Tome 2

Tenir un blog, pour beaucoup, c’est prendre plaisir à raconter une histoire, une anecdote ou partager un retour d’expérience. C’est utiliser un peu de la liberté d’expression dont nous disposons pour s’exprimer.

Mais c’est aussi s’exposer à la critique, à la haine et au mépris. Je reçois quelques courriers de cet ordre, qui rejoignent vite le trou noir de ma poubelle numérique. Les problèmes que j’ai rencontrés à cause de la tenue de mon blog sont venus d’ailleurs.

Je suis toujours surpris de constater que le fait qu’internet offre à tous les citoyens la possibilité de s’exprimer directement, sans les filtres habituels, dérange et contrarie un certain nombre de personnes. Dans mon cas, des personnes ont été choquées par le fait que je tienne sous pseudonyme un blog sur lequel je présente mon activité d’expert judiciaire, sans passer par les revues (et comités de lecture) ad hoc, ni par le cercle fermé et discret des réunions ou colloques organisés par les compagnies d’experts judiciaires. Le fait de donner sans filtre, directement auprès du public, une opinion, une vision, une mémoire…

Tenir un blog, confortablement installé dans le fauteuil de mon bureau, peut amener la tempête et l’opprobre des institutions avec lesquelles je travaille, l’invitation à un interrogatoire suspicieux ou la condamnation de mes pairs. C’est ainsi que l’on prend conscience de l’importance de la vie en société, de l’assaut des idées des autres et de leurs jugements.

C’est de tout cela, et d’autres choses, dont il va être question dans les pages du tome 2 du livre « Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire », dans les anecdotes « romancées » qui sont toujours en ligne sur le blog à la date de rédaction de cet ouvrage.

Le premier billet du livre commence avec la réception d’une convocation de la Cour d’Appel auprès de laquelle je suis inscrit comme expert judiciaire. Tous les autres billets sont écrits pendant que ce que j’ai appelé l’« affaire Zythom » se déroule, mais sans que je souhaite en parler sur mon blog, même si parfois mon humeur transparaît dans certains billets comme « Sombre ». Ce n’est qu’une fois l’affaire terminée que je me suis permis de la raconter sur le blog, dans les billets qui constituent la fin du livre. Ce tome 2 couvre donc complètement cette période qui fut difficile pour mes proches et moi.

Tenir ce blog me permet de suivre une certaine thérapie par l’écriture. En paraphrasant le magistrat Philippe Bilger, je peux dire : « On est écartelé entre ce qu’on a envie d’écrire et ce qu’on a le droit de dire. Entre [l’expert] et le justicier. Le professionnel et le citoyen. La vie et l’Etat. L’élan et le recul. La réserve et l’audace. Entre soi et soi. »

« Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire – Tome 2 – L’affaire Zythom » est disponible au format papier ici en vente chez mon éditeur.

D’autre part, vous le savez sans doute, j’aime assez l’idée de partage et de libre diffusion sans DRM. Ce livre est donc également disponible gratuitement pour tous:

au format PDF (2374 Ko),

au format EPUB (572 Ko),

au format FB2 (759 Ko),

au format LIT (554 Ko),

au format LRF (697 Ko) et

au format MOBI (744 Ko).

Vous pouvez le copier et le diffuser librement auprès de vos amis et de vos ennemis.

Vous y trouverez, comme dans le tome 1,
une sélection de billets laissés dans l’ordre chronologique de leur
publication, et qui peuvent être classés cette fois dans quatre
rubriques :

– mes activités d’expert judiciaire en informatique ;

– mon travail comme responsable informatique et technique ;

– ma découverte du monde politique comme conseiller municipal ;

– et des anecdotes pour mes amis et ma famille.

Avertissements :

Les habitués du blog le savent, mais cela va mieux en l’écrivant: la publication des billets de mon blog, sous la forme de livres, est surtout destinée à ma famille et à mes proches. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la démarche d’une autopublication. J’ai endossé tous les métiers amenant à la publication d’un livre, et croyez moi, ces personnes méritent amplement leurs salaires! Mise en page, corrections, choix des titres, choix des couvertures, choix du format, choix des polices de caractère, marketing, numérisation, etc., sont un aperçu des activités qui amènent à la réalisation d’un livre. Je ne suis pas un professionnel de ces questions, je vous prie donc de m’excuser si le résultat n’est pas à la hauteur de la qualité que vous pouviez attendre. Le fait d’avoir travaillé seul (avec ma maman pour la relecture, merci à elle), explique aussi le faible prix de la version papier pour un livre de 260 pages.

Je me dois également, par honnêteté envers les acheteurs du livre, de dire que les billets en question sont encore en ligne et le resteront. Les billets sont identiques, à part les adaptations indiquées ci-après.

Le passage d’un billet de blog à une version papier nécessite la suppression des liens. J’ai donc inséré beaucoup de « notes de bas de page » pour expliquer ou remplacer les liens d’origine. Dans la version électronique, j’ai laissé les liens ET les notes de bas de page. Je vous incite à lire les notes de bas de page le plus souvent possible car j’y ai glissé quelques explications qui éclaireront j’espère les allusions obscures.

J’ai également glissé, dans ce tome 2, le nom de l’avocat qui m’a assisté tout au long de l’ « affaire Zythom ». C’est un avocat redoutablement efficace, en plus d’être un homme charmant. Je lui dois d’être encore expert judiciaire et de continuer à tenir ce blog. Ce sera le teasing pour vous inciter à la lecture 😉

J’espère que ce tome 2 vous plaira. En tout cas, je vous en souhaite une bonne lecture.

Etrange étranger

Depuis longtemps, les écoles d’ingénieurs se sont ouvertes aux étudiants étrangers. Pour propager la connaissance pour lutter contre l’obscurantisme, ou tout simplement parce que le partage du savoir est consubstantiel à la notion même de recherche et d’avancée scientifique.

Cela nécessite une curiosité de l’autre, le développement d’une interculturalité qui n’est pas toujours évidente. On ne peut pas dire à un étudiant: « tu es étranger et donc tu dois t’adapter et t’intégrer ». C’est nier l’apport de la différence, l’attrait du raisonnement « autre ». En peinture, on appelle « lumière étrangère », une lumière différente de la principale, et ménagée artistement pour le bon effet du tableau. Il en va de même pour un étudiant étranger dans un groupe d’étudiants français. Il ne doit pas devenir comme les autres, il doit s’intéresser aux autres et les autres à lui.

C’est vrai, et c’est ce qui est passionnant, que l’étranger surprend souvent. Le mot « étrange » est si proche du mot « étranger » que le Littré nous indique que les deux mots ont été primitivement synonymes. Aujourd’hui ils sont distincts, et signifient, l’un ce qui est hors des conditions naturelles, l’autre ce qui est hors de la nation, du pays. Dans le figuré, les significations se rapprochent beaucoup; cependant elles ne se confondent pas complétement.

C’est pourquoi, je vous demande de rester dignes, comme j’ai su l’être, devant l’anecdote suivante…

L’été, alors que les étudiants sont en vacances stage, l’école prête parfois ses locaux à des organismes de formation qui ont pour but l’enseignement du français à des étrangers.

La responsable de l’équipe de nettoyage de l’école arrive affolée dans mon bureau: Monsieur Zythom, Monsieur Zythom, venez voir, suivez moi, je n’en peux plus, il y a des étudiants qui nous ont fait une blague que je n’admets pas, un manque de respect, un manque de respect total. C’est incroyable, je n’ai jamais vu ça! Venez voir, suivez-moi…

En tant que responsable informatique, technique, hygiène, sécurité, espaces verts, etc., me voilà en train de courir dans les couloirs en me demandant ce que je vais encore trouver comme nouveau désastre à mettre au crédit de l’imagination débordante des étudiants.

La responsable de l’équipe de nettoyage me fait entrer dans les toilettes des femmes.

J’entre dans ce lieu mythique que peu d’hommes peuvent se vanter avoir vu. Il y règne un ordre et une propreté étrangers aux lieux fréquentés symétriquement par les hommes. Mais rien d’autre d’étrange ne me saute aux yeux. Ah!, si, une odeur s’insinue par mes narines, et identifiée aussitôt par mon cerveau à la mémoire associative aiguisée: l’odeur caractéristique des excréments humains… La responsable ouvre alors les portes des cabinets de toilette et je découvre ahuri à côté de chaque siège, par terre, un magnifique tas de papiers hygiéniques usagés responsables de cette odeur bien peu hygiénique.

Je regarde la responsable toujours rouge de colère. Je lui explique que nous sommes en été, il n’y a plus d’étudiants dans l’école et que je ne vois pas qui aurait pu faire cette curieuse blague.

Elle me dit alors cette phrase étrange: « ça doit être les étrangers! ».

Un déclic se fait dans mon cerveau et je lui réponds que je vais me renseigner. Me voilà à la recherche de la personne responsable de l’organisme donnant les cours de français. J’arrive à la contacter par téléphone et lui fait part de mon problème un peu particulier. Je l’entends rire au téléphone et m’expliquer la chose suivante:

Depuis hier, le groupe d’étrangers suivant les cours est un groupe de femmes venant d’un pays d’Afrique où l’eau est une denrée très rare. Il ne leur est pas venu à l’esprit qu’en France, nous utilisons de grande quantité d’eau pour évacuer, non seulement nos excréments, mais également le délicat et doux papier triple épaisseur qui va avec.

Pour en avoir parlé ensuite avec elles, elles utilisaient bien la chasse d’eau, en riant devant cette débauche de luxe, mais déposaient délicatement le papier hygiénique à côté du siège, ne sachant pas quoi en faire. Elles m’ont d’ailleurs avoué leur surprise devant ce manque d’hygiène, car chez elles, il y a un récipient prévu pour cela…

Amusements réciproques et blagues universelles ont accueillis des explications bienvenues. La responsable de l’équipe de nettoyage a soupiré en disant « je préfère ça. Je croyais qu’on m’avait fait une blague ». Un mois plus tard, elle recevait en cadeau d’adieu des étudiantes une magnifique robe traditionnelle multicolore. Elle m’en parle encore aujourd’hui. J’ai depuis demandé à l’organisme d’ajouter une petite explication sur les usages en vigueur dans les « lieux d’aisance ».

J’en ai discuté également avec un ami qui s’est trouvé dans une situation similaire au Japon où les toilettes (privées et publiques) disposent de jet d’eau et de séchoir, considérés comme étant plus hygiéniques que le papier toilette. Le siège des toilettes de l’entreprise qu’il visitait était muni d’une télécommande avec une dizaine de boutons et un mode d’emploi en japonais…

« Laisse parler ton coeur, interroge les visages, n’écoute par les langues… » écrivait Umberto Eco dans « Le nom de la Rose ».

Les étrangers sont des gens étranges.

Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire T1

Ce blog approche doucement mais sûrement des 700 billets publiés, et cela malgré le nettoyage régulier que je peux faire en supprimant des vieux billets « petits riens » datant du temps d’avant Twitter. Pour autant, la plupart des billets que je laisse en ligne racontent des petites histoires chères à ma mémoire et auxquelles j’aimerais donner une seconde chance, une autre vie.

En 2007, j’avais publié un livre reprenant 126 billets des débuts du blog. J’avais trouvé un éditeur en ligne qui me permettait de réaliser moi-même mon ouvrage et de le diffuser auprès des personnes intéressées, essentiellement ma famille et mes proches.

J’ai donc repris le livre de 2007 pour en faire une seconde édition[1] qui sera le premier tome d’une série intitulée « Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire ».

Titre du 1er tome: « L’âge d’or est devant nous ».

Si certains lecteurs sont intéressés, cet ouvrage est disponible au format papier en commandant en ligne chez mon éditeur.

D’autre part, vous le savez sans doute, j’aime assez l’idée de partage et de libre diffusion sans DRM. Ce livre est donc également disponible gratuitement pour tous:

au format PDF (1480 Ko),

au format EPUB (282 Ko),

au format FB2 (330 Ko),

au format LIT (232 Ko),

au format LRF (263 Ko) et

au format MOBI (270 Ko).

Vous pouvez le copier et le diffuser librement auprès de vos amis ou de vos ennemis.

Un chantier autrement plus long qu’une réédition commence maintenant avec la publication des prochains tomes. Tri, choix, mise en page, corrections, relectures, vont m’occuper un certain nombre de week-ends. J’en ferai probablement une note de blog, à destination de tous les petits blogueurs comme moi qui souhaiteraient se faire plaisir avec dans leur bibliothèque un livre portant leur pseudo.

Et en diffusant ainsi mes anecdotes, je suis très heureux d’aller jusqu’au bout de la logique conseillée par la commission de disciple de ma compagnie d’experts judiciaires lors du « procès » de ce blog. C’est pourquoi je souhaite à tous bonne lecture de mes romans 🙂

Comme j’ai conscience qu’un nombre important d’internautes atterrissant ici n’iront pas acheter le livre ni télécharger la version électronique, je souhaite quand même publier ci-dessous la page des remerciements.

Remerciements:

Ce livre n’existerait pas sans l’aide des personnes suivantes (par ordre chronologique):

– Mes parents, qui m’ont donné le jour, élevé et éduqué avec affection et amour. La baisse sensible du nombre de fautes dans cette seconde édition doit beaucoup à la relecture de ma mère.

– Ma sœur qui m’a soutenu tout au long de mes études, en particulier dans les moments difficiles. Je lui dois une partie de ce que je suis.

– Mon épouse qui m’a soutenu devant toutes les difficultés rencontrées lors de la tenue du blog.

– Maître Eolas, dont les encouragements et le soutien ont largement contribué au succès du blog.

– Tous les blogueurs qui entretiennent avec moi des liens à travers les internets. J’apprends souvent beaucoup de nos échanges.

– Et, bien entendu, les lecteurs du blog.

En attendant, le blog continue.

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[1] La deuxième édition corrige essentiellement quelques fautes de frappe, place le numéro ISBN au bon endroit pour les diffuseurs tels qu’amazon.fr, ajoute le nom du tome et les remerciements. Inutile donc pour les personnes ayant acheté la première édition (collector!) de commander cette version sensiblement identique. Stay tuned pour les autres tomes 😉

L’entretien

L’école d’ingénieurs dans laquelle je travaille comme responsable informatique et technique recrute sur concours écrits et épreuves orales. Parmi les épreuves orales, une épreuve un peu redoutée par les candidats: l’entretien de motivation. C’est cette épreuve à laquelle je participe depuis plus de 17 ans maintenant.

Je suis moi-même un pur produit de la machine infernale que l’on appelle « les classes préparatoires aux grandes écoles ». J’y ai appris à travailler « vite et bien ». J’y ai appris un nombre de choses colossales en mathématiques théoriques et en physique et j’y ai épuisé trois des plus belles années de ma jeunesse. J’ai un regard mitigé sur ce système de formation depuis que je travaille dans une école d’ingénieurs en cinq ans, post bac, généraliste et sans classe prépa intégrée. Mais mon propos n’est pas là.

La question que l’on se pose lors du recrutement des étudiants est la suivante: « cette personne va-t-elle devenir un bon ingénieur? ». Pour répondre à cette question, il faut s’en poser beaucoup d’autres: « A-t-elle la capacité de travail suffisante? », « A-t-elle les capacités intellectuelles? », « A-t-elle le savoir-être et si non peut-elle l’acquérir? », « Sait-elle travailler en équipe et si non sera-t-elle apprendre à le faire? », etc. A toutes ces questions difficiles s’ajoute le fait que nos candidats ont à peine 18 ans pour ceux qui sont en terminale S, et 20 ans pour ceux qui veulent intégrer l’école en 3e année.

Les éléments pour évaluer un « bon » candidat se limitent à un dossier scolaire, des notes à des épreuves écrites et des notes à des épreuves orales… et parmi ces épreuves orales, l’entretien de motivation.

1) Jessica 17 ans

Je viens chercher le candidat suivant qui attend dans le couloir. C’est une jeune fille qui s’appelle Jessica. Je lui serre la main. Elle a l’air surprise par mon geste. Comme dans un restaurant, je la précède dans la salle pour qu’elle me suive. Je lui indique la place qu’elle doit occuper. Elle s’assoit. Je m’assois en face d’elle. Je commence à parler immédiatement pour ne pas laisser monter plus haut la pression.

« Notre entretien va durer environ 1/2h. Je vous propose de le découper en trois parties: vous allez vous présenter comme dans un CV, je vais vous poser des questions pour préciser votre parcours et vous pourrez me poser des questions sur l’école afin de savoir où vous souhaitez mettre les pieds. »

Jessica est tendue. Son niveau de stress est au maximum. Elle ouvre la bouche, la referme. Son visage est très blanc. Elle baisse les yeux et se met à pleurer en silence. Malaise…

J’ai toujours un stock de mouchoirs en papier pour cette occasion, je lui en tends un. Je prends ma voix la plus gentille possible. « Vous savez, je sais quelle tension vous subissez. C’est normal et cela n’a aucune importance à mes yeux que cela vous mette dans cet état. Nous avons tout notre temps et je vais vous aider à improviser votre présentation. D’accord? »

Jessica hoche la tête. Elle lève les yeux et me regarde derrière ses larmes. Je lui souris. Je lui laisse du temps pour faire redescendre son taux d’adrénaline. Je passe directement à la phase des questions sur son parcours afin de l’aider à établir son CV. Au fur et à mesure de ses réponses, elle reprend des couleurs et son discours s’affirme.

En fin d’entretien, je lui explique qu’elle aura toute sa scolarité, chez nous ou dans une autre école (je ne suis pas le seul évaluateur à intervenir dans le recrutement d’une personne et heureusement), pour apprendre à maitriser son émotivité, que ce n’est pas un défaut à son âge et qu’il serait aberrant d’en tenir compte lors d’un recrutement. Elle semble rassurée. A part cet incident, l’entretien s’est très bien déroulé.

Jessica sera reçue et réussira toute sa scolarité dans le premier 1/3 de sa promotion. Elle est ingénieur dans une grande entreprise du domaine spatial et dirige une équipe de 30 personnes aujourd’hui. Elle se souvient avec humour de son entretien avec moi.

2) Paul 20 ans

Paul est en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dans un lycée réputé. Il vient de finir l’épreuve orale de mathématiques juste avant de passer avec moi. Il est détendu car elle s’est bien déroulée. Il est curieux de cet entretien de motivation. Il me pose la question du rôle de l’entretien.

Je lui explique que le but est de mieux le connaître et surtout qu’il puisse expliquer et justifier les éventuels problèmes ou difficultés qu’il a pu rencontrer et qui pourraient se traduire dans son dossier par des notes peu reluisantes. Je lui explique que je ne connais pas son dossier, que c’est fait exprès pour ne pas avoir d’a priori, que c’est un autre groupe de personnes qui va l’étudier et m’interroger ensuite sur les éventuelles zones d’ombres et qu’il serait bien qu’il me donne des éléments pour que je puisse répondre.

Je lui explique qu’il est donc libre de me parler de lui en forçant ses qualités pour se mettre en valeur, mais que si son dossier possède des failles dont il ne me parle pas, je ne pourrai pas l’amener sur ce sujet (ne connaissant pas son dossier) et ne pourrai pas répondre à mes collègues lors de leurs questionnements.

Paul est un peu dépité. Il réfléchit. Rapidement.

Puis Paul m’explique ses difficultés à s’intégrer dans sa classe lors de sa première année de maths sup’, la compétition, le manque de solidarité. Il a eu des notes minables en maths et en physique lors de son 1er trimestre. Il a failli abandonner à Noël. Il s’est accroché, il a progressé chaque trimestre. Il est passé tout juste en 2e année (maths spé’), a continué sa progression, a changé sa méthode de travail. Il a travaillé dur et pour l’instant, tous les concours se passent plutôt bien.

Au fur et à mesure que l’entretien se passe, j’ai l’impression de parler à mon moi d’il y a 25 ans. Je me sens proche de Paul. J’essaye quand même de remplir sa grille d’évaluation le plus objectivement possible.

Paul sera pris à l’école, mais préfèrera choisir une école à son avis plus prestigieuse. J’espère qu’il suit une carrière qui correspond à ses aspirations et qu’il est heureux.

3) Alia 18 ans

Les parents recommandent souvent à leurs enfants une tenue vestimentaire sobre pour passer des oraux de concours. J’ai parfois même des candidats qui arrivent en costard, ce que l’on appelait quand j’étais petit « la tenue du dimanche ».

Alia est arrivée, elle, avec une tenue du samedi soir: robe mettant en avant valeur tous ses atouts, coiffure sophistiquée, déplacement dans la salle modifiant toutes les constantes de temps…

J’ai cette capacité si rare chez les hommes de pouvoir garder mon regard fixé sur les yeux de mon vis à vis sans glisser inexorablement dans les profondeurs d’un décolleté de type Krubera-Voronja.

Alia jouera tout l’entretien sur le mode de la séduction. Mon rôle est évidemment de ne pas en tenir compte et de rester neutre sur ce plan. J’explique les objectifs de l’entretien, je me tiens à mon rôle d’observateur: « Alia peut-elle devenir un bon ingénieur? ».

Je ne suis pas psychologue, je reste un scientifique, un chercheur, une personne curieuse de l’évolution technologique. Mais je ne suis pas dans une tour d’ivoire, je gère un service informatique qui dépanne, entretient, innove, investit, effectue des paris sur l’avenir et se frotte au quotidien des utilisateurs avec l’envie de l’améliorer. Je connais un peu l’âme humaine, et ses différentes facettes. Je pose donc à Alia une question classique de ce type d’entretien: « Alia, pourriez-vous me citer 3 de vos qualités? ». Alia me répond immédiatement et avec entrain trois qualités, et même une quatrième.

« Maintenant, Alia, je suppose que vous imaginez ma question suivante? »

« Heu, je pense que vous voudriez que je vous donne trois de mes défauts… »

« Allez-y »

Tout aussi rapidement, elle m’a expliqué trois de ses défauts (et même un quatrième ;-). Et pas des défauts passe-partout comme la curiosité ou la gourmandise, non, des vrais bons gros défauts: « Je suis paresseuse, arriviste et mes amis me trouvent chiante! Et puis, c’est mon père qui veut que je devienne ingénieur. »

Au moins a-t-elle joué sur le registre de la franchise. Je me fiche bien de ses défauts, mais je ne peux comprendre qu’une motivation provienne exclusivement du désir des parents.

Alia a intégré une autre école. Je ne sais pas si elle est allé jusqu’au bout où si elle a fini par trouver sa voie propre et/ou son bonheur. J’ai un ami qui, après avoir fini ses études d’ingénieurs et diplôme en poche, s’est inscrit aux beaux-arts en me disant: « J’ai fais plaisir à mes parents, maintenant je vais me faire plaisir et tenter de réaliser mon rêve. » Je pense parfois à lui, et à Alia.

4) Vladimir 21 ans

Vladimir impressionne par sa taille… et sa coiffure particulière: tête rasée très très court et deux petites cornes de cheveux en tirebouchon. Il ressemble à un diable moderne. Je ne bronche pas et le regarde droit dans les yeux, exerçant ma vision périphérique comme avec Alia.

Vladimir est un étudiant brillant d’IUT, il est premier de sa promotion. L’entretien se déroule correctement, et je découvre une personne à l’aise dans sa vie personnelle, curieux d’apprendre, vif et tourné vers les autres.

J’ai plutôt l’habitude d’avoir à mener l’entretien, en posant des questions, en relançant le débat, en creusant un point qui me semble obscur, en mettant en évidence des incohérences dans les réponses. Avec Vladimir, la prise des commandes était réciproque, il me posait des questions sur l’école, sur le métier de l’ingénieur, sur l’importance de l’expérience pratique, sur les stages… Vers la fin de l’entretien, il m’interroge: « Que pensez-vous de ma coupe de cheveux? » et attend ma réponse avec un air concentré.

Je lui réponds qu’elle ne me fait ni chaud ni froid et que j’estime que chacun est libre de se coiffer comme il l’entend. Et bien entendu, je lui demande: « pourquoi me posez-vous cette question? ».

Il est un peu interloqué, mais m’explique qu’il constate que ses professeurs lui ont souvent fait « payer » son originalité, sans nécessairement lui dire en face ce qu’ils pensaient. Subtilement, il m’explique qu’il doute de la sincérité de ma réponse.

Esprit brillant, il a réussi toute sa scolarité à l’école en restant dans les dix premiers de sa promotion. Quand je l’ai revu, plusieurs années après sa sortie, au gala annuel de l’école, il avait coupé ses deux petites cornes bouclées. A mon étonnement il a répondu avec malice qu’il évoluait dans ses goûts et il a tourné la tête pour me montrer une courte « queue de rat » à la base de son crâne rasé de près. « Je travaille comme ingénieur dans une grosse entreprise agroalimentaire, et mon équipe me surnomme le « petit diable » ».

Quatre exemples d’entretiens qui me confirment qu’il est très difficile de répondre à la question « cette personne fera-t-elle un bon ingénieur? ». En tout cas, j’essaye, et surtout, avec mes collègues, je fais le maximum pour qu’une fois entrés dans l’école, les étudiants puissent y répondre tout seul.

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Source photo projet EXCELSIOR III, record du monde du plus haut saut en parachute par Joseph Kittinger. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Mademoiselle

J’ai toujours appelé mes étudiantes « madame », et cela les a toujours fait réagir de façons diverses.

Un jour, alors que j’étais en train de faire cours dans un amphithéâtre, une étudiante arrive en retard. J’ai une gestion des retards qui consiste à ne jamais rien dire quand la personne retardataire se fait discrète. Après tout, tout le monde peut arriver en retard, avec même parfois une très bonne raison. Il me semble inutile que je perturbe moi-même le cours en faisant une remarque.

Sauf que cette jeune personne (mes étudiants ont entre 17 et 25 ans) a décidé de venir s’assoir au milieu de l’amphithéâtre au milieu d’une rangée, obligeant ainsi la moitié des étudiants de la rangée à se lever pour qu’elle puisse aller s’assoir.

Je m’interromps alors, regarde la personne en train de faire bouger tout le monde et prends ma voix la plus glaciale possible en prenant l’amphithéâtre à témoin: « Je vais attendre que Madame s’installe ! »

L’étudiante me répond du tac au tac: « Mademoiselle ! Pas Madame ! »

Je lui explique alors, toujours avec ma voix la plus glaciale: « Votre vie privée ne regarde que vous. Je n’ai pas à connaître votre situation familiale, si vous êtes mariée ou célibataire. Dans la mesure où je m’adresse aux jeunes hommes ici présents sous le vocable « Monsieur », en non pas « Mondamoiseau » pour la plupart, par souci d’égalité, je m’adresse à toutes les jeunes femmes ici présentes sous le terme « Madame », ne vous en déplaise! »

Ayant mis tous les étudiants mâles de mon côté par ce trait d’humour décapant, je poursuivais mon cours, magistral et serein, comme un petit Salomon d’amphithéâtre (ref).

J’ai toujours regretté l’attitude que j’avais eue ce jour là, car il est si facile de clouer au pilori une jeune fille, même un peu impertinente, quand on dispose du « pouvoir » de l’autorité du professeur. A ma décharge, il arrive aussi que les professeurs se fassent déborder par l’impertinence des étudiants, mais c’est une autre histoire.

Dans la plupart des cas, les étudiantes réagissent par un sourire, surtout si cela se passe à la fin d’une discussion, quand je réponds à un « Au revoir, Monsieur » par un « Au revoir, Madame ». J’ai souvent comme remarque: « C’est la première fois qu’on m’appelle comme ma mère! ». J’explique ensuite ma vision de l’égalité mondamoiseau-mademoiselle, ce qui les fait franchement rire. Parfois la discussion peut même se prolonger sur le thème plus général du sexisme, avec des idées qui n’ont rien à envier aux suffragettes…

Je leur rappelle également qu’avant la Première Guerre mondiale, les femmes étaient généralement considérées comme intellectuellement inférieures, voire ne pouvant pas penser par elles-mêmes, ce qui ne lasse pas de les surprendre, elles qui s’engagent dans des études d’ingénieurs!

Une fois, dans mon bureau, une étudiante est restée tétanisée par mon « Au revoir Madame » et s’est effondrée en larmes… Entre deux sanglots, elle m’a expliqué que sa maman venait de mourir et que sans le faire exprès, le fait de l’appeler, elle sa fille, Madame, avait touché une corde sensible. Je me suis excusé comme j’ai pu, tout en lui donnant mon mouchoir en tissu (propre!) confirmant ainsi à ses yeux être définitivement ancré dans le XXe siècle…

Pourtant, je suis heureux de rappeler en conseil municipal qu’on ne dit pas ‘heure des mamans’ pour la sortie des classes, mais ‘heure des parents’ (ou ‘heure des nounous’). J’accompagne tous les jours mes enfants à l’école, et je ne suis pas au chômage pour autant. Les mentalités changent doucement, très doucement, et cela passe par une attention aussi sur les petits détails.

Je vouvoie aussi mes étudiants, par respect, même les plus jeunes, ce qui ne manque pas également d’en étonner certains.

Il faut bien là aussi une première fois.

Stats 2011

Tenir un blog, c’est aussi aller de temps en temps regarder les statistiques de consultations, c’est-à-dire les traces que vous laissez lorsque vous me faites l’honneur de venir par ici.

Seulement voilà, aucun outil n’existe pour établir des données véritablement fiables, ce qui constitue souvent un casse tête pour les dircoms et leurs webmasters.

Pour ma part, j’utilise Google Analytics depuis l’ouverture de ce blog et cela m’amuse de savoir que mes lecteurs de 2011 utilisent à plus de 58% Firefox, devant Chrome (17%) et IE (12%).

Pour avoir une petite idée de la volumétrie, Google Analytics m’indique que pour l’année 2011, le blog a reçu 135 351 visites contre 126 040 en 2010 et 103 767 en 2009.

Mais comme vous revenez plusieurs fois sur le blog, je trouve le paramètre « visiteurs uniques » plus pertinent (pour ce qu’il vaut réellement…):

53 694 en 2011

56 061 en 2010

42 514 en 2009

Mais si vous revenez, c’est qu’un nouveau billet est annoncé par votre agrégateur de flux RSS, un tweet ou un de vos cercles Google+ (à moins que vous soyez simplement plusieurs derrière un proxy a venir lire le même billet). C’est pourquoi, je trouve que l’indicateur le plus pertinent est le nombre de visiteurs uniques divisé par le nombre de billets à l’année:

53 694 visiteurs uniques en 2011 pour 50 billets, soit 1073 lecteurs

56 061 en 2010 / 60 billets, soit 934 lecteurs

42 514 en 2009 / 112 billets, soit 380 lecteurs

27 471 en 2008 / 146 billets, soit 188 lecteurs

17 687 en 2007 / 200 billets, soit 88 lecteurs et

876 en 2006 / 52 billets, soit 16 lecteurs.

Bien sur, ces chiffres sont très approximatifs, car un nouveau lecteur peut très bien lire plusieurs billets en une seule visite, ou comme je l’ai dit, plusieurs lecteurs se cacher derrière une seule adresse IP. Ma famille, mes amis, ma sœur, mes cousins et leurs amis ont très bien pu mettre en place une stratégie de clics à partir de plusieurs ordinateurs/téléphones/tablettes depuis chez eux ou depuis leurs employeurs pour faire augmenter les stats de ce blog, pensant me faire plaisir.

En 2011, vous étiez dans 130 pays, ce qui ne lasse pas de me faire voyager virtuellement dans des contrées où je n’irai probablement jamais.

Ceux qui viennent ici en passant par un moteur de recherche, ont très majoritairement tapé dans celui-ci le mot clef « Zythom » (7982), en 2e position vient « expert judiciaire informatique » (365) puis « devenir expert judiciaire » (254), ce qui me gène un peu pour quelqu’un qui parle pas mal de son service militaire ou de ses souvenirs d’enfance 😉 Vous êtes quand même 109 à atterrir ici après avoir tapé « images pedophiles », 108 pour « image pédophile », 85 « image pedophile », 74 « image pedophilie », 71 « images pédophiles » et 5 « nudisme et pédophilie »… Je ne juge pas ces visiteurs, car je pense à la citation suivante: « Je me suis jeté dans la boue plus d’un demi-million de fois. Cela permet-il d’en déduire quoi que ce soit sur mon état mental? » Sepp Maier (gardien de but allemand).

Si vous êtes venus ici après avoir cliqué sur un lien ailleurs que dans un moteur de recherche (ou dans vos marques-pages), vous êtes, en 2011:

– 16076 en provenance de maitre-eolas.fr

– 1908 via boulesdefourrure.fr

– 1375 via sid.rstack.org

– 1234 via sebsauvage.net

– 969 via maitremo.fr

– 542 via laplumedaliocha.wordpress.com et

– 530 via standblog.org

Que tous ces grands blogueurs en soient remerciés. On dit parfois que le blogueur est un loup pour le blogueur, mais ce n’est pas nécessairement vrai.

Vous êtes 66% sous Windows, 17% sous Linux et 12% sous Mac. Seuls 1,3% d’entre vous ont la chance de me lire sur fond blanc sur iPhone…

Et n’oubliez pas, alors que 2012 sera l’année des sondages, « Les statistiques, c’est comme le bikini. Ce qu’elles révèlent est suggestif. Ce qu’elles dissimulent est essentiel. » (Aaron Levenstein)

To do is to be (Platon)

To be is to do (Marx)

Doo be doo be doo (Frank Sinatra).

2011 est mort, vive 2012

En relisant mon billet de l’année dernière, je me rends compte qu’il est toujours valable concernant les différents bilans sur mon activité d’expert judiciaire et mes vies professionnelle, publique et personnelle. La vie continue, et une année est passée dont j’ai relaté certains évènements ici même.

Il me faut par contre faire le point sur ma liste de résolutions 2011:

– être toujours vivant, si possible en bon état [ok, ça, c’est bon]

– arriver à obtenir le paiement des expertises judiciaires effectuées (deux ans de retard) [OUI, le solde m’a été réglé juste avant Noël !!]

– acquérir une paire de lunette vidéo 3D [raté, mais j’ai toujours bon espoir d’une baisse des coûts avec l’arrivée des TV 3D]

– arriver à faire fonctionner cette $#%µ& régulation de chauffage au boulot [raté, mais le propriétaire a prévu des travaux au budget 2012…]

– faire évoluer les serveurs web du boulot [YES, outre un gros projet d’évolution de notre ERP, un projet Extranet a démarré en 2011 et se poursuivra sur 2012]

– faire un peu plus de sport et plus régulièrement [OUI, vélo tous les jours + aviron une fois par semaine]

– m’intéresser de plus près aux outils des Pentesters [raté, là aussi, c’est un métier. Par contre, je suis invité en 2012 à une manifestation importante sur la sécurité, j’en parlerai ici même]

– assister au moins une fois à une Berryer [encore raté]

– postuler pour une inscription sur la liste de la Cour de Cassation [raté]

– suivre plus de formations techniques, en particulier auprès des pentesters [raté]

– approcher quelques experts judiciaires pour leurs soutirer des billets invités [OK, mais seule une personne a accepté]

– me préparer à devenir expert judiciaire « prestataire de services » [ok ;-]

– mettre en place des enquêtes de satisfaction clients auprès des étudiants [raté]

– encourager le personnel de l’établissement à venir en vélo plutôt qu’en voiture [OUI: construction d’un garage à vélo en 2011]

– venir moi-même en vélo [Ok, cf billet ici]

– acheter un vélo [Yes]

– migrer le système d’information de mes trois sites de production [Ok pour 2]

– suivre de près la rénovation de l’école primaire de ma commune [Ok, chantier démarré et suivi de près]

– finir l’implantation de l’aire d’accueil des gens du voyage et les accueillir [raté, recours de la commune voisine :(]

– dire et montrer l’amour que je porte à mes proches et être réellement présent dans les difficultés. C’est un peu simplet, mais la vie a aussi besoin de choses simples [Ok, mais pas assez à mon goût]

Si j’ai bien compté, cela fait 12 résolutions réalisées pour 8 toujours dans les tuyaux… Finalement, l’année 2011 n’a pas été si mal de ce point de vue 😉

Comme il faut toujours aller de l’avant, je complète avec les résolutions suivantes:

– mettre à jour et étoffer l’offre de conférences sur l’expertise judiciaire (et revoir mes tarifs 😉 que je propose aux lycées, aux universités et aux grandes écoles;

– passer (et rester!) sous la barre mythique des 25 pour mon IMC

– apprendre à déléguer efficacement pour mettre en valeur mes collaborateurs et les faire progresser;

– maintenir avec plaisir le rythme de 4 à 5 billets par mois;

– continuer à répondre présent aux magistrats qui me le demandent;

– manger un fruit par jour…

Je sens que 2012 va être une belle année.

Bonne année à tous! Qu’elle vous apporte joie et bonheur.

Et parce que j’aime bien pasticher Margot Motin:

un quintal de Chantilly Powa dans ta face!

Poutoux-poutoux-coeur-paillettes-et-bonne-année

🙂

Les soutenances

Travailler dans une école d’ingénieurs, c’est être éternellement en contact avec une population qui a toujours le même âge: entre 18 et 25 ans. C’est aussi avoir à faire à des activités qui reviennent de manière cyclique.

Il en va ainsi des soutenances de stages.

Nos étudiants sont particulièrement bien formés à cet exercice. Non seulement l’école a mis en place un programme important de formation humaine, mais les étudiants doivent très souvent se confronter à la présentation orale de leurs travaux. J’aurais tellement aimé avoir été formé de la même manière, ce qui m’aurait évité cette voix chevrotante

Je les envie donc quand ils arrivent à se mettre en valeur, sans excès, dans cet exercice délicat qu’est la prise de parole en public, face à un jury. Certains grâce à de petites fiches qu’ils tiennent au creux de leur main, d’autres par un entrainement intensif coaché par leurs camarades, et tous guidés par leurs professeurs. Cela me renvoie à ma piteuse solution de soutenance de thèse où j’avais écrit sur le cadre cartonné de mes transparents l’intégralité des deux heures de discours que j’ai infligé à mes amis et ma famille (le jury avait l’habitude)…

Parfois la soutenance a lieu par visioconférence. En effet, j’ai mis en place un système professionnel (IP ou RNIS) permettant à l’étudiant effectuant son stage loin de l’école d’avoir à éviter d’y revenir uniquement pour sa soutenance, sachant que souvent une embauche est en jeu à la fin du stage (ou un peu de vacances sur place avant le grand saut dans la vie active).

Mais les conditions sont strictes: des essais doivent être faits 3 semaines avant la date de soutenance, les outils techniques utilisés doivent être parfaitement compatibles avec notre système de visioconférence H323/H320, l’image et le son doivent être de qualité suffisante pour le confort du Jury (éclairage, qualité du micro, bande passante…) et l’on doit voir avant tout l’étudiant plutôt que ses visuels (visuels qui doivent être adressés quelques heures avant la soutenance au jury). Exit donc les outils tels que Skype ou MSN, webcam et portable sur les genoux, qui font pourtant les délices de certaines soirées estudiantines (et pas que).

Je suis toujours ému de voir un étudiant faire sa soutenance en direct d’un pays lointain où le jour ne s’est pas encore levé alors que nous sommes en plein après-midi. J’ai toujours un petit mot gentil lors de l’établissement de la connexion, pour essayer d’enlever un peu de stress, et j’aime bien la petite discussion que l’on peut avoir en tête à tête en fin de soutenance après que le jury soit parti, quand le stress a disparu depuis longtemps et que l’adrénaline coule toujours. J’y découvre à chaque fois l’aboutissement de cinq longues années d’études, la transformation d’un ancien lycéen en jeune adulte et les efforts récompensés des enseignants et de l’étudiant.

Parfois, la technique est difficile à maitriser. L’étudiant doit savoir parler clairement, avoir une gestuelle adaptée, gérer ses visuels, parfois faire la démonstration d’un logiciel ou d’un appareil, gérer son stress, la pression. A cela s’ajoute donc une caméra, un micro, un jury présent sur une télévision. Il faut s’adresser à chacun, paraître détendu, compétent, maîtriser son sujet, parler au nom d’un travail d’équipe tout en se mettant soi même subtilement en valeur… Il faut répondre aux questions, il faut être à l’aise dans ces vêtements « du dimanche » soudain trop serrés, il faut s’éponger le front avec élégance.

Parfois la visioconférence est coupée. Il faut remettre en marche le système, reprendre le fil de l’exposé. Parfois, c’est l’image qui se fige, moment de désarroi pour l’étudiant comme pour le jury. Lorsque la visio se fait depuis le bout du monde dans un pays où les réseaux sont saturés, tout le monde comprend. Mais lorsqu’elle se fait depuis un pays développé, voire depuis une région française toute proche, les regards se tournent vers moi avec un zeste d’impatience: « Ah, la technique, toujours des problèmes… »

Mais le fil rompu est toujours renoué, les téléphones sonnent, le contact est repris, les systèmes se synchronisent de nouveau et tout repart comme par magie.

En fin de journée, les étudiants sont contents que l’épreuve soit passée, les jurys satisfaits de la prestation de leurs étudiants, et les techniciens lessivés d’avoir soutenu le système parfois à bout de bras et à coup de plans B.

C’est tout cela qui me fait aimer les soutenances.

Mieux qu’un aboutissement, la fin d’un cycle.

Pour eux, et pour moi.

Dennis MacAlistair Ritchie

J’ai commencé la programmation sur un IBM 5100 prêté par un parent d’élève à notre petit club d’informatique de lycée, en 1979… Le professeur de Maths qui nous encadrait bénévolement pendant la pause déjeuner nous avait initié à l’algorithmique sur un problème de réduction de fractions entières. La programmation s’effectuait en BASIC.

Parallèlement, je découvrais comme beaucoup de jeunes de cette époque les joies de la programmation en assembleur sur ma calculatrice, une TI57.

Puis, après avoir travaillé un mois l’été, j’avais réussi à m’acheter un vrai ordinateur, un TRS-80 modèle I muni de 16Ko de mémoire vive. L’année suivante, je travaillais encore un mois pour m’offrir l’extension mémoire 48Ko…

Je venais d’avoir mon bac, et je découvrais les joies de l’informatique personnelle et ses logiciels perfectionnés: Wordstar, VisiCalc, Moonbase Fallout…

Ma véritable initiation aux langages évolués viendra en école d’ingénieurs avec Pascal, Fortran, Lisp et Smalltalk.

Finalement, je ne découvrirai le langage C que pendant mon doctorat, parallèlement (si je puis dire) au langage Occam. Tous mes travaux de recherche se sont fait avec l’aide de ces deux langages.

Mais la maîtrise véritable des subtilités du langage C, et la découverte de son histoire, ne viendra que lorsque j’ai eu la charge de l’enseigner à mon tour en école d’ingénieurs. Utiliser un langage de programmation, c’est une chose, préparer un cours pour l’enseigner, puis affronter les questions des étudiants en TP, c’est une autre chose. J’ai passé cinq années très riches sur ce sujet, en me creusant la tête chaque année sur la meilleure manière de faire passer les concepts de pointeurs à des étudiants non informaticiens. J’ai pris les exemples les plus simples, les comparaisons les plus claires possibles, j’ai travaillé les sujets de TP pour qu’ils soient progressifs et didactiques. J’ai usé ma salive, mes cordes vocales, mon énergie pour que 100% de mon amphithéâtre maîtrise les concepts, et pas seulement les deux premières rangées, toujours attentives. J’ai menacé, tempêté, félicité, encouragé, noté, dénoté, soutenu, maintenu, poussé mes étudiants pour qu’ils restent concentrés, qu’ils perçoivent la magie de la programmation, la joie de la réussite à faire fonctionner un programme complexe.

La vie m’a ensuite écarté de ces joies et peines de l’enseignement. Je n’ai pas beaucoup pratiqué la programmation, en tout cas plus dans des conditions aussi stimulantes. J’ai à peine effleuré la programmation orientée objet. Un peu de php, un zeste de python, un doigt de html, xml, et autres joyeusetés.

Je suis resté bloqué sur l’époque du langage C.

C’est pourquoi j’ai aujourd’hui une pensée émue pour les proches de Dennis MacAlistair Ritchie qui nous a quitté ce 8 octobre 2011.

#include <stdio.h>

int main(int argc, char ** argv) {

printf(« Goodbye Worldn »);

return (EXIT_SUCCESS);}

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Source photo: Wikipédia.

Minimisation

Je vous ai déjà raconté que j’avais débuté ma carrière comme chercheur en intelligence artificielle. Tout au long de ces cinq années de travail passionnant, j’ai été encadré par un chercheur de très haut niveau, qui a été mon mentor et pour moi un exemple à suivre.

Il m’a vu arriver au laboratoire, alors que j’étais fraichement diplômé de mon école d’ingénieurs, la tête pleine de concepts mal digérés. Il m’a dit: « tu ne sais rien, tu as tout à apprendre, à commencer par les bases… » J’ai encaissé, mais j’ai immédiatement compris qu’il avait raison, sans savoir que je venais de passer un test décisif à ses yeux: la modestie indispensable du chercheur.

Alors, j’ai recommencé par le commencement. Mon univers de recherche s’intéressait à la modélisation non linéaire. J’ai commencé par apprendre ce qu’était réellement la notion de modèle par rapport à la réalité physique. Puis j’ai appris que les outils mathématiques à la disposition des automaticiens étaient très développés dans le domaine linéaire, et que la pratique courante lorsque l’on fait face à un comportement non-linéaire était de linéariser le problème en l’étudiant autour d’un point de fonctionnement. Pratique lorsque cela a un sens, complètement imbécile si l’on doit linéariser en permanence dans des espaces d’états complexes fortement non linéaires.

Et c’est là que j’ai commencé à découvrir que dans l’univers de la recherche, il y a beaucoup de chercheurs qui publient des articles qui s’avèrent être des imbécilités sans nom. Le filtre des patrons de laboratoire, puis celui des comités de lecture des revues scientifiques spécialisés, ne sont pas suffisant pour écarter des études mal menées par non compréhension des outils utilisés.

Cela s’est avéré comique dans mon domaine spécifique, celui des réseaux de neurones.

Sans entrer dans le détail, les réseaux de neurones sur lesquels je travaillais sont constitués de cellules faisant chacune une somme pondérée des signaux se présentant à leurs entrées, somme qui est ensuite transformée par une fonction d’activation (une sigmoïde dans mon cas), résultat qui est ensuite envoyé par chaque cellule à toutes les entrées des neurones qui lui sont connectés.

L’ensemble « cellule + fonction d’activation + entrées + coefficients de poids des entrées » est un (modèle simplifié de) neurone. En assemblant plusieurs neurones, en sélectionnant des entrées et des sorties particulières, vous obtenez un réseau de neurones.

Le fonctionnement de l’ensemble consiste à injecter certaines valeurs aux entrées du réseau et à observer les sorties calculées par le réseau.

L’apprentissage du réseau consiste à essayer de calculer les coefficients du réseau (les poids des connexions entre cellules) pour que, pour certaines valeurs présentées en entrée, vous obteniez certaines valeurs en sortie.

Par exemple, lorsque les entrées du réseau sont des valeurs de pixels d’une image, les sorties peuvent coder le nom d’un objet, d’une personne ou d’un nombre (la reconnaissance automatique des codes postaux par ex). Autrement dit, on cherche à reproduire ce que notre cerveau fait très simplement, très rapidement, avec un nombre de « calculateurs » très simples mais très élevés et massivement parallèles.

Tous les matheux comprendront que dans le cas trivial d’une fonction de transfert « identité », le réseau de neurones est un système linéaire et qu’essayer de trouver les coefficients permettant de mettre en correspondance des couples {entrées, sorties} prédéterminés revient à minimiser l’écart entre la mesure constatée et la cible visée. Dans le cas linéaire, la méthode des moindres carrés permet de minimiser l’impact des erreurs expérimentales. On cherche à minimiser une fonction de coût qui est simplement la somme des carrés des écarts entre valeurs mesurées et valeurs de sortie ciblées. Cette fonction est une quadrique dans le cas linéaire, et son minimum peut être calculé immédiatement.

Dans le cas général d’un réseau non linéaire, la fonction de coût (non linéaire) peut être approchée par une fonction plus simple dont on cherchera à chaque itération un jeu de coefficients plus « efficace » (ie faisant baisser la fonction de coût).

Plusieurs approches sont intéressantes: approximation par un hyperplan (linéarisation) ou approximation par une quadrique. Pour illustrer dans le cas monodimensionnel d’un réseau à un seul neurone à une seule entrée (avec donc un seul coefficient), la fonction de coût est la somme des carrés des écarts entre les sorties mesurées et les sorties désirées, sa minimisation consistant à la remplacer autour de la valeur actuelle du coefficient par une droite ou par une parabole.

Dans le cas de l’hyperplan, vous vous déplacez dans l’espace des coefficients d’un « pas » dans le sens de la plus grande pente.

Dans le cas de la quadrique, vous vous placez dans l’espace des coefficients immédiatement sur le minimum calculé (on sait calculer le minimum d’une quadrique).

Mais comme il s’agit d’une diminution supposée de la vraie fonction de coût remplacée par son approximation, il faut s’assurer de la baisse réelle et recommencer jusqu’à se trouver sur un endroit de l’espace des coefficients correspondant à un minimum.

Dans un espace monodimensionnel, un extrémum correspond à une dérivée nulle. Pour déterminer s’il s’agit d’un minimum (et non pas d’un maximum), il faut calculer la dérivée seconde et s’assurer qu’elle est positive.

Dans le cas pluridimensionnel, on parle de « gradient » nul, et de matrice Hessienne définie positive.

La méthode de minimisation la plus utilisée dans l’univers des réseaux de neurones est la descente à pas constant, dite aussi méthode du gradient: approximation de la fonction de coût par un hyperplan et déplacement dans l’espace des coefficients dans le sens de la plus grande pente (le sens opposé au vecteur gradient) d’un « pas » constant.

Le problème de cette méthode numérique d’optimisation est qu’elle peut être très gourmande en temps de calcul. En effet, plus on s’approche du minimum, plus la fonction à un gradient faible, et plus le déplacement sera petit. Autrement dit, plus on s’approche du minimum, et moins on s’en approche rapidement…

J’ai donc étudié une autre méthode d’optimisation bien connue, celle dite de Quasi Newton et en particulier la méthode implantée par Broyden-Fletcher-Goldfarb-Shanno où l’on calcule par itération la matrice inverse de la matrice hessienne. Cette méthode possède une vitesse de convergence bien supérieure à la méthode de gradient à pas constant, vitesse de convergence connue depuis des lustres par les informaticiens spécialistes des algorithmes d’optimisation numérique.

Mais un certain nombre de chercheurs confirmés, à l’époque où je préparais ma thèse, semblaient méconnaître les propriétés de ces algorithmes, et en particulier la lenteur de la méthode de gradient à pas constant. Ou s’ils la connaissaient, ils arrêtaient leurs calculs en tout cas beaucoup trop tôt. J’ai pu reproduire certains des problèmes posés dans leurs articles en trouvant des solutions bien meilleures, parfois même en contradiction avec leurs conclusions, simplement parce que je m’étais intéressé à un domaine que je ne connaissais pas: les méthodes d’optimisations numériques.

Alors maintenant, lorsque je lis les conclusions d’un chercheur, même de haut niveau, même avec une équipe derrière lui, je reste prudent en me demandant s’il maîtrise bien toute la chaine technique qui l’a amené à ses conclusions. A-t-il utilisé la bonne méthode d’optimisation, a-t-il utilisé les outils mathématiques en respectant leurs conditions d’usage (conditions initiales, espaces affines et non pas linéaires, erreurs liées à la discrétisation numérique…). Autant d’erreurs de débutants qui peuvent passer inaperçues.

Et parfois je suis encore surpris aujourd’hui, surtout dans des domaines qui ne sont pas les miens, et que j’aborde avec modestie et humilité, de voir des soi-disant experts se prendre les pieds dans le tapis sans s’en rendre compte…