L’éternel voyage de la science

Les experts les plus redoutables sont ceux dont la compétence paraît offrir le plus de garantie. En effet, si l’avocat peut toujours combattre, parfois victorieusement, les conclusions d’un expert graphologue, il osera plus difficilement discuter catégoriquement les rapports d’un grand professeur en médecine ou d’un chimiste dont la compétence est universellement reconnue.

Ainsi, le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, fit une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Il n’apprit pourtant l’existence des ptomaïnes qu’en 1875, par les travaux des professeurs Selmi de Bologne et Gautier.
Jusqu’à cette époque, toute substance alcaloïde toxique extraite d’un cadavre au cours d’une expertise médicale était réputée avoir été introduite criminellement durant la vie.

En 1875, le grand médecin légiste était alors parvenu au terme de sa carrière.

Quel effroi rétrospectif, quelle tristesse durent le saisir, lorsque la découverte de ces poisons nés de la mort lui révéla combien d’erreurs il avait pu commettre.
Il avait trouvé du poison; il pensait avoir touché du doigt le crime.
Mais l’empoisonneuse n’était que la Nature surprise en son labeur de décomposition.

Tardieu ne s’était jamais trompé. Il avait subi les ignorances de la science.

Il en sera toujours ainsi. Si savant soit-il, un savant ne peut savoir que tout ce qui se sait à son époque. Il s’en rend compte et, devant la justice, il emploie volontiers cette formule de haute modestie: “Dans l’état actuel de la science, je crois pouvoir affirmer telle ou telle chose”. Mais de cette réserve philosophique nul ne tient compte.
“Voilà ce qui me paraît être la vérité”, dit le savant.
“Voilà la certitude”, traduit la foule ignorante, oublieuse de “l’éternel voyage” de la science.

Extrait de l’ouvrage “Les erreurs judiciaires et leurs causes” de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Échangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
Victor Hugo — Les Châtiments

4 réflexions sur « L’éternel voyage de la science »

  1. Ha la science ! et la technique…

    Dans les années 80, quand les premiers PC sont apparus c’était une révolution. Ils tournaient, si je me souviens bien avec une horloge à 4,77 MHz… ça fait sourire d’y repenser.
    La technique a vite évoluée et chaque nouveau modèle d’ordinateur qui sort relègue le précédent dans les oubliettes du passé.

    Aujourd’hui quand j’allume (ou que j’éteind) mon pc portable équipé de w….s, j’ai le temps, le temps, le temps, de repenser à mon premier pc !
    Comme quoi tout est relatif comme dirait Albert, et même si tout va toujours plus vite, on a encore le temps d’attendre.

  2. Heu… mille excuses Zythome, la joie de voir un nouveau billet m’a fait oublié les règles élémentaires de politesse. Donc d’abord Bonjour. Je suis très heureux de pouvoir lire un billet sur un sujet passionnant.

    “L’éternel voyage de la science”.
    C’est un peu comme cette théorie scientifique qui dit qu’une fusée qui part dans l’espace en gardant une trajectoire toujours absolument droite finit forcément par revenir à son point de départ !

  3. Bonjour Zythome, quel excellent article, j'aimerais avoir votre position sur les expertises psychologiques, qui le plus souvent reposent sur des théories de psychanalyse ? Quid de la science dans tout cela ?

    • Bonjour, je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Mon domaine, c'est l'informatique, domaine déjà très vaste.

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