Affaire Bellanger (1599)

En l’an 1599, sous le règne du Béarnais, un nommé Jean Prost demeurant à Paris, à l’auberge des époux Bellanger, disparut de son domicile. Sa mère, après avoir attendu vainement son retour pendant de longues semaines, porta plainte au lieutenant criminel; elle accusait les aubergistes du meurtre de son fils.

Les premières constatations du juge parurent confirmer la dénonciation de la dame Prost.

Les Bellanger avaient eu le tort de s’approprier une partie des hardes et tout l’argent laissé par Prost dans la chambre; ces effets retrouvés chez eux, en donnant au crime un mobile, semblèrent la démonstration de leur culpabilité.

En vain, prétendirent-ils avoir gardé ces objets pour se payer de ce qui leur était dû par leur hôte, leurs protestations n’ébranlèrent pas la conviction des juges: les Bellanger avaient assassiné Jean Prost pour s’emparer de ses effets.

L’attitude des accusés, au début de l’instruction, fut relevée contre eux comme une charge décisive: n’avaient-ils pas soutenu à plusieurs reprises qu’ils n’étaient pas même entrés dans la chambre de Prost depuis sa disparition, alors que leur enfant déclarait qu’à trois reprises ils avaient forcé la porte de cette pièce et qu’ils y avaient pris de l’argent?

Bellanger fut condamné à la question ordinaire et extraordinaire.

Il y a deux sortes de question ordinaire et extraordinaire qui s’exécutent dans l’étendue du parlement de Paris: à l’eau et aux brodequins. Dans d’autres parlements il s’en donne de plusieurs sortes, comme les mèches allumés entre les doigts, ou l’estrapade avec poids aux pieds et bras derrière le dos. La différence entre la question ordinaire et extraordinaire réside dans le degré de souffrances infligées: la quantité d’eau dans un cas, le nombre de coins pour les brodequins. Il faut remarquer que les brodequins se donnent plus rarement que l’eau car ils peuvent estropier le patient en faisant éclater les os…

La torture n’arracha pas d’aveux à Bellanger, et il fut sursis à statuer définitivement jusqu’à ce qu’une nouvelle preuve de culpabilité fut apportée.

Ce fut une preuve d’innocence que le hasard fournit, à quelque temps de là: deux individus arrêtés et poursuivis pour vol furent condamnés à mort et l’un d’eux, au pied de la potence, avoua sa culpabilité dans le crime reproché aux hôteliers.

La justice alors, n’accordait pas de réparation à ses victimes… Mais jadis comme aujourd’hui, ceux qui avaient eu le plus à souffrir de la justice gardaient encore confiance en elle. Bellanger, estropié par les chevalets de la question, s’adressa au parlement de Paris pour qu’il proclamât son innocence et la condamnation à des dommages-intérêts de la mère de Prost dont les accusations calomnieuses avaient eu pour lui et les siens de si déplorables conséquences.

L’avocat général Servin dans ses conclusions, exprima l’avis que si l’innocence des époux Bellanger devait être proclamée, il ne pouvait leur être alloué aucun dommage-intérêt, parce que, dit-il, si l’accusé avait souffert de la question, il devait se l’imputer à lui-même; il s’était perdu par ses réponses, et avait éprouvé la vérité de cet oracle de l’Ecriture:

Mors et vita in manu linguae; qui diligunt eam, comedent fructus eius.

La mort et la vie dépendent du langage, qui l’affectionne pourra manger de son fruit.

(Proverbes – Traduction œcuménique de la Bible – Capitulum 18 v. 21)

L’avocat général finit en disant qu’il n’était pas juste que l’accusé demandât des dommages-intérêts pour des poursuites que la mère de Prost n’avait point faites par un esprit de calomnie, et qu’il devait « recevoir cet accident comme une épreuve du ciel ».

Le Parlement adopta l’opinion de Servin et un arrêt du 17 janvier 1600 ordonna la mise en liberté des époux Bellanger dont l’innocence était reconnue, mais il leur refusa la réparation pécuniaire qu’ils réclamaient contre leur accusatrice.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Les erreurs du passé

En fouillant dans mes vieux livres, je suis tombé sur un ouvrage remarquable intitulé « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven.

Cet ouvrage date de 1897.

Après l’avoir dévoré, ce livre m’a décidé de créer sur ce blog une rubrique consacrée aux erreurs judiciaires des siècles passés (hors 20e et 21e siècles). Je vais commencer par de larges extraits de cet ouvrage.

Il ne s’agit pas ici de dénigrer mes confrères d’antan, je n’ai pas oublié la notion de respect confraternel, même à travers les âges, mais plutôt de m’adresser aux (futurs) jeunes experts. L’historien qui relève les fautes des gouvernements passés ne rend-il pas service aux gouvernants du jour? Plus que les autres, ceux-ci ne doivent-ils pas bénéficier des critiques et puiser des enseignements dans les faits?

Ainsi les experts qui parcourront cette rubrique trouveront, dans ce martyrologe, des avis et des exemples. Et si jamais, au moment de signer un rapport dont leur conscience s’inquiète, le souvenir d’un de ces billets traverse leurs hésitations, leur fait poser la plume et leur évite – qui sait? – une involontaire injustice, peut-être devront-ils à l’auteur de ce blog quelque reconnaissance.

Il est fascinant de constater qu’en matière archéologique, l’exhumation des corps anciens ne choque personne. Elle nous apprend tant sur la nature humaine. Etudier les mœurs anciennes nous amène fatalement à réfléchir sur nous même.

Il y a beaucoup d’intervenants dans un procès: les magistrats, les avocats, les experts, les greffiers, les témoins, la foule, le public, les journalistes, l’opinion… Dans les affaires que j’ai dénichées dans mes fouilles archéologiques, vous verrez tous ces intervenants à un moment ou à un autre. C’est parfois surprenant, souvent désastreux, toujours catastrophique pour l’innocent.

Dans toute affaire terminée par une condamnation erronée, l’un des acteurs, à un moment quelconque, a enfreint une règle essentielle de sa délicate mission. Et directement ou non, l’erreur est née de cette faute. Par penchant, plus souvent par imprudence, langueur d’esprit, désir d’arriver à un résultat ou crainte de laisser un crime impuni, quelqu’un a pris parti contre le prévenu. Dès lors, il l’a tenu coupable. Il n’a pas conçu la possibilité de son innocence, et, pour découvrir la vérité, il a cru qu’il suffisait de chercher des preuves de culpabilité. Les meilleurs s’y laissent aller. Ils croient bien faire, et préparent « des condamnations plus crimineuses que le crime » [Montaigne, Essais, livre III, chap.XII].

Et cela, parce qu’une qualité leur manque, une qualité qui peut devenir un défaut chez d’autres hommes, mais qui devrait être la vertu maîtresse de tous les acteurs du procès: l’inquiétude d’esprit, qui fait qu’après avoir trouvé le vrai, on le cherche encore.

Vous verrez également que les siècles se suivent et parfois se ressemblent.

A suivre.

Interview

Je n’aime pas particulièrement les interviews.
C’est parce que je suis un grand timide.
C’est surtout parce que je suis un grand bavard et que je suis souvent déçu par le résumé effectué par le journaliste (mais pas toujours!).
Cette fois encore, quand j’ai vu « interview » dans le sujet d’un email, je me suis renfrogné… Et en plus, il s’agit d’un étudiant qui veut me faire travailler à sa place! Mais cette fois, je vais faire exception, car il s’agit du lieu où j’ai passé mon voyage de noces…

Voici la lettre du coupable:

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Bonjour,
Je m’apelle Wohler Paraita et je suis étudiant en 1ère année de LMD Maths Info à l’université de Polynésie Française.
Nous avons comme travail en première année de préparer un projet professionnel qui consiste à présenter un métier qui nous intéresserait, j’ai choisi le métier d’informaticien expert juridique et j’aimerais vous poser quelques questions.

Déjà pourrais-je citer votre nom dans mon projet ou préférez vous garder l’anonymat? Ensuite est ce que je peux citer votre blog dans mon projet?

Alors voici les questions que j’aimerais vous poser:

Qu’est ce qu’un informaticien expert juridique?
Quel rôle joue t-il dans une affaire?
Comment devient t-on expert informatique?
L’expert intervient t-il sur le terrain? (perquisition, se déplace sur les lieux pour effectuer sa mission etc…)
Quelle est la relation entre l’expert, l’avocat et le juge?
Y’a t-il une déontologie particulière? (différente de la déontologie des experts juridiques?)
La rémunération de l’expert?
Est ce qu’il y a beaucoup d’experts juridique informatique en France? Y’a t-il beaucoup de délits liés à l’informatique? Comment cela évolue t-il?

Par rapport a votre parcours personnel, est ce que vous pouvez me dire comment vous êtes devenu expert juridique?
Quelles études avez vous fait?

J’espère vraiment que vous pourrez prendre un peu de temps pour répondre a mon mail, je compte beaucoup sur votre interview, la plupart de la documentation que j’ai pu avoir proviens des liens que j’ai eu sur votre blog.

Amicalement, Paraita.
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Bon.
Le style est à peu près correct, il n’y a pas trop de fautes d’orthographe, le ton est amical, le sentiment semble bon.
Je vais répondre.

Cher Wohler Paraita, ia ora na.

Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour vous aider à préparer votre projet.
Comme de nombreux étudiants pensent aussi à moi pour leurs projets, je me permets de répondre à votre courrier directement par le biais de mon blog. Ceci vous permettant de prouver à vos enseignants que vous avez bien réalisé votre part du travail, tout en me permettant à moi de répondre à l’ensemble des étudiants se posant les mêmes questions, ce que j’avais refusé de faire dans ce billet.

Je vais répondre à vos questions le plus franchement possible, en me permettant parfois des liens vers des réponses déjà écrites que je ne souhaite pas paraphraser.

Tout d’abord, le métier que j’exerce ne s’appelle pas « informaticien expert juridique ». En effet, j’exerce le métier passionnant de responsable informatique dans une école d’ingénieurs. Le titre indiqué sur mes cartes de visite est « Responsable des Systèmes d’Information ». J’y sévis accessoirement comme professeur.

En France, « Expert Judiciaire », ce n’est pas une profession. C’est une activité au service de la Justice.

Pourrais-je citer votre nom dans mon projet ou préférez vous garder l’anonymat?
Je préfère apparaître sous mon pseudonyme Zythom dans votre projet. O Zythom to’u i’oa

Est ce que je peux citer votre blog dans mon projet?
Non seulement vous le pouvez, mais vous devez toujours citer vos sources dans vos travaux, sous la forme d’une référence bibliographique.

Qu’est ce qu’un informaticien expert juridique?
Lire l’article de wikipedia consacré aux experts judiciaires. Vous y trouverez d’ailleurs un lien vers mon blog qu’un confrère a eu la gentillesse de placer (et l’imprudence, cher confrère, votre adresse IP!). Vous pouvez lire également ceci et ceci.

Quel rôle joue t-il dans une affaire?
Il répond le plus clairement possible à des questions posées par un magistrat dans une affaire.

Comment devient t-on expert informatique?
La réponse est ici.

L’expert intervient t-il sur le terrain? (perquisition, se déplace sur les lieux pour effectuer sa mission etc…)
Oui, lire ce billet et celui-là, bien que dans mon cas, je travaille essentiellement sur des scellés, à la maison.

Quelle est la relation entre l’expert, l’avocat et le juge?
Les relations sont celles que l’on trouve entre professionnels à haut niveau de responsabilités: jamais un mot plus haut que l’autre, concentration, bonnes connaissances chacun de sa partie et de son rôle, tensions liées aux enjeux.

Y’a t-il une déontologie particulière? (différente de la déontologie des experts juridiques?)
A mon avis non.

La rémunération de l’expert?
Lire ce billet, puis celui-ci et enfin ceci.

Est ce qu’il y a beaucoup d’experts juridique informatique en France?
Votre question attend une réponse subjective. A mon avis (donc), il n’y a pas assez d’experts judiciaires en France, et les personnes les mieux à même de le devenir ne le souhaitent pas pour des raisons de complexité juridique. J’ai donc suggéré à nos candidats au poste de Président(e) de la République la solution suivante.

Y’a t-il beaucoup de délits liés à l’informatique?
Franchement, je n’en sais rien. Je dirais plutôt qu’il y a maintenant de plus en plus d’informatique liée aux délits.

Comment cela évolue t-il?
Personnellement, et c’est une des raisons principales concernant l’ouverture de ce blog, je constate une très nette augmentation des missions liées à la pédophilie. Est-ce parce qu’il y a plus de pédophiles qu’avant, est-ce parce qu’on les repère plus facilement, est-ce parce qu’on les recherche plus qu’avant, est-ce à cause d’Internet?

Par rapport a votre parcours personnel, est ce que vous pouvez me dire comment vous êtes devenu expert juridique?
J’ai rencontré une personne dont je suis tombé fou amoureux au point de l’épouser.
Il se trouve que cette personne est avocat(e) et moi informaticien(ne).
Un jour, cette personne m’a demandé de lui expliquer la partie informatique d’une affaire dans laquelle elle intervenait.
J’ai trouvé cela intéressant.
Elle m’a dit « mais pourquoi ne pas proposer tes services à la Justice? »
C’est ce que j’ai fait en déposant une demande pour devenir expert judiciaire.

Quelles études avez vous fait?
J’ai fait de longues études passionnantes. Mes amis m’ont longtemps appelé « le plus vieil étudiant de France ». J’estime que mes études ne sont pas terminées, même si j’ai maintenant la chance de pouvoir en vivre.

J’espère vraiment que vous pourrez prendre un peu de temps pour répondre a mon mail, je compte beaucoup sur votre interview, la plupart de la documentation que j’ai pu avoir proviens des liens que j’ai eu sur votre blog.
Amicalement, Paraita.

J’espère avoir répondu à vos attentes, malgré mes sarcasmes initiaux.
Vous me direz comment c’est passé la suite de votre projet, n’est-ce pas?
Amicalement, nana.
Zythom

Les missions pièges

Ou plutôt les pièges des missions.

J’ai deux stratégies pour établir un devis:

– la plus bête, mais la plus précise:

je fais le travail, j’en déduis le coût, j’établis un devis (forcément précis) qui, lorsqu’il est accepté, me permet d’être l’expert judiciaire le plus rapide du monde 🙂 Pourquoi cette stratégie peut-elle être bête: tout simplement lorsque le devis est refusé…

– la plus intelligente, mais la plus risquée:

Comme toute activité établissant des devis, mettre en place une grille d’estimation. Parfois on tombe au dessus, parfois au dessous. C’est rapide, propre et tout le monde est content. Alors quel est le risque? Et bien, c’est le petit détail qui a échappé et qui peut multiplier par deux ou trois le temps consacré…

Exemple:

J’ai eu à établir un devis préalablement à une expertise de type « recherche d’images pédophiles » (il faut croire que j’en deviens le spécialiste). Je regarde les missions de l’ordonnance, je contacte les personnes chargées des scellés pour en avoir le détail, je vais même jusqu’à récupérer les scellés pour savoir le type d’OS et les tailles de disques durs (une fois, après un devis basé sur les unités centrales, j’ai ouvert l’UC pour y trouver trois disques durs de 300 Go chacun… trop tard).

Dans ce dossier, une fois tout le matériel sous la main, j’ai établi un devis AVANT de commencer à travailler. Une semaine plus tard, le devis a été accepté. Je démarre alors mes investigations. Je contacte l’OPJ en charge du dossier pour avoir des éléments me permettant d’être plus efficace. Cela me permet d’avoir des mots clefs plus précis pour trouver certains types d’information, etc.

A la fin de la conversation, le gendarme me dit: « Et pourriez-vous me transmettre les images retrouvées sur deux cédéroms: l’un sous scellés, et sa copie pour investigation? »

Comment refuser?

Sauf que je n’avais pas prévu de mettre en évidence une montagne d’images pédophiles: 40 Go d’images et de films pédopornographiques, le tout mélangé avec une centaine de gigaoctets de films pornographiques!!!

J’en suis sorti mentalement rincé (relire ce billet pour comprendre).

C’est donc complètement lessivé par tout ce tri, que j’ai entrepris de graver les 20 DVD (10×2). Classer les données par paquet de 4Go et graver les fichiers en mode vérification, cela représente environ 1/4h par DVD. Multipliez par 20, c’est cinq heures de boulot hors devis (pour ma pomme).

Dans ce type de dossier, l’argent compte peu, mon temps non plus. Car finalement, le piège dans ce type de mission, ce n’est pas le devis raté, c’est de toucher le fond de la souffrance humaine: celle des enfants.

Et ça, c’est vraiment dur.

Portabilité du bricolage

J’ai reçu il y a quelques jours un ordinateur portable de marque Apple.

Je n’aime pas analyser les portables, vous allez comprendre pourquoi.

La devise de l’expert judiciaire en informatique est celle d’Hippocrate : Primum non nocere, qui se traduit par d’abord, ne pas nuire ou plus généralement avant tout, ne pas nuire à la preuve.

Il faut donc être sur de ne pas endommager ou écrire sur le disque dur que l’on doit analyser.

Dans mon cas, je ne maîtrise pas de système simple pour booter un Apple ibook G4 sur cédérom pour une prise d’image à travers le réseau. Il me faut donc démonter le portable pour en extraire le disque dur afin de le placer sur mon matériel d’analyse.

La galère commence.

Première phase, trouver sur internet un site qui décrit le plus précisément possible le démontage. En l’espèce, il s’agit de l’excellent site aberco.free.fr/ibook/demontage1.html qui me sauve la vie.

2ème phase: la préparation des outils. Après avoir étudié le problème en détail, il s’agit de faire l’inventaire de tout le matériel nécessaire. Ici, j’ai besoin de plusieurs tournevis cruciformes très fins, de tournevis Torx et d’un tournevis mou (une brosse à dent limée). Je recommande également le rangement d’un vaste espace de travail, ceci pour placer les différentes vis extraites sur des croquis de remontage.

3ème phase: le démontage. Personnellement, j’ai mis quatre heures! En effet, le propriétaire du portable apprécierait peu que son matériel lui soit rendu avec des marques de démontage (d’où le tournevis mou) ou avec des pièces mal remontées. Il faut utiliser le bon tournevis pour chaque vis afin de ne pas marquer la tête (de vis). Il faut placer la vis démontée sur une feuille blanche sur laquelle on aura reporté un croquis de la machine, pour être sur de la replacer au bon endroit. Il faut travailler au dessus du plan de travail (et non sur ses genoux) pour qu’une vis malicieuse qui saute de son emplacement ne rebondisse pas dans un endroit inaccessible.

Il faut démonter 42 vis sur un ibook G4 avant de pouvoir extraire son disque dur… Et elles sont presque toutes différentes! Certaines sont cachées derrière des petits aimants. Et pour couronner le tout, avec l’évolution de la fabrication, le portable que je démontais n’était pas exactement comme celui du site internet: certaines vis manquaient et d’autres, surnuméraires, étaient vicieusement cachées.

Règles d’or: quand vous avez enlevé toutes les vis, il en reste une cachée quelque part. Ne pas forcer. Rester calme.

Pour compliquer le tout, des clips maintiennent certains éléments plastiques qu’il faut forcer… mais pas trop.

Quatre heures, je vous dis!

Mais l’analyse en valait le coup…

PS: J’ai oublié de dire qu’il m’avait également fallu 4 heures pour remonter l’ensemble des pièces, avec quelques frayeurs quand je n’avais pas correctement repéré le trou dans lequel la vis devait être remontée (surtout vers les premières étapes du remontage).

J’en ai profité pour enlever la poussière accumulée sous le clavier et pour passer un coup de chiffon sur le parebrise.

Primum non nocere

Les risques du métier

Ce billet s’adresse plus particulièrement aux futurs jeunes experts judiciaires.

L’activité d’expert judiciaire peut amener à prendre des risques et à se retrouver au pied du mur. Voici la mésaventure arrivée à un confrère, et rapportée dans la revue Experts (n°70 et 76) par l’excellent Gérard ROUSSEAU, Docteur en droit, expert honoraire près la Cour de cassation. Je la place dans ma rubrique Anecdotes d’expertises, en priant pour que ce type de mésaventure ne m’arrive jamais.

Un expert judiciaire est physiquement agressé pendant une réunion d’expertise par l’une des parties qui le projette à terre. Cette agression entraîne le dépôt d’une plainte par l’expert. Un mois après, l’expert dépose son pré rapport, preuve que l’expertise était avancée lors de l’agression. Un mois après, l’agresseur dépose une requête demandant la récusation de l’expert sur le fondement de l’article 341 du NCPC. Cette requête est rejetée trois mois plus tard par le magistrat en charge du contrôle des expertises qui confirme l’expert dans ses missions. L’agresseur fait appel de cette décision. Un mois après, parallèlement à l’affaire principale, il est condamné pénalement pour l’agression qu’il a commise sur l’expert. Pendant ce temps l’expertise continue, et un dire est déposé par l’agresseur trois mois plus tard. L’expert rend son rapport final un mois après. Un an passe avant que la cour d’appel ne confirme la décision du magistrat en charge du contrôle des expertises estimant qu’il n’y a pas lieu à récusation de l’expert. Pourvoi en cassation de l’agresseur. Un an plus tard, jugement au fond sur le rapport déposé par l’expert. L’agresseur perd son procès civil, mais fait appel. Une année s’écoule encore avant la cassation de la décision du magistrat ayant décidé qu’il n’y avait pas lieu à récusation de l’expert, avec retour devant la cour d’appel. Cette dernière jugera que la révocation de l’expert est justifiée.

Patatra.

Cette mesure est rétroactive puisqu’elle dénie au récusé toute légitimité depuis sa désignation. Elle entraîne la nullité de tous les actes effectués par l’expert. De plus, l’expert a été condamné à l’article 700 du NCPC (2000 euros) outre les entiers dépens (8500 euros). Le rapport étant nul, la rémunération n’est pas admise et celle perçue (2500 euros) devrait être remboursée indépendamment des frais.

Cela fait cher pour une personne au service de la justice.

Extrait des conclusions de Gérard ROUSSEAU: les juridictions du premier et second degré auraient dû mettre en demeure l’expert de suspendre ses opérations en attendant une décision passée en force de chose jugée, en l’occurrence l’arrêt de la Cour de cassation. Ou mieux de prononcer la récusation et de faire verser à l’expert le coût des travaux effectués. […] Quant à l’expert, nous savons que les techniciens ne sont pas des juristes, mais il aurait dû se déporter immédiatement, dès lors qu’un plaideur l’avait agressé.

J’aime bien ce passage aussi:

Si l’agression devient l’une des possibilités d’obtenir une récusation, la formation à l’expertise judiciaire devra pour le moins inclure une épreuve de lutte gréco-romaine qui pourrait utilement être enseignée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, les magistrats étant eux-mêmes récusables.

Toujours envie de devenir expert judiciaire ?

Expertises privées

Un expert judiciaire est une personne dont la pertinence de l’avis technique est reconnue. Cet avis peut être recherché par une partie indépendamment de toute action en justice (par exemple). L’expert judiciaire joue alors le rôle de conseil, compétent techniquement et procéduralement.

De fait, les expertises peuvent être classées en deux catégories : les expertises privées ou officieuses, et les expertises judiciaires (pénales et civiles). Les expertises privées se déroulent dans un cadre contractuel où l’avis expertal est requis à titre personnel ou conciliatoire.

André Comte-Sponville, lors du XVIIe congrès national des experts judiciaires à Marseille le 22 octobre 2004, a parfaitement présenté les différences entre les deux catégories:
« La mission-type de l’expert est de dire le vrai, autant qu’on peut le connaître, c’est-à-dire le possiblement vrai et le certainement faux… Il doit être impartial, indépendant et objectif…Le conseil, lui, n’est pas impartial: il a pris parti. Il peut être indépendant intellectuellement, mais surtout il s’engage… au service de la victoire. Le conseil dit l’utile… Expert du juge, expert de l’une des parties, conseil de l’une des parties… rien n’interdit que le même individu (bien sûr dans trois affaires différentes) occupe tantôt l’une, tantôt l’autre de ces trois postures; mais il semble exclu qu’il occupe les trois et même deux des trois, dans la même affaire. »

Ce dernier point est bien entendu confirmé par les règles de déontologie du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (extraits):
I-7) L’expert doit conserver une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence, de quelque nature qu’elle soit. Il doit s’interdire d’accepter toute mission privée de conseil ou d’arbitre, à la demande d’une ou de toutes les parties, qui fasse directement ou indirectement suite à la mission judiciaire qui lui a été confiée.
Lire également le chapitre V entièrement consacré à ce sujet.

Statistiques d’expertises

La revue « Experts » mène chaque année une enquête statistique auprès de ses lecteurs sur la base d’un formulaire à retourner. En 2006, 12 experts de la spécialité « Informatique – électronique – télécommunications » ont répondu pour la période d’activité qui couvre sept 2004 – août 2005. Extraits:

Nombre de missions par expert:
6,9 en moyenne (min=0, max=20)

Origine des missions:
Tribunal de Grande Instance = 45,8 %
Tribunal de Commerce = 35,4 %
Juge d’Instruction = 14,6 %
Tribunal d’Instance = 2,1 %
Cour d’Appel = 2,1 %
Conseil de Prud’hommes = 0 %
Juridictions administratives = 0 %

Durée moyenne d’une mission:
8,1 mois.

Prix (HT):
3937 euros en moyenne (min=2500, max=11000).

Taux horaire de l’expert:
90,69 euros (min=80, max=100).

Extraits de Enquêtes d’activités (revue Experts).

Je renvoie tous ceux qui pensent « et vous, et vous? » à la lecture de ce court billet où je dévoile une (petite) partie de mes propres statistiques. Je peux ajouter que je suis malheureusement plutôt en bas de chaque fourchette. Peut-être est-ce lié à l’endroit où j’habite

Enfin, toutes les personnes qui pensent que tout cela coûte fort cher doivent lire ce billet sur ce thème.

J’en extrais cette citation parce que je l’aime bien:

« On dit que la plupart des hommes tombent en quelque sorte à genoux sur la seule mention de l’argent. Je n’ai vu rien de tel. Je vois bien que les hommes ont besoin d’argent et s’occupent premièrement à en gagner ; cela veut dire seulement que l’homme mange au moins deux fois par jour, et choses semblables. Mais un homme qui ne pense qu’à manger et à gagner, cela est rare ; c’est une sorte de monstre. Et pareillement, celui qui ne pense qu’à étendre ses affaires, et à ajouter des millions à des millions est une sorte de monstre. Quant aux opérations intellectuelles que suppose cette manie d’acquérir, elles sont tellement communes et faciles que personne ne les jugera au-dessus de soi. Où donc courent les hommes dès qu’ils sont assurés de leur pâtée ? Ils courent au stade, et ils acclament un homme fort, un homme agile, un homme courageux ; ce sont des valeurs qui ne s’achètent point, des valeurs estimées bien plus haut que l’argent. Ou bien ils vont au concert, et crient de tout leur coeur et casseraient les banquettes en l’honneur de quelque artiste ; et certes ils savent que le plus riche des hommes ne peut s’offrir cette gloire. Quant aux puissances de pur esprit, nul ne les méconnaît ; nul ne les mesure aux millions. Personne ne demande si Einstein est bien riche. »
Alain (Propos I – la Pléiade – Gallimard 1956)

Devenir expert judiciaire

Vous avez toujours rêvé de mettre vos talents au service de la Justice?
Vous vous sentez capable de procéder à l’analyse d’un disque dur, d’une clef USB ou d’un cédérom tout abimé?
Vous n’avez pas peur d’organiser une réunion et de l’animer avec sérénité?
Vous n’avez pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs?
Les mots Warrant, Verus dominus, Usucapion, Urssaf, Quérable, Léonin, Forclusion, Exécution provisoire, Contradictoire ne vous font pas peur et vous vous sentez capable d’apprendre leur définition par coeur?
Vous êtes prêt à accepter un refus poli de votre dossier malgré sa grande qualité?
Vous savez chiffrer les dommages financiers causés par une informatisation partiellement ratée à cause d’un bug non reproductible?
Vous savez trouver un texte du Journal Officiel sans connaître sa date de parution?

Si vous avez répondu « Oui » à toutes ces questions, vous pouvez postuler pour devenir expert judiciaire (mais cela ne suffira pas!).

Commencer par lire attentivement le bon Journal Officiel (celui du 30 décembre 2004) en allant directement au texte 63 intitulé « Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires« .

Ensuite vous lisez cette page, puis celle-ci et enfin cette dernière page.

Maintenant si vous avez la moindre question, j’essaierai d’y répondre.
SGDZ*

(*) Sans Garantie De Zythom

Dire à expert

En procédure civile, lorsque l’une des parties a le sentiment de ne pas avoir été entendue, ou qu’il ne lui a pas été apporté de réponse satisfaisante aux questions posées, cette partie, par l’intermédiaire de son avocat, et de façon contradictoire en en adressant une copie à l’autre partie, à la faculté de rédiger un document qui s’intitule « dire à expert » qui expose par écrit sa position. L’expert est obligé de répondre aux dires des parties.

Article 276 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC pour les intimes)

L’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Toutefois, lorsque l’expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.

Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.

L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu’il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.

Extrait du livre blanc de l’expertise judiciaire:

En principe, le dire, que l’expert doit joindre à son rapport, doit formuler des observations ou des réclamations des parties.

Le dire doit être porteur d’une argumentation : la preuve en est que l’expert doit lui donner une suite et l’annexer à son rapport.

Or, on constate fréquemment que:

– il y a une inflation des dires, en particulier en fin d’expertise, voire à la veille du dépôt du rapport;

– il en est qui visent seulement une transmission de pièces techniques, demandées ou non par l’expert, comme si le conseil voulait s’assurer qu’elles seraient bien examinées;

– certains dires constituent plus une manière de poursuivre un dialogue conflictuel entre certains avocats ou certaines parties en prenant l’expert à témoin, qu’un apport d’argument;

– d’autres suggèrent de véritables extensions de mission sans respecter le formalisme des textes;

– des dires ­ trop longs ­ sont surchargés d’arguments hors sujet par rapport à la mission d’expertise ou même soulèvent des problèmes de droit pur qui échappent évidemment à la compétence procédurale de l’expert et au champ de la mission;

– les avocats laissent parfois leurs clients ou leurs experts d’assurance rédiger eux-mêmes des dires peu clairs souvent chargés de subjectivité, voire d’agressivité ou de contrevérités;

– ces dires hors sujet sont souvent d’un volume excessif; ils encombrent inutilement les diligences et l’avis de l’expert.

On assiste ainsi à une dérive de l’emploi du dire, qui, de support d’arguments, se transforme en un processus systématique, à la fois procédé dilatoire et rideau de fumée.

L’expert est plutôt mal protégé contre cette déviation qui constitue une véritable pollution de l’expertise.

Le juge auquel il va s’adresser ne pourra, en l’état des textes et de l’usage qu’en font certains avocats, que lui recommander de les appliquer, c’est-à-dire d’annexer au rapport des écrits largement digressifs et de formuler à leur sujet un avis, qui pourra alors être très bref… et consistera à préciser que le dire n’a aucun rapport avec la mission.

Il reste en outre à l’expert à régler, en accord avec les parties et leurs avocats ou, à défaut, avec le juge, le problème de la jonction au rapport des annexes des dires, dont le volume est souvent beaucoup plus important encore que celui des dires eux-mêmes.

Une anecdote:

J’avais déposé un pré-rapport auprès des parties afin qu’elles puissent formuler des dires. J’avais donné comme souvent une date limite correspondant à un vendredi soir afin de disposer du week-end pour répondre aux dires.

C’était avant l’introduction d’internet dans la procédure aussi les dires étaient traditionnellement adressés sous forme papier. Il me fallait donc un temps certain pour:

– soit saisir les dires sur mon ordinateur (par OCR ou saisie manuelle), ce qui est énervant quand on sait qu’une personne les a déjà saisis sous forme numérique avant de les imprimer…

– soit procéder à un découpage-ciseau-collage savamment synchronisé avec l’impression de mes réponses.

Il faut bien un week-end complet pour cela.

Dimanche soir, à 2h du matin (lundi donc en fait), mon rapport était fin prêt: 50 pages, dont 10 de savants collages et 200 pages d’annexes.

Lundi midi, je saute mon repas pour courir à la reprographie près de l’école (j’y croise souvent quelques uns de mes étudiants légèrement embarrassés de trouver l’un de leurs tortionnaires dans ce temple de la copie du savoir). Un exemplaire pour chaque partie (trois dans cette affaire), deux exemplaires pour le magistrat (la justice ne rechigne pas à faire parfois quelques économies sur le dos de la partie qui paiera l’expertise). Je garde l’original pour moi.

Lundi soir, en rentrant chez moi avec tous ces exemplaires sous le bras sur les bras, que vois-je sur mon télécopieur: un dire (tardif) de vingt pages.

Aaaaaaarg.

La date de dépôt du rapport était fixé par le magistrat au lendemain mardi. L’avocat indiquait qu’il me fallait tenir compte de son dire à défaut de nullité de mon rapport.

Que faire?

Bien sur, je pouvais expliquer que le dire étant arrivé trop tard, je n’avais pas pu l’intégrer à mon rapport avant de l’imprimer, etc. Mais j’ai le sentiment que ce type d’argument trop terre à terre ne tient guère et donne une piètre image de l’expert (et pourtant!).

J’ai donc couru jusqu’au Palais pour y déposer mon rapport en case.

Au retour, j’ai écris de ma plus belle plume:

« Maître, ayant déposé mon rapport, je ne suis plus en charge de ce dossier. Les dires que vous m’avez adressé ce jour hors délai n’ont donc pas pu être pris en compte. »

Cela a fait tout un patakès.

Mais le magistrat m’a donné raison!