Tome 2

Tenir un blog, pour beaucoup, c’est prendre plaisir à raconter une histoire, une anecdote ou partager un retour d’expérience. C’est utiliser un peu de la liberté d’expression dont nous disposons pour s’exprimer.

Mais c’est aussi s’exposer à la critique, à la haine et au mépris. Je reçois quelques courriers de cet ordre, qui rejoignent vite le trou noir de ma poubelle numérique. Les problèmes que j’ai rencontrés à cause de la tenue de mon blog sont venus d’ailleurs.

Je suis toujours surpris de constater que le fait qu’internet offre à tous les citoyens la possibilité de s’exprimer directement, sans les filtres habituels, dérange et contrarie un certain nombre de personnes. Dans mon cas, des personnes ont été choquées par le fait que je tienne sous pseudonyme un blog sur lequel je présente mon activité d’expert judiciaire, sans passer par les revues (et comités de lecture) ad hoc, ni par le cercle fermé et discret des réunions ou colloques organisés par les compagnies d’experts judiciaires. Le fait de donner sans filtre, directement auprès du public, une opinion, une vision, une mémoire…

Tenir un blog, confortablement installé dans le fauteuil de mon bureau, peut amener la tempête et l’opprobre des institutions avec lesquelles je travaille, l’invitation à un interrogatoire suspicieux ou la condamnation de mes pairs. C’est ainsi que l’on prend conscience de l’importance de la vie en société, de l’assaut des idées des autres et de leurs jugements.

C’est de tout cela, et d’autres choses, dont il va être question dans les pages du tome 2 du livre « Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire », dans les anecdotes « romancées » qui sont toujours en ligne sur le blog à la date de rédaction de cet ouvrage.

Le premier billet du livre commence avec la réception d’une convocation de la Cour d’Appel auprès de laquelle je suis inscrit comme expert judiciaire. Tous les autres billets sont écrits pendant que ce que j’ai appelé l’« affaire Zythom » se déroule, mais sans que je souhaite en parler sur mon blog, même si parfois mon humeur transparaît dans certains billets comme « Sombre ». Ce n’est qu’une fois l’affaire terminée que je me suis permis de la raconter sur le blog, dans les billets qui constituent la fin du livre. Ce tome 2 couvre donc complètement cette période qui fut difficile pour mes proches et moi.

Tenir ce blog me permet de suivre une certaine thérapie par l’écriture. En paraphrasant le magistrat Philippe Bilger, je peux dire : « On est écartelé entre ce qu’on a envie d’écrire et ce qu’on a le droit de dire. Entre [l’expert] et le justicier. Le professionnel et le citoyen. La vie et l’Etat. L’élan et le recul. La réserve et l’audace. Entre soi et soi. »

« Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire – Tome 2 – L’affaire Zythom » est disponible au format papier ici en vente chez mon éditeur.

D’autre part, vous le savez sans doute, j’aime assez l’idée de partage et de libre diffusion sans DRM. Ce livre est donc également disponible gratuitement pour tous:

au format PDF (2374 Ko),

au format EPUB (572 Ko),

au format FB2 (759 Ko),

au format LIT (554 Ko),

au format LRF (697 Ko) et

au format MOBI (744 Ko).

Vous pouvez le copier et le diffuser librement auprès de vos amis et de vos ennemis.

Vous y trouverez, comme dans le tome 1,
une sélection de billets laissés dans l’ordre chronologique de leur
publication, et qui peuvent être classés cette fois dans quatre
rubriques :

– mes activités d’expert judiciaire en informatique ;

– mon travail comme responsable informatique et technique ;

– ma découverte du monde politique comme conseiller municipal ;

– et des anecdotes pour mes amis et ma famille.

Avertissements :

Les habitués du blog le savent, mais cela va mieux en l’écrivant: la publication des billets de mon blog, sous la forme de livres, est surtout destinée à ma famille et à mes proches. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la démarche d’une autopublication. J’ai endossé tous les métiers amenant à la publication d’un livre, et croyez moi, ces personnes méritent amplement leurs salaires! Mise en page, corrections, choix des titres, choix des couvertures, choix du format, choix des polices de caractère, marketing, numérisation, etc., sont un aperçu des activités qui amènent à la réalisation d’un livre. Je ne suis pas un professionnel de ces questions, je vous prie donc de m’excuser si le résultat n’est pas à la hauteur de la qualité que vous pouviez attendre. Le fait d’avoir travaillé seul (avec ma maman pour la relecture, merci à elle), explique aussi le faible prix de la version papier pour un livre de 260 pages.

Je me dois également, par honnêteté envers les acheteurs du livre, de dire que les billets en question sont encore en ligne et le resteront. Les billets sont identiques, à part les adaptations indiquées ci-après.

Le passage d’un billet de blog à une version papier nécessite la suppression des liens. J’ai donc inséré beaucoup de « notes de bas de page » pour expliquer ou remplacer les liens d’origine. Dans la version électronique, j’ai laissé les liens ET les notes de bas de page. Je vous incite à lire les notes de bas de page le plus souvent possible car j’y ai glissé quelques explications qui éclaireront j’espère les allusions obscures.

J’ai également glissé, dans ce tome 2, le nom de l’avocat qui m’a assisté tout au long de l’ « affaire Zythom ». C’est un avocat redoutablement efficace, en plus d’être un homme charmant. Je lui dois d’être encore expert judiciaire et de continuer à tenir ce blog. Ce sera le teasing pour vous inciter à la lecture 😉

J’espère que ce tome 2 vous plaira. En tout cas, je vous en souhaite une bonne lecture.

Décision du Procureur Général

Ce billet est le 8e (et a priori dernier) d’une histoire qui commence avec ce billet.


République française

Ministère de la Justice

Cour d’Appel de [Ville]

Le Procureur Général

[Ville], le 16 janvier 2009

OBJET: procédure disciplinaire contre M. [Zythom], expert

[…]

Je vous informe que la recommandation décidée par la chambre de discipline de la Compagnie des Experts de justice près la Cour d’Appel de [Ville] me paraît opportune afin de rappeler à M. [Zythom] le nécessaire respect des qualités, notamment de conscience, d’impartialité et de réserve, nécessaires au plein accomplissement de sa mission d’expert.

Je note à cet effet la modification intervenue sur la page d’accueil du blog tenu par M. [Zythom].

Je considère cette procédure comme close en l’état.

[…]


Merci à tous pour vos encouragements, à mon avocat pour sa compétence et à mes proches pour leurs soutiens.

Cette page est tournée.

—————-

Sources images:

Feu d’artifice: fr.bestgraph.com

Robe Procureur: Cour d’Appel de Paris

Ma première enquête

Dans une autre vie, j’ai travaillé comme modeleur dans une entreprise spécialisée dans la création d’images de synthèse. J’étais jeune, étudiant, et je faisais mon stage ingénieur. Le travail était passionnant et j’étais souvent le premier arrivé le matin et le dernier parti le soir.

Mon travail consistait a introduire la notion de liens entre les différentes parties constituant un objet articulé. A cette époque, lorsqu’un personnage 3D devait se déplacer, il fallait se préoccuper de la trajectoire de chacun de ses constituants (ce qui donnait parfois de jolies surprises, avec un bras qui se détachait du corps pendant la marche).

L’entreprise était une jeune pousse créée par des anciens chercheurs en image de synthèse qui avaient inventés de nombreux algorithmes de calculs et surtout, qui avaient conçu un (gros) calculateur spécialisé dans ce type de calculs.

Chaque image pouvait donc être calculée très rapidement sur ce matériel spécialisé.

Enfin, quand je dis rapidement, il fallait quand même 15 mn par image (mais à cette époque, c’était un exploit).

Chaque semaine s’écoulait à peu près de la même façon: tout le monde travaillait sur le scénario, les décors, les objets et leur modélisation. Chaque nuit étaient lancés des calculs préparatoires (sur des structures simplifiées sous forme de fils de fer). Chaque matin, nous découvrions les résultats, effectuions les corrections et améliorations. Puis arrivait le vendredi soir et le moment de lancement de tous les calculs pour le week-end: 60 heures de calculs non-stop pour calculer une séquence de 240 images, soit 10 secondes d’animation.

Une semaine de travail pour 10 secondes d’animation…

Autant dire que lorsque nous avons découvert, un lundi matin, que les calculs n’avaient pas eu lieu durant le week-end, nous n’étions pas fiers.

Surtout lorsque le même phénomène s’est reproduit la semaine suivante!

Réunion de crise dans l’entreprise, discussion autour des causes de pannes possibles. Tout y passe: bug logiciel, problème matériel (le calculateur était un prototype unique), défaut d’alimentation électrique, etc. Nous avions même envisagé le débranchement brutal du calculateur par la femme de ménage pour le branchement de son aspirateur…

Nous étions trois ingénieurs dans la salle, en me comptant, moi le jeune stagiaire, au milieu de créatifs, d’artistes et de chercheurs. Mais dix personnes, dix avis, dix solutions…

Les fichiers logs du calculateur indiquaient un arrêt brutal d’activité le vendredi soir, la première fois à 22h13, et la seconde à 21h36. Et personne n’arrivait à raccorder ces deux dates à un évènement particulier qui aurait pu nous mettre sur la piste. J’émets timidement une remarque: « heu, c’est curieux, c’est à peu près l’heure à laquelle je suis parti… »

Nous décidons donc tous à l’unanimité que je serais accompagné le vendredi suivant pour surveiller le bon lancement des calculs.

La semaine se passe comme d’habitude. L’activité dense de l’entreprise et le côté artistique de son activité faisait qu’il y avait toujours quelqu’un, 24h sur 24. Chacun vivait l’aventure de la jeune pousse intensément et avec passion.

Vendredi soir arrive, et me voilà, avec plusieurs personnes sur le dos, toutes aussi curieuses que moi, à surveiller la stabilité du calculateur et le bon lancement des calculs en batch. A 19h, démarrage OK. A 20h tout se déroulait correctement. A 21h aussi. A 22h, nous sommes trois à rester dans la ruche, d’habitude si active. Mais bon, c’est l’été, et le début d’un week-end qui s’annonce particulièrement ensoleillé.

Je relis sur mon cahier tous les évènements qui se sont déroulés depuis 18h. L’arrivée ou le départ d’untel, l’arrêt de tel ordinateur, la coupure des lumières de tel bureau. C’est ma première enquête et j’ai pris soin de noter tous les détails qui pourraient se révéler cruciaux.

Tout se passe correctement et la machine ronronne de façon normale. J’essaye d’imaginer tous les électrons passant par les transistors et par les fils wrappés sur les plaques de cuivre. Je me sens un peu comme Dave Bowman en train de surveiller une création technologique potentiellement malfaisante.

Surtout qu’à l’époque, mon magnifique MacPlus fourni par l’entreprise et surgonflé à 4Mo me susurrait à chaque erreur de clic: « I’m sorry Dave, I’m afraid I can’t do that… »

Bon, si tout va bien, il n’y a plus de raison de rester. Je note sur le cahier: départ 23h15. Nous sortons tous ensemble, puis je rentre dans ma cité U écouter la radio de mon voisin et les râles de sa copine…

Lundi matin, stupeur, le calculateur a arrêté ses calculs… à 23h16! Une minute après notre départ! La première personne arrivée lundi a été obligée de relancer tous les calculs qui auraient du être fait le week-end.

Re-réunion de crise, et tout le monde me demande de refaire les gestes effectués lors de mon départ. Je suis un peu vexé.

– j’écris l’heure de mon départ sur le cahier;

– je me lève pour prendre mon pull (un vieux pull tout pourri, symbole du scientifique à mes yeux à l’époque;)

– je me dirige vers l’entrée (tout le monde me suit);

– je regarde si tout va bien, j’ouvre la porte et je sors.

C’est tout?

Et moi, espiègle, j’éteins toutes les lumières de l’entreprise avec l’interrupteur principal situé près de l’entrée, et les plonge tous dans le noir.

A ce moment-là, le calculateur s’arrête et redémarre.

L’interrupteur qui permettait d’éteindre toutes les lumières d’un seul coup, générait une surtension sur le réseau électrique, surtension qui rebootait le calculateur. Cet interrupteur n’était jamais utilisé en période normale, soit parce qu’il y avait quelqu’un en permanence, soit parce que les lumières étaient déjà toutes éteintes.

Personne n’utilisait jamais cet interrupteur le vendredi soir.

Sauf moi, depuis trois semaines.

Les corsaires de l’informatique

J’entends beaucoup parler de pirates informatiques. Je lis aussi beaucoup sur la question car le sujet m’intéresse à plusieurs titres:

– comme responsable informatique dans une école d’ingénieurs, les tentations d’indélicatesses in situ par les étudiants sont nombreuses,

– comme correspondant sécurité du Réseau National de télécommunications pour la Technologie l’Enseignement et la Recherche dans mon établissement, la surveillance de nos serveurs internet et de nos accès au réseau des réseaux est indispensable,

– comme informaticien inscrit sur la liste des experts judiciaires, je dois m’assurer qu’un litige qui m’est soumis ne trouve pas sa source dans les opérations frauduleuse d’un tiers,

– comme enseignant-chercheur en informatique, j’ai à cœur l’enseignement de l’utilisation pratique des technologies de l’information et de leurs sécurités,

– comme particulier à la tête d’un réseau informatique personnel, je dois m’assurer de l’utilisation normale des différents ordinateurs familiaux (par les miens et par les aliens),

– enfin, comme informaticien passionné et curieux, j’ai toujours eu à cœur de comprendre le fonctionnement des techniques utilisées dans les appareils de traitement automatique de l’information. Et étudier leur fonctionnement, c’est s’intéresser également à leur dysfonctionnement. Et étudier leur dysfonctionnement, c’est s’intéresser à leur sécurité.

Je ne vais pas vous faire ici un cours sur la sécurité informatique. Je dis simplement que ce point particulier m’intéresse.

Attention: je ne dis pas que je suis compétent. Je dis simplement que je suis personnellement attiré par ce qui relève de la sécurité informatique. Et depuis longtemps. Enfin, je veux dire depuis tout petit. La raison? Simple curiosité scientifique… et certainement une attirance non nulle par le côté obscur de la force (attirance toute scientifique bien sur;).

Le côté obscur de la force.

Les élites informatiques.

Vous savez, celles qui parlent un langage particulier, l’elite speak, c’est-à-dire le leet speak, euh, je veux dire le L33T 5P3AK.

Enfin quoi, celles qui utilisent cette version de Google

4m1$, 1£ ƒ4µ7 ƒ41r3 µn3 p4µ$3

J’4p3rç01$ £’0mbr3 Ð’µn b0µ(h0n

Bµv0n$ à £’41m4b£3 ƒ4n(h0n

(h4n70n$ p0µr 3££3 qµ3£qµ3 (h0$3

Mais revenons à nos m0µt0n5. Je ne peux pas nier qu’à l’âge de mes premières amours, mon attirance anormale vers l’informatique était en partie liée à cette attirance des réseaux undergrounds dont on m’avait parlé. C’était l’époque où notre ancien ministre de l’économie des finances et de l’industrie donnait vie à mon héros d’alors, j’ai nommé Brendan… Je sortais de mes lectures la tête pleine de rêves de hacking, cracking et autres carrières de professeur au MIT. Avec cette odeur de souffre qui plaisait tant alors aux filles. CQFD.

J’étais un bad boy parce que je rêvais d’exploits.

Ceux-ci, pas ceux-là

Seulement, voilà, je suis un gentil.

Celui-ci… pas celui-là!

Et donc, il m’a fallu patienter jusqu’à devenir responsable informatique pour m’attaquer réellement à mon premier piratage: celui de mon propre système. Pourquoi? Et bien pour voir si mon système était suffisamment sécurisé. Je suis donc devenu corsaire de l’informatique.

Un corsaire de l’informatique est un membre de l’équipage d’une SSII, autorisé par une lettre de marque (ou lettre de course) à attaquer en temps de cyberguerre, tout site battant pavillon d’États ennemis, et particulièrement son trafic marchand, laissant à la flotte de guerre le soin de s’attaquer aux objectifs militaires. Les corsaires, ne doivent donc pas être confondus avec les pirates puisqu’ils exercent leur activité selon les lois de la guerre, uniquement en temps de guerre et avec l’autorisation de leur gouvernement. Capturés, ils ont droit au statut de prisonniers de guerre[1].

Me voici donc en train de cracker les mots de passe pour vérifier que mes utilisateurs sont bien (in)conscients. En train de lancer une attaque DOS, ou de jouer à l’homme du milieu

Et comme beaucoup d’administrateurs réseaux, j’ai joué avec le feu: matériel en production, tentative de pénétration frauduleuse de système informatique (depuis chez moi avec mon modem)… En fait de corsaire informatique, j’étais plutôt un flibustier, c’est-à-dire un corsaire auto proclamé.

J’ai donc fini par me rendre compte que la sécurité informatique… et bien, c’est un métier. Et que moi, finalement, je ne suis qu’un script kiddie, un gamin utilisateur de scripts. Et un script kiddie, cela peut être extrêmement dangereux, par son incompétence même.

Le problème, c’est que depuis ma lecture de Softwar, des professeurs Brendan, je n’en ai pas rencontré beaucoup. Ni de vrais corsaires de l’informatique. Ni de pirates. Et pourtant, depuis l’arrivée d’Internet (je mets une majuscule quand je veux), la cyberguerre est partout. C’est pourquoi je dois me protéger. Je dois protéger mon système informatique. Je dois protéger mon système d’information. Je dois protéger mon entreprise.

Et comme je suis un bisounours dans un monde de brute. Je dois faire appel à un spécialiste. Un anti-pirate. Un héros des temps informatiques.

Un mercenaire informatique.

D’après Zythompédia, le terme «mercenaire informatique» s’entend de toute personne qui est spécialement recrutée dans l’entreprise ou en SSII pour combattre dans un cyberconflit, et qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une entreprise au conflit ou en son nom, une rémunération nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les services informatiques de cette entreprise.[2]

J’ai nommé le PENTESTER.

Mais cela, c’est une autre histoire (à suivre).

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[1] et [2] Ami lecteur du premier degré, cette définition est inventée, voire romancée.

Cache cache

Il m’arrive de temps en temps de recevoir une enquête par email. En général, elle passe directement à la corbeille, mais cette fois-ci, j’ai eu envie d’y répondre. Toutefois, avant de cliquer sur le lien, par réflexe paranoïaque (non pathologique quand même), j’aime à vérifier qu’icelui renvoie vers le site dont l’email provient.

Or, dans mon cas, le lien envoie vers un site différent, prétendument français (point fr oblige parait-il). Un petit coup de Google sur le nom de domaine du suspect m’informe de la réalité de l’existence IRL de ce site, prestataire annoncé de mon enquêteur.

Au risque d’évoluer vers une psychose paranoïaque constituée, je m’enquiers de la qualité de ce site via un autre navigateur démuni de tous ses attributs javascriptesques, en entrant, non pas le lien envoyant vers l’enquête toujours en attente, mais l’adresse de la racine du site.

Et là, ô rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie!, que vois-je sur la page d’accueil de ce bon site d’une entreprise informatique bien française de chez nous: l’image d’un fier guerrier en rouge sur fond noir, accompagnée d’inscriptions vengeresses et d’une musique guillerette.

Le site avait été piraté!

Une petite analyse du code source me montre quelques traces d’expressions anglaises laissant penser que certains turcs souhaitaient avoir des rapports sexuels avec des grecs.

N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?

Mon sang ne fait qu’un tour, allais-je laisser ainsi ce site sans figure? En tant qu’internaute premier, n’ai-je pas une obligation d’assistance à site en danger?

Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers

Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers?

Je décide donc de contacter le responsable du site. Problème: comment?

J’envoie un email à [email protected] et [email protected]

24h passent sans réponse et sans effet.

Les adresses emails obligatoires ne sont plus lues par personne…

Ô cruel souvenir de ma gloire passée!

Mais Zythom ne lâche pas prise aussi simplement!

Une recherche auprès des bureaux d’enregistrement: rien.

Les pages blanches et jaunes sur internet: rien.

Ma collection de vieux bottins papiers… Rien.

Le cache de Google pour retrouver le site avant son piratage: OUI. Sur la page contact se trouve un numéro de téléphone surtaxé.

J’appelle (à mes frais).

Je tombe sur un quidam décentralisé auquel j’explique mon souhait urgent de contacter le responsable informatique de l’entreprise. Miracles, je suis persuasif et il me fournit un numéro de téléphone direct (cela fait deux miracles).

J’ai le responsable informatique en ligne.

Moi: « Bonjour, votre site web a été piraté et sa page d’accueil va vous surprendre. Cela fait déjà 24h que j’ai envoyé un message à votre postmaster, mais cela n’a pas changé grand chose. »

Lui: « Bonjour, attendez, je vais vérifier. »

Lui (en voix lointaine, mais j’ai l’oreille fine): « Hé, Yoda, je crois que quelqu’un essaye de me faire une blague par téléphone… »

Lui (quelques bruits de touches sur un clavier plus tard): « Euh, Monsieur, non, j’ai la page d’accueil du site de l’entreprise sous les yeux, et tout à l’air normal… »

Moi: « Bon, ça doit être un problème de cache ou de site dupliqué. Avez-vous la possibilité de vider votre cache et/ou d’aller sur le site réellement vu par le public? »

Lui: « Attendez, je vide le cache ».

Lui (d’une voix chevrotante): « Œuvre de tant de jours en un jour effacée! »

Lui (reprenant ses esprits): « Merci d’avoir appelé. Nous allons faire le nécessaire ».

Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur

Finalement, le site est revenu à sa configuration d’origine quelques minutes plus tard. Une excellente occasion de redécouvrir les différents algorithmes de remplacement des lignes de cache

Conclusions provisoires

Ce billet est le 7e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Comme je l’indiquais en commençant cette série de billet, c’est l’esprit même d’un blog de raconter ce qui nous arrive de marquant en relation avec le thème du blog, a fortiori quand c’est du blog même dont il s’agit.

C’est pourquoi j’ai entrepris de vous raconter à travers ces quelques billets ce qui peut se passer dans les coulisses d’un blogueur.

Cette (petite) affaire est-elle terminée?

Non. Je citerai ici un passage d’un billet de Paxatagore publié sur le site de Maître Eolas, et qui (bien qu’utilisé en dehors de son contexte) décrit bien mieux que moi la situation dans laquelle je me trouve:

« Il n’y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s’il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s’il a vu un avocat, c’est d’avantage pour se rassurer que pour se défendre, l’avocat non plus n’ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n’est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n’est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n’ont pas été séparés… Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. »

Vous l’aurez compris, le Procureur de la République peut parfaitement prendre la décision de me poursuivre devant la Cour d’Appel pour entamer la procédure infamante de radiation de la liste des experts judiciaires.

Il peut aussi classer sans suite.

Il peut également ne rien décider et/ou ne rien dire.

Un magistrat est libre de décider ce qu’il lui semble le mieux à faire pour la société, et sa décision doit être respectée. Je peux simplement vous assurer que je me prépare déjà à l’idée de comparaître devant la Cour d’Appel.

Le confrère à l’origine de la saisine devait-il agir ainsi?

Oui. Aussi curieux que cela m’est apparu au début, la question devait être posée clairement: un expert judiciaire peut-il parler sur un blog de ses activités? La réponse (évidente pour moi) ne coule pas de source pour tout le monde. Comme l’indiquait justement Thomas en commentaire ici, « je m’imaginais face à un blog tenu par exemple par un expert médical, ou psychologue, ou balistique… quel aurait été mon sentiment? »

Au moins aujourd’hui ai-je la réponse sur ce point de ma compagnie d’expert de justice.

Devais-je écrire cette série de billets avant que cette affaire ne soit complètement close?

Oui, et pour plusieurs raisons:

– Vous n’avez pas idée du bien que font les commentaires que vous déposez sur ce blog.

– La mise en ligne des informations que je donne n’influera en rien les décisions des magistrats qui ont/auront à gérer ce dossier.

– Je ne compte pas sur un quelconque effet de buzz puisque les faits sont derrière moi.

– Enfin, il est bon de partager, sous forme de retour d’expérience, des évènements qui peuvent concerner tout blogueur (y compris celui qui sommeille en vous). Ce partage n’aurait pas eu la même saveur, pour vous comme pour moi, si j’avais publié ces billets après une (éventuelle) radiation. Je pense d’ailleurs que je n’aurais pas eu le recul nécessaire pour le faire sans acidité ni amertume. En ce sens là, Sid avait raison dès son premier commentaire sur le premier billet

Pensez-vous que d’autres experts judiciaires devraient ouvrir un blog et raconter leurs activités d’expertise?

Oui, bien sur. J’aimerais même que les différentes compagnies d’experts de justice, ou les regroupements de compagnie, poussent leurs membres à le faire, comme le fait aujourd’hui l’ordre des avocats. Dans le respect, bien entendu, des règles de déontologie.

Enfin je terminerai ce billet en citant (hors contexte je dois l’admettre) cette phrase que l’on trouve sur le site du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice:

«L’expert doit observer une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence de quelque nature qu’elle soit».

Billet suivant: Décision du Procureur Général.

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Crédit images darkroastedblend.com

Décision de la Compagnie

Ce billet est le 6e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Deux semaines après mon audition, je recevais le document suivant:


COMPAGNIE des EXPERTS de JUSTICE

près la Cour d’Appel de [Ville]

(association régie par la loi du 1er juillet 1901)

CHAMBRE DE DISCIPLINE

Session du 5 décembre 2008

FAITS ET PROCEDURE

– Par lettre du 5 septembre 2008, le Procureur Général de la Cour d’Appel de [Ville] a saisi la chambre de discipline de notre compagnie concernant un de nos membres Monsieur [Zythom].

Il est reproché à cet Expert informatique dans la tenue d’un blog de poser difficultés quant au respect, de la réserve, de l’impartialité et de la conscience professionnelle que sa fonction d’Expert Judiciaire lui impose.

En annexe de cet envoi figure des extraits du blog de Monsieur [Zythom].

– Le Conseil d’Administration de la Compagnie réunie le 19 septembre 2008 a pris connaissance de cette saisine.

Il a constaté que le grief était de nature générale, sur l’attitude et l’image que doit donner l’Expert Judiciaire de sa fonction.

– Dans cette séance, le Conseil d’Administration s’est étonné que le Président de la Compagnie des Experts de [Biiiiiip]1, lui-même Expert informaticien et à l’origine de la saisine, n’ait pas pris contact avec son homologue de [Ville] pour obtenir des renseignements sur le confrère en question, ou pour agir sur son comportement.

Le Conseil a souhaité être pleinement informé dans le cadre d’une procédure permettant à la personne mise en cause de s’exprimer.

Il a donc été décidé de convoquer Monsieur [Zythom] à une réunion de la Chambre de discipline le 5 décembre 2008 afin qu’il puisse être entendu.

– Le 9 octobre, Monsieur [Zythom] a été convoqué à cette réunion.

– Le 30 octobre, il interrogeait la Compagnie sur les griefs exacts qui lui sont faits.

– Par retour le Président de la Compagnie lui indiquait qu’il s’agissait de son obligation de réserve par rapport à la rédaction de son blog.

– Le 5 décembre 2008, le Conseil d’Administration transformé en Chambre de discipline à 14 heures a entendu Monsieur [Zythom], assisté de son Avocat, Maître [TheBest], Avocat au barreau de [ville].

A la demande du Président, Monsieur [Zythom] et son Avocat expliquent à la Chambre de discipline les motivations concernant la tenue du blog.

Ils demandent à la Chambre de discipline la teneur exacte de ce qui est reproché.

MOTIF DE LA DECISION

– Les membres de la Chambre de discipline ont tout d’abord constaté que le blog en question se présentait comme un roman et qu’à ce titre, il ne présentait pas de valeur technique. Il s’agit d’un divertissement littéraire.

– Dès avant l’audition, les membres de la Chambre de discipline, et notamment un expert informaticien, ont cheminé sur les différents blogs qui peuvent se rapprocher du monde de l’expertise judiciaire.

Ils ont constaté que le blog en question est accessible par un mot d’entrée générique tapé sur le clavier: «EXPERT JUDICIAIRE» et que pour obtenir cette accessibilité, il n’est pas anodin que ce blog comporte sur chaque page en haut «blog d’un expert judiciaire».

Au niveau du mode d’emploi du blog, la 1ère rubrique s’intitule «expertises judiciaires informatiques (Expert)», il n’y a aucune indication pour informer qu’il s’agit d’un roman. La personne qui recherche peut penser trouver des éléments purement techniques.

La Chambre de discipline en tire deux observations:

1) La majorité des personnes qui frappent sur leur clavier «Expert Judiciaire» n’ont pas pour objectif d’aboutir à un blog constituant un roman. Ils recherchent le plus souvent des éléments techniques attachés à l’exercice de l’expertise judiciaire.

2) La cadence de visite du blog est attachée, pour la plus grosse partie, à cette technique informatique qui fait que le moteur de recherche va faire ressortir le blog dans les premiers sites affichés à l’écran dans une recherche sur le générique «Expert Judiciaire».

– Les membres de la Chambre de discipline constatent qu’il existe de multiples blogs et sites qui constituent de véritables publicités non dissimulées pour leurs auteurs Experts judiciaires.

Il en existe notamment sur [Biiiiiip].

Il en existe notamment sur des spécialités informatiques.

– Les membres de la Chambre de discipline constatent:

  • Que le blog est un moyen d’expression aujourd’hui très répandu et très libre au niveau de la rédaction.
  • Que de nombreux professionnels en exercice, dont quelques Experts, Magistrats et Avocats en rédigent.
  • Que dans la plupart des cas, les auteurs des blogs comme certains romanciers écrivent sous un nom d’emprunt, ce qui préserve, dans la majorité des cas et toujours dans un premier temps, l’anonymat.
  • Que l’auteur du blog n’en tire pas avantage financier.
  • Que les écrits consultés n’ont rien de différent de ce que l’on peut lire dans un roman.
  • Que l’on ne peut pas rapprocher précisément des paragraphes du blog avec ce que serait la non observation de l’attitude de:

    # Réserve,

    # Impartialité,

    # Conscience professionnelle.

DECISION DE LA COMMISSION DE DISCIPLINE

Après avoir délibéré, la Chambre de discipline décide d’émettre une RECOMMANDATION à Monsieur [Zythom].

Le caractère générique «Expert Judiciaire» donnant l’accessibilité à son blog, lui impose de donner une image de l’Expert conforme aux qualités premières qui doivent être celles des auxiliaires de Justice.

Cette image doit conduire au respect de la fonction et à la mise en valeur des qualités nécessaires à son exercice:

– conscience,

– compétence,

– impartialité,

– réserve,

– autorité.

Ces valeurs ne sont pas toujours celles que l’on développe dans l’écriture d’un roman qui recherche l’anecdote pour le divertissement.

La mention «roman» ou «anecdotes» pourrait utilement compléter le titre «expertises judiciaires informatiques (expert)» apparaissant au début du blog, afin d’éviter la confusion pour la personne qui effectue une recherche technique.

Le Président de la Chambre de discipline.


Le jour même de la réception de ce courrier, je me suis conformé à la décision du conseil d’administration de la compagnie des experts de justice réuni en chambre disciplinaire, en remplaçant dans le mode d’emploi situé en haut de ce blog la phrase:

– expertises judiciaires informatiques (Expert)

par la phrase:

anecdotes d’expertises judiciaires informatiques (Expert)

Le premier qui dit « tout cela pour ça? »…

Billet suivant: Conclusions provisoires.

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[1] Ce sera mon seul indice quant à l’origine de la plainte contre moi. Cet expert est également président d’une compagnie nationale d’experts que je tiens en très haute estime, à laquelle j’ai appartenu et pour laquelle je continue de faire de la publicité.

Commission de discipline

Ce billet est le 5e d’une histoire qui commence avec ce billet.

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Quelques explications liminaires s’imposent.

Un expert judiciaire est un citoyen comme les autres. Il a proposé son savoir faire à la Justice qui a accepté de s’en servir en cas de besoin et l’a inscrit pour cela sur une liste auprès de la cour d’appel la plus proche. Le détail des procédures peut être retrouvé sur le marronnier de ce blog.

La fonction d’expert judiciaire n’est pas une profession, et il n’y a pas d’ordre professionnel, comme il peut exister un ordre des avocats, un ordre des médecins, etc. Pour rappel, un ordre est un groupement professionnel chargé de surveiller l’éthique et la déontologie d’une profession.

Cela signifie-t-il que la fonction d’expert judiciaire n’a pas d’éthique ni de déontologie? Bien sur que non.

Tout d’abord, il y a La Loi. En effet, plusieurs textes précisent le rôle de l’expert judiciaire et encadrent son action dans des procédures.

Ensuite, il y a les groupements d’experts judiciaires sous forme d’associations loi 1901. Ces associations, souvent intitulées « Compagnies », regroupent les experts judiciaires autour de leur intérêt commun (l’Expertise), soit pluridisciplinairement (en général une association par Cour d’Appel), soit par thème (par exemple l’Art).

Puis il y a des associations qui regroupent des associations d’experts judiciaires, comme par exemple le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (anciennement Fédération Nationale des Compagnies d’Experts Judiciaires, attention, site web 1.0).

Toutes ces associations ont des statuts, font des AG, des réunions, rédigent des documentations, des guides, des annuaires, organisent des formations, mettent au point des règles de déontologie.

J’ai toujours encouragé sur ce blog les nouveaux experts à se rapprocher de « leur » compagnie pluridisciplinaire, ainsi que les citoyens qui recherchent des experts judiciaires. J’ai même fait plusieurs fois de la publicité pour les formations ou les colloques organisés par ces différentes associations d’experts.

Toutefois, l’inscription à l’une de ces associations n’est pas obligatoire. Dans mon cas, j’ai fait le choix de restreindre mes cotisations à une seule association, la compagnie pluridisciplinaire de ma Cour d’Appel, pour bénéficier d’une assurance en responsabilité à cout très compétitif.

Je ne suis malheureusement pas un homme de réseaux (sociaux), aussi je ne goute guère les réunions de ma compagnie, me contentant de lui envoyer, outre ma cotisation et mes salutations distinguées, mes statistiques d’expertises.

Autant dire que personne ne me connait dans cette association, car j’y fais peu de bruit.

Me voici donc convié par Mr le Procureur devant le conseil d’administration de ma compagnie d’expert judiciaire, réuni en sa forme de chambre de discipline.

Fin des explications liminaires.

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J’arrive avec deux heures d’avance pour visiter les lieux et repérer le chemin d’accès. Je retourne à la gare où mon avocat doit arriver et en l’attendant, je relis quelques uns des 200 billets que j’ai publié sur ce blog dans la rubrique Expert. Je relis également quelques uns des courriers de lecteurs et mes réponses. Bref, je vérifie que je maîtrise le volumineux dossier papier que j’ai préparé. Moi qui ai toujours paniqué rien qu’à l’idée de devoir un jour venir présenter oralement mon rapport devant une Cour d’Assises… me voici en train de potasser mon dossier pour passer devant une commission de discipline.

Nous voici, mon avocat et moi, devant la porte de la salle de réunion. Le président nous accueille fort civilement et nous introduit dans les lieux. Imaginez une grande salle réunissant 20 personnes autour de tables formant un grand U, avec une table pour les accusés invités au milieu du U. C’est impressionnant.

Nous nous présentons[1], et les questions commencent. Toute l’audition se passera sur un ton courtois, sans parti pris, avec une vraie envie de comprendre.

Certaines questions seront très classiques:

« Pourquoi écrivez-vous de manière anonyme? »

« Vous semblez être pourvu d’un très gros égo. Qu’en pensez-vous? »

« Quel intérêt trouvez-vous à tenir un carnet intime public? »

D’autres questions sont plus subtiles:

« Vous nous expliquez que les anecdotes que vous citez sont véridiques mais transformées. Où est la vérité? »

« Finalement, vos histoires relèvent plus de la romance, de l’anecdotique. Pourquoi ne pas le dire, au lieu de vous présenter comme expert judiciaire à chaque entête de page de votre blog? »

« Les personnes qui tapent « Expert judiciaire » dans un moteur de recherche ont-ils comme souhait d’atterrir sur un blog constituant un roman? »

Je m’attache à répondre du mieux possible à chaque question, pendant l’heure et demie que durera l’audition. Je leur rappelle également que je ne sais toujours pas qui m’accuse et de quoi précisément. Personne ne me répondra sur ce point. Apparemment, tout le monde a lu le dossier, sauf mon avocat et moi.

Je ressors de l’essoreuse plutôt satisfait: quelle que soit la décision que prendra la compagnie, j’ai le sentiment d’avoir été écouté. Personne dans la salle n’était content d’être là, mais tout le monde a cherché à comprendre et à analyser les raisons qui nous y ont amené.

Le surlendemain j’écrivais le billet intitulé « Au bas de l’escalier » dont j’espère que vous percevez maintenant pleinement la saveur.

Quinze jours plus tard, le président de la compagnie m’adressait la décision. Celle-ci m’a fort étonné.

Billet suivant: Décision de la Compagnie.

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[1] Nous nous sommes présentés, mon avocat et moi, mais à mon grand regret, aucun des experts présents autour de la table ne s’est présenté (nom et domaine d’expertise), ce qui fait que je me suis adressé à une assemblé anonyme, ce qui est finalement assez cocasse.

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Crédit images darkroastedblend.com

La lettre du Procureur

Ce billet est le 4e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Quatre mois s’écoulent.

Pendant ces quatre mois, j’ai ouvert avec fébrilité tous les courriers en provenance de la justice. A chaque fois, il s’agissait de désignations pour des missions d’expertise. A chaque fois j’ai eu à cœur de tenir le serment que j’ai prêté, et qui orne le fronton de ce blog: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

Pendant ce temps, je continuais malgré tout de tenir ce blog, et de rédiger quelques billets plus ou moins en rapport avec ma probable « radiation pour cause de blog »:

Mon nom est l’Eternel

La tenue d’un blog nuit-elle à la santé?

Ecrire sous pseudonyme

En même temps se jouait un autre drame de ma vie, en trois temps: candidature, puis espoir et finalement la fin d’un rêve

Puis les vacances sont enfin arrivées… Et avec la reprise du travail, cette lettre:

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Monsieur,

Vous avez été entendu par M. le Conseiller chargé des relations avec les experts judiciaires le [date] dernier.

Au terme de cette audience, et au regard des éléments portés à ma connaissance, je vous informe que je saisis ce jour la chambre de discipline de la compagnie des experts judiciaires du ressort de la Cour d’Appel de [Ville] car j’estime que la tenue de votre blog contrevient au respect des principes, notamment de moralité et de conscience professionnelle, définis par ladite compagnie.

Je souhaite vous rappeler que votre fonction d’expert judiciaire vous impose le strict respect d’une obligation de réserve que la tenue de votre blog ne permet pas.

Je vous prie de croire, Monsieur, de croire à l’assurance de mes salutations distinguées.

P. le procureur général, [nom et signature], Substitut Général.

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Bon, je m’y attendais un peu, mais j’espérais quand même le classement sans suite après l’audition.

Ma curiosité l’emporte sur la consternation. Je discute avec mon avocat qui me remonte le moral. Je suis pris entre de nombreux désirs contradictoires. Ma crainte la plus forte est d’être pré-jugé, de ne pas être réellement entendu, de ne pas être écouté par mes pairs. J’ai l’impression d’être coupable, par la tenu de ce blog, d’avoir utilisé une liberté de parole qui s’apparente à l’utilisation de poil à gratter.

Bref, d’être considéré comme un emmerdeur.

Quelques mois plus tard, je suis tombé sur ce billet de Maître Mô, (sur des dossiers bien plus graves que ma petite affaire) qui résume parfaitement mon état d’esprit.

Extrait:

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[…] un type arrive devant ses juges avec une histoire et une vie, qui obéissaient jusqu’à cet instant à des milliers de règles différentes, logiques et illogiques, sensées et moins sensées, cohérentes entre elles ou pas, construites de réflexions et de coups de folie, bref, ma vie, la vôtre, le destin, le chemin parcouru, vos excès, vos humeurs, vos ressentis, vos passions, vos logiques, vos raisonnements…

Strictement rien d’analysable, juste tout ce qui vous fabrique, bonnes ou mauvaises raisons.

Et tout à coup c’est fini : vous êtes soupçonné.

Et à compter de ce moment, ces milliers d’éclats et de rondeurs qui vous composent ne sont plus étiquetables, strictement, que de façon absolument, totalement, désespérément et connement binaire.

Que ce soit devant un policier, devant un procureur, devant un juge d’instruction, et a fortiori devant vos juges finaux, ceux qui vont dire si vous avez commis les faits et qui vont voter votre condamnation, vous n’avez soudainement plus droit qu’à avoir eu, toute votre vie, et particulièrement autour de la commission des faits concernés, que deux attitudes.

Deux.

Sans aucune autre alternative. La bonne ou la mauvaise.

Et toute votre vérité, toute la réalité de votre vie, toute celle du moment où le drame dont on vous reproche à présent d’avoir été l’acteur, tout ne s’explique soudain plus qu’à la seule lumière de la bonne attitude, ou à la noirceur de la mauvaise attitude.

La Justice, qui connaît si bien le noir et le blanc, ne connaît pas le gris.

[…]

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Billet suivant: Commission de discipline.

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Crédit images darkroastedblend.com

L’interrogatoire

Ce billet est le 3e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Le jour J arrive. Stressé et angoissé, j’arrive 4 heures avant le rendez-vous. Je trouve mon chemin, je repère les lieux, je tourne en rond dans la ville.

Je discute avec mon avocat qui essaye de me détendre.

L’heure H arrive enfin. Je frappe à la porte du bureau du magistrat. A la Cour d’Appel, on l’appelle un conseiller. Mon avocat m’accompagne. Dès la porte du bureau ouverte, il demande au conseiller l’autorisation d’assister à mon audition. Le conseiller refuse poliment, expliquant que les textes ne prévoient pas la présence d’un avocat. Mon avocat m’avait prévenu. Me voici seul.

Le bureau est une jolie pièce avec plafond en voute. Deux personnes m’attendent: le conseiller et son greffier. Je m’assoie sur une chaise et me sens coupable. Mais je ne sais pas pourquoi.

Bonjour Monsieur, J’ai été saisi par le chef de Cour dans la mesure où vous tenez un blog et que l’on s’interroge pour savoir si vous considérez que ce blog est compatible avec l’obligation de réserve à laquelle vous avez prêtée serment.

Patatras.

Le ton est froid, professionnel. Sur ma chaise, je maîtrise avec peine mon stress.

Pendant une demi heure, sur un ton très courtois mais ferme, je suis interrogé sur mon blog, principalement sur ce billet. J’essaye d’expliquer mes motivations. Mon cerveau fonctionne à plein régime, mais ma voix trahit mon stress. C’est le premier interrogatoire auquel j’assiste, et c’est moi l’accusé.

Curieusement, ma voix légèrement chevrotante me fait penser à cette voix de vieillard dont j’ai déjà parlé dans cette anecdote. Seulement cette fois, le stress est resté jusqu’au bout tellement j’étais impressionné.

Le magistrat est parfaitement correct dans son rôle de neutralité absolue: froid sans être glacial, sans sourire mais sans sècheresse. Des questions courtes, factuelles. Je réponds (enfin j’essaye de construire une réponse intelligente). Le greffier prend des notes avec rapidité. Le magistrat prend le temps de répéter ses questions, et de reformuler mes réponses, sans en trahir le sens, pendant que j’écoute en silence.

Ce qui m’a surpris le plus, malgré mon stress, c’est que le greffier n’utilisait pas d’ordinateur, mais une simple feuille et un stylo. Lorsque je lui ferai remarquer, il m’expliquera qu’il est plus à l’aise comme cela, avec le sourire désabusé que je connais pour le voir souvent sur les personnes plutôt réfractaires à l’informatique. Je ne lui donne pas tort, d’autant que son écriture est fine et plutôt lisible. Les phrases sont complètes, les mots aussi. Il n’y a pas d’abréviation, ni de faute d’orthographe.

Dernière question du conseiller: « Avez-vous quelque chose à ajouter? »

Réponse instantanée: « Oui… mais… j’ai mille choses à ajouter! »

Puis je réfléchis en silence.

Le conseiller laisse ce silence s’installer.

Je regarde ce professionnel et comprend qu’il ne laissera transpirer aucun sentiment, aguerri qu’il est à ce type de situation.

Mais je lui sais gré de me laisser le temps de la réflexion, de ne pas me brusquer.

Je présente en quelques phrases le fait que je mets mes compétences au service de la Justice et que ce blog me permet de faire un retour d’expérience, avec des affaires transposées, déformées et méconnaissables, sous le couvert d’un pseudonyme, afin de partager ces expériences avec d’autres, professionnels du droit, experts confirmés, experts en devenir ou simples citoyens. Ce n’est pas incompatible à mon sens avec une obligation de réserve.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme.

Je sens que la messe est dite. Inutile de me ridiculiser. Je me sens déjà assez humilié.

Le conseiller me demande de relire le procès verbal du greffier. Je déchiffre son écriture étroite en me demandant pourquoi il n’a pas utilisé l’ordinateur. Le compte rendu est fidèle à l’esprit de mes propos. Je signe malgré l’absence de mon avocat.

Pourquoi avoir refusé la présence de mon avocat? Certes, sa présence n’était pas obligatoire, mais le magistrat aurait pu accepter sa présence. Car si son travail m’a semblé remarquable, je suis sur que l’avocat aurait du en être le témoin, en complément du greffier.

Je demande s’il m’est possible d’avoir accès au dossier, pour savoir qui a entamé cette procédure contre moi. Le conseiller m’indique qu’à ce stade de la procédure, ce n’est pas possible.

Le silence s’installe.

Le conseiller m’informe que l’audition est terminée.

Il ne me dit pas si je serais informé des suites, ni quand.

Je dois reconnaître que j’ai oublié de poser la question.

Mon avocat me ramasse à la sortie à la petite cuillère.

L’attente cruelle commence.

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Remarques:

– J’ai écris ce billet le lendemain de l’audition. Le soir même, j’étais trop fatigué. Et l’expérience m’a appris qu’il n’était jamais bon de réagir à chaud: un peu de recul ne nuit jamais à la réflexion. Je publie aujourd’hui ce billet sans retouche particulière. Sauf les présentes remarques.

– J’ai un rapport à l’autorité très respectueux. Les magistrats, la police, les gendarmes, les militaires et les politiques m’impressionnent beaucoup. Ils portent beaucoup de responsabilités et de pouvoirs sur les épaules, sans attirer la sympathie et la reconnaissance qui leur sont dues. Les voir travailler de près reste pour moi une source permanente d’étonnement, même quand je suis moi-même au cœur de leurs préoccupations.

– En venant avec mon avocat, malgré les avertissements de celui-ci, je pensais réellement que le magistrat accepterait sa présence, puisqu’il avait le choix. J’en veux beaucoup aux lois françaises (votées par les députés) de ne pas imposer la présence d’un avocat dès qu’un citoyen le souhaite. J’ai sans doute abusé un peu des séries américaines, mais les Etats-Unis ne peuvent pas se tromper sur tout…

– Il faut beaucoup, beaucoup de détachements pour relativiser sa propre affaire, se dire qu’il y a des cas beaucoup plus graves, des affaires où des vies sont en jeu, etc. Je me suis rendu compte que je n’en suis pas capable: cette affaire m’a rongé et m’a inquiété pendant des mois. J’y reviendrai.

Billet suivant: La lettre du procureur.

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Photo: détail du fronton du palais de Justice de Boulogne sur Mer (rien à voir avec moi… ou pas:).