Attention Haute Autorité

J’ai beaucoup de retard dans mes flux RSS d’information, et c’est donc avec deux semaines de retard que je suis tombé sur cet article de Numérama: “Une Haute Autorité du Net pour le blocage des sites en France?“.

J’ai bien entendu lu avec attention le texte proposé par les quatre signataires

Jean-Pierre BIGOT, créateur de l’entreprise ESALAB et expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles;

Jacques GODFRAIN, ancien ministre de la coopération (1995-1997) et auteur de la loi n° 88-19 du 5 Janvier 1988 relative à la fraude informatique;

– Carole VUJASINOVIC, Magistrate, Juge d’instruction au pôle financier du TGI de Paris ayant enquêté sur le piratage du film “Bienvenue chez les Ch’tis“; et

Maître Gérard HAAS, avocat, défenseur et protecteur des acteurs de l’e-commerce (slogan trouvé sur son site), cofondateur de l’association Cyberlex.

Je suis également allé sur le blog ouvert pour l’occasion, j’ai lu attentivement les commentaires (un seul à l’heure où j’écris ce billet).

Je retiendrai pour ma part un passage que je vous livre (les soulignés sont de moi):

Considérant qu’une régulation «proportionnée» aux cybermenaces est nécessaire, mais que la voie judiciaire est difficilement praticable, nous préconisons la création d’une autorité indépendante, spécialisée pour être efficace, et garante du respect des libertés publiques sur le net et de sa neutralité, dont les décisions de contrôle seraient astreintes aux mêmes exigences que celles du juge, respect du contradictoire, droit de défense, droit de recours, etc…

Tout d’abord incrédule (le texte est quand même signé par quatre acteurs de l’univers de la justice), j’ai ensuite pensé à ce billet d’Authueil sur les réflexions menées par des groupes de travail plus ou moins opportunistes: Débat de fond et présidentielle dont je vous livre ici un extrait qui illustre mon propos:

Les débats de fond sont un processus en général lent, éclaté, collectif et médiatiquement peu visibles. Cela se déroule par le biais de colloques, d’articles confidentiels dans des revues spécialisées, de rencontres informelles et de discussions de couloirs. Cela concerne un nombre finalement assez réduit de personnes, mais souvent, sur des thèmes et des questions assez précises. Quand un sujet est technique, il faut déjà savoir de quoi on parle, ce qui constitue parfois une barrière à l’entrée, même s’il y a plusieurs cercles. On peut avoir ceux qui maitrisent parfaitement, sont reconnus dans le milieu concerné et ont réfléchi au sujet. Ils sont au cœur du processus, comme éléments moteurs, mais pas forcement comme décideurs. Il y a ensuite ceux qui comprennent ce qui se dit, sans pour autant avoir une maitrise technique complète. Ce qu’ils comprennent, ce sont les enjeux, et c’est dans cette catégorie que l’on retrouve, entre autres, les politiques (qui sont rarement des experts pointus, même si ça arrive).

Alors, lorsque même des personnes ayant de très hautes qualités morales en arrivent à proposer une censure échappant au pouvoir judiciaire, lorsque se profilent des discussions de couloirs et des colloques de spécialistes sur ces thèmes, il me semble important de soutenir les organisations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Et donc, pour la première fois de ma vie, j’ai fait un don à la Quadrature du Net… Je vous invite à réfléchir à faire de même.

Je préfère choisir ma propre Haute Autorité du Net, ou au moins essayer.

14 réflexions sur « Attention Haute Autorité »

  1. Toute la question étant de savoir maintenant quelle efficacité à la QDN, dans une république bananière.

    Au vu de la succession de lois toutes plus liberticides les unes que les autres, instaurées ces derniers temps, aussi bien en France qu'en Europe, je suis d'avis que la quadrature n'a pas l'efficacité que j’escomptais (sans préjuger pour autant de l’énergie et des idéaux des membres qui la composent) , aussi en ce qui me concerne, je ne donnerai rien, cette année, contrairement à l'année dernière où je me berçais encore de douces illusions.

  2. qu'importe que la QDN soit efficace. Aujourd'hui, c'est la seule asso qui vaille le coup dans ce "débat". Pour la première fois de ma vie, j'ai crée un abonnement.

  3. "Le diable est dans les détails", dit-on traditionnellement.
    Là, une opposition a priori à une haute autorité car ce ne serait pas le judiciaire "classique" me paraît prématuré (j'avoue ne pas avoir encore lu le manifeste). En effet, qu'est-ce qui caractérise le "pouvoir" judiciaire:
    – indépendance (les juges du sièges ne sont pas révocables sauf faute grave et accord du CSM, indépendant)
    – possibilité d'appel
    – transparence (justice publique, rendue au nom du peuple, en vertu d'un droit qui est "public" au sens où on ne peut pas nous reprocher de ne pas respecter des textes dont la consultation nous est interdite).

    Donc, à mon sens (même si je ne suis pas juriste, ni informaticien), une Haute Autorité peut remplir ces critères si:
    – elle est réellement indépendante (par exemple, issue du système judiciaire avc les mêmes garanties)
    – les jugements sont publics (on doit pouvoir savoir ce qui est interdit)
    – ça doit être susceptible d'appel, que ce soit en interne (avec les agranties qui vont bien) ou via le système judiciaire classique.

    Donc tout reste à faire… Et j'avoue que l'idée qu'il y ait des magistrats spécialisés pour ce genre d'affaires peut avoir ses avantages.

  4. @Nono: Oui sans doute, mais ce que vous décrivez est simplement la création d'un pôle de magistrats spécialisés. Inutile de créer une Haute Autorité, il suffit de donner enfin les moyens à la justice de fonctionner correctement.

  5. @ Nono
    Dommage que vous n'ayez pas lu le manifeste, car la page 12 du PDF vaut le détour :
    "Certifier et classifier les méthodes de blocages de contenus ou de sites.

    Les outils et les méthodes utilisées par cybercriminalité pour dissimuler l’identité de leurs auteurs et pour échapper aux dispositifs de blocage sont ambivalents : ce sont les mêmes techniques que celles de l’étudiant iranien, de l’opposant chinois ou syrien, par lesquelles leurs témoignages sur les répressions parviennent au monde libre.

    De même, les techniques de blocage qui seront utilisées pour lutter légitimement contre la cybercriminalité, sont également ambivalentes, car très similaires à celles utilisées par les régimes totalitaires pour instaurer la censure.

    La Haute Autorité devra veiller à ne pas dévoiler des méthodes avancées de blocage qu’elle aurait développées en coopération avec des industriels ou des fournisseurs d’accès, et être investie d’une mission de certification et de classification de ces méthodes et de ces techniques."

    Édifiant, non ?
    AGP

  6. "même des personnes ayant de très hautes qualités morales en arrivent à proposer une censure échappant au pouvoir judiciaire"

    Peut-être que ces qualités ne sont en réalité pas si hautes que cela!

    Ou bien est-ce un problème de compétance qui fait classiquement apporter de mauvaises solutions à un vrai problème!

    Car au final, il est evident que la "loi de la rouspétance universelle", vérifiée de la physique aux sciences humaines, veille:

    L'industrie du jeu vidéo, qui dépasse les bornes (codes "VIP" et autres initiatives privatives de liberté, sur des jeux pourtan achetés!) depuis quelques mois, est ainsi depuis continuellement attaquée.

    Et je ne pense pas que ce soit un hasard.

    Ca leur donne une idée de l'avenir!

    Surtout quand on complique la vie des fouineurs bien intentionnés en interdisant la rétro-ingéniérie ou en faisant de la détention d'un live-cd de Bactrack une arme de destruction massive si ce n'est pas dans les mains d'un expert es sécurité inscrit sur la liste ad-hoc… avec un niveau de respect prévisible comparable aux désinstallations de DVD-Shrink/libdvdcss et autres, quand ils furent interdits!

  7. @ Anonyme du 27 juillet 2011 11:31
    Compétence, qualités morales, indépendance de la justice, suite et fin.
    Avec la nomination de Monsieur Jean-Claude MARIN au poste de procureur général à la Cour de Cassation, la boucle est bouclée et les carottes sont cuites.
    Vae victis et fiat banana lex.
    AGP

  8. Je vois avec plaisir que certains, comme Nono ont lu notre manifeste, et d'autres également, qui n'y sont pas favorables. Bienvenue à toutes les opinions.

    Il n'y a pas en effet que les affaires emblématiques, par exemple si tel rap est un appel à la violence tombant sous le coup de la loi ou non. Une telle décision relève bien entendu de la justice, et cela ne changerait pas. La loi ne peut attribuer à une AAI qu'un pouvoir de sanction limité et strictement encadré, et je ne pense pas de décider sur cet exemple.

    Mais il y a la masse de la cybercriminalité ordinaire (du phishing à la vente de médicaments contrefaits, aux loteries bidon). La justice ne peut pas traiter, et un recours au juge me semble inutile autant qu'inefficace.

    Il a la masse des incivilités parfois blessantes. Par exemple celui ou celle blessé par une image dégradante qu'il ne parvient pas à faire supprimer d'un réseau lointain et inaccessible, et qui actuellement, ne porte pas plainte.
    C'est un exemple pour dire que cette autorité doit pouvoir aider en intervenant sur le Net, par une injonction, ou plus éventuellement.

    Mais il n'est pas question de censure d'opinion ou politique.. au contraire, l'autorité doit veiller au respect de la liberté d'expression.

    Et j'espère bien qu'internet restera le média libre et ouvert à toutes les impertinences !

    Sur la neutralité du Net, une loi est en préparation, mais j'ignore si elle désignera l'autorité qui en aura la charge. Elle sera bien nécessaire..

    JP Bigot, signataire du manifeste

  9. @ JP Bigot : pourquoi ne pas avoir suggéré alors la création d'un pôle de médiateurs auxquels un large accès à des documents couverts par le secret professionnel leur serait accordé ? Ils délivreraient un avis consultatif.
    Couplé à un ajustement du montant de droits fixes de procédures pour limiter le recours aux tribunaux aux seuls cas dont la proposition des médiateurs serait discutable.

  10. @moi même un pôle de médiateurs, comme le médiateur de la république.. j ne sais pas quel est son statut et comment cela fonctionne. Mais c'est dans l'esprit.
    Notre modèle est plutôt la CNIL.
    D'ailleurs plusieurs parlementaires ont évoqué un élargissement de sa mission.

  11. Un médiateur n'a aucun autorité pour imposer quoi que ce soit.
    Il propose un compromis que les parties sont libres d'accepter, ou pas, auquel cas, dans ma proposition, l'autorité judiciaire déciderait.

    Là, vous proposez une solution qui n'est qu'un transfert des prérogatives de l'autorité judiciaire et du pouvoir législatif (vu que cette autorité élaborerait les règles de recours) au pouvoir exécutif. De plus, votre manifeste ne comporte aucune proposition concrète de limitation des pouvoirs de cette autorité, lui offrant de facto un blanc-seing. Ce n'est pas sans rappeler les paroles d'un multi-délinquant ; ex-membre d'Occident, un groupe d'extrême-droite qui revendiquait l'étiquette de fasciste et était partisan de ratonnades ; qui acceptait l'idée d'une évaluation des dispositifs de filtrage tout en refusant toute obligation légale. En d'autres termes vous promouvez l'instauration d'un état de type fasciste. 1984, pour moi, n'a pas à être mis en pratique.

    Croyez-vous que les FAI s'amuseraient à collectionner les condamnations à leurs dépens pour laisser libre accès à des contenus pédopornographiques ? Si la demande est fondée, n'accepteraient-ils pas d'y accéder ?

  12. Quand est-ce qu'on va avoir un récit sur une analyse de haute voltige sur une saisie d'un informaticien chevronné qui sait gérer les différents systèmes de chiffrement à double détente, les différentes traces pouvant être laissées, etc. et dont il s'avère impossible de trouver le moindre indice sur les saisies ?

  13. @ Monsieur Jean-Pierre BIGOT, es-qualité d'expert judiciaire, entre autres
    Permettez-moi de m'inscrire en faux dans les propos que vous tenez sur ce blog.
    La Charte de l'expert nous a été serinée à maintes reprises par Zythom.
    En ce qui me concerne, je suis un fervent défenseur de la liberté d'expression sur Internet.
    Un Internet propre et intelligent, que chacun devrait pouvoir se construire anonymement et en toute connaissance de cause des sanctions qu'il encourt.
    C'est pourquoi je me permets de vous faire remarquer :
    Que les remerciements que vous adressez avec un zeste de flagornerie à Nono (post du 25 juillet 2011 à 10:57) sont dénués de tout fondement.
    Relisez Nono et constatez de bonne foi qu'il n'a pas lu la première ligne de votre Manifeste.
    S'il vous plait, mettez cette bavure sur le compte qu'il vous plaira d'invoquer.
    Inattention, dyslexie, mais certainement pas parole d'expert qui, si tel était le cas, jetterait l'opprobre sur vos pairs.
    Bien qu'étant farouchement hostile à tous les acronymes (HADOPI, LOPPSI, ACTA et autres génériques de HA), je ne suis pas un criminel.
    Tout à fait entre nous, êtes-vous sincèrement convaincu que le lobbying est la solution ultime à la purification d'Internet ?
    J'ai écrit ailleurs qu'en ces ces lieux et bien avant que de grands penseurs ne commencent à rédiger LOPPSI qu'un Internet qui serait frappé de mutisme à la source mettrait en échec certaines approches nécessaires à la neutralisation de dangereux individus.
    J'entends bien vos récriminations à l'égard de mes arguments, même les plus fantaisistes, mais je vous invite à mesurer, en collaboration avec des agences étrangères l'impact du blocage 443 sur l'évasion des capitaux.
    Je laisse le soin à nos commensaux insomniaques d'apprécier le "retour d'expérience du CSA" tandis que certaines chaînes de la TNT se complaisent à diffuser des publicités faisant l'apologie de la prostitution en ligne.
    Quid du contrôle parental payé à prix d'or aux FAI par ceux qui utilisent leur PC comme une brouette ?
    Contourné au plus tard dès l'entrée au collège par les plus attardés de leurs rejetons.
    Sans rancune.
    AGP

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