L’expert judiciaire ou le collaborateur biodégradable

Comme indiqué dans ce billet, je souhaite aborder quelques aspects de l’activité d’expert judiciaire qui me semblent discutables, et cela avant d’être aigri par une radiation éventuelle.

La procédure d’inscription sur les listes d’experts judiciaires est longue et répond à un processus obscur. Vous ne savez pas bien qui analyse votre demande, qui juge de vos compétences et finalement vous ne savez même pas pourquoi votre candidature est acceptée ou refusée. A mon avis, beaucoup de personnes qui ont des compétences techniques qui pourraient aider la justice ne se font pas connaitre, et d’autre part, la considération du système envers « ses » experts est bien médiocre en ce qu’elle ne leur assure pas beaucoup de protections.

Il se trouve que je viens de recevoir le numéro 90 de la revue à laquelle tout expert devrait être abonné: « Revue Experts – Revue de l’expertise » et je me régale de l’article rédigé par mon confrère Gérard Rousseau. Je vous en livre ici quelques extraits savoureux.

Titre: l’expert judiciaire ou le collaborateur biodégradable.

[…] L’expert n’appartient à aucun corps judiciaire. Chargé de donner un avis (et seulement un) sur une question technique, il est, parce que sa technique est étrangère au droit, un étranger. Il appartient à une autre race: nous sommes à la limite de l’apartheid. On n’hésitera donc pas à lui retirer ses papiers voire à l’expulser – le radier avec sanctions à l’appui.

[…] L’expert est en première ligne lorsque l’issue du procès est fondée sur des constatations techniques. Certes, il ne donne qu’un avis, que le juge n’est pas tenu de suivre, mais on peut raisonnablement penser que cet avis aura une importance certaine. Il fera donc l’objet de toutes les attentions de la part des conseils. Si ceux-ci perçoivent une orientation dans une direction qui ne leur convient pas, il fera l’objet de menaces plus ou moins larvées, voire de moyens procéduraux: demande de remplacement, de récusation, de soupçons quant à son impartialité.

[…] La liste [des experts] n’est autre qu’un annuaire… Mais cet instrument d’information est un pur produit du « régime de l’absurdie »: tout y est conçu avec grand soin à l’envers de la logique la plus élémentaire, dans l’inscription autant que dans l’appréciation de la compétence. […] La procédure d’inscription sur une liste, « bureaucratique et routinière » (Laurence Dumoulin, sociologue), imaginée par le législateur est imbécile ou diabolique:

– imbécile car la politique d’inscription est telle que le nombre de techniciens inscrits diminue dans des proportions insoupçonnées, ce qui amènera, devant l’évolution de la complexité technique, les juridictions à faire appel à des non inscrits;

– diabolique car ceux qui ont obtenu leur inscription à l’issue d’un parcours du combattant sont enfermés dans une nasse dont ils n’ont pas conscience.

[…] Il faudra comprendre comment les compétences [de l’expert] sont définies et appréciées par des incompétents.

[…]La procédure [d’inscription] instituée, comme toute bonne réforme à la française, n’apporte rien de plus au niveau de la compétence. Qui peut croire que deux ans d’inscription [probatoire] permettront à celui qui postule pour les cinq ans de prouver son expérience dans sa spécialité? Il est parfaitement possible qu’il n’ait pas été désigné comme expert. L’aurait-il été, quand bien même? Pour déposer un rapport le délai de deux ans dans lequel s’inclut le temps de l’appréciation (par qui et qui en rend compte à qui?) est totalement inepte.

Les incompétents notoires pour apprécier la compétence des techniciens se sont maintenus et ont même renforcé leur présence par un rideau de fumée procédurale qui ne fait aucune illusion.

[…] On ne s’étonnera pas que l’expert – donc la qualité de la justice et le respect du justiciable – en soient lourdement affectés. L’expert abusé, comment le justiciable ne le serait-il pas?

Merci M. Rousseau, je n’aurais pas mieux écrit.

Rubrique « Critiques » donc.

66 ans

C’est vrai que c’est difficile. Beaucoup plus difficile que je n’aurais pu l’imaginer. Mais j’ai encore quelques forces, et il faut que je profite des quelques moments de lucidité dont je dispose pour témoigner.

Tout a commencé pour moi quand j’ai été retenu comme finaliste lors des sélections pour l’expédition Mars 2020. La compétition était rude et personne n’aurait misé sur moi à cause de mes 56 ans. Pourtant j’ai été retenu dans le groupe des 10 finalistes de ce grand projet européen.

Lorsque nous avons été réunis pour le choix final, personne ne s’attendait à l’annonce qui allait nous être faite ce jour là: pour rattraper son retard immense sur les américains, et compte tenu de la compétition acharnée entre les deux blocs, l’Europe avait décidé que l’expédition vers Mars serait un vol sans retour pour une seule personne.

200 jours de vol spatial, un « atterrissage » sur Mars et une vie à terminer seul sur place.

Nous étions dix sélectionnés, il ne pouvait y avoir qu’un seul volontaire pour cette émigration… Nous avions un mois pour nous décider et donner notre réponse, mais dans ma tête, c’était déjà oui.

Les médias ont relaté dans les moindres détails tous les aspects de la mission: le vol et mes déboires avec les éruptions solaires imprévues, le choc de la redécouverte de la pesanteur. J’en ai aussi déjà raconté une partie ici même.

Le choix de mon mode de vie avait choqué beaucoup de terriens. Comment peut-on abandonner le ciel bleu de la Terre pour venir s’installer seul sur Mars au fond d’un gouffre de 1000 mètres de profondeur?

Mais surtout, comment expliquer l’abandon de sa famille sur Terre?

Maintenant que dix années ont passée, et que mes forces diminuent ainsi que ma raison, je prends le temps de regarder en arrière et de chercher des réponses.

Ma famille d’abord. Seules les personnes qui aiment vraiment peuvent comprendre que j’aime toujours ma famille et qu’elle m’aime aussi. La distance n’a pas tué notre amour et la séparation des corps n’a pas empêché les liens de perdurer. Point final. C’est déjà assez difficile de se parler devant plusieurs milliards de personnes. Heureusement, nous avons nos réunions hebdomadaires via notre réseau privé personnel.

La mission s’est révélée passionnante. Explorations, consolidations du camp de base, choix du camp de profondeur, aménagements, montage de la station. Tout le monde a pu suivre en direct (ou presque) avec effroi mon auto-opération des dents (j’avais pourtant été opéré de presque tout pour éviter ce genre de situation). Mais j’ai fait bien rire la Terre avec ma phrase lors de la dégustation de mon premier plat issu de mes plantations martiennes « un petit plat pour un homme, un plat de géant pour l’humanité ». Pour quelqu’un qui n’avait pas la main verte, mes travaux nourrissent maintenant un milliard de personnes.

Ce qui est plus difficile à vivre, c’est la maladie. Une détresse psychologique réactionnelle. Après toutes ces années passées sous terre, après tout ce temps à craindre la panne majeure définitive, à boire la glace accumulée en quantité quasi inépuisable au fond de ce gouffre. Mais au moins, cela me changeait des longues nuits à regarder aux tréfonds de l’âme humaine lors de mes expertises judiciaires informatiques, dans une vie antérieure. Pourtant, l’esprit a fini par craquer, et je n’ai maintenant que quelques heures de lucidité par jour avant de sombrer dans une léthargie contemplative. Dix ans, c’est très long.

Il s’en est passé des choses sur la Terre pendant dix ans. Il y en a eu des crises économiques, financières, politiques, écologiques et guerrières. Il a même été question plusieurs fois d’interrompre l’envoi des cargos automatiques qui alimentent en matériaux la station que je prépare pour les suivants.

Je sais depuis quelques jours, comme vous, qu’ils ne viendrons pas avant vingt ans pour des raisons budgétaires et politiques.

Je leur laisserai un petit mot.

Digne et loyal magistrat

Lors d’un repas entre juristes où je tenais le rôle d’accompagnant, la conversation volait d’un sujet brulant à un autre, toujours sur l’actualité juridique, qu’elle soit internationale, nationale, locale ou même personnelle.

Et moi, j’écoutais attentivement ces dames (l’autre homme de la soirée était le maitre de maison et préparait le repas en cuisine). Ces sujets me fascinent toujours et je posais de temps en temps une question de néophyte pour rester dans la conversation qui me passionnait.

Je connaissais de vue toutes les femmes présentes, avocates et collègues de mon épouse, sauf une. Cette dernière était plutôt silencieuse et intervenait avec parcimonie dans la conversation.

Lorsque le thème des rapports avocats-magistrats est (naturellement) abordé, je me rends compte avec stupeur que la jeune femme inconnue de moi est une magistrate. A partir de ce moment là, je n’ai pas pu m’empêcher de la bombarder de questions tant ma curiosité est grande sur le sujet (c’était avant de lire avec assiduité le blog de Maitre Eolas).

A sa grande surprise d’ailleurs, puisqu’elle a reconnu qu’en général, lorsqu’elle annonçait sa profession dans un diner, cela avait plutôt tendance à refroidir les convives et à faire glisser la discussion vers des horizons moins dangereux.

Dangereux de discuter avec un magistrat?

J’ai au contraire gardé de cette conversation le souvenir d’un métier passionnant exercé par des personnes brillantes. Bien sur, j’étais fasciné par le pouvoir de cette personne, mais aussi par son humanité et sa solitude.

J’en profite pour rappeler ici le serment des magistrats: « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».

Alors, en rappelant que c’est l’objectif principal de mon anonymat que de pouvoir le faire sans arrière pensée, je voudrais rendre un hommage simple à toute la profession des magistrats.

Pour tout le travail effectué sans compter les heures.

Pour la complexité des lois créées par les gouvernements et députés successifs. Pour leurs fréquentes modifications aussi (quand je pense que je me plains parfois de la rapidité d’évolution de l’informatique).

Pour la difficulté croissante de l’exercice de leur profession.

Parce qu’il est très difficile d’exercer un métier qu’il est de bon ton aujourd’hui de critiquer vertement.

Alors que notre démocratie a besoin de ces magistrats.

RPVA

J’ai longuement hésité avant de me risquer sur le sujet brulant du Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA), surtout sous la forme d’un billet de blog, là où il faudrait sans aucun doute une étude beaucoup plus poussée. D’ailleurs, j’attends avec impatience la publication sur le sujet du rapport de mon confrère Nathan Hattab, expert près la Cour d’appel de Paris et près les Cours Administratives d’Appel de Paris et de Versailles. Si par malheur j’avais raté sa publication, qu’un internaute bienveillant m’adresse le bon lien. [EDIT du 17/06/2010 Comme indiqué en commentaire, le rapport est disponible ici]

Que les avocats dont les nerfs sont à vifs sur le sujet me pardonnent par avance.

Qu’est-ce que le Réseau Privé Virtuel des Avocats?

Pour ce que j’en sais, l’histoire démarre en 2005 avec la signature d’une convention entre le ministère de la Justice et le Conseil National des Barreaux. Cette convention « fixe les modalités et les conditions de consultation et d’échanges électroniques de documents et données relatifs aux affaires civiles et pénales traitées par les juridictions, entre les tribunaux de grande instance et les avocats. »

Sans vouloir résumer le document, l’idée est de faciliter le suivi des affaires et l’échanges d’informations entre les magistrats, les personnels des greffes et les avocats. Entendre par faciliter: réduction des délais de traitement, allégement des temps de saisie, circulation en temps réel de l’information, gains de temps dans la transmission des dossiers et diminution des déplacements.

Avec comme arrière pensée évidente, une baisse des coûts.

Tiens, c’est drôle, j’ai l’impression d’avoir déjà entendu cela. Comment dit-on déjà en informatique? Ah oui, dématérialisation de l’information. LE zéro papier quoi. Bon, c’est vrai que le concept a déjà fait couler beaucoup d’encre (je n’ai pas pu m’empêcher…). La carte Vitale, la carte bancaire ou l’achat en ligne sont des exemples de dématérialisations.

Une solution technique est mise au point pour permettre de sécuriser les échanges dans les règles de l’art de la cryptographie (confidentialité, authenticité et intégrité). RPVA est né. Cette offre s’appuie sur une solution physique sous la forme d’un boitier de la société NAVISTA à raccorder directement sur le routeur ADSL du cabinet de l’avocat. L’avocat s’authentifie ensuite avec sa clef USB cryptographique personnelle sur le site web e-barreau.fr qui n’est accessible que par ce VPN.

Problèmes: Sans compter les frais d’installation et de mise en service, le coût d’abonnement était de 55 euros HT par mois en plus de l’abonnement ADSL. Il a été réduit aujourd’hui à 32 euros HT par mois. Je trouve que c’est un peu cher pour un service de sécurisation de ses échanges électroniques. De plus, le système ne semble pas faciliter la mobilité. Enfin, je n’ai pas connaissance d’un système de mise à jour distant des firmwares des boitiers (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas).

Une autre solution?

Sans vouloir jouer les donneurs de leçons, surtout quand on n’a pas tous les éléments du cahier des charges, il est néanmoins rassurant de constater que bon nombre d’avocats se sont interrogés sur l’intérêt d’un tel système, surtout que parmi eux nombreux sont ceux qui connaissent déjà des systèmes de communication avec chiffrage efficaces, performants et peu couteux.

A mon avis, ce sont les postulats initiaux de cette histoire qu’il faut repenser, avec (comme souvent) une solution en tête: faut-il nécessairement un réseau privé virtuel pour relier l’ensemble des cabinets d’avocat aux tribunaux? L’utilisation des outils de messagerie actuel ne pouvait-elle pas suffire dès lors qu’il existe des systèmes cryptographiques très efficaces assurant confidentialité, authenticité et intégrité?

Par exemple, GPG avec ses clefs publiques/privées et des serveurs de clefs existent depuis de nombreuses années.

L’Etat et le Conseil National des Barreaux ne pouvaient-ils pas s’appuyer sur des systèmes open sources éprouvés? Est-il si difficile d’imaginer en France plusieurs serveurs de clefs publiques permettant à tous les citoyens (et donc les avocats, les greffiers, les magistrats, mais aussi les huissiers, les notaires, les experts judiciaires et tous les intervenants occasionnels de la Justice) d’accéder à un système de communication sécurisé déjà existant et gratuit?

La raison souvent invoquée semble être la difficulté technique rendant ce genre de solution impraticable. N’est-ce pas prendre les gens pour des imbéciles? Je croise régulièrement des avocats parfaitement à l’aise avec les concepts techniques, et en particulier ceux de l’informatique. Ne pensez-vous pas qu’ils seront prêts à apprendre à manipuler ceux de clefs publiques/privées?

Le coût? Ne pensez-vous pas que tout l’argent investi dans le développement d’un boitier propriétaire qui deviendra rapidement obsolète n’aurait pas été plus utile dans, par exemple, l’amélioration des plugins GPG opensource pour Outlook, Thunderbird, GMail etc? En s’appuyant, par exemple, sur une SSII spécialisée justement dans les solutions open source. Ne pensez-vous pas qu’au lieu de payer 32 euros HT pendant x années, un cabinet d’avocat n’aurait pas eu intérêt à faire travailler une fois un informaticien pour la configuration de son système d’information (et en plus, beaucoup de gros cabinets confient déjà la gestion de leur parc à une SSII).

Et effectivement cela aurait profité à tout le monde.

On aurait pu sécuriser tous nos échanges.

Ceux des avocats, des magistrats, des experts, mais aussi de tous les citoyens qui le souhaitent.

Les allemands l’ont bien compris, eux qui proposent déjà des outils permettant de communiquer en toute sécurité.

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Sources:

heftmanavocat.com

precisement.org (1) et precisement.org (2)

e-barreau.fr

afai.asso.fr

cnb.avocat.fr