10 ans

Et bien voilà, cela fait dix ans que ce blog est ouvert.

Il y a dix ans, mes trois enfants avaient 4 ans, 8 ans et 12 ans, chacun muni de leur ordinateur, et l’aînée me demandait si elle pouvait ouvrir un blog… J’en avais entendu parler, je suivais déjà quelques blogs qui m’intéressaient, alors j’ai dis oui (avec des conditions). Puis, j’ai ouvert ce blog.

Il me fallait un pseudo, alors j’ai pris le dernier mot de mon dictionnaire papier de l’époque, et je me suis trompé dans sa transcription. J’ai écrit « Zythom » au lieu de « Zythum« . Je n’ai jamais corrigé (je me suis rendu compte de l’erreur plusieurs années après !) et ce pseudonyme est resté.

J’avais une vision très « chercheur » de l’univers d’internet que j’ai connu pendant mes années de thèse à Paris à la fin des années 1980. C’était un gigantesque lieu de partage de fichiers, d’idées, de programmes, de codes, d’articles scientifiques, de jeux, de discussions… entre chercheurs. Mais j’étais plutôt content de l’arrivée des entreprises privées dans MON réseau réservé à la recherche, entreprises dont le but était de proposer à tout le monde un accès à ce réseau numérique mondial. Vous connaissez la suite et le résultat magnifique qu’est internet. Parmi toutes les révolutions qui ont été permises par internet, j’ai finalement accroché à celle des sites consacrés aux carnets personnels, que l’on a appelé des weblogs, puis par aphérèse, des blogs.

Fainéant par nature, j’ai cherché une plate-forme proposant un système clef en main, gratuit et si possible stable dans le temps. J’ai choisi Blogger et je n’ai pour l’instant jamais regretté ce choix.

Enthousiasmé par le concept, j’ai publié à un rythme d’environ 10 à 20 billets par mois la première année, pour progressivement diminuer au fil des années à 4 ou 5 billets par mois. Je supprime régulièrement des billets devenus inutiles mais le volume global continue de monter inexorablement et atteint aujourd’hui environ 900 billets.

Vous le savez, je publie sur ce blog plusieurs types de billets :

– des retours d’expériences sur ma modeste participation au monde particulier des experts judiciaires. Ces billets sont regroupés dans la catégorie « Expert » qui regroupe des remarques, des anecdotes (romancées), des partages ou des états d’âme que j’éprouve au fil du temps ;

– des histoires personnelles, parce que j’aime beaucoup parler de moi (et que mes proches saturent un peu, d’où mon refuge dans l’écriture…), que je regroupe dans la rubrique « Privée« . Vous êtes un peu mes thérapeutes 😉

– des partages d’expériences issues de mon travail de responsable informatique et technique dans une grande école d’ingénieurs (rubrique « Professionnel« ) ;

– et enfin des retours (discrets) sur mon activité de conseiller municipal (rubrique « Vie publique« ).

Ce blog a eu des impacts très importants sur ma vie. Il m’a permis de réfléchir sur moi-même, sur mes comportements, sur mon mode de pensée. Il m’a forcé à remettre en cause beaucoup de choses. Lire les commentaires, les réactions des lecteurs m’a obligé à me confronter à d’autres visions, d’autres avis, d’autres sensibilités. Les échanges lors des conférences ont aussi été très enrichissants.

Écrire a également été une thérapie pour des moments sombres de ma vie, en particulier lors de certaines expertises judiciaires sordides. Je pense vraiment que cela m’a permis de franchir ces étapes sans dommage. Écrire est également un plaisir, un jeu, et l’exploration d’un nouvel univers.

Tenir un blog, c’est aussi s’exposer publiquement. J’ai payé durement cette exposition plusieurs fois, en particulier lors du procès intenté par un confrère expert judiciaire (lire les billets de l’affaire Zythom) et lors du piratage du blog par un pseudo confrère haineux. Mais en faisant le bilan, j’ai connu beaucoup, beaucoup de bonheur à tenir ce blog. Tout d’abord, cela m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes très bien (connues et inconnues), même si ma vie sociale est un peu particulière. Tous ces échanges m’ont fait grandir, sur un grand nombre de sujets, comme par exemple sur le sexisme.

10 années ont passé, une bonne tranche de vie.

Mes enfants ont maintenant 14, 18 et 22 ans.

Et moi 53 ans. Seule mon épouse a toujours 20 ans.

Parfois je me demande s’il n’est pas temps d’arrêter et de partir sur la pointe des pieds. Ai-je encore quelque chose à dire ? Mais je reçois encore des emails d’encouragements, ou des emails d’enseignants qui m’indiquent utiliser certains billets pour les faire lire à leurs élèves (« Manon 13 ans » a semble-t-il un certain succès). Cela me fait plaisir et je me sens un peu utile.

Alors je maintiens ouvert mon petit bout d’internet, je continue à partager ce que je fais, et à donner mon avis sans me préoccuper des rageux.

Merci pour tous les petits mots d’encouragement que vous avez pu m’adresser tout au long de ces années.

A bientôt.

Les jeux olympiques d’été

J’ai toujours aimé les jeux olympiques d’été. Enfant, j’essayais de ne rater aucune compétition, enfin, aucune des compétitions retransmises à la télévision. J’ai admiré de nombreux athlètes dans des sports que je ne regardais nulle part ailleurs : haltérophilie, gymnastique, concours de saut d’obstacle, etc. Tous les sports me fascinaient et j’aimais beaucoup « l’esprit olympique », l’idée que je me faisais de la célèbre phrase de Pierre de Coubertin « l’important dans la vie n’est pas le triomphe mais le combat ; l’essentiel n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu« .

Je me souviens bien sûr de certains grands champions et grandes championnes, en particulier Nadia Comaneci aux jeux de Montreal de 1976, Jappeloup et Pierre Durand aux jeux de Séoul en 1988, et bien d’autres qui m’ont fait rêver. Mais je me souviens surtout de certaines images d’athlètes qui sont allés au bout d’eux-mêmes.

Je me souviens surtout de deux athlètes qui m’ont fait pleurer d’émotion. La première est une marathonienne qui est arrivée 20mn après la médaille d’or. Son courage et la force de sa volonté ont fait chavirer l’ensemble des spectateurs du stade. Elle s’appelle Gabriela Andersen-Schiess et participait à la première édition du marathon féminin, lors des jeux olympiques de Los Angeles en 1984. A l’époque, les marathoniens qui entraient dans le stade devaient faire un tour complet de piste pour finir la distance. Elle était tellement fatiguée qu’il lui a fallu 5mn et 44s pour faire le tour du stade sous les acclamations et encouragements du public. Des médecins la suivaient pas à pas et ne sont pas intervenus avant la ligne d’arrivée car ils avaient remarqué qu’elle transpirait encore, et donc que sa vie n’était pas en danger.

Voici la fin de son tour de piste en vidéo (à chaque fois, j’en ai les larmes aux yeux) :

Le deuxième athlète qui m’a marqué est originaire de Guinée équatoriale. Il a représenté son pays lors des jeux olympiques d’été de Sydney de 2000, lors de la compétition de natation en 100m nage libre. Il s’agit d’Eric Moussambani. Il avait obtenu son billet pour les jeux grâce à une dérogation pour les pays en voie de développement. Huit mois auparavant, il ne savait pas nager… Il n’avait jamais encore nagé 100m d’affilé et n’avait jamais vu de piscine de 50m, son entraînement ayant eu lieu dans une piscine d’hôtel de 20m. Son maillot et ses lunettes lui seront prêtés une heure avant l’épreuve par deux athlètes compatissants (source Wikipédia).

Sa course, magnifique de courage et d’honneur, a de plus la particularité d’avoir été effectuée seule dans la piscine olympique, les deux adversaires de sa série ayant été éliminés par un faux départ.

Voici sa course (merci de couper le son, les commentateurs français de l’époque ayant fait honte à leur profession) :

Le public dans les gradins n’a pas cessé d’encourager ce nageur inexpérimenté au style peu académique. Au terme de sa course, il est sorti sous des tonnerres d’applaudissements. « Les premiers 50m n’ont pas été très difficiles, mais pendant les 50 derniers j’étais vraiment inquiet et je pensais que je n’allais pas finir la course » avait-il alors expliqué à la presse. « Quelque chose est arrivé. Je pense que c’était le public qui m’encourageait. J’étais vraiment fier. Cela restera un moment inoubliable et j’ai vraiment apprécié les applaudissements du public. J’avais l’impression d’avoir remporté la médaille d’or » (source gentside.com).

Alors, faîtes comme moi : coupez le son des commentateurs, oubliez les bilans de médailles franchouillardes, et admirez les performances des athlètes pour ce qu’elles sont : un dépassement de soi.

La vie sociale du n3rd

Source image salemoment.tumblr.com

Emporté par ma passion pour mon travail et pour ma famille, j’ai progressivement, et sans m’en rendre compte, coupé les ponts avec la société « normale ». Plus exactement, je ne tisse pas beaucoup de liens avec les personnes que je rencontre dans la vie de tous les jours : je ne participe pas à la fête des voisins, je ne sors pas le soir avec des collègues, je ne pousse pas très loin les relations qui se créent dans mes activités diverses : aviron, conseil municipal, etc.

J’aime passer mon temps libre dans mon bureau, à tester des logiciels, à monter et démonter des ordinateurs, à configurer des systèmes d’exploitation. J’aime aussi beaucoup lire de la science-fiction, surfer sur internet en rebondissant de sites en sites au gré de mes envies. J’aime apprendre, la physique me fait rêver, en particulier l’espace et ses mystères.

Difficile dans ces conditions de trouver quelqu’un avec qui partager.

Sans être misanthrope, je suis plutôt un handicapé social : je deviens un ours taiseux lorsque je suis dans un groupe d’humains, alors que je peux être extrêmement bavard si je rencontre une personne « réceptive » à mes passions…  Lorsque j’ai découvert la série Dexter, j’étais fasciné par la psychopathie du personnage principal, au point de vérifier (sur internet) que je n’en avais pas les symptômes précurseurs…

J’ai plutôt l’impression d’avoir régressé au stade pré-adolescent… Je n’ai pas/plus les codes qui me permettent de communiquer avec les autres dans la société.

Premier exemple : les vêtements.

Depuis ma tendre enfance, je cherche une tenue passe-partout pour ne pas me faire remarquer. J’ai la hantise d’être ridicule. Jeune, j’étais très intéressé par la science ET par les filles, MAIS pas par les vêtements. J’ai découvert très récemment que les chemises à manches courtes (les chemisettes) faisaient l’objet d’une fatwa, alors que je pensais bêtement qu’il s’agissait de chemises d’été. Je suis capable de mettre des chaussettes dans des chaussures bateaux, uniquement parce que cela me fait moins mal aux pieds… J’ai du mal à assortir les couleurs convenablement, j’achète les jeans par trois pour minimiser la corvée d’essayage dans les magasins…

Bref, j’ai résolu le problème en adoptant quelques tenues « types » discrètes et passe-partout, validées par mon épouse qui a bien du mérite. Un peu comme John Gray dans le film « 9 semaines 1/2 » (et oui, ma femme est aussi belle qu’Elizabeth McGraw !).

Deuxième exemple : les rencontres Twitter.

Pour garder le contact avec les humains, les informaticiens ont développé un outil fantastique qui s’appelle internet. Une interconnexion de réseaux informatiques qui permet de relier entre eux tous les types de terminaux, quelques soient leurs connecteurs et leur système d’exploitation. Et sur ces terminaux s’exécutent des applications (que l’on appelait auparavant des « programmes », et que certains appellent, par glissement sémantique, des « algorithmes »). Parmi les applications qui relient les humains (les réseaux sociaux), celle que j’utilise principalement est Twitter.

A mes débuts sur Twitter, j’ai fait beaucoup d’expériences pour tester l’application, son fonctionnement technique, mais aussi les interactions qu’elle permet, et le monde underground qu’elle génère. J’ai même tout cassé en 2012 en me trompant de compte lors de mon test d’achat de followers (lire ce billet). Aujourd’hui, je me contente de lire les tweets des influenceurs que j’ai sélectionnés, je retweete les tweets qui me semblent intéressants et je tweete (très peu) les liens que je souhaite partager.

Twitter permet de créer des interactions qui n’auraient presqu’aucune chance d’arriver dans la vie réelle. J’ai pu échanger quelques caractères avec des personnes que j’aurais eu beaucoup de mal à approcher IRL. Puis, petit à petit, j’ai rejoint, en observateur, plusieurs communautés de twittos que j’apprécie.

Un jour, l’une de ces communautés a organisé une rencontre IRL : la rentrée Saoulennelle, réservée aux juristes. J’ai réussi à m’y faire accepter et j’ai pu m’y rendre les deux fois où elle a été organisée. Moi qui n’ai pas connu les grandes heures de Paris Carnet… Cela a été pour moi deux occasions de rencontrer en chair et en os des personnes dont j’apprécie sur Twitter la vivacité d’esprit, l’intelligence, la tendresse ou alors la truculence : @MaitreMo (et sa charmante femme), @Maitre_Eolas, @judge_marie (et son charmant mari @maitreTi), @Tinkerbell_ring, @jugedadouche, et plein d’autres.

Mais tant d’esprits brillants, pour mon esprit d’escalier et ma timidité naturelle, c’est assez troublant et gênant. Je ne suis pas un fin bretteur de la langue française, ni un esprit brillant en société sur les sujets d’actualité. Vous ne verrez mon œil s’éclairer que sur des sujets abscons n’intéressant personne ou si peu. Au point que quand une personne s’adresse à moi, je me demande « suis-je un fat, ou serait-il vrai qu’elle a du goût pour moi » ? Si vous ajoutez à cela le fait que j’ai le tutoiement difficile, la casquette facile, un phrasé lent sinon amphigourique, et un grand corps maladroit, vous comprendrez le piteux spectacle que je donne en brillante société.

Finalement

Les années passent et je ne m’en sors pas si mal. Je suis heureux comme ça et je pense donner un peu de bonheur autour de moi. Mes enfants ne me détestent pas trop (même s’ils ont plus de lucidité sur leur père maintenant qu’ils sont grands), mon épouse me supporte et je fais des efforts de sociabilisation.

Peut-être ne suis-je pas un n3rd authentique, mais un « quitenerd », car si j’ai sans doute la nostalgie de ma période « enfant roi », je sais donner du temps aux autres et m’intéresser à eux. Mon métier de directeur informatique et technique en est la meilleure preuve, ainsi que mon activité de conseiller municipal.

J’évacue mon côté n3rd sur ce blog qui me sert de défouloir pour parler des choses qui m’intéressent et pour pouvoir faire mon intéressant, discrètement.

Zythom.qn

Dans la peau d’un nerd

Depuis de nombreuses années, je me considère plus comme un nerd que comme un geek.

Extrait de la page Wikipedia consacrée à la définition de nerd :

Un nerd est, dans le domaine des stéréotypes de la culture populaire, une personne solitaire, passionnée voire obnubilée par des sujets intellectuels abscons, peu attractifs, inapplicables ou fantasmatiques, et liés aux sciences (en général symboliques, comme les mathématiques, la physique ou la logique) et aux techniques – ou autres sujets inconnus aux yeux de tous.

Apparu à la fin des années 1950 aux États-Unis, le terme est devenu plutôt péjoratif, à la différence de geek. En effet, comparé à un geek qui est axé sur des centres d’intérêts liés à l’informatique et aux nouvelles technologies, un nerd est asocial, obsessionnel, et excessivement porté sur les études et l’intellect. Excluant tout sujet plus commun ou partagé par ses pairs académiques, il favorise le développement personnel d’un monde fermé et obscur. On le décrit timide, étrange et repoussant.

Je dois dire que cette définition me correspond plutôt bien.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours été attiré par les sciences en général et par l’informatique en particulier. Je garde un souvenir brûlant d’un exposé en classe de seconde sur un sujet libre et où j’ai présenté avec passion le principe de fonctionnement d’un Tokamak. Non pas que je comprenais grand chose à ce que je présentais, mais que je puisse avoir l’idée de faire cette présentation à ma classe et, en plus trouver cela passionnant, a sidéré mes camarades et ma professeure de physique.

J’adorais lire des articles du magasine « Pour La Science » auquel j’étais abonné et dont j’attendais avec impatience l’arrivée dans la boite aux lettres familiale. J’étais passé maître dans l’art du démontage des appareils électroniques (y compris des postes de radio à tubes, oui, j’ai plus de cinquante ans…). J’aimais beaucoup les énigmes de mathématique et en particulier les paradoxes. Je faisais des expériences de chimie dans ma chambre (et ma moquette s’en est longtemps souvenue, surtout dans ma période « feu de Bengale »…).

Personne ne pouvait rivaliser avec moi dans la création de
programmes de moins de cinquante « pas » capable de tenir dans ma
calculatrice programmable TI-57. C’est ainsi que j’ai découvert la programmation (j’en parle dans ce vieux billet). De nerd, je suis devenu n3rd…

Bien entendu, j’étais obligé d’avoir une double vie : solitaire et secrète chez moi, et sociale à l’école. Car malgré tout, j’étais intégré dans la vie sociale, et j’étais me semble-t-il plutôt populaire. Pourtant, j’avais un réel défaut : j’étais à la recherche de l’Amour et de l’Amitié, façon chevaleresque.

Pour l’Amour, j’ai eu la chance de rencontrer la femme de ma vie, et elle me supporte (dans les deux sens du terme acceptés maintenant) depuis 23 ans.

Pour l’Amitié, je dois avouer que je n’ai jamais rencontré quelqu’un avec qui vivre une relation comme celle qui liait Montaigne et La Boétie.

La Boétie : « L’amitié,
c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne se met jamais qu’entre gens
de bien et ne se prend que par mutuelle estime, elle s’entretient non pas tant
par bienfaits que par bonne vie. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la
connaissance qu’il a de son intégrité : les répondants qu’il en a c’est son bon
naturel, la foi et la constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté,
là où est la déloyauté, là où est l’injustice
« 

Montaigne : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ne
sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité
par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent
[NdZ: Facebook n’existait pas encore!]. En l’amitié de quoi je parle,
elles se mêlent et se confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel
qu’elles s’effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si l’on me
presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en
répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

5Il y a, au-delà de tout mon discours et de ce que je puis dire particulièrement,
je ne sais quelle force inexplicable et fatale médiatrice de cette union. Nous
nous cherchions avant que de nous être vus et par les rapports que nous oyions
l’un de l’autre qui faisaient en notre affection plus d’efforts que ne le porte
la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous
embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en
une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si
obligés entre nous que rien dès lors ne nous fut si proches que l’un à l’autre.
 »

Quand j’ai fait le constat, à table devant mes enfants, que personne ne traverserait la France pour moi en cas de problème grave (ou moi pour lui ou elle), qu’en fait je n’avais pas de véritable ami, ils m’ont répondu en chœur :

« prend un Curli ».

Au moins, ça m’a fait sourire 😉

Dans le prochain billet, je vous parlerai de la vie sociale du n3rd, façon Zythom.

La gratuité des expertises judiciaires – 2e partie

En janvier dernier, j’ai écrit un billet intitulé « la gratuité des expertises judiciaires« , qui m’a valu pas mal de remarques de mes confrères experts judiciaires, positives et négatives.

Je me posais la question de la gratuité du travail de l’expert judiciaire.

J’ai bien réfléchi à mon cas particulier :

– je suis un tout petit expert judiciaire de province ;

– je ne représente personne d’autre que moi ;

– je ne suis adhérent à aucune compagnie d’expert de justice ;

– je suis fier de proposer mes connaissances informatiques aux magistrats qui souhaitent un éclairage dans leur dossier ;

– j’ai deux autres métiers qui me nourrissent correctement (directeur informatique et technique, et consultant informatique) ;

– j’ai toujours la volonté farouche d’aider les enquêteurs dans la recherche de la vérité ;

– j’ai les moyens financiers de payer mes frais fixes annuels sans l’aide de personne (lire le billet intitulé « le prix de la liberté« , ces frais sont constitués essentiellement par 1200 euros d’assurance en responsabilité civile).

J’aime beaucoup la légende du Colibri racontée par Pierre Rabhi :

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous
les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre.
Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec
son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par
cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce
n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »


Et le colibri lui répondit :« Je le sais, mais je fais ma part. »

Je constate un déclin terrible des moyens financiers que les politiques
mettent à la disposition de la justice française, dans l’indifférence
générale. Tout le système judiciaire est atteint. Je suis de moins en moins désigné (peut-être parce que je ne suis pas apprécié, mais aussi peut-être pour faire des économies, je ne peux pas savoir). Les discussions que je peux avoir avec des magistrats, des greffiers, des avocats ou des OPJ me confirment l’état de délabrement de l’institution, sans parler de son épuisement.

J’ai donc pris la décision de réaliser gratuitement toutes les expertises judiciaires pénales qui me seront demandées par les magistrats de mon ressort.

Cela signifie que je vais prendre en charge moi-même le temps passé, mes frais de déplacements, les logiciels achetés, les matériels achetés (disques durs, bloqueurs, connectique diverse) et bien entendu mon assurance en responsabilité civile. Le temps passé avec les magistrats instructeurs ou les OPJ sera pris sur mes congés payés de salarié.

Ce sera ma modeste contribution.

Je me considère déjà largement rétribué par le prestige de l’inscription sur la liste des experts judiciaires et les missions privées que cela m’a apportées.

Et si en plus ça me permet d’éviter d’utiliser Chorus 😉

La petite fille et le réseau Tor

Le gendarme dépose le scellé dans l’entrée. Je lui propose de prendre un rafraîchissement. « Je veux bien un verre de jus d’orange » me dit-il. Nous discutons de la difficulté de son métier, du manque de moyens, surtout en matière numérique.

A un moment, il me dit : « j’ai vu que le scellé que je vous ai amené concernait un dossier pédopornographique ». Je hoche la tête sans laisser apparaître d’émotion particulière. En me saluant sur le pas de ma porte, il ajoute « vous savez, j’ai moi aussi des enfants… »

Je le regarde partir.

Le soir venu, je ferme la porte de mon bureau à clef pour éviter l’intrusion joyeuse de mes enfants (mes écrans sont visibles depuis la porte de mon bureau), et je commence le rituel de l’ouverture d’un scellé : photos, prises de notes, etc. Comme à chaque fois, j’essaye d’ouvrir l’ordinateur sans briser le scellé, petit défi personnel avec l’OPJ qui a réalisé le scellé. Cette fois-ci j’arrive à faire glisser la vieille ficelle sans la casser. Petite victoire inutile.

Comme souvent, l’intérieur de l’ordinateur a sa propre odeur. Un mélange de tabac et de poussières un peu particulier. J’extrais le disque dur, je vérifie qu’il n’y a rien dans le lecteur de DVD, et qu’il n’y a pas de support original de stockage.

Être expert judiciaire en informatique ne fait pas de moi un superman de la technologie. Je suis loin d’avoir les compétences d’un roxor du SSTIC ou d’un agent de l’ANSSI. Mais j’ai un atout sur eux : j’ai le temps. Je place le disque dur du scellé dans mon ordinateur de prise d’image et démarre la copie.

Pendant que la copie s’effectue, je commence la rédaction du rapport, le tri des photos et des notes déjà prises, la mission confiée par le magistrat instructeur. Je dois vérifier la présence d’images ou de films de nature pédopornographique sur le disque dur, et si possible en déterminer la source de téléchargement.

Le week-end suivant, je m’enferme à nouveau dans mon bureau et je commence à analyser les images et les films. Il y a toutes les images miniatures de type thumbnail, très nombreuses et très instructives car rarement effacées. Il y a les fichiers effacés, les fichiers archives, les fichiers chiffrés.

Des images de vie de famille, avec son lot de mariages, de fêtes, de vacances. Des films piratés plus ou moins récents. Puis viennent toutes les images pornographiques, en cache des navigateurs ou bien rangées dans des dossiers aux noms explicites. Et dans toute cette sexualité visuelle, je tombe sur toute la gamme de photos pédopornographiques…

Je regarde, triste et ému aux larmes, les visages de ces enfants maltraités, torturés, qui ont perdu trop tôt leur enfance. Je classe les images et les films par âge apparent supposé. Parfois le nom du fichier m’aide un peu : moins de cinq ans, moins de sept ans, moins de dix ans… Une petite fille revient de temps en temps, avec son sourire forcée et son regard triste. J’en ai déjà parlé sur ce blog : je l’ai appelé Yéléna. Les images sont difficiles à regarder, les films encore plus. Avec le temps, je me suis un peu endurci et mon corps ne réagit plus. La petite fille sourit pendant qu’un homme s’approche d’elle avec un sexe bien trop grand pour elle. Je continue mon classement, seul dans mon bureau. Je regarde passer quelques blagues sur Twitter. Je n’arrive pas à sourire.

Je n’oublie pas la mission qui m’est confiée : trouver les images et films pédopornographiques et essayer de savoir d’où elles viennent.

J’établis la liste de tous les programmes installés ou ayant été installés sur le disque dur de l’ordinateur. Plusieurs attirent mon attention : du VPN, du Tor-browser, du P2P, du FTP et bien entendu tous les navigateurs.

Une fois cette liste établie (à partir de l’explorateur de fichiers, de la liste des fichiers effacés et des ruches de la base de registres), je m’attelle à analyser l’historique disponible pour chaque programme. Les choses sont plutôt intéressantes : le réseau Tor est utilisé après connexion à un VPN (ce qui signifie que même le point d’entrée vers le réseau Tor est masqué). Cependant, étant en possession du disque dur de l’utilisateur, j’ai accès à la majeure partie de l’historique des connexions, et l’utilisateur ne maîtrise pas assez les traces qu’il laisse sur son propre disque pour être complètement furtif. J’ai accès à la trace de différents téléchargements, aux noms des services utilisés et aux mots de passe employés.

Je me doute bien que les serveurs utilisés auront disparu rapidement, et je ne me risque pas à le vérifier. Je n’ai pas envie que mon adresse IP apparaisse dans un serveur NSA au détour d’une DPI quelconque. La France étant particulièrement bien équipée également en la matière, je n’aimerais pas que le gendarme venu me déposer le scellé revienne pour mettre mes propres ordinateurs sous scellés…

Je rédige mon rapport pour être le plus clair possible. Entre deux paragraphes, mon esprit fatigué s’évade et je regrette qu’un outil créé pour lutter contre la censure soit détourné pour un usage de cette nature. En imprimant une sélection des photos gravées sur les DVD que je joins au rapport, je tombe sur Yéléna et son sourire triste. Je me souviens alors que son prénom signifie en russe « éclat du soleil », que Tor est également le dieu du tonnerre dans la civilisation nordique, et par association d’idée me vient l’image d’un de mes films cultes de ma jeunesse : « Métal Hurlant » (voir l’illustration de ce billet, cliquez sur l’image pour l’agrandir). Je me surprends à sourire.

On peut sourire de tout.

L’Avocat face à l’Expert Judiciaire

Lorsque je discute avec des avocats et que je les informe de ma
qualité d’expert judiciaire, j’ai parfois comme réaction une certaine
amertume de la part de mes interlocuteurs. La critique la plus fréquente
est que certains experts sont « nuls »…

Je sais faire la part des choses entre un avocat déçu d’avoir un
mauvais rapport d’expert judiciaire (c’est-à-dire dont les conclusions
sont défavorables aux intérêts de son client), et un avocat persuadé
d’avoir affaire à un mauvais expert. Car il existe, comme dans toute
activité humaine, des mauvais experts judiciaires.

J’ai déjà expliqué ici comment devenir expert judiciaire (voir ce billet).
Je rappelle pour ceux qui n’aiment pas cliquer sur des liens que
l’expert judiciaire est une personne inscrite dans un annuaire
particulier tenu par une Cour d’Appel, on parle de « liste des experts
près la Cour d’Appel ». Cette liste permet aux magistrats qui souhaitent
approfondir un point technique dans un de leurs dossiers, de demander un
avis à une personne qualifiée. Dans mon cas, je suis qualifié
« Industries – Électronique et informatique – Logiciels et matériels », ce
qui me vaut d’être missionné par les magistrats dans des dossiers
traitant d’informatique, par exemple à l’instruction pour des recherches
d’images et de films pédopornographiques, ou en procédure civile pour
des litiges entre clients et prestataires informatiques.

A chaque fois, l’expert judiciaire remet un rapport écrit au
magistrat où il donne son avis « en son honneur et en sa conscience »
(c’est le serment prêté par l’expert judiciaire). Le magistrat n’est pas
tenu de suivre cet avis technique, mais certains magistrats les suivent
systématiquement, ce qui pose problème.

J’aime citer Madame Marie-Claude MARTIN qui, quand elle était
vice-présidente du TGI de Paris, a publié dans la revue « Experts »
(numéro 73 de décembre 2006), un excellent article intitulé « la
personnalité de l’expert ». Dans le paragraphe consacré à la désignation
de l’expert, elle écrit en effet :

[…] plusieurs comportements sont susceptibles d’être observés :

– « L’expert sans problème » : Je lis la mission, elle rentre parfaitement dans mes attributions, je l’accepte.


« L’expert aventureux, ou téméraire, ou intéressé » : La mission ne
paraît pas relever de ma compétence, mais elle m’intéresse ; je prendrai
un sapiteur ultérieurement […]

– « L’expert optimiste qui dit
toujours oui » : Je suis surchargé, je prends quand même cette mission,
je me ferai aider au besoin par l’équipe qui m’entoure […].


« L’expert stressé qui ne sait pas dire non » : Je suis surchargé, mais si
je dis non, je ne serai plus désigné et je vais rapidement me trouver
sans mission.

Cela signifie qu’il y a des experts qui acceptent
des missions pour lesquels ils ne sont pas compétents… Et si le
magistrat suit « aveuglément » l’avis de l’expert qu’il a désigné, nous
avons affaire à une catastrophe judiciaire.

Pour autant, l’avocat n’est pas démuni de moyens.

Lorsque j’ai créé mon cabinet d’expertise informatique,
j’avais pour objectif de mettre mes connaissances techniques au service
des avocats, de la même manière qu’elles sont mises à la disposition
des magistrats du fait de mon inscription sur la liste des experts
judiciaires de ma Cour d’Appel.

J’ai très vite été contacté par des avocats qui souhaitaient que je
les éclaire sur la solidité d’un rapport d’expertise informatique. En
effet, il y a plusieurs axes possibles pour la critique d’un rapport
d’expertise.

Le premier axe, le meilleur sans doute, est de formuler des remarques
lorsque le rapport en est encore au stade de « pré-rapport ». C’est la
phase dite de « rédaction des dires » qui permet justement de poser des
questions pertinentes à l’expert judiciaire AVANT le dépôt de son
rapport final. C’est un art délicat où l’aide d’un expert technique
habitué à cet exercice difficile peut être une aide précieuse. Il
m’arrive même d’assister l’une des parties pendant les réunions
d’expertise afin d’être au plus près de la discussion technique (la
partie juridique étant traitée par l’avocat). Être soit-même expert
judiciaire permet d’avoir le recul nécessaire et le tact obligatoire
pour assister en toute objectivité l’une des parties prenantes au
dossier.

Le deuxième axe, pour lequel je suis malheureusement le plus
sollicité, est l’analyse critique d’un rapport d’expertise judiciaire,
ou exégèse expertale. Un expert judiciaire est une personne
indépendante, qui peut donner son avis technique sur tous les points qui
relèvent de sa compétence, y compris lorsqu’il s’agit de critiquer le
travail d’un autre expert judiciaire. Bien sûr, pour éviter toute
suspicion de conflit d’intérêt, je n’appartiens à aucune compagnie
d’experts de justice (car ce n’est pas obligatoire) afin de conserver
une liberté totale de parole. Cette activité d’analyse critique m’a
malheureusement amené à constater, qu’effectivement, certains experts
inscrits en matière informatique, commettent des erreurs grossières
d’appréciation, donnent des avis péremptoires ou ne respectent pas les
règles de l’art en matière d’analyses inforensiques. Ma note technique
d’analyse critique permet alors à l’avocat de disposer d’éléments
techniques pertinents lui permettant de demander l’annulation du rapport
d’expertise de l’expert défaillant, ou à défaut une contre-expertise,
ou enfin (et c’est difficile) d’éclairer le juge pour qu’il ne suive pas
« aveuglément » l’avis de « son » expert, surtout s’il appartient à la
catégorie « expert aventureux, ou téméraire, ou intéressé ».

Le pouvoir de l’expert judiciaire est très important dans un procès,
il est donc légitime de chercher un contre pouvoir lorsque l’expert est
incompétent. C’est le rôle de l’avocat de creuser toutes les pistes, et
celles que je propose peuvent l’aider dans sa stratégie juridique. Je
crois beaucoup au couple Avocat – Expert technique, et pas
uniquement dans des dossiers « purement » informatiques. Il m’est par
exemple arrivé d’écrire une note technique concernant un problème de
réfrigération dans un container de transport, en mettant en cause le
procédé de suivi des températures, et en particulier la fiabilité de
collecte du fichier des températures en tant que preuve opposable.

Aujourd’hui, l’informatique est partout et se glisse dans tous les domaines du droit, parfois là où on l’attend le moins.

Crise de la cinquantaine

J’ai été très secoué par le billet de Bruno Kérouanton « Crisis management, for midlife adults » (que j’ai trouvé très courageux de sa part). Cela m’a ouvert les yeux sur quelque chose que je n’arrivais pas à cerner chez moi depuis quelques temps : un mal-être anormal et indécent.

J’ai une femme merveilleuse que j’aime, des enfants intelligents que j’aime, un métier passionnant que j’aime, des activités d’expertises privées en forte hausse, une vie de conseiller municipal toujours aussi intéressante, un confort de vie appréciable…

Et pourtant, il y a ce quelque chose au fond de moi qui me déprime et me rend triste. Je regarde dans le miroir et je me surprends à chercher le petit Zythom près à affronter l’univers que j’étais à trente ans… J’ai envie de changer de travail, alors que j’ai tout pour être heureux : un patron qui me fait confiance, des collègues compétents, des défis différents à relever tous les jours, un cadre de travail idéal, une entreprise dynamique… Je me sens mal alors que j’ai tout pour être heureux…

Je rentre le soir, épuisé, avec l’envie de ne rien faire, là où il y a quelques temps, je bouillonnais d’idées et de projets informatiques.

L’écriture sur ce blog s’en ressent. Je n’ai plus envie, tout ce que j’écris me semble fat.

La maladie de mon père, dont j’ai parlé ici, me mine et me rappelle que le temps passe, et qu’il faut profiter des gens que l’on aime.

Bref, loin de moi l’idée de vous transmettre mon mal-être, ce billet est déjà trop long : je vais me déconnecter un peu du blog, de l’actualité déprimante et de Twitter.

Il faut que je gère moi-même ce problème. 

I’ll be back.

Un papa angoissé

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Vous aimez votre enfant, vous l’élevez dans l’amour de son prochain et du travail bien fait, vous lui inculquez des valeurs importantes telles que « range ta chambre » ou « as-tu fait tes devoirs », vous découvrez les nouveautés musicales, comportementales ou lexicales du moment, vous cherchez avec lui les voies professionnelles d’avenir qui lui permettront son épanouissement personnel tout en prenant en compte les dures réalités de la vie, bienvenue au club des parents d’adolescents…

J’ai une chance formidable, j’ai des enfants extraordinaires. Je les aime éperdument et ils m’aiment quand même un peu, bien que je sois un père exigeant, un peu nerd et certainement un peu beaucoup pénible. Surtout que j’ai un énorme défaut : je suis un angoissé de l’avenir (lire le billet « le film d’horreur permanent« ).

J’ai été élevé par des parents très attentifs au bonheur de leurs enfants et très sensibles à leur réussite scolaire. J’ai reproduit une partie de ces valeurs en étant attaché à l’importance du bien être, associé à la nécessité d’une certaine réussite scolaire, gage d’une certaine maîtrise de son avenir.

Bref, je suis certainement un parent comme les autres : je veux le meilleur pour mes enfants, j’ai conscience qu’il ne faut pas céder à tous leurs caprices, mais j’ai envie de les encourager, mais il faut transmettre l’importance de la valeur travail, mais il faut les écouter, mais j’ai des idées bien arrêtées, mais je suis ouvert à la discussion…

Je suis un papa gâteau qui aime beaucoup les câlins. Les enfants sentent très vite ces choses-là et organisent plus ou moins consciemment une pénurie qui me rend terriblement malheureux à la période de l’adolescence. Pour autant, les voir prendre leur indépendance (politique, matérielle, sociale, philosophique, musicale, informatique…) me remplit de fierté, et c’est les larmes aux yeux que je les vois prendre leur envol dans la vie, avec ses coups durs et ses bonheurs.

Organiser l’indépendance de son enfant commence dès son plus jeune âge : il faut qu’il apprenne à marcher, à être propre, à parler, à se socialiser, etc. Chaque étape est compliquée, et fait l’objet d’une abondante littérature. Là où les choses se compliquent, c’est ce moment où il faut le convaincre de se projeter à plusieurs années dans l’avenir, pour choisir un métier, et donc le chemin d’études qui va avec, le tout à la période compliquée de l’adolescence.

Personnellement, j’ai eu la chance de me découvrir une passion très tôt pour l’électronique et l’informatique balbutiante (lire le billet « lettre à mes 16 ans« ). Je voulais quitter la filière classique dès la seconde pour une formation technique, mes parents m’ont conseillé d’aller jusqu’au bac pour faire des études d’ingénieurs. Je les ai écouté, j’ai repoussé mes envies de « toute suite », j’ai choisi de souffrir en prépa, résisté (un peu) à son formatage mental (lire le billet « la prépa« ), j’ai choisi une école d’ingénieur généraliste, puis j’ai enfin pu me consacrer à ma passion, l’informatique, qui ne m’a pas quitté depuis.

D’où mon désarroi face à un jeune qui répond « je ne sais pas » à ma question « que veux-tu faire plus tard ? ». Après avoir discuté plusieurs fois de ce problème avec mes enfants, il a bien fallu que je me rende compte de mon impuissance : je ne suis pas capable, seul, de les aider à se construire une vision d’avenir. Il a fallu que je me fasse épauler : mon épouse, les amis, la famille, tout le monde est important et les discussions et échanges sur la construction de son propre parcours professionnel s’enrichissent de cette diversité d’opinions et d’expériences.

Il existe également des coachs en orientation qui connaissent toutes les filières, toutes les formations et tous les chemins (avec leurs embûches spécifiques) qui y amènent. L’intérêt du coach est également d’apporter un regard extérieur, indépendant, professionnel et sans affect, qui peut être très structurant pour un adolescent (et ses parents).

Puis vient le temps d’APB.

Tous les parents de terminal tremblent à l’évocation de ces trois lettres.

APB pour Admission Post Bac

LE site gouvernemental d’entrée dans l’enseignement supérieur.

LE site qu’il faut à tout prix apprivoiser.

LE site dont il faut étudier tous les aspects et entrer toutes les dates dans son agenda, dates qu’il faut IMPÉRATIVEMENT respecter à défaut de perdre UNE ANNÉE.

Je dois reconnaître que tous les défauts du site APB sont gommés par le fait même de son existence : quasiment toutes les formations possibles y sont regroupées. Les procédures, parfois complexes, sont présentées. Les dates clefs de (presque) tous les établissements y sont indiquées.

Si vous ne devez retenir qu’une seule chose de ce modeste billet, c’est qu’il faut absolument étudier le site web APB en profondeur, dès la seconde, avec votre enfant. Le plus tôt est le mieux, surtout qu’il est souvent à genoux lors des dates charnières. N’attendez pas le dernier moment (pour s’y inscrire, pour y faire ses choix, ordonner ses vœux, etc.).

Ma fille aînée a choisi de faire médecine, et est en ce moment en 3e année. Sa sœur puînée, actuellement en terminale, s’oriente vers des études de commerce. Le benjamin s’attelle à essayer de recevoir les félicitations pour le 3e trimestre de 4e, malgré son usage immodéré de jeux vidéos. Trois enfants, trois caractères, trois parcours de vie, trois fiertés pour leurs parents.

Trois angoisses pour leur père, de la seconde à la terminale…

Et toujours la même question : est-ce que je fais ce qu’il faut pour qu’ils soient heureux ?

Trop tôt

Je travaille dans une école d’ingénieurs qui propose une formation en cinq ans, avec des étudiants qui ont donc pour la plupart entre 18 et 23 ans. J’ai commencé à enseigner pendant mon doctorat, et si j’ajoute mes propres études, cela fait plus de trente ans que je suis entouré d’étudiants.

La jeunesse croque la vie à pleines dents, et profite de sa formidable énergie. Sur le chemin de l’apprentissage, les jeunes découvrent les succès mais aussi les échecs.Et parfois certains échecs semblent insurmontables.

Stéphane était étudiant avec moi et travaillait avec enthousiasme sur mes problèmes de réseaux de neurones. Nous programmions des heures durant et partions à la chasse aux bugs, entrecoupée de courses poursuites dans les couloirs du labo, à cheval sur nos fauteuils à roulettes et armés de nos vingt ans. J’étais son aîné de quelques années, et je me fichais bien de mon statut de maître de stage.

Quelques mois après la fin de son stage, je recevais une lettre de ses parents qui m’annonçaient son suicide. Stéphane vivait mal une rupture sentimentale qui s’ajoutait à un changement de vie qu’il appréhendait. Derrière lui, il laissait une famille effondrée et une lettre dans laquelle il écrivait que les meilleurs moments de sa courte vie avaient été ceux passés avec moi pendant son stage.

Je n’oublierai jamais le choc de cette disparition, et j’ai une pensée émue pour lui chaque 27 avril.

Stéphane, tu resteras jeune et présent dans mon cœur.