Depuis quatre ans, l’inscription d’un citoyen sur la liste des experts judiciaires n’est plus effectuée ad vitam aeternam.
Il faut en effet maintenant refaire la preuve tous les cinq ans que vous avez toujours le niveau demandé par les magistrats pour les éclairer sur un point technique.
J’ai déjà effectué cet exercice une fois, ayant été tiré au sort il y a quatre ans (au tout début de la période transitoire de cinq année pendant laquelle tous les experts inscrits « à vie » ont du effectuer une demande de réinscription).
Concrètement cela s’est traduit par la constitution d’un dossier ni peu ni prou[1] identique à celui de la primo inscription, avec cette fois-ci tous les documents permettant d’évaluer:
1) L’expérience acquise, tant dans ma spécialité que dans la pratique de la fonction d’expert depuis ma dernière inscription;
2) La connaissance que j’ai acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien ainsi que les formations que j’ai suivies dans ces domaines.
La machinerie de réinscription est bien cadrée. Jugez-en plutôt:
Le procureur de la République instruit la demande de réinscription. Il transmet la candidature à la commission de réinscription avant le 1er mai.
Cette commission est ainsi composée:
1) Président: un magistrat du siège de la cour d’appel désigné par le premier président;
2) Rapporteur: un magistrat du parquet général désigné par le procureur général;
3) Six magistrats du siège des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel désignés par le premier président au vu des propositions des présidents de ces tribunaux. En outre, le président peut désigner, à la demande du rapporteur, un magistrat du siège d’un tribunal de grande instance non représenté;
4) Deux magistrats des parquets des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel désignés par le procureur général au vu des propositions des procureurs de la République près ces tribunaux;
5) Un membre des juridictions commerciales du ressort de la cour d’appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions;
6) Un membre des conseils de prud’hommes du ressort de la cour d’appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions;
7) Cinq experts inscrits sur la liste dans des branches différentes de la nomenclature depuis au moins cinq ans et désignés conjointement par le premier président et le procureur général après avis des compagnies d’experts judiciaires ou d’union de compagnies d’experts judiciaires ou, le cas échéant, de tout organisme représentatif.
La composition de cette commission doit être indiquée dans l’avis qu’elle rend (Civ.2e, 21 sept 2006, bull. civ., II, n°246, pourvoi n°06-10.053), à peine de nullité de la décision de l’assemblée générale. Elle peut valablement se réunir dès lors que chacune des deux catégories des experts et des magistrats est représentée par la moitié de ses membres (ibidem, n°248, pourvoi n°06-11.595).
La commission examine la situation de chaque candidat et s’assure que le candidat respecte les obligations qui lui sont imposées et s’en acquitte avec ponctualité. Elle peut entendre ou faire entendre le candidat par l’un de ses membres.
Aucun texte ne prévoit la communication, à l’expert qui a demandé sa réinscription, de l’avis défavorable de cette commission, préalablement à la décision de l’assemblée générale des magistrats du siège se prononçant sur sa demande (ibidem, n°243, pourvoi n°06-12.007).
Puis la commission transmet, avant le 1er septembre, les candidatures accompagnées d’un avis motivé au procureur général qui saisit le premier président de la cour d’appel aux fins d’examen par l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel (les magistrats de la cour d’appel membres de la commission ne participent pas à la délibération portant sur la réinscription des experts).
Le premier président désigne un ou plusieurs magistrats du siège pour exercer les fonctions de rapporteur. Le rapporteur peut entendre le candidat.
L’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel se prononce après avoir entendu le magistrat chargé du rapport et le ministère public.
Les experts réinscrits, les experts dont l’inscription n’a pas été renouvelée et ceux qui ont fait l’objet d’une décision de retrait reçoivent notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception de la décision les concernant (avec cette fois-ci en pièce jointe l’avis rendu par la commission de réinscription).
Les décisions de réinscription et de refus de réinscription prises par l’autorité chargée de l’établissement des listes peuvent donner lieu à un recours devant la Cour de cassation. Ce recours est formé dans le délai d’un mois par déclaration au greffe de la Cour de cassation ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au greffe de la Cour de cassation. Le délai court, à l’égard du procureur général, du jour de la notification du procès-verbal établissant la liste des experts et, à l’égard de l’expert, du jour de la notification de la décision qui le concerne par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Le refus de réinscription d’un expert ne peut être décidé qu’après que l’intéressé ait été invité à fournir ses observations soit à la commission de réinscription ou à l’un de ses membres, soit au magistrat rapporteur devant l‘assemblée générale (ibidem, n°246, pourvoi n°06-10.053). La Cour de cassation ne s’est pas prononcée dans ces arrêts sur les modalités selon lesquelles les observations de l’expert doivent être recueillies, en particulier sur le point de savoir si il peut y être procédé par écrit. Ce qui importe est que l’expert puisse être mis à même de faire valoir son point de vue pendant la procédure, dès lors qu’un refus de réinscription est envisagé, que ce soit auprès de la commission de réinscription ou l’un de ses membres, ou auprès du magistrat rapporteur (14 et 15 du décret du 23 décembre 2004).
Dans mon cas, si j’ai bien compté, ma demande de réinscription pour une durée de cinq ans doit être envoyée avant le 1er mars 2010 (au procureur de la République près le tribunal de grande instance, j’en vois qui ne suivent plus!).
Alors, évidemment, il ne faut pas oublier de déposer une demande (sinon pas de réinscription). Et il ne doit pas manquer la signature du greffier en chef de la cour d’appel sur le procès-verbal de l’assemblée générale (sinon annulation de la décision)…
De mon point de vue, je mets mes connaissances au service de la Justice (et j’invite tous ceux qui s’en sentent capable à faire de même). Il me semble parfaitement normal de se préparer mentalement à être recalé après tant d’années de service.
Serais-je assez fort pour encaisser un refus de réinscription?
Je verrai bien.
J’ai un an pour me préparer à la déception.
Sources bibliographiques:
Loi n°71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires
Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires
Recherche Google sur le site de la Cour de Cassation
——————-
[1] Le latin populaire possédait un adjectif, prodis, qui signifiait « profitable ». Ce mot a eu trois résultats en français où se retrouve l’idée d’utilité: tout d’abord le substantif « prou », lequel signifiait en ancien français « le bénéfice », « le profit ». Ensuite, l’adjectif preux, lequel est encore bien vivant en français moderne: être preux en ancien français signifiait « être utile ». Si l’on est un homme et particulièrement un chevalier, on est preux quand on est brave et courageux. Et si l’on est une femme, on est preude quand on est sage et de bon conseil. Mais la langue est sexiste: l’ancien français preude est devenu le français moderne prude.
C’était la nécessaire minute culturelle de Mr Zythom, sponsorisée en sens et en image par Lanas. Le chevalier m’a bien plu également;)
PS: J’ai utilisé l’expression « ni peu ni prou » trouvée ensuite dans le dictionnaire en ligne de l’Académie Française et qui m’a paru différente.