Imaginez: vous êtes assis sur plusieurs milliers de tonnes d’explosif à attendre le décollage. Votre cœur s’accélère, vos pensées s’affolent, le moment est historique: vous êtes le premier humain que l’on envoie vers Mars.
Le voyage est long, entrecoupé d’éruptions solaires contre lesquelles vous vous réfugiez dans un sarcophage de plomb. Les problèmes de poids, de nourriture et de coûts ont fait que malgré les problèmes psychologiques, vous avez été envoyé seul.
La solitude vous pèse, la distance et les risques ajoutent un stress qu’il est difficile de combattre. Les liaisons avec la Terre introduisent un décalage de plus en plus grand. Les réunions de famille en visioconférence sont trop espacées à votre goût, mais ils sont tellement occupés qu’ils ne voient pas le temps passer. Vous par contre…
Vous avez accepté deux conditions quasi inhumaines pour avoir la chance de partir comme premier explorateur: vous êtes seul, et le billet est sans retour. Cette deuxième condition a d’ailleurs déclenché énormément de polémiques avant le départ. Les « pro » et les « anti » se sont affrontés par média interposés, mais aussi physiquement. Et puis il y a la conséquence la plus terrible: l’abandon de la famille.
Mais la flamme est toujours là: explorer un monde nouveau, vivre une passion dévorante, être le centre d’intérêt de milliards de personnes.
L’arrivée sur Mars s’est bien déroulée. Le module a été rapidement transformé pour assurer un confort suffisant. Le site a été choisi pour la présence d’eau et la proximité d’une caverne. Votre centrale d’énergie doit tenir 20 ans: elle vous fournit l’oxygène extraite de l’eau. Vous avez suffisamment de nourriture déshydratée pour tenir. L’exploration peut commencer…
La science est un domaine d’exploration en elle-même: études géologiques, physiques, physiologiques, botaniques… A propos, parmi les graines amenées et plantées, certaines ont germé et se développent dans l’atmosphère tenue de Mars: la force de la vie. J’imagine qu’en cas de décès, des asticots surgiront de nulle part pour s’attaquer à mon corps!
Les réunions de famille ont trouvé leur rythme. Il y a longtemps que nous nous sommes habitués au procédé: une demi-heure pendant laquelle je parle, une demi-heure de pause en raison du délai de transmission d’un quart d’heure, et une demi-heure où toute la famille me répond. Pour eux, l’échange a duré une heure, sans interruption, et pour moi une heure et demi avec la pause d’une demi heure. La semaine suivante, on inverse les rôles.
Je me suis toujours demandé pourquoi un être humain devient fou lorsqu’il vit coupé du monde trop longtemps. Je n’en prends pas le chemin car j’ai la chance d’être en contact permanent avec des centaines de personnes. Ma famille bien sur, mes amis, et surtout le conseil scientifique qui filtre les demandes d’études en tout genre que je suis chargé de faire. Et bien entendu, une armée de techniciens qui m’aide à distance à l’entretien des équipements. Beaucoup de choses sont robotisées et télécommandées, mais j’ai toujours des améliorations à apporter, ou des montages à réaliser.
Aujourd’hui, c’est journée libérée. Tous les dix jours je dispose à ma guise du programme de la journée. J’en profite pour mener des explorations spéléos dans les différents gouffres que j’ai découverts. Je suis limité aux passages les plus larges à cause de ma combinaison, mais j’ai déjà parcouru plusieurs centaines de mètres sous terre et ramené des films et photographies extraordinaires. Autant la surface a été balayée par les vents et tempêtes de sables, autant le sous sol a préservé les fragiles constructions hydrogéologiques de l’époque où l’eau coulait sur (et sous) Mars. Je reviens couvert de souffre et d’argile. Un vrai retour des enfers…
J’en profite également pour alimenter mon blog et répondre aux commentaires. Ceux-ci sont beaucoup moins nombreux que sur mon blog officiel tenu par des collaborateurs de l’agence spatiale. Je tiens un blog parallèle sous pseudonyme: Zythom – Blog d’un informaticien expert judiciaire. C’est beaucoup plus sérieux.