Réinscription

Depuis quatre ans, l’inscription d’un citoyen sur la liste des experts judiciaires n’est plus effectuée ad vitam aeternam.

Il faut en effet maintenant refaire la preuve tous les cinq ans que vous avez toujours le niveau demandé par les magistrats pour les éclairer sur un point technique.

J’ai déjà effectué cet exercice une fois, ayant été tiré au sort il y a quatre ans (au tout début de la période transitoire de cinq année pendant laquelle tous les experts inscrits « à vie » ont du effectuer une demande de réinscription).

Concrètement cela s’est traduit par la constitution d’un dossier ni peu ni prou[1] identique à celui de la primo inscription, avec cette fois-ci tous les documents permettant d’évaluer:

1) L’expérience acquise, tant dans ma spécialité que dans la pratique de la fonction d’expert depuis ma dernière inscription;

2) La connaissance que j’ai acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien ainsi que les formations que j’ai suivies dans ces domaines.

La machinerie de réinscription est bien cadrée. Jugez-en plutôt:

Le procureur de la République instruit la demande de réinscription. Il transmet la candidature à la commission de réinscription avant le 1er mai.

Cette commission est ainsi composée:

1) Président: un magistrat du siège de la cour d’appel désigné par le premier président;

2) Rapporteur: un magistrat du parquet général désigné par le procureur général;

3) Six magistrats du siège des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel désignés par le premier président au vu des propositions des présidents de ces tribunaux. En outre, le président peut désigner, à la demande du rapporteur, un magistrat du siège d’un tribunal de grande instance non représenté;

4) Deux magistrats des parquets des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel désignés par le procureur général au vu des propositions des procureurs de la République près ces tribunaux;

5) Un membre des juridictions commerciales du ressort de la cour d’appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions;

6) Un membre des conseils de prud’hommes du ressort de la cour d’appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions;

7) Cinq experts inscrits sur la liste dans des branches différentes de la nomenclature depuis au moins cinq ans et désignés conjointement par le premier président et le procureur général après avis des compagnies d’experts judiciaires ou d’union de compagnies d’experts judiciaires ou, le cas échéant, de tout organisme représentatif.

La composition de cette commission doit être indiquée dans l’avis qu’elle rend (Civ.2e, 21 sept 2006, bull. civ., II, n°246, pourvoi n°06-10.053), à peine de nullité de la décision de l’assemblée générale. Elle peut valablement se réunir dès lors que chacune des deux catégories des experts et des magistrats est représentée par la moitié de ses membres (ibidem, n°248, pourvoi n°06-11.595).

La commission examine la situation de chaque candidat et s’assure que le candidat respecte les obligations qui lui sont imposées et s’en acquitte avec ponctualité. Elle peut entendre ou faire entendre le candidat par l’un de ses membres.

Aucun texte ne prévoit la communication, à l’expert qui a demandé sa réinscription, de l’avis défavorable de cette commission, préalablement à la décision de l’assemblée générale des magistrats du siège se prononçant sur sa demande (ibidem, n°243, pourvoi n°06-12.007).

Puis la commission transmet, avant le 1er septembre, les candidatures accompagnées d’un avis motivé au procureur général qui saisit le premier président de la cour d’appel aux fins d’examen par l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel (les magistrats de la cour d’appel membres de la commission ne participent pas à la délibération portant sur la réinscription des experts).

Le premier président désigne un ou plusieurs magistrats du siège pour exercer les fonctions de rapporteur. Le rapporteur peut entendre le candidat.

L’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel se prononce après avoir entendu le magistrat chargé du rapport et le ministère public.

Les experts réinscrits, les experts dont l’inscription n’a pas été renouvelée et ceux qui ont fait l’objet d’une décision de retrait reçoivent notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception de la décision les concernant (avec cette fois-ci en pièce jointe l’avis rendu par la commission de réinscription).

Les décisions de réinscription et de refus de réinscription prises par l’autorité chargée de l’établissement des listes peuvent donner lieu à un recours devant la Cour de cassation. Ce recours est formé dans le délai d’un mois par déclaration au greffe de la Cour de cassation ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au greffe de la Cour de cassation. Le délai court, à l’égard du procureur général, du jour de la notification du procès-verbal établissant la liste des experts et, à l’égard de l’expert, du jour de la notification de la décision qui le concerne par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Le refus de réinscription d’un expert ne peut être décidé qu’après que l’intéressé ait été invité à fournir ses observations soit à la commission de réinscription ou à l’un de ses membres, soit au magistrat rapporteur devant l‘assemblée générale (ibidem, n°246, pourvoi n°06-10.053). La Cour de cassation ne s’est pas prononcée dans ces arrêts sur les modalités selon lesquelles les observations de l’expert doivent être recueillies, en particulier sur le point de savoir si il peut y être procédé par écrit. Ce qui importe est que l’expert puisse être mis à même de faire valoir son point de vue pendant la procédure, dès lors qu’un refus de réinscription est envisagé, que ce soit auprès de la commission de réinscription ou l’un de ses membres, ou auprès du magistrat rapporteur (14 et 15 du décret du 23 décembre 2004).

Dans mon cas, si j’ai bien compté, ma demande de réinscription pour une durée de cinq ans doit être envoyée avant le 1er mars 2010 (au procureur de la République près le tribunal de grande instance, j’en vois qui ne suivent plus!).

Alors, évidemment, il ne faut pas oublier de déposer une demande (sinon pas de réinscription). Et il ne doit pas manquer la signature du greffier en chef de la cour d’appel sur le procès-verbal de l’assemblée générale (sinon annulation de la décision)…

De mon point de vue, je mets mes connaissances au service de la Justice (et j’invite tous ceux qui s’en sentent capable à faire de même). Il me semble parfaitement normal de se préparer mentalement à être recalé après tant d’années de service.

Serais-je assez fort pour encaisser un refus de réinscription?

Je verrai bien.

J’ai un an pour me préparer à la déception.

Sources bibliographiques:
Loi n°71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires
Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires
Recherche Google sur le site de la Cour de Cassation

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[1] Le latin populaire possédait un adjectif, prodis, qui signifiait « profitable ». Ce mot a eu trois résultats en français où se retrouve l’idée d’utilité: tout d’abord le substantif « prou », lequel signifiait en ancien français « le bénéfice », « le profit ». Ensuite, l’adjectif preux, lequel est encore bien vivant en français moderne: être preux en ancien français signifiait « être utile ». Si l’on est un homme et particulièrement un chevalier, on est preux quand on est brave et courageux. Et si l’on est une femme, on est preude quand on est sage et de bon conseil. Mais la langue est sexiste: l’ancien français preude est devenu le français moderne prude.

C’était la nécessaire minute culturelle de Mr Zythom, sponsorisée en sens et en image par Lanas. Le chevalier m’a bien plu également;)

PS: J’ai utilisé l’expression « ni peu ni prou » trouvée ensuite dans le dictionnaire en ligne de l’Académie Française et qui m’a paru différente.

La nécessaire hauteur

Le jour de la réunion d’expertise est arrivée. Cela fait trois mois que j’ai été nommé pour cette expertise. Il m’a fallu deux jours pour réussir à trouver une date qui permet de satisfaire aux contraintes de tout le monde. J’ai bien adressé les convocations en recommandé avec avis de réception au moins quinze jours avant la réunion (un mois et demi avant en fait). J’ai bien précisé dans la convocation la phrase magique « Cette réunion, régulièrement convoquée, se tiendra même en l’absence d’une des parties« . J’ai résisté aux tentatives de déplacements ou d’annulation de dernière minutes.

Me voici devant les parties à la cause.

Quel est mon état d’esprit?

Je suis impressionné, je suis stressé, j’ai le cœur qui bat à 180.

Étonnant, non?

Car extérieurement, j’arrive à afficher une attitude sereine et posée.

Et pourtant, je suis face à deux (parfois trois) parties suffisamment en conflit pour être allées jusqu’au procès. Le magistrat souhaite un avis d’expert, et il m’a désigné.

Les parties sont tendues. Parfois des noms d’oiseaux sont échangés, et j’essaye de ramener le calme, avec l’aide des avocats. Je dois rester neutre, à tout prix.

Et ce n’est pas facile. Pourquoi? Je vais vous le dire…

J’ai reçu la lettre de désignation trois mois auparavant. Elle contient les questions que le magistrat me pose et auxquelles je dois me limiter strictement, à défaut de nullité. Depuis trois mois, je constitue un « dossier » avec les pièces que les avocats m’adressent. Ce dossier, je l’ai lu et relu pour mémoriser le maximum d’éléments. Certains points m’échappent, mais je sais que chaque pièce sera étudiée en réunion et me sera expliquée de façon contradictoire.

J’arrive donc en réunion d’expertise avec déjà ma petite idée, mais prêt à écouter tous les arguments.

La réunion commence. Je fais un tour de table pour que chacun se présente. Je note les noms et fonctions de chacun. Je refais un tour de table pour que chacun présente succinctement le problème. Peine perdue, impossible aux parties d’être succinctes. Les débats s’enflamment.

Sauf à avoir une mission de conciliation, le rôle d’un expert judiciaire n’est pas de résoudre un conflit. Je ne suis pas non plus casque bleu d’interposition. Je regarde les parties et je les écoute. J’apprends de nouveaux noms d’oiseaux…

Telle personne m’est antipathique.

Untel semble désespéré.

Maître Dumonde a le regard rusé.

Mme Leeloo, comptable, a du mal à se faire comprendre.

En tant qu’être humain normalement constitué, je ressens des émotions et je suis sujet à des a priori ou des idées reçues.

En tant qu’expert judiciaire, je dois me forcer à rester neutre. Je dois écouter tous les avis, et par dessus tout, je dois être capable de changer d’avis. Pour rester impartial.

Il y aura partialité chaque fois qu’il sera démontré que quelle que soit la nature des faits et des arguments avancés par l’une des parties, l’expert restera sourd à cette argumentation car son avis sera déjà formé avant tout débat contradictoire.

Ce que l’impartialité interdit, ce n’est pas que l’expert ait un avis, tout être humain normalement constitué et doué de pensée est susceptible d’en avoir un, c’est de refuser d’en changer après que soit intervenu le débat contradictoire.[1]

Mais il est difficile de rester de marbre. Surtout lorsque je décide de faire le point à mi-réunion, d’expliquer ce que j’ai compris du problème. Une sorte d’avis provisoire. Et souvent les deux parties en font les frais.

La tension monte d’un cran.

C’est alors qu’une partie sort une nouvelle pièce, aborde un nouveau problème, soulève une question de droit et se tourne vers moi en me demandant de trancher, et manifestement en sa faveur.

L’ennui, c’est que le nouveau problème abordé sort complètement de ma compétence: il s’agit d’une problème de mécanique sur une machine liée au système informatique. Je réponds que ce problème n’est pas lié à mes missions.

Mais ce défaut est le cœur du problème! me lance l’avocat de cette partie.

Me voici au centre de la tourmente. Si cela est vrai, il va falloir que je me dessaisisse de ce dossier pour lequel je ne suis pas qualifié, ou que je trouve un autre avis auprès d’un expert en mécanique. Qui va payer? Qui va me payer si je suis dessaisi? Ai-je le droit d’introduire un autre expert?

Je clos la réunion et contacte le juge qui m’a désigné. Je lui explique le problème, il me demande de sursoir à mes opérations. Nous n’abordons pas l’aspect financier.

Et pourtant, lorsque je relis mes actes de colloque, « il existe dans le nouveau code de procédure civile un mécanisme peu utilisé, celui de l’article 266 du nouveau code de procédure civile, qui prévoit que le juge peut fixer une date à laquelle l’expert et les parties se présenteront devant lui pour que soient précisés la mission et, s’il y a lieu, le calendrier des opérations. Les documents utiles à l’expertise sont remis à l’expert lors de cette conférence.

Cette disposition permet au juge de procéder à une désignation provisoire d’un technicien dont la compétence apparaît, prima facie, correspondre à la mesure d’instruction sollicitée, puis de le charger de réunir les parties et de les entendre. Quelques jours après, voire quelques semaines, le juge confère avec eux de l’étendue de la mission, quitte à choisir un autre expert si la spécialité du premier nommé n’est pas en adéquation avec la mission conférée, et cette mission est définie, après débat contradictoire, en étroite collaboration entre le juge, l’expert et les parties. Cela évite de désigner un expert trop généraliste ou de donner une mission très large destinée à balayer tout le champ du litige. Il conviendrait de généraliser, hormis contractualisation de l’expertise, l’exercice de la conférence.

Comme personne n’ignore que les difficultés de communication de pièces constituent la pierre d’achoppement de l’expertise, que souvent l’une des parties a intérêt à ce qu’un rapport éclairé soit déposé et l’autre non, et que l’expert ne dispose pas de moyen de contrainte sur les parties en cause, le juge pourra constater, dès la conférence, la carence d’une des parties dans la production de pièces et immédiatement la sanctionner. En pratique l’implication de tous les acteurs de l’expertise lors de la conférence doit permettre de mettre en œuvre utilement l’expertise et d’empêcher qu’elle soit entravée par l’attitude dilatoire de l’une des parties. »

Deux mois plus tard, le magistrat m’informe qu’il a nommé un expert ad hoc pour la partie mécanique du dossier et que je peux poursuivre mes diligences sur les questions précises qui m’ont été posées sur la partie spécifiquement informatique, sans prendre attache avec l’autre expert, qui travaillera ensuite à partir de mon rapport.

Ce qui ne m’a pas empêché d’effectuer ma mission conformément au nouveau code de procédure civile:

– d’une part, le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité (article 237 du NCPC);

– d’autre part, le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique (article 238 du NCPC);

– enfin, le technicien doit respecter les délais qui lui sont impartis (article 239 du NCPC).

L’ambiance de la deuxième réunion a été exécrable.

Sutor, ne supra crepidam.

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[1] Maître André Jacquin – L’impartialité objective de l’expert judiciaire et sa récusation.

2009 wish list

Voici la liste de mes engagements bonnes résolutions pour l’année 2009…

Si je suis toujours vivant en 2010, je ferai alors le bilan de cette liste de souhaits:

– être toujours vivant, si possible en bon état
– arriver enfin à mettre en place le tri sélectif au boulot
– stopper l’inflation du nombre de PC à la maison (10 aujourd’hui)
– arriver à obtenir le paiement des expertises judiciaires effectuées (un an de retard)
– ranger mon bureau professionnel
– ranger mon bureau personnel
– faire une sortie « accrobranche » avec les enfants
– acquérir une paire de lunette vidéo 3D
– diminuer le nombre de billets en mode brouillon sur ce blog (55 aujourd’hui)
– migrer l’ensemble des serveurs du boulot (>6ans) vers de nouveaux serveurs virtualisés
– arriver à faire fonctionner cette $#%µ& régulation de chauffage au boulot
– remplacer les chaudières gaz du boulot (2x800kW quand même) par des / panneaux solaires / éoliennes / chaudières bois / forages géothermiques (rayer les mentions inutiles)
– externaliser la messagerie du boulot vers une solution du type Gmail
– travailler moins et gagner plus
– faire évoluer le serveur web de la commune
– faire évoluer les serveurs web du boulot
– faire évoluer le serveur web personnel
– faire plus de formations pour préparer le renouvèlement quinquennal sur la liste des experts judiciaires (si les magistrats veulent encore de moi)
– faire un peu plus de sport et plus régulièrement
– m’intéresser de plus près aux outils des Pentesters
– m’intéresser de plus près aux travaux scolaires de mes enfants
– m’intéresser de plus près aux travaux extra scolaires de mes enfants
– assister au moins une fois à une Berryer
– rencontrer IRL Me Eolas, Me Tarquine, Mme Aliocha, Mr Boulet ou Mr Sid, et être capable d’aligner une ou deux phrases sans balbutier.
– et bien sur, continuer de rêver

Décision du Procureur Général

Ce billet est le 8e (et a priori dernier) d’une histoire qui commence avec ce billet.


République française

Ministère de la Justice

Cour d’Appel de [Ville]

Le Procureur Général

[Ville], le 16 janvier 2009

OBJET: procédure disciplinaire contre M. [Zythom], expert

[…]

Je vous informe que la recommandation décidée par la chambre de discipline de la Compagnie des Experts de justice près la Cour d’Appel de [Ville] me paraît opportune afin de rappeler à M. [Zythom] le nécessaire respect des qualités, notamment de conscience, d’impartialité et de réserve, nécessaires au plein accomplissement de sa mission d’expert.

Je note à cet effet la modification intervenue sur la page d’accueil du blog tenu par M. [Zythom].

Je considère cette procédure comme close en l’état.

[…]


Merci à tous pour vos encouragements, à mon avocat pour sa compétence et à mes proches pour leurs soutiens.

Cette page est tournée.

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Sources images:

Feu d’artifice: fr.bestgraph.com

Robe Procureur: Cour d’Appel de Paris

Conclusions provisoires

Ce billet est le 7e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Comme je l’indiquais en commençant cette série de billet, c’est l’esprit même d’un blog de raconter ce qui nous arrive de marquant en relation avec le thème du blog, a fortiori quand c’est du blog même dont il s’agit.

C’est pourquoi j’ai entrepris de vous raconter à travers ces quelques billets ce qui peut se passer dans les coulisses d’un blogueur.

Cette (petite) affaire est-elle terminée?

Non. Je citerai ici un passage d’un billet de Paxatagore publié sur le site de Maître Eolas, et qui (bien qu’utilisé en dehors de son contexte) décrit bien mieux que moi la situation dans laquelle je me trouve:

« Il n’y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s’il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s’il a vu un avocat, c’est d’avantage pour se rassurer que pour se défendre, l’avocat non plus n’ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n’est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n’est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n’ont pas été séparés… Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. »

Vous l’aurez compris, le Procureur de la République peut parfaitement prendre la décision de me poursuivre devant la Cour d’Appel pour entamer la procédure infamante de radiation de la liste des experts judiciaires.

Il peut aussi classer sans suite.

Il peut également ne rien décider et/ou ne rien dire.

Un magistrat est libre de décider ce qu’il lui semble le mieux à faire pour la société, et sa décision doit être respectée. Je peux simplement vous assurer que je me prépare déjà à l’idée de comparaître devant la Cour d’Appel.

Le confrère à l’origine de la saisine devait-il agir ainsi?

Oui. Aussi curieux que cela m’est apparu au début, la question devait être posée clairement: un expert judiciaire peut-il parler sur un blog de ses activités? La réponse (évidente pour moi) ne coule pas de source pour tout le monde. Comme l’indiquait justement Thomas en commentaire ici, « je m’imaginais face à un blog tenu par exemple par un expert médical, ou psychologue, ou balistique… quel aurait été mon sentiment? »

Au moins aujourd’hui ai-je la réponse sur ce point de ma compagnie d’expert de justice.

Devais-je écrire cette série de billets avant que cette affaire ne soit complètement close?

Oui, et pour plusieurs raisons:

– Vous n’avez pas idée du bien que font les commentaires que vous déposez sur ce blog.

– La mise en ligne des informations que je donne n’influera en rien les décisions des magistrats qui ont/auront à gérer ce dossier.

– Je ne compte pas sur un quelconque effet de buzz puisque les faits sont derrière moi.

– Enfin, il est bon de partager, sous forme de retour d’expérience, des évènements qui peuvent concerner tout blogueur (y compris celui qui sommeille en vous). Ce partage n’aurait pas eu la même saveur, pour vous comme pour moi, si j’avais publié ces billets après une (éventuelle) radiation. Je pense d’ailleurs que je n’aurais pas eu le recul nécessaire pour le faire sans acidité ni amertume. En ce sens là, Sid avait raison dès son premier commentaire sur le premier billet

Pensez-vous que d’autres experts judiciaires devraient ouvrir un blog et raconter leurs activités d’expertise?

Oui, bien sur. J’aimerais même que les différentes compagnies d’experts de justice, ou les regroupements de compagnie, poussent leurs membres à le faire, comme le fait aujourd’hui l’ordre des avocats. Dans le respect, bien entendu, des règles de déontologie.

Enfin je terminerai ce billet en citant (hors contexte je dois l’admettre) cette phrase que l’on trouve sur le site du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice:

«L’expert doit observer une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence de quelque nature qu’elle soit».

Billet suivant: Décision du Procureur Général.

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Crédit images darkroastedblend.com

Décision de la Compagnie

Ce billet est le 6e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Deux semaines après mon audition, je recevais le document suivant:


COMPAGNIE des EXPERTS de JUSTICE

près la Cour d’Appel de [Ville]

(association régie par la loi du 1er juillet 1901)

CHAMBRE DE DISCIPLINE

Session du 5 décembre 2008

FAITS ET PROCEDURE

– Par lettre du 5 septembre 2008, le Procureur Général de la Cour d’Appel de [Ville] a saisi la chambre de discipline de notre compagnie concernant un de nos membres Monsieur [Zythom].

Il est reproché à cet Expert informatique dans la tenue d’un blog de poser difficultés quant au respect, de la réserve, de l’impartialité et de la conscience professionnelle que sa fonction d’Expert Judiciaire lui impose.

En annexe de cet envoi figure des extraits du blog de Monsieur [Zythom].

– Le Conseil d’Administration de la Compagnie réunie le 19 septembre 2008 a pris connaissance de cette saisine.

Il a constaté que le grief était de nature générale, sur l’attitude et l’image que doit donner l’Expert Judiciaire de sa fonction.

– Dans cette séance, le Conseil d’Administration s’est étonné que le Président de la Compagnie des Experts de [Biiiiiip]1, lui-même Expert informaticien et à l’origine de la saisine, n’ait pas pris contact avec son homologue de [Ville] pour obtenir des renseignements sur le confrère en question, ou pour agir sur son comportement.

Le Conseil a souhaité être pleinement informé dans le cadre d’une procédure permettant à la personne mise en cause de s’exprimer.

Il a donc été décidé de convoquer Monsieur [Zythom] à une réunion de la Chambre de discipline le 5 décembre 2008 afin qu’il puisse être entendu.

– Le 9 octobre, Monsieur [Zythom] a été convoqué à cette réunion.

– Le 30 octobre, il interrogeait la Compagnie sur les griefs exacts qui lui sont faits.

– Par retour le Président de la Compagnie lui indiquait qu’il s’agissait de son obligation de réserve par rapport à la rédaction de son blog.

– Le 5 décembre 2008, le Conseil d’Administration transformé en Chambre de discipline à 14 heures a entendu Monsieur [Zythom], assisté de son Avocat, Maître [TheBest], Avocat au barreau de [ville].

A la demande du Président, Monsieur [Zythom] et son Avocat expliquent à la Chambre de discipline les motivations concernant la tenue du blog.

Ils demandent à la Chambre de discipline la teneur exacte de ce qui est reproché.

MOTIF DE LA DECISION

– Les membres de la Chambre de discipline ont tout d’abord constaté que le blog en question se présentait comme un roman et qu’à ce titre, il ne présentait pas de valeur technique. Il s’agit d’un divertissement littéraire.

– Dès avant l’audition, les membres de la Chambre de discipline, et notamment un expert informaticien, ont cheminé sur les différents blogs qui peuvent se rapprocher du monde de l’expertise judiciaire.

Ils ont constaté que le blog en question est accessible par un mot d’entrée générique tapé sur le clavier: «EXPERT JUDICIAIRE» et que pour obtenir cette accessibilité, il n’est pas anodin que ce blog comporte sur chaque page en haut «blog d’un expert judiciaire».

Au niveau du mode d’emploi du blog, la 1ère rubrique s’intitule «expertises judiciaires informatiques (Expert)», il n’y a aucune indication pour informer qu’il s’agit d’un roman. La personne qui recherche peut penser trouver des éléments purement techniques.

La Chambre de discipline en tire deux observations:

1) La majorité des personnes qui frappent sur leur clavier «Expert Judiciaire» n’ont pas pour objectif d’aboutir à un blog constituant un roman. Ils recherchent le plus souvent des éléments techniques attachés à l’exercice de l’expertise judiciaire.

2) La cadence de visite du blog est attachée, pour la plus grosse partie, à cette technique informatique qui fait que le moteur de recherche va faire ressortir le blog dans les premiers sites affichés à l’écran dans une recherche sur le générique «Expert Judiciaire».

– Les membres de la Chambre de discipline constatent qu’il existe de multiples blogs et sites qui constituent de véritables publicités non dissimulées pour leurs auteurs Experts judiciaires.

Il en existe notamment sur [Biiiiiip].

Il en existe notamment sur des spécialités informatiques.

– Les membres de la Chambre de discipline constatent:

  • Que le blog est un moyen d’expression aujourd’hui très répandu et très libre au niveau de la rédaction.
  • Que de nombreux professionnels en exercice, dont quelques Experts, Magistrats et Avocats en rédigent.
  • Que dans la plupart des cas, les auteurs des blogs comme certains romanciers écrivent sous un nom d’emprunt, ce qui préserve, dans la majorité des cas et toujours dans un premier temps, l’anonymat.
  • Que l’auteur du blog n’en tire pas avantage financier.
  • Que les écrits consultés n’ont rien de différent de ce que l’on peut lire dans un roman.
  • Que l’on ne peut pas rapprocher précisément des paragraphes du blog avec ce que serait la non observation de l’attitude de:

    # Réserve,

    # Impartialité,

    # Conscience professionnelle.

DECISION DE LA COMMISSION DE DISCIPLINE

Après avoir délibéré, la Chambre de discipline décide d’émettre une RECOMMANDATION à Monsieur [Zythom].

Le caractère générique «Expert Judiciaire» donnant l’accessibilité à son blog, lui impose de donner une image de l’Expert conforme aux qualités premières qui doivent être celles des auxiliaires de Justice.

Cette image doit conduire au respect de la fonction et à la mise en valeur des qualités nécessaires à son exercice:

– conscience,

– compétence,

– impartialité,

– réserve,

– autorité.

Ces valeurs ne sont pas toujours celles que l’on développe dans l’écriture d’un roman qui recherche l’anecdote pour le divertissement.

La mention «roman» ou «anecdotes» pourrait utilement compléter le titre «expertises judiciaires informatiques (expert)» apparaissant au début du blog, afin d’éviter la confusion pour la personne qui effectue une recherche technique.

Le Président de la Chambre de discipline.


Le jour même de la réception de ce courrier, je me suis conformé à la décision du conseil d’administration de la compagnie des experts de justice réuni en chambre disciplinaire, en remplaçant dans le mode d’emploi situé en haut de ce blog la phrase:

– expertises judiciaires informatiques (Expert)

par la phrase:

anecdotes d’expertises judiciaires informatiques (Expert)

Le premier qui dit « tout cela pour ça? »…

Billet suivant: Conclusions provisoires.

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[1] Ce sera mon seul indice quant à l’origine de la plainte contre moi. Cet expert est également président d’une compagnie nationale d’experts que je tiens en très haute estime, à laquelle j’ai appartenu et pour laquelle je continue de faire de la publicité.

Commission de discipline

Ce billet est le 5e d’une histoire qui commence avec ce billet.

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Quelques explications liminaires s’imposent.

Un expert judiciaire est un citoyen comme les autres. Il a proposé son savoir faire à la Justice qui a accepté de s’en servir en cas de besoin et l’a inscrit pour cela sur une liste auprès de la cour d’appel la plus proche. Le détail des procédures peut être retrouvé sur le marronnier de ce blog.

La fonction d’expert judiciaire n’est pas une profession, et il n’y a pas d’ordre professionnel, comme il peut exister un ordre des avocats, un ordre des médecins, etc. Pour rappel, un ordre est un groupement professionnel chargé de surveiller l’éthique et la déontologie d’une profession.

Cela signifie-t-il que la fonction d’expert judiciaire n’a pas d’éthique ni de déontologie? Bien sur que non.

Tout d’abord, il y a La Loi. En effet, plusieurs textes précisent le rôle de l’expert judiciaire et encadrent son action dans des procédures.

Ensuite, il y a les groupements d’experts judiciaires sous forme d’associations loi 1901. Ces associations, souvent intitulées « Compagnies », regroupent les experts judiciaires autour de leur intérêt commun (l’Expertise), soit pluridisciplinairement (en général une association par Cour d’Appel), soit par thème (par exemple l’Art).

Puis il y a des associations qui regroupent des associations d’experts judiciaires, comme par exemple le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (anciennement Fédération Nationale des Compagnies d’Experts Judiciaires, attention, site web 1.0).

Toutes ces associations ont des statuts, font des AG, des réunions, rédigent des documentations, des guides, des annuaires, organisent des formations, mettent au point des règles de déontologie.

J’ai toujours encouragé sur ce blog les nouveaux experts à se rapprocher de « leur » compagnie pluridisciplinaire, ainsi que les citoyens qui recherchent des experts judiciaires. J’ai même fait plusieurs fois de la publicité pour les formations ou les colloques organisés par ces différentes associations d’experts.

Toutefois, l’inscription à l’une de ces associations n’est pas obligatoire. Dans mon cas, j’ai fait le choix de restreindre mes cotisations à une seule association, la compagnie pluridisciplinaire de ma Cour d’Appel, pour bénéficier d’une assurance en responsabilité à cout très compétitif.

Je ne suis malheureusement pas un homme de réseaux (sociaux), aussi je ne goute guère les réunions de ma compagnie, me contentant de lui envoyer, outre ma cotisation et mes salutations distinguées, mes statistiques d’expertises.

Autant dire que personne ne me connait dans cette association, car j’y fais peu de bruit.

Me voici donc convié par Mr le Procureur devant le conseil d’administration de ma compagnie d’expert judiciaire, réuni en sa forme de chambre de discipline.

Fin des explications liminaires.

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J’arrive avec deux heures d’avance pour visiter les lieux et repérer le chemin d’accès. Je retourne à la gare où mon avocat doit arriver et en l’attendant, je relis quelques uns des 200 billets que j’ai publié sur ce blog dans la rubrique Expert. Je relis également quelques uns des courriers de lecteurs et mes réponses. Bref, je vérifie que je maîtrise le volumineux dossier papier que j’ai préparé. Moi qui ai toujours paniqué rien qu’à l’idée de devoir un jour venir présenter oralement mon rapport devant une Cour d’Assises… me voici en train de potasser mon dossier pour passer devant une commission de discipline.

Nous voici, mon avocat et moi, devant la porte de la salle de réunion. Le président nous accueille fort civilement et nous introduit dans les lieux. Imaginez une grande salle réunissant 20 personnes autour de tables formant un grand U, avec une table pour les accusés invités au milieu du U. C’est impressionnant.

Nous nous présentons[1], et les questions commencent. Toute l’audition se passera sur un ton courtois, sans parti pris, avec une vraie envie de comprendre.

Certaines questions seront très classiques:

« Pourquoi écrivez-vous de manière anonyme? »

« Vous semblez être pourvu d’un très gros égo. Qu’en pensez-vous? »

« Quel intérêt trouvez-vous à tenir un carnet intime public? »

D’autres questions sont plus subtiles:

« Vous nous expliquez que les anecdotes que vous citez sont véridiques mais transformées. Où est la vérité? »

« Finalement, vos histoires relèvent plus de la romance, de l’anecdotique. Pourquoi ne pas le dire, au lieu de vous présenter comme expert judiciaire à chaque entête de page de votre blog? »

« Les personnes qui tapent « Expert judiciaire » dans un moteur de recherche ont-ils comme souhait d’atterrir sur un blog constituant un roman? »

Je m’attache à répondre du mieux possible à chaque question, pendant l’heure et demie que durera l’audition. Je leur rappelle également que je ne sais toujours pas qui m’accuse et de quoi précisément. Personne ne me répondra sur ce point. Apparemment, tout le monde a lu le dossier, sauf mon avocat et moi.

Je ressors de l’essoreuse plutôt satisfait: quelle que soit la décision que prendra la compagnie, j’ai le sentiment d’avoir été écouté. Personne dans la salle n’était content d’être là, mais tout le monde a cherché à comprendre et à analyser les raisons qui nous y ont amené.

Le surlendemain j’écrivais le billet intitulé « Au bas de l’escalier » dont j’espère que vous percevez maintenant pleinement la saveur.

Quinze jours plus tard, le président de la compagnie m’adressait la décision. Celle-ci m’a fort étonné.

Billet suivant: Décision de la Compagnie.

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[1] Nous nous sommes présentés, mon avocat et moi, mais à mon grand regret, aucun des experts présents autour de la table ne s’est présenté (nom et domaine d’expertise), ce qui fait que je me suis adressé à une assemblé anonyme, ce qui est finalement assez cocasse.

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Crédit images darkroastedblend.com

La lettre du Procureur

Ce billet est le 4e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Quatre mois s’écoulent.

Pendant ces quatre mois, j’ai ouvert avec fébrilité tous les courriers en provenance de la justice. A chaque fois, il s’agissait de désignations pour des missions d’expertise. A chaque fois j’ai eu à cœur de tenir le serment que j’ai prêté, et qui orne le fronton de ce blog: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

Pendant ce temps, je continuais malgré tout de tenir ce blog, et de rédiger quelques billets plus ou moins en rapport avec ma probable « radiation pour cause de blog »:

Mon nom est l’Eternel

La tenue d’un blog nuit-elle à la santé?

Ecrire sous pseudonyme

En même temps se jouait un autre drame de ma vie, en trois temps: candidature, puis espoir et finalement la fin d’un rêve

Puis les vacances sont enfin arrivées… Et avec la reprise du travail, cette lettre:

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Monsieur,

Vous avez été entendu par M. le Conseiller chargé des relations avec les experts judiciaires le [date] dernier.

Au terme de cette audience, et au regard des éléments portés à ma connaissance, je vous informe que je saisis ce jour la chambre de discipline de la compagnie des experts judiciaires du ressort de la Cour d’Appel de [Ville] car j’estime que la tenue de votre blog contrevient au respect des principes, notamment de moralité et de conscience professionnelle, définis par ladite compagnie.

Je souhaite vous rappeler que votre fonction d’expert judiciaire vous impose le strict respect d’une obligation de réserve que la tenue de votre blog ne permet pas.

Je vous prie de croire, Monsieur, de croire à l’assurance de mes salutations distinguées.

P. le procureur général, [nom et signature], Substitut Général.

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Bon, je m’y attendais un peu, mais j’espérais quand même le classement sans suite après l’audition.

Ma curiosité l’emporte sur la consternation. Je discute avec mon avocat qui me remonte le moral. Je suis pris entre de nombreux désirs contradictoires. Ma crainte la plus forte est d’être pré-jugé, de ne pas être réellement entendu, de ne pas être écouté par mes pairs. J’ai l’impression d’être coupable, par la tenu de ce blog, d’avoir utilisé une liberté de parole qui s’apparente à l’utilisation de poil à gratter.

Bref, d’être considéré comme un emmerdeur.

Quelques mois plus tard, je suis tombé sur ce billet de Maître Mô, (sur des dossiers bien plus graves que ma petite affaire) qui résume parfaitement mon état d’esprit.

Extrait:

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[…] un type arrive devant ses juges avec une histoire et une vie, qui obéissaient jusqu’à cet instant à des milliers de règles différentes, logiques et illogiques, sensées et moins sensées, cohérentes entre elles ou pas, construites de réflexions et de coups de folie, bref, ma vie, la vôtre, le destin, le chemin parcouru, vos excès, vos humeurs, vos ressentis, vos passions, vos logiques, vos raisonnements…

Strictement rien d’analysable, juste tout ce qui vous fabrique, bonnes ou mauvaises raisons.

Et tout à coup c’est fini : vous êtes soupçonné.

Et à compter de ce moment, ces milliers d’éclats et de rondeurs qui vous composent ne sont plus étiquetables, strictement, que de façon absolument, totalement, désespérément et connement binaire.

Que ce soit devant un policier, devant un procureur, devant un juge d’instruction, et a fortiori devant vos juges finaux, ceux qui vont dire si vous avez commis les faits et qui vont voter votre condamnation, vous n’avez soudainement plus droit qu’à avoir eu, toute votre vie, et particulièrement autour de la commission des faits concernés, que deux attitudes.

Deux.

Sans aucune autre alternative. La bonne ou la mauvaise.

Et toute votre vérité, toute la réalité de votre vie, toute celle du moment où le drame dont on vous reproche à présent d’avoir été l’acteur, tout ne s’explique soudain plus qu’à la seule lumière de la bonne attitude, ou à la noirceur de la mauvaise attitude.

La Justice, qui connaît si bien le noir et le blanc, ne connaît pas le gris.

[…]

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Billet suivant: Commission de discipline.

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Crédit images darkroastedblend.com

L’interrogatoire

Ce billet est le 3e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Le jour J arrive. Stressé et angoissé, j’arrive 4 heures avant le rendez-vous. Je trouve mon chemin, je repère les lieux, je tourne en rond dans la ville.

Je discute avec mon avocat qui essaye de me détendre.

L’heure H arrive enfin. Je frappe à la porte du bureau du magistrat. A la Cour d’Appel, on l’appelle un conseiller. Mon avocat m’accompagne. Dès la porte du bureau ouverte, il demande au conseiller l’autorisation d’assister à mon audition. Le conseiller refuse poliment, expliquant que les textes ne prévoient pas la présence d’un avocat. Mon avocat m’avait prévenu. Me voici seul.

Le bureau est une jolie pièce avec plafond en voute. Deux personnes m’attendent: le conseiller et son greffier. Je m’assoie sur une chaise et me sens coupable. Mais je ne sais pas pourquoi.

Bonjour Monsieur, J’ai été saisi par le chef de Cour dans la mesure où vous tenez un blog et que l’on s’interroge pour savoir si vous considérez que ce blog est compatible avec l’obligation de réserve à laquelle vous avez prêtée serment.

Patatras.

Le ton est froid, professionnel. Sur ma chaise, je maîtrise avec peine mon stress.

Pendant une demi heure, sur un ton très courtois mais ferme, je suis interrogé sur mon blog, principalement sur ce billet. J’essaye d’expliquer mes motivations. Mon cerveau fonctionne à plein régime, mais ma voix trahit mon stress. C’est le premier interrogatoire auquel j’assiste, et c’est moi l’accusé.

Curieusement, ma voix légèrement chevrotante me fait penser à cette voix de vieillard dont j’ai déjà parlé dans cette anecdote. Seulement cette fois, le stress est resté jusqu’au bout tellement j’étais impressionné.

Le magistrat est parfaitement correct dans son rôle de neutralité absolue: froid sans être glacial, sans sourire mais sans sècheresse. Des questions courtes, factuelles. Je réponds (enfin j’essaye de construire une réponse intelligente). Le greffier prend des notes avec rapidité. Le magistrat prend le temps de répéter ses questions, et de reformuler mes réponses, sans en trahir le sens, pendant que j’écoute en silence.

Ce qui m’a surpris le plus, malgré mon stress, c’est que le greffier n’utilisait pas d’ordinateur, mais une simple feuille et un stylo. Lorsque je lui ferai remarquer, il m’expliquera qu’il est plus à l’aise comme cela, avec le sourire désabusé que je connais pour le voir souvent sur les personnes plutôt réfractaires à l’informatique. Je ne lui donne pas tort, d’autant que son écriture est fine et plutôt lisible. Les phrases sont complètes, les mots aussi. Il n’y a pas d’abréviation, ni de faute d’orthographe.

Dernière question du conseiller: « Avez-vous quelque chose à ajouter? »

Réponse instantanée: « Oui… mais… j’ai mille choses à ajouter! »

Puis je réfléchis en silence.

Le conseiller laisse ce silence s’installer.

Je regarde ce professionnel et comprend qu’il ne laissera transpirer aucun sentiment, aguerri qu’il est à ce type de situation.

Mais je lui sais gré de me laisser le temps de la réflexion, de ne pas me brusquer.

Je présente en quelques phrases le fait que je mets mes compétences au service de la Justice et que ce blog me permet de faire un retour d’expérience, avec des affaires transposées, déformées et méconnaissables, sous le couvert d’un pseudonyme, afin de partager ces expériences avec d’autres, professionnels du droit, experts confirmés, experts en devenir ou simples citoyens. Ce n’est pas incompatible à mon sens avec une obligation de réserve.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme.

Je sens que la messe est dite. Inutile de me ridiculiser. Je me sens déjà assez humilié.

Le conseiller me demande de relire le procès verbal du greffier. Je déchiffre son écriture étroite en me demandant pourquoi il n’a pas utilisé l’ordinateur. Le compte rendu est fidèle à l’esprit de mes propos. Je signe malgré l’absence de mon avocat.

Pourquoi avoir refusé la présence de mon avocat? Certes, sa présence n’était pas obligatoire, mais le magistrat aurait pu accepter sa présence. Car si son travail m’a semblé remarquable, je suis sur que l’avocat aurait du en être le témoin, en complément du greffier.

Je demande s’il m’est possible d’avoir accès au dossier, pour savoir qui a entamé cette procédure contre moi. Le conseiller m’indique qu’à ce stade de la procédure, ce n’est pas possible.

Le silence s’installe.

Le conseiller m’informe que l’audition est terminée.

Il ne me dit pas si je serais informé des suites, ni quand.

Je dois reconnaître que j’ai oublié de poser la question.

Mon avocat me ramasse à la sortie à la petite cuillère.

L’attente cruelle commence.

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Remarques:

– J’ai écris ce billet le lendemain de l’audition. Le soir même, j’étais trop fatigué. Et l’expérience m’a appris qu’il n’était jamais bon de réagir à chaud: un peu de recul ne nuit jamais à la réflexion. Je publie aujourd’hui ce billet sans retouche particulière. Sauf les présentes remarques.

– J’ai un rapport à l’autorité très respectueux. Les magistrats, la police, les gendarmes, les militaires et les politiques m’impressionnent beaucoup. Ils portent beaucoup de responsabilités et de pouvoirs sur les épaules, sans attirer la sympathie et la reconnaissance qui leur sont dues. Les voir travailler de près reste pour moi une source permanente d’étonnement, même quand je suis moi-même au cœur de leurs préoccupations.

– En venant avec mon avocat, malgré les avertissements de celui-ci, je pensais réellement que le magistrat accepterait sa présence, puisqu’il avait le choix. J’en veux beaucoup aux lois françaises (votées par les députés) de ne pas imposer la présence d’un avocat dès qu’un citoyen le souhaite. J’ai sans doute abusé un peu des séries américaines, mais les Etats-Unis ne peuvent pas se tromper sur tout…

– Il faut beaucoup, beaucoup de détachements pour relativiser sa propre affaire, se dire qu’il y a des cas beaucoup plus graves, des affaires où des vies sont en jeu, etc. Je me suis rendu compte que je n’en suis pas capable: cette affaire m’a rongé et m’a inquiété pendant des mois. J’y reviendrai.

Billet suivant: La lettre du procureur.

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Photo: détail du fronton du palais de Justice de Boulogne sur Mer (rien à voir avec moi… ou pas:).

La convocation de la Cour d’Appel

Ce billet est le 2e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Mettre ses compétences au service de la Justice, c’est une fierté, mais c’est aussi une source de stress et d’angoisse. Vous n’êtes pas à l’abri d’une erreur ou d’une faute. Je pense n’avoir jamais commis de telles choses.

Et pourtant, voici le courrier que j’ai reçu à mon domicile il y a quelques semaines, en recommandé avec avis de réception:

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Objet: Audition préalable à d’éventuelles poursuites disciplinaires

Monsieur,

Le Premier Président de la Cour d’Appel m’a saisi de faits pouvant justifier contre vous des poursuites disciplinaires.

Afin de recueillir vos explications, je vous remercie de vous présenter le [date] à [heure] à mon bureau, au Palais de Justice [adresse].

Vous trouverez ci-joint copie des articles 24 à 32 du Décret du 23 décembre 2004 relatif à la discipline des experts.

Cette convocation n’est qu’un entretien préalable à l’engagement éventuel de poursuites. En cas de poursuites seulement, les articles 26 et suivants reçoivent application.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleures salutations.

Le magistrat chargé des relations avec les experts.

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Consternation à la maison. Je suis resté stupéfait et comme assommé. Qu’est-ce qui pouvait être à l’origine d’une telle convocation?

Première idée: cela doit avoir un rapport avec ce blog.

Deuxième idée: pas de deuxième idée.

Je relis le courrier à la recherche d’indices: rien.

Nous somme samedi, la Cour d’Appel est fermée, et demain c’est dimanche.

J’ai passé un des plus mauvais week-end depuis longtemps.

Lundi je contacte le greffe de la Cour d’Appel pour aller à la pêche aux informations: rien.

Je ronge donc mon frein en attendant la date de l’audition: dans 10 jours.

10 jours d’attente à me demander ce qui a bien pu justifier une telle convocation. Alors, je rédige un billet qui laisse transpirer mon humeur sombre

Comment positiver quand on est dans le noir.

Je prends un avocat. Le meilleur.

Billet suivant: L’interrogatoire.