Je rame

Il y a quelques temps, j’ai rencontré mon moi d’il y a 25 ans: j’ai repris un sport que j’ai pratiqué pendant mes trois années d’école d’ingénieurs, l’aviron. Cela m’a fait tout drôle de refaire des gestes que je croyais perdu dans les limbes de ma mémoire. Et il faut croire que c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas vraiment.

Alors je ferme les yeux, et je me retrouve dans un huit d’aviron (huit rameurs, huit rames et un barreur). Nous sommes immobiles, bateau arrêté, pelles dans l’eau, jambes pliées, prêts à donner toute notre puissance.

Autour de nous des centaines de personnes nous observent. Il s’agit d’un spectacle-exhibition. La rivière est étroite à cet endroit là, les pontons et les quais sont remplis de curieux.

Nos yeux sont fixés sur le premier rameur qui va donner la cadence. Sur le quai, l’entraineur tient un drapeau et va nous donner le signal de départ. Nous sommes là pour montrer au public la technique du départ de course en aviron.

A l’arrière du bateau une corde est attachée et disparaît dans l’eau.

Le drapeau tombe, tous ensembles nous poussons sur nos jambes avec les bras tendus. Nos fesses sont posées sur des sièges coulissants. Le premier coup de rame s’effectue à 3/4 de coulisse. Les bras tirent ensuite pour sortir les pelles de l’eau et repousser l’aviron dans l’air.

Vite les jambes se replient, les pelles plongent ensemble dans l’eau. Les deux coups de rames suivants se font à 1/2 coulisse. Deux coups rapides donc: clac, clac. Le bateau prend de la vitesse.

Le quatrième coup de rame s’effectue à 3/4 de coulisse. Tous les coups de rame suivants se font à pleine coulisse, à pleine puissance. Le bateau atteint une vitesse incroyable: en quelques secondes, nous sommes passés d’une immobilité parfaite à un bolide qui fend l’eau.

Derrière nous la corde s’est tendue, et le skieur nautique est sorti de l’eau. Nous l’avons tracté sur cent mètres sous les applaudissements du public. La puissance développée au départ d’un huit d’aviron est telle qu’elle permet de sortir un skieur nautique de l’eau (le tracter ensuite est enfantin).

Souvenir.

Je rouvre les yeux, nous sommes en septembre 2011, et j’ai des ampoules plein les mains et les pieds. L’eau bouillonne autour de moi, nous ramons en soulevant des gerbes d’eau, à peine synchronisés les uns avec les autres.

On ne devrait pas vieillir…

Mais alors comment se remplir la tête de souvenirs?

😉

Mon 11 septembre 2001

Le 11 septembre 2001, je me souviens très bien de ce que je faisais, comme beaucoup de monde, alors que je suis souvent incapable de me souvenir avec précision de ce que je faisais la semaine dernière.

J’étais en TP d’informatique avec mes étudiants. Un TP consacré à la recherche d’information sur Internet… Altavista était encore l’un des moteurs de recherche les plus utilisés. Windows 98 SE était encore bien utilisé dans mon établissement. C’était une autre époque, un autre monde.

J’étais en TP avec mes étudiants quand l’un d’entre eux m’appelle pour me montrer les deux tours en feu. L’information a fait le tour de la salle et nous nous sommes tous retrouvés hypnotisés face aux écrans.

J’aimerais pouvoir dire que j’ai tenu des propos alertes sur le monde libre face à la lâcheté du terrorisme. Mais je me souviens surtout avoir dit à mes étudiants quelque chose comme: « A force d’opprimer les peuples, de vivre grassement sur leur misère, les pauvres se rebellent… Le fossé est trop grand entre ceux qui ont des problèmes de cholestérol et ceux qui ont des problèmes de malnutrition. »

Un étudiant m’a alors regardé en disant: « Monsieur Zythom, nous sommes en train de regarder des milliers de personnes mourir. Ce n’est pas le moment de parler politique. »

Me faire ouvrir les yeux et le cœur si justement par un jeune de 18 ans m’a montré à quel point je pouvais être à côté de la plaque dans un moment historique.

A titre de pénitence, j’ai regardé mourir des gens en boucle toute la soirée. Et je n’ai plus jamais fait la moindre allusion plus ou moins politique avec mes étudiants.

Alors oui, je me souviens d’où j’étais, de ce que je faisais, mais aussi de ce que je disais. Et chaque année, les commémorations me renvoient à ma propre insensibilité. Je suis pitoyable.

Et vous, vous souvenez vous vraiment de votre attitude ce jour là?

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Photographie Marc Lamey

Attention Haute Autorité

J’ai beaucoup de retard dans mes flux RSS d’information, et c’est donc avec deux semaines de retard que je suis tombé sur cet article de Numérama: « Une Haute Autorité du Net pour le blocage des sites en France?« .

J’ai bien entendu lu avec attention le texte proposé par les quatre signataires

Jean-Pierre BIGOT, créateur de l’entreprise ESALAB et expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles;

Jacques GODFRAIN, ancien ministre de la coopération (1995-1997) et auteur de la loi n° 88-19 du 5 Janvier 1988 relative à la fraude informatique;

– Carole VUJASINOVIC, Magistrate, Juge d’instruction au pôle financier du TGI de Paris ayant enquêté sur le piratage du film « Bienvenue chez les Ch’tis« ; et

Maître Gérard HAAS, avocat, défenseur et protecteur des acteurs de l’e-commerce (slogan trouvé sur son site), cofondateur de l’association Cyberlex.

Je suis également allé sur le blog ouvert pour l’occasion, j’ai lu attentivement les commentaires (un seul à l’heure où j’écris ce billet).

Je retiendrai pour ma part un passage que je vous livre (les soulignés sont de moi):

« Considérant qu’une régulation «proportionnée» aux cybermenaces est nécessaire, mais que la voie judiciaire est difficilement praticable, nous préconisons la création d’une autorité indépendante, spécialisée pour être efficace, et garante du respect des libertés publiques sur le net et de sa neutralité, dont les décisions de contrôle seraient astreintes aux mêmes exigences que celles du juge, respect du contradictoire, droit de défense, droit de recours, etc… »

Tout d’abord incrédule (le texte est quand même signé par quatre acteurs de l’univers de la justice), j’ai ensuite pensé à ce billet d’Authueil sur les réflexions menées par des groupes de travail plus ou moins opportunistes: Débat de fond et présidentielle dont je vous livre ici un extrait qui illustre mon propos:

« Les débats de fond sont un processus en général lent, éclaté, collectif et médiatiquement peu visibles. Cela se déroule par le biais de colloques, d’articles confidentiels dans des revues spécialisées, de rencontres informelles et de discussions de couloirs. Cela concerne un nombre finalement assez réduit de personnes, mais souvent, sur des thèmes et des questions assez précises. Quand un sujet est technique, il faut déjà savoir de quoi on parle, ce qui constitue parfois une barrière à l’entrée, même s’il y a plusieurs cercles. On peut avoir ceux qui maitrisent parfaitement, sont reconnus dans le milieu concerné et ont réfléchi au sujet. Ils sont au cœur du processus, comme éléments moteurs, mais pas forcement comme décideurs. Il y a ensuite ceux qui comprennent ce qui se dit, sans pour autant avoir une maitrise technique complète. Ce qu’ils comprennent, ce sont les enjeux, et c’est dans cette catégorie que l’on retrouve, entre autres, les politiques (qui sont rarement des experts pointus, même si ça arrive). »

Alors, lorsque même des personnes ayant de très hautes qualités morales en arrivent à proposer une censure échappant au pouvoir judiciaire, lorsque se profilent des discussions de couloirs et des colloques de spécialistes sur ces thèmes, il me semble important de soutenir les organisations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Et donc, pour la première fois de ma vie, j’ai fait un don à la Quadrature du Net… Je vous invite à réfléchir à faire de même.

Je préfère choisir ma propre Haute Autorité du Net, ou au moins essayer.

Le vélo

Pour changer un peu du billet précédent et aborder un sujet plus léger, si je puis dire, j’ai une révélation à vous faire: j’ai (sans doute provisoirement) abandonné ma voiture pour aller travailler… en vélo.

J’ai pratiqué beaucoup de sports dans ma jeunesse (foot, natation, tennis, ski, voile, handball, aviron, badminton, squash, pour finir par spéléologie jusqu’à l’âge adulte), mais depuis quelques années (disons une dix-huitaine d’années) je suis surtout concentré sur les sports virtuels…

Alors, quand Mme Zythom s’est plainte du coussin qui poussait autour de ma taille, j’ai décidé de prendre une décision un jour d’envisager de peut-être m’intéresser à l’éventualité de reprendre une activité sportive. Les années ont passé, j’ai tâté un peu du jogging, sport peu sur s’il en est (enfin surtout si l’on est une femme), mais avec de piètres résultats. Je n’ai pas la volonté de veuve Tarquine, ni de mon beau frère marathonien…

Alors, parmi plusieurs autres résolutions de janvier, j’ai inscrit dans ma « wish list« :

– encourager le personnel de l’établissement à venir en vélo plutôt qu’en voiture

– venir moi-même en vélo

– acheter un vélo

J’ai donc construit au printemps, à la demande de mes collègues, un garage à vélos dans l’enceinte de mon lieu de travail, pour permettre le rangement de 16 vélos en toute sécurité, à l’abri des intempéries et des dégradations. J’ai également fait rénover la douche et les vestiaires attenants. La dizaine de collègues cyclistes m’ont chaudement remercié et nous avons pu également y garer trois vélos que l’on met en prêt pour les petits déplacements urbains de la journée.

Restait à faire le saut moi-même… C’est ainsi que j’ai pu vérifier qu’il est difficile de modifier ses habitudes de confort bien assimilées.

Première étape: prévenir mes enfants que je ne pourrais plus les accompagner le matin à leur collège/lycée et qu’ils vont devoir prendre le bus à la place chaque matin. « pas grave m’a dit l’ainée », « mais tu vas jamais y arriver! » m’a dit la cadette.

Deuxième étape: acheter un vélo. Mon vieux biclou ayant fait son temps et la rouille son œuvre, il me fallait choisir un nouvel instrument de torture qui puisse aussi être un fidèle compagnon. J’ai fait ce que je sais faire de mieux: je suis aller voir sur internet. Et j’ai étudié les vélos à assistance électrique, les vélos de course, les vélos de ville, les vélos tout terrain, les vélos à 1000 vitesses, les vélos à cardan, les freins à disque, à tambour, à étrier à tirage latéral, à tirage central, à double pivot… J’ai fini par aller voir un marchand à qui j’ai expliqué le cahier des charges suivant:

Je voudrais un vélo:

– pour aller au travail tous les jours et en revenir

– qui ne fait pas de bruit quand je freine (freins à disque ou à tambour)

– avec une chaine qui ne salisse pas (cardan ou chaine carénée)

– avec un porte bagage et des sacoches pour transporter mes affaires

– avec moins de cinq vitesses, si possible sans plateau ni dérailleur

– avec des lumières avant et arrière sur dynamo

– avec un casque et un gilet de sécurité

– avec une « sucette rouge » pour faire passer les voitures au large

– pas cher, solide et demandant le moins d’entretien possible.

« Pas de problème » m’a répondu le vendeur en allant chercher le vélo de mes rêves dans son arrière boutique. Tout y est, sauf le frein avant qui est à patins, mais bien réglé pour ne pas faire de bruit. La dynamo est un système d’aimants placés sur les rayons des roues et alimente des leds clignotantes à l’avant et à l’arrière.

Troisième étape: repérer le trajet sur Google maps. Établir minutieusement le chemin à parcourir entre la maison et le boulot en découvrant des pistes cyclables inconnues, en estimant la distance probable et en évitant les endroits les plus dangereux, les ronds points de folie, etc. Bilan, après une étude approfondie, mathématique, rigoureuse, je tiens un parcours qui n’a rien à voir avec le chemin que j’emprunte habituellement, chemin optimisé par 18 années d’expérimentations scientifiques voiturières.

Quatrième étape: le choix des vêtements. Comment s’habiller pour aller en vélo au travail? J’opte pour la solution tennis+jean+Tshirt avec dans mes sacoches une chemise pliée proprement, une serviette de bain avec savon-douche, un coupe-vent et un poncho pour la pluie. Je laisse dans mon bureau des chaussettes de rechange (en cas de fortes pluies) et mes chaussures de sécurité de travail.

Cinquième étape: ben faut y aller maintenant… 10 km aller, 10 km retour: 25 minutes dans chaque cas (au lieu de 15 mn en voiture), 35 mn en cas de pluie (le poncho se gonfle comme une voile…).

Cela fait maintenant six semaines que j’ai abandonné ma voiture pour me rendre cinq jours par semaine au travail. Au début, j’avais un peu mal aux jambes et aux fesses (rapport à la selle). Maintenant, j’ai toujours mal aux jambes et aux fesses. Je crois qu’il faut que j’insiste 🙂 J’ai découvert que je pouvais écouter la radio avec mon baladeur MP3. J’ai découvert un univers où l’on peut remercier les gens qui vous laissent passer (piétons, automobilistes, autres cyclistes). J’ai aussi découvert les nuages de moucherons (et leur goût!), les promeneurs de chiens avec laisse de 20m, les branches basses, les pas-priorités-aux-vélos dans les ronds-points…

Et pour l’instant, même les matins pluvieux ne m’ont pas encore découragé. On verra avec la neige de cet hiver. Il reste à survivre aux automobilistes et aux autres cyclistes.

Jusqu’ici tout va bien.

Jusqu’ici tout va bien.

Jusqu’ici tout va bien.

J’ai même perdu 2 kg.

Le respect des anciens

C’est peut-être l’approche de la cinquantaine qui commence à me faire prendre conscience que je ne suis plus le jeune homme d'(avant) hier.

A 15 ans, j’avais fait le calcul de l’âge que j’allais avoir en l’an 2000: 36 ans! Cela me paraissait à la fois lointain et déjà un âge respectable.

Maintenant que j’ai bientôt 48 ans, j’ai réalisé que :

– le 19 janvier 2038, j’aurai 74 ans, et serai peut-être à la retraite quand on m’appellera pour sauver le monde.

le 28 juillet 2061 (Odyssée trois), j’aurai presque 98 ans et un beau télescope (en cuivre) avec systèmes d’optique adaptative.

Mais bon, comme je dois mourir le 15 mai 2037, j’espère que vous penserez à moi ces jours là, avec un peu du respect dû aux anciens. Surtout si je tombe en pleine analyse d’un vieil ordinateur neuronal des années 20 (autant dire au champ d’honneur;).

Un billet du vendredi, court et nawak, pour le plaisir de partager une belle œuvre de street art (image cliquable).

Les mentors

Je parle souvent ici de mes souvenirs, des faits de mon passé qui m’ont marqué. Conformément à la ligne éditoriale de ce blog, les anecdotes sont égocentrées et tirées de ma propre expérience.

Pourtant, je ne suis que ce que mes maîtres ont fait de moi. Je suis un nain posté sur les épaules de géants.

Quels sont ces géants?

– Mes parents, bien sur, qui m’ont élevé (au sens propre et figuré);

– Ma sœur, qui m’a soutenu, en particulier pendant les années noires des classes préparatoires;

– Ma femme, qui a éveillé ma conscience morale (et pas que), en particulier lors de nos discussions sur la peine de mort;

– Mes professeurs, de la crèche au doctorat, et en particulier LP qui m’a appris à désapprendre au début de mes années de recherche;

– Les spéléologues JYP et AJ qui ont partagé avec patience et passion leurs connaissances sportives et intellectuelles abyssales;

– Les élus que je côtoie une fois par semaine et qui consacrent (eux) beaucoup (plus) de temps à régler les problèmes de la vie de notre collectivité;

– Les experts judiciaires, et en particulier ceux (et ils sont nombreux) qui offrent, plus qu’ils ne monnayent, leur savoir-faire à la justice;

– Les auteurs de SF, Asimov, Clark, van Vogt, Herbert, Dick, Lovecraft, Bradbury, Pohl, Heinlein, Simak, Sturgeon, Haldeman, Laumer et les autres, qui peuplent mes soirées et mes rêves d’explorations spatiales et temporelles;

– Les blogueurs, et en particulier Maître Eolas, qui m’ont encouragé, pris sous leurs ailes, et conseillé quand certains ne me voulaient pas que du bien;

– Les étudiants qui, par leur travail, leurs exigences et leur enthousiasme, font que tous les matins, j’ai hâte d’être au boulot;

– Mes enfants, qui me montrent presque tous les jours que l’on peut apprendre à ses aînés;

Et puis bien sur, il y a vous, chère lectrice et cher lecteur, qui me faites l’honneur de venir encore ici, sur ce petit coin d’internet alors qu’il y a tant de chose à voir ailleurs.

Je suis la somme de toutes les expériences que vous m’avez apportées.

Merci encore à tous.

L’arrivée des beaux jours

Faire son service militaire, c’est aussi faire connaissance avec des opinions nouvelles, en particulier dans le domaine de la capilliculture. C’est arriver tous différents, et devenir tous identiques. L’égalité républicaine de la longueur du cheveux.

Et cette longueur égalitaire s’obtient avec un instrument d’une simplicité militaire: le sabot. Il s’agit d’un élément de plastique que l’on ajoute à la tondeuse électrique et qui permet de garantir, pour peu que l’on sache s’en servir, une longueur constante de cheveux. Il y a donc plusieurs sabots, chacun correspondant à une longueur désirée: sabot de 2, de 4, de 6, etc. J’ai très vite compris que les numéros correspondaient à une mesure de longueur en millimètre.

Dans ma caserne, ils utilisaient le sabot de 4mm. C’est peu. Très peu.

Remontons de quelques jours en arrière. J’avais reçu ma convocation m’indiquant qu’après moultes reports en raison de mes études, la patrie souhaitait qu’enfin je me présente tel jour à telle heure en gare de Lille, muni d’un minimum d’effets personnels et de la présente convocation, pour un voyage gratuit vers l’Allemagne. Ledit voyage a duré quand même 12h, notre train militaire s’arrêtant en chemin dans à peu près toutes les arrières gares, loin du public, afin que personne ne soit blessé par les objets passant par les fenêtres (en majorité des cannettes de bière, qui à l’époque étaient essentiellement en verre). Je précise également qu’il n’y avait que des appelés du contingent dans notre (très) vieux train, avec des membres de la police militaire quelque peu débordés par cette jeunesse enthousiaste.

Une fois arrivé à la caserne, nous fûmes briefés par les gradés, répartis dans les chambrés et autorisés à dormir un peu.

Le cycle de sommeil a vite été perturbé par un réveil à 5h du matin par des gradés nous demandant (de manière très sonore) de descendre nous mettre en tas en rang en groupe afin d’écouter le programme de la journée: distribution du paquetage, apprentissage de la marche au pas et passage chez le coiffeur.

Pour une raison que j’ignore, nous n’avons pas pu passer chez le coiffeur le premier jour, mais le troisième jour. Ce qui fait que pendant trois jours, la caserne a hébergé plus d’une centaine de jeunes hommes aux longueurs de cheveux très diverses. Cela a, semble-t-il, choqué de nombreuses huiles, au point donc que le troisième jour, une armada d’appelés s’est occupée de nous.

Nous voici donc encore en file indienne dans les couloirs de la caserne, attendant notre tour sans trop savoir à quelle sauce nous allions être mangé. Les militaires ont le chic pour créer des situations où l’on attend derrière une porte à travers laquelle filtre une certain nombre de bruits effrayants, et où les suppliciés sortent par une autre porte.

J’entre à mon tour, avec trois autres condamnés.

Quatre fauteuils nous attendent. Le sol est jonché de cheveux. Je réponds poliment aux blagues qui fusent des appelés-apprentis-coiffeurs. Je prends place dans l’un des fauteuils. Dans le fauteuil d’à côté, l’appelé a la longue chevelure des adeptes du heavy metal. Il sera ma chance en focalisant toute l’hilarité haineuse des coupeurs de tifs. Ils lui « dessineront » quelques signes cabalistiques indiens avec la tondeuse électrique.

Je suis ressorti avec le crâne rasé à 4mm.

De retour dans nos chambrés, impossible de nous reconnaître les uns les autres. Le lendemain matin, lorsque les cris des gradés nous tiraient du lit et que je me trainais jusqu’à la salle de bain commune, un réflexe m’avait fait prendre mon peigne dans ma trousse de toilette. Je regardais tristement dans la glace ce visage étranger avec la main levée pour se coiffer. L’ombre d’un sourire l’a éclairé: je n’aurais plus besoin de me coiffer pendant plusieurs semaines. Dans un coin de la salle de bain, un appelé pleurait en silence. Je reconnus mon voisin de torture adepte du métal lourd.

Dans la cour, le lieutenant nous a dit:

« Transmetteurs, avec l’arrivée des beaux jours, un vent frais vous rafraichira la tête ».

Une phrase creuse dont seuls certains ont le secret.

C’était la fin de ma coupe à la Beatles.

Et maintenant, avec le recul, je sais que c’était la fin d’une période de ma vie.

Une période importante qu’on appelle la jeunesse.

Ski 2011

Ceux qui me suivent sur Twitter savent que j’ai perdu une personne proche. J’ai du mal à me remettre dans l’état d’esprit d’écriture de billets pour le blog. Je publie donc peu.

Je suis parti une semaine aux sports d’hiver avec mes enfants et leurs cousins. J’ai ainsi pu frimer pendant deux jours comme « papa célibataire » avec ses six enfants, le temps pour mon épouse et mon beau-frère de nous rejoindre.

Tout d’abord, il nous a fallu entasser toutes les affaires dans la voiture et le coffre de toit (dont un monoski, une paire de ski, un snowboard, 3 paires de chaussures et 7 casques), puis les 6 enfants et le chauffeur. La voiture restait manœuvrable et mon « vieux » GPS toujours gaillard.

Puis il a fallu faire la route jusqu’à la station: 3h prévues, 6h effectives. Six heures de route pendant lesquelles il a bien fallu trouver un coin pour faire pipi, un endroit pour répondre à la question « quand est-ce qu’on mange », sans pour autant perdre trop de places dans l’énorme cordon de voitures menant jusqu’aux stations, cordon que – curieusement à mon goût – l’on appelle bouchon.

Une fois arrivés en terre promise, il a fallu faire 3/4h de queue à l’agence de voyage pour récupérer les clefs de l’appartement, faire un rapide inventaire, mettre le courant (trouver le disjoncteur), faire changer les ampoules en panne, répartir les chambres, décharger la voiture tout en expliquant aux gentils contractuels que cela ne durera pas longtemps…

Quand on est deux ou trois adultes, toutes ces opérations sont faciles, laborieuses mais simples. Lorsque l’on est seul, et pas forcément réputé dans la famille pour sa débrouillardise domestique légendaire, le challenge était élevé.

J’ai réussi à trouver le parking souterrain prévu pour la voiture, et y garer icelle malgré son coffre de toit, les autochtones gérant l’entrée du parking m’ayant vaillamment répondu que « ça devrait passer si vous ne descendez pas trop dans les niveaux inférieurs du parking ».

De retour dans l’appartement, j’ai réussi à faire mettre tout mon petit monde en tenue hivernale pour aller chercher les skis/chaussures/battons/après-skis manquants. Nous avons mis une joyeuse animation dans le magasin de location, qui curieusement était plutôt vide.

Quand je suis arrivé au guichet des forfaits, j’étais un peu sur les rotules. Pourtant, j’avais eu la présence d’esprit de noter sur un papier, la liste des prénoms des enfants avec leur âge ET leur date de naissance, et de les occuper dans l’appartement au jeu « je range mes affaires ». C’est donc avec une certaine assurance que j’ai annoncé:

« Bonjour, un forfait adulte et six forfaits enfants pour la semaine, s’il vous plait ».

L’hôtesse d’accueil m’a fait un charmant sourire et m’a demandé:

« Pas de problème, vous avez les pièces d’identité de tous les enfants? »

Patatra. Dans chaque journée, que vous soyez au travail ou en vacances, seul ou en groupe, en maillot de bain ou en combinaison fluo, il y a toujours un petit grain de sable qui vient enrailler toute la belle mécanique organisationnelle que vous avez essayée de mettre en place.

Avec un esprit vif comme une Herminiimonas glaciei, j’ai répondu:

« heu, bah, bin, non. J’ai bien une carte vitale, mais ça va pas vous intéresser beaucoup et il n’y a que mes 3 enfants dessus, mais ma femme n’est pas là, les autres, et bien, ce sont mes neveux, mais leurs parents ne sont pas là. Mais j’ai des photos pour les forfaits, enfin je crois. »

D’un regard glacial, la préposée aux forfaits m’a montré l’inscription apposée sur la vitre du guichet: « PIÈCE D’IDENTITÉ OBLIGATOIRE POUR LE TARIF ENFANT », et m’a demandé d’aller vérifier dans mes bagages si les sésames d’identification administrative ne s’y seraient pas glissés, par hasard.

En revenant vers l’appartement, j’ai senti mon esprit de l’escalier me faire monter la moutarde au nez. J’ai fait demi tour et je suis retourné voir ma guichetière pour lui débiter d’une traite: « Bon écoutez, vous en connaissez beaucoup des pères se baladant seul avec six enfants. Alors, voilà, la mère de 3 d’entre eux vient de mourir, ma femme aide pour la préparation de l’enterrement et je suis chargé de leur changer les idées en les amenant au ski. Alors les pièces d’identité, je ne les ai pas, je ne les aurai pas et je ne les aurai jamais. Est-ce que vous pourriez faire une exception? »

J’ai du être suffisamment convainquant, sérieux et désorienté. Elle m’a fait confiance. Elle a vu que je ne cherchais pas une excuse bidon. Elle m’a fait le tarif enfant, et elle m’a préparé chaque forfait avec gentillesse et délicatesse. J’ai vu enfin en France derrière un guichet quelqu’un qui possède un peu d’affection et de compassion pour son prochain. Que la station de TIGNES reçoive ici toute mon admiration pour être capable d’employer des êtres humains, heu… humains.

Le soir, j’ai sagement préparé le repas en amenant tout le monde au restaurant.

Le lendemain, nous étions sur les pistes. J’ai pu faire le dinosaure avec mon monoski (et quelques belles chutes). Les enfants riaient en sautant sur les bosses.

Deux jours plus tard, ma femme et mon beau-frère venaient en remplacement soutien. N’empêche, je sais survivre en environnement ado. Même que je les ai faits se brosser les dents! Trop fort…

Cela a été la semaine de ski la plus triste de toute ma vie. Mais les enfants en ont profité et se sont changés les idées.

Et c’est cela l’essentiel.

PS: J’aime le fond noir de mon blog. Il correspond bien à mon état d’esprit, à mes états d’âme. Je sais que cela rend les textes difficiles, voire impossible à lire. Mais vous savez que le Dark, J’adore…

Le grand nettoyage

La propreté, c’est important. Mais à l’armée, la propreté, c’est TRÈS important. Tout est sujet à nettoyage: les armes, la cour balayée par le vent, les chambrées balayées par nos pieds, les vêtements, avec un petit plus pour les chaussures, les douches, les camions, etc. On nettoyait même les balais.

Mon séjour « à la dure » n’ayant duré qu’un petit mois, autrefois appelé le mois « des classes », je ne peux prétendre avoir nettoyé tout ce qui pouvait se trouver sur la base. Mais j’ai pratiqué pas mal.

Il faut dire que mon père et mes oncles avaient bercés mon enfance de toutes ces petites anecdotes qui faisaient le lien entre les adultes de sexe masculin après les repas dominicaux. J’étais donc préparé à tous les coups foireux qui allaient m’être proposés. Et cela n’a pas loupé.

M’étant fait remarquer par mon obéissance butée, je savais qu’il me faudrait assurer plus que les autres chacune des « missions » qui allaient m’être confiées, en tant que « chef » de chambre.

Les gradés nous avaient informés qu’une inspection des chambres allait être faite en fin d’après-midi, et que nous avions trois heures pour nettoyer nos chambrées en profondeur. Ma « mission » donc, était de faire en sorte que l’inspecteur n’arrive pas à trouver de poussière dans la chambre. J’ai réuni mes camarades de chambrée (nous étions 10 par chambre) et leur ai expliqué mon plan.

Nous avons donc commencé par le B.A.BA: rangement des lits (draps au carré) et nettoyage du sol.

Puis nous avons vidé nos placards et lavé l’intérieur de ceux-ci avant d’y remettre toutes nos affaires pliées et bien rangées. Le dessus des armoires a également été soigneusement dépoussiéré, ainsi que l’arrière et le dessous.

Nous avons démonté les pommeaux des têtes de lit pour y enlever les mégots laissés par nos prédécesseurs.

Nous avons essuyé le dessus des plinthes.

Nous avons nettoyé le dessous des chaises.

Nous avons nettoyé le dessus des plafonniers d’éclairage.

Nous en avons démonté les néons pour les tourner et en enlever la poussière.

Nous avons démontés les fenêtres pour en nettoyer les bordures intérieures et extérieures, et regraisser les gonds avec de la graisse propre.

J’ai pris un mouchoir pour nettoyer l’intérieur des prises électriques de la chambre…

Les lits et armoires ont été déplacés pour refaire le nettoyage du sol.

Et pour finir, nous avons éteint les lumières de la chambre pour nettoyer le dessus de l’interrupteur.

C’est donc avec un plaisir de fin gourmet que j’ai pu voir le sergent entrer dans la chambre pour l’inspection. Nous étions tous au garde à vous aux pieds de nos lits. Il avait mis ses gants blancs.

Il a passé un doigt sur une armoire.

Il a vérifié le bord intérieur de la fenêtre.

Il a vérifié le dessus des plinthes.

Il a sorti son mouchoir et vérifié l’intérieur d’une prise électrique.

Il s’est tourné vers le lieutenant et a dit « euh, cette chambre est propre mon lieutenant! »

Le lieutenant a pris son béret et l’a lancé sur le sol à travers toute la pièce. En le ramassant, il m’a fait constater que le feutre noir avait collecté quelques poussières et a dit « Sergent, cette chambre est sale! Faites le nécessaire! ».

J’ai nettoyé les douches avec une brosse à dent.

Mais dans les yeux du sergent, j’ai vu briller une petite lueur d’admiration.

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