Peut-être est-ce parce que je suis papa de trois enfants, peut-être est-ce la fatigue de fin de journée, toujours est-il que vous êtes prévenu: la lecture de ce billet va vous faire mal: https://www.nichevo.org/article-6805111.html
A lire quand même.
Vérifiez vos halogènes et ne laissez pas vos enfants seuls.
[Edit du 18/01/2011] Le blog n’existe plus, je remplace le lien vers web.archive.org et recopie ci-dessous le texte du billet pour un temps d’accès plus rapide: texte de Nichevo
Sur appel SP , incendie au rez de chaussée d’un immeuble ; locataire absent.
J’ai juste eu le temps d’entendre le message à la radio que mon téléphone se met à sonner ; je devine le standardiste qui cherche l’Officier de Police de permanence pour le traditionnel « avis OPJ », indispensable dans le protocole judiciaire.
Je prends mes affaires ; une collègue, mère de famille, m’accompagne. Nous nous dirigeons vers le sinistre.
Les pompiers ont déplacé force matériel ; deux véhicules et la grande Échelle ; pour une intervention au rez de chaussée, on aurait pu éviter. Le capitaine des pompiers est présent, il m’indique que le feu est parti du salon ; les fumées toxiques se sont répandues dans l’ensemble de l’appartement puis dans la cage d’escalier de l’immeuble.
Une trace noire est visible au dessus des fenêtres de cet appartement. Le feu est sur le point d’être maitrisé .Impossible de pénétrer à l’intérieur ; Il y a encore trop de fumée et la chaleur est trop intense.
Les voisins ne savent pas ; nous avons juste un nom de locataire. ; une famille turque ; Je connais ce nom.; de gros ventilateurs brassent la fumée. Il faut l’évacuer, c’est elle qui tue et non les flammes. Ce nom me dit vraiment quelque chose.
Il faudra attendre une demie heure avant de pouvoir accéder dans les lieux..
Les pompiers fouillent les trois chambres, le salon ; tout est noirci ; les murs irradient une chaleur insupportable ; le sol n’est qu’une flaque d’eau noire; il faut faire attention aux tuyaux; il n’y a plus de lumière, ; le faisceau de la ma lampe éclaire les murs dégoulinants ; je me sens un peu comme Job dans le ventre de la baleine ; on dirait que l’appartement est un organisme vivant; je franchis le couloir principal et j’arrive dans une chambre d’adulte ; elle est là , sous la couette, allongée sur le dos, dans son petit pyjama ;
Ses bras sont lancés en avant ; ses doigts ont cherché à attraper un dernier souffle d’air frais ; elle s’est cachée sous la couette pour échapper à la fumée. Une petite fille de deux ans environ; La seule occupante des lieux.
Le sergent des pompiers est un grand gaillard avec une moustache blonde et des yeux bleus ; il a le visage noir de fumée ; ses yeux sont humides ; il s’excuse et quitte les lieux ; c’est un père de famille.
Ma collègue tente de rester mais son petit dernier a le même age que cette petite poupée grise, pétrifiée à jamais sur ce lit Elle quitte la pièce en pleurant.
Je vais donc rester avec cette petite chose morte ; les fenêtres sont ouvertes et l’on entend un cri ; le cri d’un père qui vient d’arriver et qui devine que tout va mal.
Ce cri me permet de reprendre pied et je commence mes constatations ; la salle de commandement me demande force détail sur l’age, et l’identité de la petite victime ; je n’en ai encore aucune idée. L’équipage des collègues en tenue va prendre ces renseignements Je demande l’intervention du médecin légiste et je fais un tour de l’appartement ; le feu a pris dans le salon ; les murs sont nettement plus chauds à cet endroit et les matières sont carbonisées, tout particulièrement à proximité d’un pied métallique, un lampadaire halogène qui a du tomber ; la chaleur a du enflammer un tissu ou du papier à proximité, je demande aussi l’intervention du laboratoire central pour effectuer des prélèvements ; l’image de la petite fille est imprimée dans ma tête ; il va falloir retourner dans la chambre car le médecin légiste est déjà là.
C’est une petite bonne femme en blouse blanche avec un accent espagnol et une longue chevelure brune; elle a déjà derrière elle une longue carrière à l’étranger; les cadavres ne lui font pas peur.
Elle examine à présent l’enfant ; cette petite fille est agée approximativement de deux ans ; elle n’a aucun lien, aucune entrave, aucune autre blessure apparente . La mort est due à une asphyxie. Rapide et pratiquement indolore.
Le légiste retourne alors ce petit cadavre sans aucune retenue . Elle scrute méthodiquement les parties génitales de l’enfant. ; il faut vérifier si cette petite fille n’a pas été violée.
Les deux pompiers qui étaient encore avec nous sortent sous des prétextes divers.
Il n’y a plus que moi, le médecin légiste et la petite victime dans cette chambre.
Un prélèvement est effectué et puis on recouvre la petite avec cette couette , son linceul de fortune.
J’ai juste le temps de voir une moitié de nounours sous le lit. Je regarde cette peluche, blanche à l’origine. Elle est grise maintenant . Un cadre photo apparaît sur une table de nuit ; j’enlève un peu la suie et et la petite est là , souriante dans sa robe à fleurs, derrière un fond bleu. ; les larmes me montent aux yeux.
Il faut que je sorte.
Je suis sur le seuil de l’immeuble. Ma collègue est allé soutenir un vieux chêne, une main posée sur son écorce; c’est un des rares chênes qui a survécu à cet urbanisation. Les pompiers boivent silencieusement un pack d’eau. Le laboratoire de police arrive avec l’ingénieur qui procède aux prélèvements.
Un autre cri. Le père m’a vu et il sait qui je suis ; Je l’avais déjà eu dans une petite affaire de fermeture tardive de son restaurant. C’est donc lui.
Il mesure un mètre quatre vingt quinze et pèse au moins cent vingt kilos. Il vient vers moi et me tombe dans les bras en pleurant.
Le commissaire de permanence vient d’arriver ; il constate la scène et attendra son tour avant de me demander un compte rendu pour les autorités.
Le père ne veut plus me lâcher ; je suis à la fois un visage connu, un membre de la famille, une autorité qui lui dira ce qui s’est passé, Je le prends à part et je lui explique les faits ; l’incendie, la fumée ; le fait que la petite n’a pas souffert. Je n’en sais foutre rien en fait.. Je demande pourquoi la petite était seule à la maison.
Il ne sait pas. Sa femme aurait du être là. . Je lui demande de ne rien faire contre sa femme tant que nous ne lui avons pas parlé.
Nous la voyons alors arriver avec ses cabas remplis à raz bord ; elle lâche tout en nous voyant. Il n’y a pas besoin de parler. Elle sait tout en deux secondes. Nous sommes en pleine tragédie. Les voisins parlent à voix basse. Un enfant vient de mourir. Chacun reprend son môme ; Ils ne traîneront pas dans la cité ce soir..
Il faut aller au service pour prendre les dépositions des uns et des autres. Le père ne pourra pas s’y rendre ; il fait maintenant une crise de nerfs et il est pris en charge par les pompiers.
Sa femme est prise en charge par des amis de la communauté turque.
J’ai peur pour elle et je demande à un membre de la famille que rien ne lui arrive sinon nous pourrions nous intéresser de plus prêt à leurs affaires.
Le message est passé ; le travail , c’est sacré dans cette communauté. Il n’arrivera rien à cette femme mais son mari ne lui pardonnera jamais.
Je n’ai pas assisté à l’autopsie de ce petit corps ; Un autre collègue y est allé. Un père de famille lui aussi qui n’a pas dit un mot à son retour.
C’était une petite poupée, une petite fille adorable. Un petit fantôme qui m’accompagne encore aujourd’hui avec son sourire et sa petite robe fleurie.