sous Vista. Le PC a peu servi, ayant été acheté depuis peu. L’historique internet montre bien quelques sites, mais rien que de très banal: les grandes enseignes habituelles d’internet, et un peu de pornographie. Le tour préliminaire de la propriété me laisse penser que cette fois-ci je ne trouverai rien de criminel.

Je commence l’introduction de mon rapport en attendant les résultats de mes scripts de recherche. Je blogue un peu aussi.

Quelques heures plus tard, une douce voix un bip m’avertit que l’exécution des scripts est terminée.

Et là, surprise: tout un lot d’images pédophiles.

Mais où pouvaient bien se cacher ces images?

En zone allouée?

Des fichiers cachés?

Des fichiers effacés?

En zone non-allouée, pas même référencé dans la table des fichiers?

Dans des fichiers zippés?

Non.

Dans le fichier thumbcache_256.db…

Késako?

Lorsque vous visualisez le contenu d’un répertoire en mode d’affichage « Miniatures », une image réduite (une « miniature ») est placée sur la représentation de chaque fichier. Si votre fichier contient des images, vous pouvez ainsi en apercevoir une représentation réduite, ce qui vous permet de trouver rapidement la bonne image.

Sous Windows XP, tous les répertoires images explorés dans ce mode contiennent ensuite un fichier caché Thumbs.db

Ce fichier contient toutes les miniatures des fichiers du répertoire. Un régal pour toutes les analystes forensiques.

Pour Vista, Microsoft a modifié son système de mise en cache des vignettes. Plutôt que de créer un fichier caché Thumbs.db dans chaque répertoire, un groupe de fichiers thumbcache_*.db contient une réduction plus ou moins fine de chaque image stockée.

Dans cette affaire, le propriétaire de l’ordinateur avait particulièrement bien effacé la trace de ces activités criminelles.

Mais il n’avait pas pensé à effacer le fichier thumbcache_256.db de Vista, révélant ainsi sa petite collection de 300 images pédophiles particulièrement atroces.

Je ne suis pas un enquêteur.

Je ne suis pas un juge.

Je suis un simple informaticien au service de la justice.

Mais j’aimerai pourtant un jour y reconnaître l’un de ces visages pour pouvoir mettre la police sur les traces des ravisseurs.

Et parfois, c’est dur.

Le plus beau métier du monde

Etre responsable informatique dans une école d’ingénieurs, c’est un peu comme un chemin de croix: à chaque coin sa peine…

L’étudiant: « M’sieur Zythom, pourquoi vous bloquez le réseau pour nous empêcher de faire un jeu en réseau pendant les cours? »

Moi: « Et bien, vous avez assez bien formulé la réponse… »

Le professeur: « Cher Collège (insistez bien sur la majuscule condescendante), les vidéoprojecteurs que vous mettez à notre disposition dans les amphis ne permettent pas l’affichage en 2560×2048 indispensable à la bonne compréhension de mon cours. Quand comptez-vous réparer cette indigence? »

Moi: « Vous voulez sans doute parler du passage au standard QSXGA (voir ici les standards vidéo). Et bien, nous venons juste d’acheter 15 vidéoprojecteurs au standard UXGA. Pour répondre donc précisément à votre question, je pense réparer notre indigence dans environ quatre ans. »

Le personnel administratif: « Pourquoi plus rien ne fonctionne depuis que vous avez remplacé mon ordinateur? »

Moi: (après enquête) « Et bien, vous devez recréer tous les raccourcis que vos collègues vous ont créés sur votre bureau. Voulez-vous que je vous montre comment on crée soi-même un raccourci? Vous connaissez l’histoire de celui qui a soif et à qui on refuse de donner à boire pour lui montrer comment creuser un puits? »

Le Gala:

Fin septembre, après le rush de la rentrée estudiantine, l’école procède à la cérémonie annuelle de remise des diplômes d’ingénieurs pour la promotion sortante. C’est l’occasion également du déroulement du gala de l’école.

Le gala est un moment fort de l’année, dans ce qu’il réunit lors d’une grande soirée plusieurs générations d’anciens étudiants, dont certains sont en poste depuis plusieurs dizaines d’années.

C’est l’occasion pour eux de se retrouver et de se raconter leurs souvenirs.

Etudiant X à un autre: « Tu te souviens quand on a dévalé les pistes de ski, sans neige, et sans ski? »

C’est aussi l’occasion pour eux de retrouver leurs professeurs et de leur remémorer quelques bons et mauvais souvenirs.

Etudiant X: « Ah bonjour Monsieur Zythom! Vous vous souvenez comme j’étais nul en algorithmique? Et mes programmes, vous vous souvenez la vitesse à laquelle ils faisaient redémarrer l’ordinateur tout seul? »

C’est enfin l’occasion pour moi de découvrir ce que sont devenus mes anciens étudiants.

Etudiant X (le même que précédemment): « Ce que je fais aujourd’hui? Et bien je suis commercial dans une grande société informatique. Qu’est-ce que j’étais nul en informatique, mais qu’est-ce que j’aimais bien vos cours! »

C’est aussi le moment de rencontres avec des personnes qui dirigent maintenant des usines de 1000 personnes, qui sont « grands patrons » dans des TPE, PME, PMI, TGE ou TGI (Très Grosse Entreprise ou Industrie). Je les vois toujours comme « mes » étudiants, je les bouscule comme s’ils étaient encore post adolescents. Cela leur fait plaisir.

C’est à ces moments que je me rends compte que j’exerce le plus beau métier du monde.

Le reste n’est que poussière qui blanchit mes cheveux.

Le législateur et les nouvelles technologies

J’ai eu la semaine dernière la visite d’un fournisseur ayant pris rendez-vous pour me présenter les matériels dernier cri de sa société. Il s’agit d’un fabricant de machines de mise sous plis. Il se trouve que nous disposons d’une telle machine âgée maintenant de cinq bonnes années et toujours ma foi en bonne santé, bon pied, bon oeil…

L’intrépide commercial sentant mon attention faiblir lors du rendez-vous, me sort l’argument massue pour réveiller mes ardeurs consuméristes:

« Mais savez-vous que nos machines de mise sous plis sont équipées du dernier système de gestion des incidents?! En cas de problème, plus besoin d’appeler un technicien qui viendra – quand il pourra – constater qu’il n’a pas la pièce! Il suffit maintenant d’appuyer sur le bouton rouge et la machine contactera immédiatement grâce à son modem intégré un serveur distant qui saura que vous êtes en panne et qui vous appellera immédiatement. »

J’ai donc expliqué au dynamique commercial qu’il me faudra donc mettre en place deux téléphones avec ligne directe (denrée rare dans mon entreprise, tant les numéros SDA sont hors de prix): l’un pour la machine, l’autre pour l’opérateur…

J’ai alors posé la question suivante:

« N’est-il pas possible de passer par internet? »

Devant les yeux arrondis de mon interlocuteur, j’ai senti que j’étais entré dans un autre monde, dans une autre dimension ou dans une autre époque.

« Mais monsieur, ne savez-vous pas qu’internet est empli de dangers pouvant mettre en danger toute votre installation, allant jusqu’à déclencher de fausses alertes!!! »

Me dire cela, en 2007, au XXI siècle, à moi…

Pourquoi commencer ce billet avec cette anecdote liminaire somme toute assez insipide?

Et bien, parce que finalement j’étais heureux de rencontrer encore quelqu’un qui se souvenait qu’une technologie mal utilisée pouvait être dangereuse (je parle d’internet, pas de la machine à mettre sous plis, il faut suivre, vous là-bas au fond!).

Et c’est là que nos législateurs entrent en scène.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais rappeler à mes lecteurs l’une des règles de base concernant Internet (je mets un « I » majuscule quand je veux):

l’échange sur internet de courriers électroniques non cryptés équivaut IRL à l’échange de cartes postales (sans enveloppe): tous les intermédiaires peuvent en lire le contenu. Quels sont ses intermédiaires? Les informaticiens responsables du serveur d’envoi de votre messagerie, toutes les personnes intervenant sur les actifs réseaux que vos emails emprunteront et enfin, tous ceux susceptibles d’accéder à la boite email de réception de votre correspondant. Sans compter que les emails peuvent rebondir vers des boites aux lettres « de sécurité », vers des serveurs de secours, quand ce n’est pas vers une boite aux lettres de votre prestataire informatique (si si j’ai déjà vu cela)…

Il est de plus EXTREMEMENT facile d’envoyer un email en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Vérifier dans votre poubelle à SPAM combien d’emails vos « amis » vous ont adressés pour vous permettre de gagner 20% de plus (devinez ce qui doit pousser de 20%? Ah, vous lisez trop de spam vous aussi…).

C’est l’une des raisons qui me pousse à continuer à adresser mes convocations en recommandé avec avis de réception, et mes pré-rapports par FAX. Je réserve l’utilisation de ma messagerie pour des messages du type « Cher Maître, suite à notre conversation téléphonique du 18 juin 1940, pouvez-vous me confirmer la date du 6 juin 1944 comme date de notre première réunion d’expertise? »

Et si la réponse consiste en une demande de transfert de fond d’une riche veuve nigérienne en total désaccord avec l’article 419, et bien je faxe sans confirmation en priant pour la survie dudit cabinet.

Vous comprenez donc que j’ai toujours caché ma joie en apprenant la mise en place entre experts et avocats de procédures d’échanges de données informatisés sécurisé(e)s

(je ne sais plus si ce sont les procédures, les échanges ou les données qui sont sécurisés…)

Quelle ne fût donc pas ma surprise, lorsque Maître Eolas attira tantôt mon attention sur le « décret n°2007-1620 du 15 novembre 2007 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l’utilisation des nouvelles technologies » m’entrainant malgré le poids de mon manque de sommeil dans la rédaction de ce [long] billet nocturne, post Cold Case.

Extrait du décret (je mettrai le lien en fin de billet pour éviter de perdre le peu de lecteurs arrivés à ce stade):

La copie des actes du dossier d’instruction […] peut être réalisée sous forme numérisée, qui est conservée dans des conditions garantissant qu’elle n’est accessible qu’aux personnes autorisées à la consulter.

A chaque transmission ou remise d’une copie numérisée, le greffier délivre une attestation indiquant qu’elle est conforme à l’original.

Les copies numérisées remises aux avocats […] peuvent être adressées par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique de l’avocat.

Ce qui signifie qu’un document aussi important que le dossier d’instruction, document de procédure plus confidentiel que le code secret de l’arme atomique (tatoué sur une oreille de Baltique?), va pouvoir circuler vers des adresses emails GMAIL, hotmail ou de feu la société « vouloir faire« …

Avez-vous lu quelque part les mots « cryptage », « PKI », « signature électronique »? Moi non.

Je passe sur le fait que l’attestation du greffier sera sans doute une document papier dument tamponné…

Et pourtant, à un moment, j’ai cru que nos législateurs avaient eu un sursaut technologique en lisant:

DE L’UTILISATION DE MOYENS DE TÉLÉCOMMUNICATION AU COURS DE LA PROCÉDURE

Extraits:

Pour l’application par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention des dispositions […] prévoyant la retranscription dans différents procès-verbaux des déclarations des personnes entendues en plusieurs points du territoire, il est procédé selon l’une des deux modalités prévues par le présent article.

Soit deux procès-verbaux sont dressés simultanément, l’un par le magistrat et son greffier dans les locaux de la juridiction, et l’autre par un greffier sur le lieu où se trouve la personne entendue, et ils sont signés sur place par les personnes présentes.

Soit un procès-verbal est dressé dans les locaux de la juridiction par le magistrat et son greffier, et ce document est immédiatement transmis sur le lieu où est présente la personne entendue, pour être signé par cette dernière, selon la procédure des contreseings simultanés […]

Hélas, pour ceux qui ne sauraient dire en quoi consiste la méthode de sécurité dite des « contreseings simultanés », voici sa définition selon l’article D.47-12-3 du code de procédure pénale:

Lorsqu’il est fait application de la procédure des contreseings simultanés, le procès-verbal est signé par le magistrat et son greffier, puis est transmis par télécopie ou par un moyen de communication électronique sur le lieu où est présente la personne entendue, pour être signé par cette seule personne. Ce document est immédiatement retourné au magistrat selon le même procédé. L’original du document signé par la personne entendue est ensuite transmis par tout moyen pour être joint au dossier de la procédure.

J’ai du relire plusieurs fois, et à cette heure avancée de la nuit faire un petit croquis (si si)…

Enfin, cerise sur le gâteau, le TITRE XII – DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Extraits:

Lorsqu’un protocole a été passé à cette fin entre, d’une part, le président et le procureur de la République du tribunal de grande instance et, d’autre part, le barreau de la juridiction représenté par son bâtonnier, les avocats de ce barreau peuvent transmettre à la juridiction par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique de la juridiction ou du service de la juridiction compétent, et dont il est conservé une trace écrite, les demandes, déclarations et observations suivantes :

[suit la liste de toutes les demandes possibles]

Ces transmissions sont effectuées, en respectant les modalités prévues par le protocole, à partir de l’adresse électronique professionnelle de l’avocat, préalablement communiquée à la juridiction, et après que les documents joints ont fait l’objet d’une numérisation.

Les messages ainsi adressés font l’objet d’un accusé électronique de lecture par la juridiction.

Ils sont considérés comme reçus par la juridiction à la date d’envoi de cet accusé, et cette date fait, s’il y a lieu, courir les délais prévus par les dispositions du présent code.

Là, je dois dire que j’en suis resté comme deux ronds de flan.

Il est 1h33 du matin, je vais me coucher.

Je relirai demain.

Désolé pour les fôtes.

Je laisse mes collègues informaticiens rompus à la pédagogie expliquer en détails les problèmes de sécurité liés aux emails.

Références bibliographiques:

Décret n°2007-1620 du 15 novembre 2007

L’éternel voyage de la science

Les experts les plus redoutables sont ceux dont la compétence paraît offrir le plus de garantie. En effet, si l’avocat peut toujours combattre, parfois victorieusement, les conclusions d’un expert graphologue, il osera plus difficilement discuter catégoriquement les rapports d’un grand professeur en médecine ou d’un chimiste dont la compétence est universellement reconnue.

Ainsi, le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, fit une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Il n’apprit pourtant l’existence des ptomaïnes qu’en 1875, par les travaux des professeurs Selmi de Bologne et Gautier.
Jusqu’à cette époque, toute substance alcaloïde toxique extraite d’un cadavre au cours d’une expertise médicale était réputée avoir été introduite criminellement durant la vie.

En 1875, le grand médecin légiste était alors parvenu au terme de sa carrière.

Quel effroi rétrospectif, quelle tristesse durent le saisir, lorsque la découverte de ces poisons nés de la mort lui révéla combien d’erreurs il avait pu commettre.
Il avait trouvé du poison; il pensait avoir touché du doigt le crime.
Mais l’empoisonneuse n’était que la Nature surprise en son labeur de décomposition.

Tardieu ne s’était jamais trompé. Il avait subi les ignorances de la science.

Il en sera toujours ainsi. Si savant soit-il, un savant ne peut savoir que tout ce qui se sait à son époque. Il s’en rend compte et, devant la justice, il emploie volontiers cette formule de haute modestie: « Dans l’état actuel de la science, je crois pouvoir affirmer telle ou telle chose ». Mais de cette réserve philosophique nul ne tient compte.
« Voilà ce qui me paraît être la vérité », dit le savant.
« Voilà la certitude », traduit la foule ignorante, oublieuse de « l’éternel voyage » de la science.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Échangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
Victor Hugo — Les Châtiments

11 novembre 2007

C’est la première fois que j’assiste à la cérémonie du 11 novembre dans ma ville. J’y accompagne ma fille qui doit lire un texte, avec ses camarades de classe de CM1. C’est un petit matin froid et nous retrouvons près du monument aux morts, des parents, des anciens combattants, les instituteurs, la fanfare, quelques personnalités et le maire.

La cérémonie est empreinte de dignité, émouvante et solennelle.

Moment de recueillement collectif, tout le monde est concentré sur les textes lus par les enfants à tour de rôle.

Arrive le tour d’un petit garçon dont le mère est à côté de moi. Elle me dit: il est très concerné car il nous a posé beaucoup de questions. Devant mon étonnement, elle m’explique que son arrière grand-père était allemand et avait combattu contre les français lors de la grande guerre…

C’est au tour de ma fille de 9 ans. Voici son texte:

« Plus de 4 millions d’hommes ne survécurent qu’après avoir subi de graves blessures, le corps cassé, coupé, marqué, mordu, la chair abimée, quand ils n’étaient pas gravement mutilés.

Les autre s’en sortirent en apparence indemnes: il leur restait le souvenir de l’horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l’odeur des cadavres pourrissants, de l’éclatement des obus, de la boue fétide, de la vermine, la mémoire du rictus obscène de la mort.

Il leur restait des cauchemars pour le restant de leurs jours, des images dont ils n’oublieraient jamais l’horreur. »

Ces mots dans la bouche de ma fille m’ont tiré quelques larmes discrètes.

Les erreurs du passé

En fouillant dans mes vieux livres, je suis tombé sur un ouvrage remarquable intitulé « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven.

Cet ouvrage date de 1897.

Après l’avoir dévoré, ce livre m’a décidé de créer sur ce blog une rubrique consacrée aux erreurs judiciaires des siècles passés (hors 20e et 21e siècles). Je vais commencer par de larges extraits de cet ouvrage.

Il ne s’agit pas ici de dénigrer mes confrères d’antan, je n’ai pas oublié la notion de respect confraternel, même à travers les âges, mais plutôt de m’adresser aux (futurs) jeunes experts. L’historien qui relève les fautes des gouvernements passés ne rend-il pas service aux gouvernants du jour? Plus que les autres, ceux-ci ne doivent-ils pas bénéficier des critiques et puiser des enseignements dans les faits?

Ainsi les experts qui parcourront cette rubrique trouveront, dans ce martyrologe, des avis et des exemples. Et si jamais, au moment de signer un rapport dont leur conscience s’inquiète, le souvenir d’un de ces billets traverse leurs hésitations, leur fait poser la plume et leur évite – qui sait? – une involontaire injustice, peut-être devront-ils à l’auteur de ce blog quelque reconnaissance.

Il est fascinant de constater qu’en matière archéologique, l’exhumation des corps anciens ne choque personne. Elle nous apprend tant sur la nature humaine. Etudier les mœurs anciennes nous amène fatalement à réfléchir sur nous même.

Il y a beaucoup d’intervenants dans un procès: les magistrats, les avocats, les experts, les greffiers, les témoins, la foule, le public, les journalistes, l’opinion… Dans les affaires que j’ai dénichées dans mes fouilles archéologiques, vous verrez tous ces intervenants à un moment ou à un autre. C’est parfois surprenant, souvent désastreux, toujours catastrophique pour l’innocent.

Dans toute affaire terminée par une condamnation erronée, l’un des acteurs, à un moment quelconque, a enfreint une règle essentielle de sa délicate mission. Et directement ou non, l’erreur est née de cette faute. Par penchant, plus souvent par imprudence, langueur d’esprit, désir d’arriver à un résultat ou crainte de laisser un crime impuni, quelqu’un a pris parti contre le prévenu. Dès lors, il l’a tenu coupable. Il n’a pas conçu la possibilité de son innocence, et, pour découvrir la vérité, il a cru qu’il suffisait de chercher des preuves de culpabilité. Les meilleurs s’y laissent aller. Ils croient bien faire, et préparent « des condamnations plus crimineuses que le crime » [Montaigne, Essais, livre III, chap.XII].

Et cela, parce qu’une qualité leur manque, une qualité qui peut devenir un défaut chez d’autres hommes, mais qui devrait être la vertu maîtresse de tous les acteurs du procès: l’inquiétude d’esprit, qui fait qu’après avoir trouvé le vrai, on le cherche encore.

Vous verrez également que les siècles se suivent et parfois se ressemblent.

A suivre.

Virtualisation réelle

Si j’aime tant le métier de responsable informatique, c’est simplement parce qu’il ressemble assez à celui d’un chercheur.

La preuve est qu’il est assez facile de paraphraser la définition donnée par wikipedia du métier de chercheur pour obtenir la définition de ce qu’est un informaticien:

Un informaticien (fem. informaticienne) désigne une personne dont le métier consiste à faire de l’informatique. Il est difficile de bien cerner le métier d’informaticien tant les domaines informatiques sont diversifiés et impliquent d’importantes différences dans la pratique de ce métier. Ainsi, pendant longtemps, informaticien n’était pas vu comme un métier, mais un simple qualificatif. Le Manuel de Zythom donne une définition de l’informaticien qui reflète la diversité des situations: «Spécialiste travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes et de systèmes nouveaux et à la gestion des projets concernés.»

Quels sont mes centres d’intérêt actuels? Et bien, après avoir mis en place un cluster dans ma salle serveur pour augmenter la puissance et la fiabilité du serveur de messagerie de l’établissement, je m’intéresse aujourd’hui aux systèmes de virtualisation (puisque la mode des clusters semble passée:).

Et puis, c’est un aspect intéressant pour les expertises. En effet, l’analyse de tels systèmes en informatique légale me semble poser quelques problèmes intéressants. Autant s’y préparer.

J’installe donc régulièrement, au travail comme dans mon laboratoire d’expertise, Xen, VirtualBox, Vmware et autre VirtualPC. Et c’est vrai que c’est amusant et impressionnant…

En fait, j’ai une petite déception. J’avais secrètement l’espoir de pouvoir installer un système de virtualisation sur mon ordinateur privé afin de pouvoir passer d’une simple combinaison de touches (Alt Tab par exemple) d’un OS à un autre, en gardant tous les pilotes optimisés (notamment 3D graphiques pour les jeux). Je dois avouer que je n’ai pas encore réussi ce challenge.

Par contre, en salle serveur, j’ai déjà obtenu quelques résultats me permettant d’isoler des programmes instables imposant le redémarrage du serveur relativement souvent. Au sein d’une machine virtuelle, il suffit de redémarrer uniquement la machine virtuelle pour ne pas perturber les autres services qui tournent sur la machine hôte. En fait, rien encore de bien révolutionnaire à mon niveau.

En discutant avec les RSI d’autres écoles d’ingénieurs, je me suis fait la réflexion suivante, adaptation personnelle d’une blague circulant régulièrement sur internet:

La virtualisation dans les salles serveurs, c’est comme le sexe chez les

adolescents :

* Tout le monde y pense.

* Tout le monde en parle.

* Tout le monde croit que le voisin le fait.

* Presque personne ne le fait.

* Ceux qui le font le font mal.

* Pensent que la prochaine fois ce sera mieux.

* Ne prennent pas de précautions.

* N’osent pas avouer leurs lacunes de peur de paraître niais.

* Sont fort bruyants quand ils y arrivent.

C’est tout à fait cela!

Vous pouvez adapter cette puissante réflexion à l’infini:

Les sauvegardes du poste de travail, c’est comme le sexe chez les adolescents…

La sécurisation wifi, le cryptage des emails confidentiels, la lutte contre l’effet de serre, le tri sélectif des déchets ménagers, le remplacement de sa voiture par un vélo, le jogging…

Un provincial à Paris

Question à deux euros: A quoi reconnait-on un provincial à Paris?

Réponses:

1) Dans le métropolitain:

– A son air souriant;

– C’est le seul qui regarde les publicités;

– Il sourit du phénomène acoustique permettant d’écouter une conversation du quai d’en face;

– Il se tient immobile sur la partie gauche des escalators (quelle horreur);

– Il n’emprunte pas les mystérieux couloirs marqués d’un sens unique (« David Vincent has seen them. For him it began one lost night on a lonely country road, looking for a short-cut that he never found. »);

– Il propose sa place assise à une femme enceinte qui refuse d’un air méfiant;

– Il attend pour monter dans la rame que les personnes aient fini de descendre;

– Il regarde sans arrêt les noms des stations (et le plan au dessus des portes) pour ne pas rater la sienne;

– C’est le seul à ne pas avoir de lecture dans la rame (car il ne sait pas où sont distribués « 20minutes » ou « Métro », et n’a pas pensé à prendre un livre de poche);

– Il est habillé « différemment »;

– C’est le seul à dire (et écrire) « métropolitain » en parlant du métro.

2) Dans la rue:

– Il attend le signal « piéton vert » debout sur le trottoir au lieu d’être avancé d’un mètre sur la rue (trouillard va);

– Il regarde partout, surtout en l’air, pour observer les structures des bâtiments;

– Il marche systématiquement dans la première déjection canine présente sur le trottoir;

– Il ne s’extasie pas devant la première station Vélib’ venue, la province étant équipée en bicyclettes partagées depuis des décennies.

3) Partout:

– Il a dans les oreilles de discrets écouteurs au lieu d’avoir un gros casque hifi sur la tête comme tout le monde;

– Il dit « bonjour » et « merci » aux différents commerçants, même si ceux-ci lui parlent à la troisième personne: « Il veut quoi le monsieur? »;

– Il marche incroyablement lentement.

Vous l’aurez compris, votre serviteur s’est expatrié pour une journée dans la ville des Lumières.

Je suis un plouc!

Les missions pièges

Ou plutôt les pièges des missions.

J’ai deux stratégies pour établir un devis:

– la plus bête, mais la plus précise:

je fais le travail, j’en déduis le coût, j’établis un devis (forcément précis) qui, lorsqu’il est accepté, me permet d’être l’expert judiciaire le plus rapide du monde 🙂 Pourquoi cette stratégie peut-elle être bête: tout simplement lorsque le devis est refusé…

– la plus intelligente, mais la plus risquée:

Comme toute activité établissant des devis, mettre en place une grille d’estimation. Parfois on tombe au dessus, parfois au dessous. C’est rapide, propre et tout le monde est content. Alors quel est le risque? Et bien, c’est le petit détail qui a échappé et qui peut multiplier par deux ou trois le temps consacré…

Exemple:

J’ai eu à établir un devis préalablement à une expertise de type « recherche d’images pédophiles » (il faut croire que j’en deviens le spécialiste). Je regarde les missions de l’ordonnance, je contacte les personnes chargées des scellés pour en avoir le détail, je vais même jusqu’à récupérer les scellés pour savoir le type d’OS et les tailles de disques durs (une fois, après un devis basé sur les unités centrales, j’ai ouvert l’UC pour y trouver trois disques durs de 300 Go chacun… trop tard).

Dans ce dossier, une fois tout le matériel sous la main, j’ai établi un devis AVANT de commencer à travailler. Une semaine plus tard, le devis a été accepté. Je démarre alors mes investigations. Je contacte l’OPJ en charge du dossier pour avoir des éléments me permettant d’être plus efficace. Cela me permet d’avoir des mots clefs plus précis pour trouver certains types d’information, etc.

A la fin de la conversation, le gendarme me dit: « Et pourriez-vous me transmettre les images retrouvées sur deux cédéroms: l’un sous scellés, et sa copie pour investigation? »

Comment refuser?

Sauf que je n’avais pas prévu de mettre en évidence une montagne d’images pédophiles: 40 Go d’images et de films pédopornographiques, le tout mélangé avec une centaine de gigaoctets de films pornographiques!!!

J’en suis sorti mentalement rincé (relire ce billet pour comprendre).

C’est donc complètement lessivé par tout ce tri, que j’ai entrepris de graver les 20 DVD (10×2). Classer les données par paquet de 4Go et graver les fichiers en mode vérification, cela représente environ 1/4h par DVD. Multipliez par 20, c’est cinq heures de boulot hors devis (pour ma pomme).

Dans ce type de dossier, l’argent compte peu, mon temps non plus. Car finalement, le piège dans ce type de mission, ce n’est pas le devis raté, c’est de toucher le fond de la souffrance humaine: celle des enfants.

Et ça, c’est vraiment dur.