Mon activité d’expert judiciaire en informatique est connue de mon entourage et de mes amis, en particulier le fait que je sais « faire parler » un disque dur. Il m’arrive donc parfois d’être contacté par un ami qui m’avoue son désespoir de ne plus arriver à lire les données de son disque dur. La conversation donne en général ceci:
« Je n’arrive plus à accéder à mon disque dur externe. J’y stocke les photos de la famille. Je me suis pris les pieds dans l’alim et le disque dur a volé dans la pièce… Quand je l’ai rebranché, plus rien. »
Ce moment gênant où le disque dur ne démarre plus…
« … mais rassure moi, tu as bien des sauvegardes? »
Ce moment troublant où l’on réfléchit à la date de la dernière sauvegarde.
« Heu, mouis, mais pas récentes. »
« Bon. Qu’est ce qu’il fait comme bruit ton disque dur? »
« Et bien, justement, il ne fait plus aucun bruit. Enfin, si, un petit sifflement d’une seconde, puis rien pendant deux secondes, puis de nouveau un petit sifflement… »
« Ok. Ton disque dur est mort. Tu peux faire une croix sur tes données. »
Ce moment particulier où l’on annonce que toutes les données sont perdues à jamais…
« Non!? Et tu ne peux rien y faire? Même toi?
« Bah. A l’impossible nul n’est tenu. Si ton disque est mort, à part l’intervention d’une société spécialisée avec démontage en salle blanche, je ne vois pas. »
Étape 1: le choc.
Cette courte phase du deuil survient lorsqu’on apprend la perte. C’est une période plus ou moins intense où les émotions semblent pratiquement absentes.
Exemple: « …!? »
Étape 2: la colère.
Phase caractérisée par un sentiment de colère face à la perte. La culpabilité peut s’installer dans certains cas. Période de questionnements.
Exemple: « Mais c’est nul! Tu peux rien faire? Mais alors, comment je vais récupérer mes données? $#%!§ (biiip) »
Étape 3: le marchandage.
Phase faite de négociations, chantages…
Exemple: « Non, mais tu peux vraiment rien faire? Et si je t’envoie le disque dur, tu peux essayer quand même? Avec un peu de chance… Et puis, toi, tu sais y faire avec ça. A chaque fois que je t’appelle, mon PC remarche, même quand tu interviens à distance! »
Étape 4: la dépression.
Phase plus ou moins longue du processus de deuil qui est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse.
Exemple: « Toutes les photos depuis la naissance du dernier!!! Pourtant, j’avais décidé d’acheter ce disque dur pour faire des sauvegardes. Mais bon, voilà, plutôt qu’un disque de secours, c’est vite devenu un disque principal, avec toute la place qu’il proposait. Comment je vais faire? »
Étape 5: l’acceptation.
Dernière étape du deuil où l’endeuillé reprend du mieux. La réalité de la perte est beaucoup plus comprise et acceptée. L’endeuillé peut encore ressentir de la tristesse, mais il a retrouvé son plein fonctionnement. Il a aussi réorganisé sa vie en fonction de la perte.
Exemple: « Écoute, j’ai bien compris que je n’avais aucune chance de récupérer mes données, mais plutôt que de jeter le disque dur, je te l’envoie pour que tu tentes l’impossible, même le démontage. Si tu y arrives, c’est fantastique, et si tu ne peux vraiment rien faire, c’est tant pis pour moi. »
Une fois le disque dur récupéré, j’ai immédiatement branché celui-ci sur une prise de courant. Résultat: bzzz (1s) « … » (2s) bzzz (1s), etc.
Comme expliqué à mon camarade, je ne suis pas magicien. Un disque dur est un miracle de technologie, une mécanique de précision. Tellement précis que les têtes de lecture sont profilées pour flotter sur un coussin d’air au plus près des plateaux magnétiques.
Je démonte quand même le boitier USB. J’en extrais le disque dur que je branche directement sur mon PC. Même bruit particulier. Comme si quelque chose empêchait les plateaux de se mettre à tourner. Je pars me coucher.
Le lendemain soir, je retrouve le disque dur que j’ai posé sur mon bureau où il va finir sa vie comme presse-papier. Je le regarde, pensif. Bzzz, « … », bzzz, « … », c’est vraiment comme si le moteur électrique n’arrivait pas à lancer la rotation des plateaux. J’inspecte les vis particulières qui scellent le boitier. Je sais que si je l’ouvre, dans l’atmosphère normalement poussiéreuse de mon bureau, je condamne définitivement les données stockées sur les plateaux.
Il ne me reste plus qu’une seule chose à tenter, une méthode que je tiens de mon père, qu’il tenait lui même de son père.
Je branche le disque dur sur une alimentation SATA externe que j’utilise lorsque je n’ai plus assez de branchements issus de l’alimentation de mon PC. Je constate qu’il fait toujours ce bruit de « démarrage bloqué ».
Je le saisis fermement.
Je le soulève de 10 cm au dessus de mon bureau.
Je frappe cette mécanique de précision, sensible et fragile, sèchement sur la surface de bois de mon bureau.
Une fois.
Deux fois.
Sur la tranche.
Sur le dessus.
Ce moment fascinant où l’on tape sur le bureau avec un disque dur.
Et ce soir là, un petit miracle s’est produit. Quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant. Le genre de truc qu’on lit sur internet sans vraiment y croire, du même genre que le coup du congélateur. Impossible ou improbable, il a toujours quelqu’un qui vous jure que ça marche, que ça a marché.
J’ai frappé un disque dur sur mon bureau, et il s’est remis à fonctionner. La méthode utilisée par mes père et grand-père sur leur télévision fonctionne donc. C’était donc vrai, la force brutale peut vaincre l’ingénierie la plus pointue.
J’ai pu récupérer toutes les données et rendre à un papa heureux toutes ses précieuses photos. J’ai certainement un peu entamé la durée de vie de son disque, mais je l’ai prévenu: « fais tes sauvegardes et prie pour que ton disque dure ».
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– Cette anecdote n’a aucun intérêt si ce n’est peut-être parce qu’elle est parfaitement authentique.
– J’engage mes lecteurs à ne pas répéter cet acte désespéré sur leurs propres disques durs, et encore moins sur des disques durs ne leur appartenant pas. Il s’agit effectivement ici d’un miracle. Et par définition, cela ne se reproduira pas.
– Aucun scellé n’a été blessé pendant cette séquence.