L’erreur et l’expertise judiciaire

La hantise de l’expert judiciaire est de commettre une erreur. Je cite souvent l’histoire du professeur Tardieu qui a probablement fait condamner nombre d’innocents. Et pourtant il ne s’était toujours prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Au delà des ignorances des futures avancées de la science, toujours en mouvement, l’expert judiciaire reste humain et est donc faillible à ce titre. Il peut commettre des erreurs et celles-ci peuvent avoir un impact considérable sur la suite du processus judiciaire.

Je suis tombé par hasard sur cette page de www.kitetoa.com où se trouvent deux rapports d’experts judiciaires qui vont illustrer mon propos.

L’affaire concerne un informaticien poursuivi pour contrefaçon. Le premier expert judiciaire intervenant dans cette affaire est contacté par un magistrat qui lui demande de venir étudier le dossier au palais et de répondre à plusieurs questions. La démarche est particulière puisque le magistrat ne demande pas à l’expert judiciaire de mener des investigations techniques sur les scellés (qui existent pourtant dans cette affaire), mais d’étudier un dossier papier et de donner son avis dessus. L’expert a accepté sa mission, et à mon avis, son erreur réside dans cette acceptation.

Extrait du rapport du 1er expert judiciaire:

Page 3

I) Lecture des éléments du dossier en la présence de Madame le Juge H.

Nous , Monsieur R., avons procédé à la consultation du dossier No du Parquet [42], no d’instruction [101], afin de répondre à la mission confiée.

Ensuite, pour chacune des questions posées, l’expert judiciaire commencera sa réponse par « A la lecture des faits exposés dans les éléments de la procédure nous pouvons répondre… »

Un deuxième expert judiciaire s’est penché, en appel semble-t-il, sur le travail de son confrère. Voici son analyse:

Extraits du rapport du 2e expert judiciaire:

Page 5

Les investigations judiciaires ont été confiées à l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC).



Au cours de ses investigations, l’OCLCTIC a placé sous scellé deux éléments techniques : le scellé numéro « UN » (cote D 74), qui correspond à la copie de l’espace d’hébergement alloué au site internet de « G. », et le scellé numéro « R-UN » (cote D 60), qui correspond au fichier « VGNaked.zip », téléchargé à partir du site internet « www.g…..net ».



Une mission d’expertise technique a été confiée à Monsieur R., dont le rapport précise que la mission a été réalisée sur l’unique fondement de la « lecture des éléments du dossier en la présence de Madame le Juge H. ».



Ce seul et unique fondement des travaux d’expertise est confirmé par la phrase : « A la lecture des faits exposés dans les éléments de la procédure », qui introduit chacun des trois paragraphes de conclusion du rapport de Monsieur R.



Sur ce seul et unique fondement des travaux d’expertise, le rapport de Monsieur R. conclut par l’affirmative sur l’ensemble des faits reprochés à Monsieur G., c’est-à-dire sur la modification et l’adaptation du logiciel ViGuard, sur la mise à disposition, gratuite ou onéreuse, d’un logiciel ViGuard créé à partir des éléments permettant la suppression ou la neutralisation du logiciel ViGuard.

[…]

Page 16

Le scellé numéro « UN », correspondant à la copie de l’espace
d’hébergement alloué au site internet de « G.3, n’a fait l’objet d’aucune
expertise technique.



Il est donc techniquement
impossible de caractériser et de fonder les éléments techniques d’une
infraction à propos de ce scellé.



Le scellé numéro « R-UN », correspondant au fichier « VGNaked.zip », téléchargé à partir du site internet « www.g…..net », n’a fait l’objet d’aucune
expertise technique.



Il est donc techniquement
impossible de caractériser et de fonder les éléments techniques d’une
infraction à propos de ce scellé.

Pages 17-18

[…]

Ces éléments informatiques n’ont pas été analysés par l’expert désigné.

[…]

Cela signifie que les éléments techniques placés sous scellé par l’OCLCTIC, essentiels à la compréhension du dossier et indispensables à la qualification de l’infraction éventuelle, n’ont pas été analysés au cours de l’expertise technique réalisée par Monsieur R.



Cela signifie également que Monsieur R., au mépris des règles expertales fondamentales, a émis ses conclusions sans avoir procédé à aucune analyse des éléments techniques contenus au sein des scellés.



Comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure être en présence « d’un cas avéré de modification et de réassemblage de tout ou partie de logiciel », sans qu’aucune analyse des éléments informatiques que sont le logiciel original et le logiciel modifié ait été réalisé, sans que soient décrits la méthode et les outils du désassemblage et du réassemblage, et sans que soient précisées la nature et l’ampleur des modifications ?



De même, comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure à « la distribution gratuite de logiciels tirés du source du logiciel ViGuard », sans avoir eu accès au code source du logiciel ViGuard, sans avoir analysé la nature et le contenu du ou des fichiers mis en cause, et sans avoir vérifié et analysé les conditions de la mise à disposition du ou des fichiers mis en cause ?



Enfin, comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure que Monsieur G. « diffuse bien tous les éléments, comportements, logiciels, extraits de code et informations permettant la neutralisation du produit ViGuard », sans présenter la liste et le contenu de ces éléments, comportements, logiciels, etc., sans avoir défini, ni comment, ni en quoi, le logiciel ViGuard pouvait être neutralisé par ces éléments, et sans avoir procédé à aucun test protocolaire démontrant que l’ensemble de ces éléments permet effectivement (condition nécessaire et suffisante) de neutraliser le logiciel ViGuard ?



Dans ces conditions, les conclusions du rapport d’expertise de Monsieur R. sont donc d’un point de vue technique totalement infondées et injustifiées, et par voie de conséquence, ne peuvent en aucun cas être retenues pour caractériser ou fonder une infraction.

[…]

La charge est dure et sans appel. Qui a dit que les experts se soutiennent les uns les autres… Remarquez au passage que l’analyse du deuxième expert suit rigoureusement les règles de déontologie des experts judiciaires: « l’expert qui remet une note ou des observations écrites sur les travaux d’un confrère, doit le faire dans une forme courtoise, à l’exclusion de toute critique blessante et inutile. Son avis ne peut comporter que des appréciations techniques et scientifiques« .

Ce que je cherche à mettre en avant est qu’il est toujours possible de corriger l’erreur d’un expert judiciaire, à condition de le faire le plus tôt possible. Si l’expertise judiciaire est contradictoire, faites vous accompagner de votre propre expert (un expert peut mener une expertise privée à vos côtés et s’assurer que son confrère respecte les règles de l’art en matière d’expertise judiciaire). Parlez en avec votre avocat.

Lorsqu’un expert judiciaire adresse son pré-rapport aux parties, celles-ci peuvent émettre des remarques, en général sous forme de questions à l’expert. Ce sont « les dires à expert ». Faites vous aider par un expert qui saura faire préciser un point ou lever un doute. Parlez en avec votre avocat.

Lorsque le rapport est définitif, les choses sont plus compliquées, mais l’affaire n’est pas encore jugée. Il vous est possible de demander un rapport d’expertise privée qui analyse de façon critique le rapport déposé. Parlez en avec votre avocat. Même chose si vous faites appel.

L’erreur est de croire que tout s’arrange tout seul et que les magistrats verront facilement les défauts éventuels d’un rapport d’expertise, surtout sur les points très techniques. L’erreur est de croire que la dépense est inutile, ou que la justice est gratuite. L’erreur est de se laisser faire sans mettre toutes les chances de son côté.

Pour l’expert, l’erreur sera de croire qu’il faut accepter toutes les
missions demandées par le magistrat, sous prétexte que ce dernier est
garant de la procédure.

Pour l’avocat, l’erreur est de penser qu’il pourra seul détecter les failles techniques d’un rapport d’expertise. Il est expert en droit, rarement en technique.

Bien entendu, je prêche pour ma paroisse…

Messages de service

Bienvenu à tous les nouveaux lecteurs, dont la plupart sont propulsés ici par le numéro de MISC de juillet/août 2011. Bonjour également à tous les anciens lecteurs, il n’y a pas de raisons que je ne les salue pas aussi. Merci pour votre fidélité.

Plusieurs personnes utilisent le petit outil de contact chiffré et anonyme que j’ai mis en place en haut à droite de ce blog, ce qui est très bien. Par contre, ceux qui souhaitent ou attendent une réponse lorsqu’ils utilisent ce chiffrage anonyme doivent impérativement inclure dans leur message une adresse email ou un lien vers leur compte privacybox… Sinon, je n’ai aucun moyen de leur répondre, puisque l’anonymat est garanti par cet outil. C’est parfois un peu frustrant de se dire que certains peuvent penser que je ne prends pas le temps de leur répondre: je réponds toujours aux courriers qui me parviennent.

A ce propos, je reçois aussi beaucoup d’emails de personnes qui me font l’honneur de vouloir me choisir comme expert judiciaire à titre privé pour les aider dans leur affaire judiciaire (informatique, j’ai très peu de compétence en bâtiment ou en médecine). Je rappelle ici que je ne souhaite pas utiliser la (relative) notoriété de ce blog pour générer du chiffre d’affaire: je n’accepte donc aucun dossier par ce biais.

De toutes manières, je ne prends que très très rarement des expertises à titre privé (deux fois en 12 ans). Je ne travaille que pour les magistrats ou les OPJ lorsque ceux-ci ont besoin de mes services. C’est un choix personnel.

Inutile donc d’insister, je renvoie systématiquement vers votre avocat qui sera mieux placé que moi pour vous conseiller sur les procédures à suivre. Réservez lui votre temps et votre argent.

On me demande souvent mon avis sur la qualité d’une candidature pour postuler à l’inscription sur les listes d’experts judiciaires. Je suis très flatté, bien que j’ai conscience que c’est surtout le fait de la rareté des blogs d’experts judiciaires informatiques qui amène vers moi. Ma réponse est toujours la même: il n’y a pas de condition sur le nombre d’années d’expérience (je suis très fier d’avoir été accepté à 35 ans), il n’y a pas de profil type, l’activité d’expert judiciaire est une activité annexe (vous devez avoir un job principal et si possible accès à des moyens informatiques importants), je n’embauche pas et enfin je vous recommande la lecture de ce billet et de tous les liens qu’il comporte.

A propos de billets, j’ai une tonne d’histoires dans les tuyaux, mais j’en cherche depuis plusieurs jours une qui ne soit pas aussi sombre que celles que je publie sur ce blog habituellement. Je constate avec effarement que je suis incapable pour l’instant d’écrire quelque chose de joyeux. Cela me mine profondément car cela me renvoie à moi-même une triste réalité: je ne suis pas quelqu’un de rigolo… Du coup, je pense que les prochains billets vont être encore plus déprimant que d’habitude. C’est le rôle de ce blog pour moi. Cher lecteur, passe ton chemin.

Je subis en ce moment une pression professionnelle très forte qui ressemble assez à un burnout. J’ai choisi depuis 4 ans d’assumer, en plus de mon travail habituel, les missions d’une personne qui a quitté (en bons termes!) mon entreprise. Une sorte de « travailler plus pour élargir mon horizon professionnel ». C’est passionnant, j’ai le soutien et la confiance de mon patron, mais c’est épuisant, physiquement et moralement. Je ne suis pas nécessairement à la hauteur de la confiance qui m’a été faite.

Cette période d’hyperactivité professionnelle coïncide avec un arrêt des appels des magistrats ou des OPJ pour me confier des missions d’expertise, et cela depuis environ six mois. Soit c’est une question de budget, soit mes travaux précédents ont été mauvais. Dans les deux cas, c’est un peu démoralisant. Le bon côté de cette situation, c’est que je n’ai plus à faire de recherches d’images et de films pédopornographiques. Soyons positifs et disons que c’est parce que le gouvernement a enfin compris qu’internet n’est pas un repaire/repère de pédonazis (je n’ai pas l’air ce soir, mais j’arrive à faire semblant d’être optimiste).

Enfin, j’arrive à tenir ma décision d’aller chaque jour au travail et d’en revenir à vélo. C’est une satisfaction personnelle, même si je vois un peu moins mes enfants (que j’accompagnais le matin).

Pour la peine, je vous offre une image d’une pub glanée sur internet et qui m’a fait sourire malgré mon moral en berne (image cliquable). Les publicitaires ont parfois de bonnes idées.

Si vous êtes toujours là après ce billet, à bientôt et surveillez vos fils RSS 😉

Le petit monde des experts judiciaires

Je viens de lire ce billet intitulé « Expert judiciaire, vous avez dit “indépendant”? » consacré à une décision de la Cour de cassation confirmant la non réinscription d’un médecin sur la liste des experts judiciaires en raison d’un nombre trop élevé d’expertises privées.

Un passage du billet m’a fait tiquer:

« Disons le d’emblée. Le monde des experts est un petit monde lucratif où on se connaît, on se côtoie, et où on sait distinguer les confrères compétents des autres. »

Il se trouve que cette affirmation revient souvent dans les conversations que je peux avoir sur le sujet des expertises judiciaires. Je pense que les gens regardent trop la télévision.

Car la réalité est toute différente, et les lecteurs habitués de ce blog le savent bien. Je ne nie pas qu’il puisse y avoir quelques experts judiciaires aventureux et j’aime citer Madame Marie-Claude MARTIN, vice-présidente du TGI de Paris, qui a publié dans la revue « Experts » (numéro 73 de décembre 2006), un excellent article intitulé « la personnalité de l’expert ». Dans le paragraphe consacré à la désignation de l’expert, elle écrit:

[…] plusieurs comportements sont susceptibles d’être observés:
– « L’expert sans problème »: Je lis la mission, elle rentre parfaitement dans mes attributions, je l’accepte.
– « L’expert aventureux, ou téméraire, ou intéressé »: La mission ne paraît pas relever de ma compétence, mais elle m’intéresse ; je prendrai un sapiteur ultérieurement […]
– « L’expert optimiste qui dit toujours oui »: Je suis surchargé, je prends quand même cette mission, je me ferai aider au besoin par l’équipe qui m’entoure […].
– « L’expert stressé qui ne sait pas dire non »: Je suis surchargé, mais si je dis non, je ne serai plus désigné et je vais rapidement me trouver sans mission.

Comme elle, je ne peux pas affirmer que tous les experts sont parfaits. Mais ils sont nombreux ceux qui font consciencieusement leur travail.

Un expert judiciaire s’enrichit-il en exerçant cette activité? Il va gagner de l’argent, mais sans commune mesure avec l’idée que peut s’en faire le grand public, toujours prompt à classer l’expert dans la catégorie des notables. Je vous rappelle que « expert judiciaire », ce n’est pas une profession (bien que je propose que cela le devienne), et je vous ai déjà présenté comment j’établis ma note de frais et honoraires ou les difficultés que je rencontre dans l’établissement d’un devis.

On ne devient pas riche en choisissant d’exercer l’activité d’expert judiciaire.

Le monde des experts judiciaires est-il un petit monde où tout le monde se connait et se côtoie? Là aussi, je voudrais atténuer le trait. Il y a dans ma cour d’appel, plusieurs experts judiciaire dans ma spécialité, et je n’en connais aucun. J’ai du en croiser un ou deux lors d’une conférence, et s’il est possible que nous ayons échangé des propos, c’était sans savoir que nous étions voisins de travail. Nulle confrérie, ni groupe occulte derrière tout cela. Ou en tout cas, je n’en fais pas partie. Et il n’y a pas de concurrence entre nous. Par ailleurs, j’ai déjà expliqué plusieurs fois sur ce blog que je ne goutais guère les réunions corporatistes, leur préférant des réunions d’échanges techniques et de retours d’expérience.

Quant à l’influence des compagnies d’experts, j’en ai déjà parlé ici.

Reste finalement à parler de l’indépendance de l’expert. Règle I-7 de déontologie de l’expert judiciaire: « L’expert doit conserver une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence, de quelque nature qu’elle soit. »

A cela s’ajoute le serment de l’expert judiciaire: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

Ajoutez y encore la surveillance des avocats lors du déroulement d’une expertise civile ou commerciale, l’obligation de déport lors d’intérêts croisés, et le fait que le magistrat n’est pas tenu de suivre l’avis de l’expert, et vous voyez que tout encourage à l’indépendance.

Tenez, une dernière preuve: alors que de nombreux avocats, poussés par leurs instances dirigeantes, tiennent des blogs avec talents, ainsi que le font plusieurs magistrats, le fait que je tienne ici un blog en tant qu’expert judiciaire, bientôt rejoint par une multitude de blogs d’experts judiciaires, ne prouve-t-il pas notre indépendance?

Les experts en série

Depuis mon billet sur la récupération de fichiers, où je cite plusieurs métiers de spécialistes en criminalité informatique, j’ai reçu plusieurs emails de personnes intéressées par ces professions.

On me demande également mon avis sur la meilleure formation, ou sur le choix à faire entre police ou gendarmerie, etc.

STOP. Je ne connais pas ces métiers, je ne sais pas quelle filière suivre pour y parvenir et je travaille tout aussi bien avec des professionnels de la police nationale ou de la gendarmerie (nationale également, il n’y a pas de gendarmerie municipale).

Et comme tout le monde, je regarde les séries télévisées avec leurs lots de suspense, de situations rocambolesques et d’enquêtes scientifiques. Je comprends donc l’intérêt que l’on peut porter à ces métiers, vus à travers la petite lucarne. Mais comme toujours, la réalité est plus douloureuse, et moins télégénique.

Pour autant, si l’on est en général loin des salles hypertechnologiques de la série « Les Experts », si les algorithmes de décryptage sont un peu plus long que dans la série « NCIS », la réalité du terrain est aujourd’hui loin de l’image encore présente à l’esprit du plus grand nombre (me semble-t-il). La réalité, c’est ce qui fait mal quand on éteint l’ordinateur (John Warsen).

Les policiers et les gendarmes avec lesquels j’ai pu travailler disposent d’ordinateurs et de matériels dernier cri. Pas tous, pas partout, mais beaucoup. Et pour ce que j’en ai vu, ils savent parfaitement s’en servir!

Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, les seuls ordinateurs des brigades de gendarmerie étaient ceux qu’ils avaient bien voulus acheter à titre personnel et qu’ils utilisaient sur leur lieu de travail.

Et les experts dans tout cela?

Le mot « expert » est un mot dont le sens est multiple (dictionnaire Petit Robert 1991): en tant qu’adjectif, il signifie « qui a, par l’expérience, par la pratique, acquis une grande habileté« , et en tant que nom:

1) Personne choisie pour ses connaissances techniques et chargée de faire, en vue de la solution d’un procès, des examens, constatations ou appréciations de fait (droit 1754).

2) Expert-comptable: personne faisant profession d’organiser, vérifier, apprécier ou redresser les comptabilités, en son nom propre et sous sa responsabilité.

3) Personne dont la profession consiste à reconnaître l’authenticité et à apprécier la valeur de certains objets d’art, pièces de collection.

Mon dictionnaire étant ancien, je me suis tourné vers ROME (le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois de l’ANPE) qui me fournit une liste de 28 métiers dont le nom contient le mot « expert »! Dont l’expert(e) informaticien(ne) qui négocie puis prescrit des solutions en matière d’informatique dans les domaines administratif, industriel, scientifique, technique

Rome enfin se découvre à ses regards cruels;

Rome, jadis son temple, et l’effroi des mortels;

Rome, dont le destin dans la paix, dans la guerre,

Est d’être en tous les temps maîtresse de la terre.

Il y a donc profusion d’experts, surtout si vous utilisez le mot comme adjectif:

Technicien expert, il est expert dans cet art, dans cette science, il est expert en la matière…

Des experts en série.

Et parmi eux, il y a les experts judiciaires (il parait que l’on doit dire maintenant « experts de justice », mais j’ai beau regarder mes codes, je ne vois mention de cela nulle part…).

Et si, comme Woody Allen, vous me disiez « J’ai des questions à toutes vos réponses« …

Comme par exemple, qu’est-ce qu’un expert judiciaire? Vous trouverez la réponse par exemple ICI, mais pour répondre simplement, un expert judiciaire est une personne qui prête devant la cour d’appel le serment suivant: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

Et si en plus, à titre personnel, vous avez prêté le serment d’Archimède, vous aurez droit à toute ma considération…

Attention, tous les mots sont importants.

Merci de lire à voix haute.

Les gras sont de moi, vous pouvez parler plus fort.

Serment d’Archimède

Considérant la vie d’Archimède de Syracuse qui illustra dès l’Antiquité le potentiel ambivalent de la technique,

Considérant la responsabilité croissante des ingénieurs et des scientifiques à l’égard des hommes et de la nature,

Considérant l’importance des problèmes éthiques que soulèvent la technique et ses applications,

Aujourd’hui, je prends les engagements suivants et m’efforcerai de tendre vers l’idéal qu’ils représentent :

• Je pratiquerai ma profession pour le bien des personnes, dans le respect des Droits de l’Homme[1] et de l’environnement.

• Je reconnaîtrai, m’étant informé au mieux, la responsabilité de mes actes et ne m’en déchargerai en aucun cas sur autrui.

• Je m’appliquerai à parfaire mes compétences professionnelles.

• Dans le choix et la réalisation de mes projets, je resterai attentif à leur contexte et à leurs conséquences, notamment des points de vue technique, économique, social, écologique… Je porterai une attention particulière aux projets pouvant avoir des fins militaires.

• Je contribuerai, dans la mesure de mes moyens, à promouvoir des rapports équitables entre les hommes et à soutenir le développement des pays économiquement faibles.

• Je transmettrai, avec rigueur et honnêteté, à des interlocuteurs choisis avec discernement, toute information importante, si elle représente un acquis pour la société ou si sa rétention constitue un danger pour autrui. Dans ce dernier cas, je veillerai à ce que l’information débouche sur des dispositions concrètes.

Je ne me laisserai pas dominer par la défense de mes intérêts ou ceux de ma profession.

• Je m’efforcerai, dans la mesure de mes moyens, d’amener mon entreprise à prendre en compte les préoccupations du présent Serment.

• Je pratiquerai ma profession en toute honnêteté intellectuelle, avec conscience et dignité.

Je le promets solennellement, librement et sur mon honneur.

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PS: En relisant le billet, je me rends compte que je suis parti dans tous les sens… Mais c’est mon blog, et je vous dis Merci d’être venu 🙂

To do is to be (Platon)

To be is to do (Marx)

Doo be doo be doo (Frank Sinatra)

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[1] Selon la déclaration universelle de l’ONU (10 décembre 1948)

Ecrire sous pseudonyme

Parmi les questions que l’on me pose régulièrement, celle de l’utilisation d’un pseudonyme pour tenir ce blog.

J’y ai pourtant déjà répondu en détail dans ce billet.

Je voudrais compléter en citant ici un court extrait d’un billet de Maître Eolas:

[…] Mon anonymat est un anonymat de confort. Malgré mes avertissements, je reçois chaque jour une douzaine de mails me demandant des conseils juridiques, dont une bonne moitié sans bonjour ni merci ni au revoir (quand ils ne sont pas écrits en langage SMS). Vous imaginez si mon numéro était accessible dans les pages jaunes ?

Quand un journaliste cherche à me contacter (et ils ont été nombreux dans cette affaire), je leur réponds, et je leur donne mon identité pour qu’ils s’assurent que je suis bien avocat. Mon identité n’est pas un secret honteux, je n’ai pas de cadavre dans le placard, je suis bien ce que je prétends être, un avocat au barreau de Paris, tout aussi anonyme dans ce barreau pléthorique que ses 18.000 confrères.

Et en fait, cette situation me convient très bien. Je suis ravi d’entrer dans les prétoires sans attirer autre chose qu’un coup d’œil morne, d’être écouté et traité comme n’importe lequel de mes confrères, et d’être jugé, si j’ose dire, à la qualité de mon travail sur le dossier et non par le prisme d’une sympathie provoquée par mon blog.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme. […]

Cette formulation est bien meilleur que toutes celles que j’aurais pu trouver et s’applique parfaitement à mon cas, toute proportion gardée (je n’ai pas le talent de Maître Eolas).

Beaucoup de mes confrères experts judiciaires connaissent mon nom, soit parce qu’ils l’ont deviné, soit parce que la politesse a voulu que je leur en fasse part lors de retour d’expériences par emails dans un échange de correspondances privées.

Plusieurs collègues informaticiens connaissent mon identité et s’amusent de la lecture de certains billets.

Quelques uns de mes étudiants connaissent l’existence de ce blog et savent que c’est leur « prof d’info » qui le tient. Qu’ils reçoivent ici toute ma sympathie et persévèrent dans leurs efforts pour devenir ingénieur (et dans le choix de leurs lectures).

La Cour d’Appel dont je dépens connait mon blog et mon nom réel. Je n’ai pas d’élément me laissant croire que ce blog est approuvé ou désapprouvé par les magistrats.

Mon hébergeur connait mon nom, dans le respect des mentions légales.

L’activité d’expert judiciaire n’est pas une profession. Un expert judiciaire doit exercer une « vraie » profession pour rester dans le coup d’un point de vue « compétences ». Le nombre d’expertises réalisées en une année est faible et ne doit pas être considéré comme un revenu financier (c’est mon point de vue). Par conséquent, la recherche de clients n’est pas mon objectif. Ce blog n’est pas une vitrine de mon savoir faire (ou de ma maladresse) ni un moyen de me faire « mousser » auprès de mes confrères (que je salue au passage), des magistrats (que je salue respectueusement au passage) ou des avocats (que je salue très respectueusement au passage).

Ecrire sous pseudonyme est un confort pour moi et je suis ravi de travailler avec les OPJ et les magistrats sans attirer autre chose qu’un intérêt professionnel, d’être écouté et traité comme n’importe lequel de mes confrères, et d’être jugé, si j’ose dire, à la qualité de mon travail sur le dossier et non par le prisme d’une sympathie provoquée par mon blog.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme. Je n’ai pas honte de ce blog et toutes les idées exprimées dans les billets sont pleinement assumées.

C’est ici un blog de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dés l’entrée, que je ne m’y suis proposé nulle fin que domestique et privée: je n’y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire: mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein…

Je reste un nain posté sur les épaules de mes prédécesseurs.

Obligation de réserve

Je ne résiste pas au détournement d’un billet de Philippe Bilger sur son blog « Justice au singulier« . Il faut lire le billet d’origine qui s’applique bien évidemment aux magistrats, et excuser le pillage que j’en ai fait. S’il apprend un jour mon existence, j’espère qu’il me pardonnera. Surtout que lui agit à visage découvert, et moi pas.

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Depuis plusieurs mois, sur un mode qui me critique ou m’approuve, des sollicitations me sont faites pour que je tente de définir ce que représente selon moi l’obligation de réserve de l’expert.

D’abord, je dois admettre qu’entendre parler d’obligation de réserve crée chez moi dans l’instant, une sorte de méfiance instinctive, un refus irraisonné, comme si naturellement, derrière la volonté peut-être légitime de limiter l’expansion intime et intellectuelle de l’expert, se dissimulait le désir de brimer l’imprévisibilité et la liberté possibles de la personne, comme si l’être humain faisait peur et qu’il convenait de s’assurer de lui. Sans doute cela vient-il du fait que je n’ai jamais éprouvé de dilection particulière pour les vertus négatives de l’abstention et de l’effacement, préférant, quoi qu’il en coûte, les qualités positives de l’affirmation. Pour résumer, affronter les risques de l’intelligence me semble plus gratifiant que de bénéficier des faiblesses de la complaisance. Mais, tout de même, puisque l’obligation de réserve existe et qu’elle est si bien admise qu’elle paraît consubstantielle à l’expertise, il n’est pas inutile de voir à quoi elle peut correspondre aujourd’hui.

Sa définition nous interdit tout manquement aux devoirs de notre état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité. C’est à la fois noble et vague, flou et plein d’une rectitude idéale. On ne peut pas soutenir que ces généralités offrent une lumière claire et décisive aux experts qui voudraient lucidement s’aventurer hors du champ de la technique pure. Qui voudraient formuler ce qu’ils pensent de leur pratique, dénoncer les dysfonctionnements de l’institution ou favoriser ses impulsions bienfaisantes, donner leur avis sur les projets ou propositions de lois. Bref, se comporter en citoyens non partisans en demeurant dans le cadre, même élargi, de leur sphère d’activité.
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Jamais je n’aurais su exprimer cela en ces termes. Mais ce texte détourné (où j’ai simplement remplacé le mot « magistrat » par « expert ») rend bien compte de l’état d’esprit du présent blog. Je demande à mes lecteurs de m’excuser de ne pas avoir ce talent d’écriture.

Edit: Je précise aux ronchons de service que Monsieur Bilger m’a gentillement donné l’autorisation d’exploitation de son billet.

Expertises privées

Un expert judiciaire est une personne dont la pertinence de l’avis technique est reconnue. Cet avis peut être recherché par une partie indépendamment de toute action en justice (par exemple). L’expert judiciaire joue alors le rôle de conseil, compétent techniquement et procéduralement.

De fait, les expertises peuvent être classées en deux catégories : les expertises privées ou officieuses, et les expertises judiciaires (pénales et civiles). Les expertises privées se déroulent dans un cadre contractuel où l’avis expertal est requis à titre personnel ou conciliatoire.

André Comte-Sponville, lors du XVIIe congrès national des experts judiciaires à Marseille le 22 octobre 2004, a parfaitement présenté les différences entre les deux catégories:
« La mission-type de l’expert est de dire le vrai, autant qu’on peut le connaître, c’est-à-dire le possiblement vrai et le certainement faux… Il doit être impartial, indépendant et objectif…Le conseil, lui, n’est pas impartial: il a pris parti. Il peut être indépendant intellectuellement, mais surtout il s’engage… au service de la victoire. Le conseil dit l’utile… Expert du juge, expert de l’une des parties, conseil de l’une des parties… rien n’interdit que le même individu (bien sûr dans trois affaires différentes) occupe tantôt l’une, tantôt l’autre de ces trois postures; mais il semble exclu qu’il occupe les trois et même deux des trois, dans la même affaire. »

Ce dernier point est bien entendu confirmé par les règles de déontologie du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (extraits):
I-7) L’expert doit conserver une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence, de quelque nature qu’elle soit. Il doit s’interdire d’accepter toute mission privée de conseil ou d’arbitre, à la demande d’une ou de toutes les parties, qui fasse directement ou indirectement suite à la mission judiciaire qui lui a été confiée.
Lire également le chapitre V entièrement consacré à ce sujet.

Menaces sur ce blog…

Quelques experts judiciaires ont à coeur de faire fermer ce blog!

En résumé, les griefs semblent être de nature déontologique. Je n’en suis pas bien sur car aucune de ces personnes n’a souhaité m’écrire directement (mon adresse email est pourtant bien en évidence à la droite de ce blog), préférant menacer de saisir la commission de déontologie du conseil national des compagnies d’experts de justice.

Pourtant, toutes ces personnes qui profèrent des insultes et des menaces par email savent qu’elles ne sont jamais à l’abri d’un phénomène à la David Hirschmann

Drôle de conception de l’activité d’expert judiciaire.

Drôle de conception de la liberté d’expression.

Avant d’entrer dans une polémique stérile qui mettrait en avant certains archaïsmes de pensée, je tiens à rappeler quelques points.

Ce blog, comme beaucoup de weblogs, sert à narrer quelques anecdotes de ma vie privée, de ma vie professionnelle et de mon activité d’expert judiciaire. Sur ce dernier point, je tiens à préciser que mes billets ont été relus par DEUX avocats parfaitement compétents. Ceux-ci n’ont rien trouvé à redire, ni du point de vue du Droit, ni de celui de la déontologie des experts judiciaires. Ce blog est également lu par plusieurs magistrats qui ne m’ont jamais fait part de leur désaprobation.

Mais ai-je besoin d’un haut patronage pour tenir ce blog?

Ce blog ne donne pas une mauvaise image du monde judiciaire, ni de l’expertise en général. Contrairement à la plupart des films policiers où les experts sont souvent malheureusement caricaturés (Marie Besnard, série « Les Experts »…). Les avis et opinions que je donne n’engagent que moi et en aucun cas ne reflètent l’avis de l’ensemble des experts judiciaires.

Le pseudonyme derrière lequel certains me reprochent de me cacher me permet de raconter des situations imaginaires basées sur mon expérience d’expert judiciaire. Les sociétés citées dans ces deux billets, ICI et LA, sont purement imaginaires, mais sont le fruit de mon expérience passée. Que se passerait-il si j’écrivais cette histoire sous mon vrai nom d’expert judiciaire? Toutes les entreprises auxquelles j’ai eu à faire dans mes dossiers d’expertise pourraient se croire visées ou caricaturées. Le secret professionnel auquel je suis astreint serait mis à mal.

Je vais vous dire ce qu’il se passerait: je serais obligé alors de modifier ce blog pour n’en garder que les anecdotes professionnelles ou privées, beaucoup plus politiquement correctes dans la mesure où elles n’intéressent que mon cercle familial et mes amis. Comme disait Monsieur Desproges: « j’ai un petit talent d’imitateur. Enfin, je n’imite que les gens de ma famille, et quand on ne connaît pas les gens de ma famille, c’est pas tellement drôle. »

Qu’est-ce qui fait que ce blog peut autant gêner quelques personnes?

Franchement, je n’en sais rien. Nous sommes désignés par les magistrats pour les éclairer sur certains aspects techniques de leur dossier. Pour nous désigner, les magistrats peuvent choisir notre nom sur une liste. Il y a une liste par Cour d’Appel et pour avoir l’honneur d’y figurer, il faut déposer un dossier qui sera étudié par la Cour d’Appel. Je décris cette procédure ici dans l’un des billets les plus lus de ce blog.

Il est assez difficile d’être expert judiciaire. Non pas « de le devenir », car nul ne sait vraiment les critères retenus pas la Cour d’Appel lors de son choix, mais d’exercer cette activité. Pourquoi? Parce que, outre la bonne maîtrise de son domaine technique, il faut connaître le Droit (une petite partie au moins), et il faut « une certaine expérience » professionnelle. C’est pourquoi il y a très peu d’experts judiciaires de moins de 40 ans.

C’est un honneur d’être expert judiciaire. Oui, il y a une certaine fierté à ce qu’une assemblée de magistrats considère que vous êtes dignes d’aider la justice. C’est un honneur, mais cela ne fait pas de moi un être d’exception. Je reste un simple citoyen dont le nom apparaît sur une liste. Je n’en tire pas gloire et fortune. Je suis fier d’aider les magistrats à mieux appréhender les aspects techniques de leurs dossiers. J’essaye de faire des rapports clairs, bien segmentés, sans les noyer sous une tonne de « technique-pour-montrer-comme-c’est-bien-difficile ».

Que se passerait-il si la commission de déontologie du conseil national des experts de justice est saisie et rend une décision d’un autre âge en demandant la fermeture de ce blog? Rien: le blog resterait ouvert.

Que se passerait-il si on lève mon anonymat? Je retirerais les billets de la catégorie « Anecdotes d’expertise » et continuerais mon blog pour mes amis. Les livres issus de ce blog seraient révisés pour rester fidèle au contenu du blog.

Que se passerait-il si je suis radié de ma compagnie d’experts judiciaires? Rien: je souscrirais une assurance individuelle (beaucoup plus chère) et continuerais à être expert judiciaire. Ma liberté de parole en serait accrue car je ne serais plus alors lié aux règles déontologiques des experts judiciaires (qui ne s’appliquent que lorsque l’on est adhérent à une compagnie).

Que se passerait-il si je suis radié de la liste de ma Cour d’Appel ou n’y suis pas réinscrit à la fin de ma période quinquennale? Rien: j’arrêterais mes activités d’expert judiciaire et ne pourrais plus aider les magistrats dans leur dossier, car telle serait leur décision. Je ne me ridiculiserais pas comme certains experts avec un recours. Le blog s’intitulerait « blog d’un informaticien ancien expert judiciaire ». J’ai tellement de projets pour lesquels le temps me manque. Ecrire un livre sur le monde de l’expertise judiciaire par exemple.

Pour finir, je voudrais rassurer mes fidèles lecteurs: aucune menace ne m’a été adressée directement pour l’instant. Il ne s’agit que de bruits de couloirs. En attendant, ce blog restera fidèle à lui même: liberté de parole et de ton, et fidélité à ses trente six commandements.

Asinus asinorum in sæcula sæculorum

L’âne des ânes dans les siècles des siècles

PS: le proverbe final ne s’adresse qu’à moi. Qu’aucun n’en prenne ombrage.

Remise en état

J’avais fini mon rapport d’expertise et, pour une fois, je souhaitais le déposer en main propre. J’ai donc pris rendez-vous avec le juge d’instruction pour lui remettre mon travail et apporter des précisions sur l’affaire concernée.

Quand je suis arrivé, j’ai trouvé sa porte close et la greffière m’a informé qu’une urgence avait décalé à l’improviste notre rendez-vous d’une heure.

Une heure à tuer dans un tribunal: je me promène dans les couloirs à la recherche d’une salle d’audience pour me glisser dans le public. Chic, comme à la télé!

Par une porte entrouverte, gardée par un policier, j’aperçois une certaine animation: des avocats, des magistrats et du public… Je me glisse au fond de la salle et écarquille les yeux tout en ouvrant bien grandes les oreilles.

Tant d’avocats et tant de monde dans la salle, quelle affaire pouvait donc bien se jouer ici dont je n’avais pas entendu parler, enfermé que j’étais dans mon bureau pendant mon expertise? L’affaire ELF? L’affaire des frégates de Taïwan?

Non, une simple « mise en état ».

Si j’ai bien compris le concept, il s’agit pour les magistrats de faire convoquer à la même heure toutes les parties de toutes les affaires du jour et de voir si les affaires sont « en état » d’être traîtées correctement le jour même. Le magistrat présent s’informe par exemple de la régularité de la procédure suivie dans chaque dossier, il règle les incidents liés à l’échange des conclusions et à la communication des pièces, etc. Accessoirement, il règle aussi l’ordre de passage des affaires. Priorité semble-t-il à l’avocat dont l’inscription au Barreau est la plus ancienne, mais aussi aux avocats venant de loin, ou aux affaires complexes nécessitant la présence de nombreuses personnes… Autant dire que si votre affaire est simple, que votre avocat est inscrit depuis peu au barreau local, ainsi que l’avocat de votre adversaire, vous n’êtes pas sorti du Palais…

Si je parle de cela aujourd’hui, c’est qu’il me reste de ce souvenir un sentiment de malaise: j’étais assis dans un public essentiellement constitué des personnes concernées par les affaires du jour. Ces personnes avaient la mine sombre et visiblement rêvaient d’être ailleurs.

En face de nous, un joyeux ballet se déroulait sous nos yeux: les avocats se tutoyaient tous, des plaisanteries fusaient entre eux, avec le magistrat et le greffe. Bref, nous assistions à une réunion de travail « entre collègues » plutôt rigolote.

Sauf que je sentais que les personnes présentes n’étaient pas du tout d’accord. Leur affaire représentait à leur yeux un éléments très important de leur vie. Leur temps est précieux (ils ont pris un jour de congé au travail),leurs attentes immenses, leurs angoisses extrêmes. Comment mon avocat peut-il plaisanter avec l’avocat de mon adversaire qui m’a tant fait souffrir? Pourquoi ce climat de plaisanterie dans ce lieu? Autant d’interrogations que je lisais sur les visages.

Maintenant je sais que deux amis avocats peuvent plaider l’un contre l’autre en défendant au mieux les intérêts de leurs clients respectifs. Leurs intelligences s’affrontent à travers le développement de leurs arguments, leur persuasion. Ils n’en restent pas moins amis « en dehors du travail ».

Mais sur leur lieu de travail, sachant que leurs clients les imaginent sur un ring, eux qui sont sur le grill, ils n’auraient pas du faire preuve de cette familiarité.

D’où le malaise autour de moi.

J’ai retenu la leçon. Lorsque je connais bien un avocat apparaissant dans un dossier, lors de la réunion avec les parties je fais comme si je ne l’avais jamais vu, et ne lui réserve aucun traitement de faveur. Et je ne mange pas avec les avocats des parties. Et si je connais bien l’une des parties (le monde est petit), comme cliente ou fournisseur, je refuse le dossier.

Et je ne rigole pas souvent en fait.

Un expert judiciaire peut-il tenir un blog?

La question m’a été plusieurs fois posée depuis l’ouverture de ce blog, par des experts m’écrivant directement à mon adresse zythom chez gmail.com (sans passer par des commentaires), aussi vais-je tenter d’y répondre dans ce billet.

L’humour peut-il être utilisé en la matière?

Le sujet est grave et les enjeux sont importants lors d’un procès. Mais ne dit-on pas que l’on peut rire de tout? Monsieur Desproges précisait même: « On peut rire de tout, oui, mais pas avec n’importe qui ». Si quelqu’un n’aime pas le ton de ce blog, ni la manière dont je traite des sujets parfois graves, qu’il cesse de venir alimenter mes statistiques de consultation.

La liberté d’expression est-elle compatible avec la confidentialité des dossiers d’expertise?

Alors là, clairement: non. Toutes les anecdotes citées sur ce blog sont « atemporelles », « universelles » et vous ne verrez jamais aucun nom cité ni aucune ressemblance avec des affaires existantes ou ayant existées. Les personnages et les situations étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite.

Puis-je dénigrer des experts sur ce blog?

D’abord, pourquoi le ferais-je? Et puis, j’ai déjà expliqué dans ce billet que la politesse élémentaire est de respecter un certain nombre de règles qui forment ce que l’on appelle une déontologie. Ces règles ne s’imposent pas à moi légalement, mais forment un ensemble qui relève du bon sens. Elles sont accessibles sur le site du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice. Je citerai ici:

II – 14) – L’expert observe une attitude déférente envers les magistrats et courtoise à l’égard des auxiliaires de justice.

Dois-je pour autant faire preuve de corporatisme?

Alors là aussi clairement, non. Un expert judiciaire n’est pas obligatoirement inscrit à une compagnie d’expert. Il peut exercer son sacerdoce seul. Pour ma part, je ne suis membre que d’une seule compagnie et encore, pour bénéficier de l’assurance responsabilité… De plus:

II – 15) – [L’Expert] conserve toujours son entière indépendance et donne son opinion en toute conscience, sans se préoccuper des appréciations qui pourraient s’en suivre.

Cette règle s’applique au rapport que rédige l’expert pour le magistrat. Je la fais mienne pour ce blog.

Ce blog représente-t-il tous les experts judiciaires?

Non. Mais comme il y a peu de blogs d’experts judiciaires, certains pensent que ce blog fait du tord à « l’activité ». Qu’ils reçoivent mes plus sincères excuses. Je remarque néanmoins pour ma défense que j’ai été l’un des seuls experts à défendre sur internet un confrère qui s’est rendu malencontreusement célèbre par une phrase maladroite sortie de son contexte. Pour plus d’informations, lire ce billet. Bon, je n’ai pas beaucoup mouillé ma chemise, mais je ne suis pas son avocat ni président de compagnie.

Ce blog donne-t-il une mauvaise image des experts judiciaires?

Là, je ne sais pas. J’avoue que je ne me suis pas souvent posé la question. Est-ce que dire que l’on ne peut pas tout savoir sur tout implique nécessairement être incompétent?

Ce blog devait-il faire l’objet d’un livre?

J’ai expliqué ici la raison principale qui m’a animé sur ce projet. Est-ce ma faute si le livre s’est vendu en 10005 exemplaires? Vous pouvez d’ailleurs passer commande ICI… Et bientôt, la suite!

Un expert peut-il être excentrique?

Non. D’ailleurs on lui demande de remplir sa mission avec le plus grand sérieux. Mais dès son rapport déposé, il cesse d’être expert! Par ailleurs, je dois avouer que je mets trois glaçons dans mon café le matin et qu’il m’est arrivé d’aller à mon travail en chaussons. C’est fou non?

Ai-je le droit de profiter de l’audience de ce blog pour obtenir des expertises?

I – 13) – L’expert s’interdit toute publicité en relation avec sa qualité d’expert judiciaire. Il peut porter sur son papier à lettre et ses cartes de visite la mention de son inscription sur une liste […] S’il appartient à une Compagnie membre de la Fédération, il peut le mentionner.

Je n’ai pas de cartes de visites (ni à mon nom, ni à celui de Zythom), mais j’ai effectivement un papier à entête sur lequel j’indique mon activité d’expert judiciaire, et que j’utilise pour celle-ci. Je refuse toutes les affaires qui me sont adressées par le biais de ce blog. Lire ce billet pour le vérifier.

Oui, un expert judiciaire peut tenir un blog, dès lors qu’il respecte la loi.