Confidentialité par emails

MAJ 07/12/2007: ajout partie 5.
Billet initial du 05/12/2007.

Ce mémo est à destination des magistrats, greffiers, avocats et experts envisageant d’utiliser leur adresse email pour échanger des données confidentielles. Il sera développé, modifié et corrigé en fonction des commentaires et du temps que je pourrai y consacrer.

1) Problème
2) Solution retenue
3) Principes de chiffrement
4) Principes de signature
5) Les outils
6) Création de ses clefs
7) Les risques

1) Problème
Zythom, expert judiciaire, souhaite communiquer avec Maître Eolas, avocat, dans le cadre d’une expertise.
Les échanges doivent être confidentiels.
Il est possible que des documents soient annexés aux courriers échangés.
Les deux parties souhaitent avoir la preuve que l’autre a bien reçu et lu la correspondance (non-répudiation[1]).
Il va de soi que chacun souhaite également que la correspondance reçue et lue soit exactement celle qui a été envoyée (aucun tiers n’a réussi à la modifier).

2) Solution retenue
Pour des raisons légales, la solution retenue est basée sur l’utilisation de la messagerie électronique et la connaissance des adresses emails des deux parties. L’envoi d’un email équivalant à s’adresser des cartes postales, le choix est fait d’utiliser un système de chiffrement (parfois appelé à tort cryptage).
J’ai choisi le système GPG pour son universalité, sa gratuité, sa robustesse, sa qualité et sa licence libre.

3) Principes de chiffrement
Chaque partie dispose d’un couple de clefs qui va permettre la sécurisation des échanges: une clef privée (connue seulement de son propriétaire) et une clef publique (accessible à tous).

Ce qui donne:
Clef privée de Zythom et clef publique de Zythom,
Clef privée de Me Eolas et clef publique de Me Eolas.

Lorsque Zythom souhaite chiffrer un message adressé à Me Eolas (et à lui seul), il utilise pour cela la clef publique de Me Eolas pour chiffrer le message avant envoi (puisque la clef est publique, Zythom peut la connaître et l’utiliser).

Seul Me Eolas dispose de la clef permettant le déchiffrage (la clef privée de Me Eolas).
Même Zythom ne pourrait pas déchiffrer le message, puisqu’il ne dispose pas de cette clef privée indispensable (mais où est le problème, puisqu’il dispose du message avant chiffrage).

En résumé, lorsque l’on veut écrire à quelqu’un, il suffit de chiffrer le message avec la clef publique de cette personne.

Comment obtenir la clef publique d’une personne?
Et bien, il suffit de connaître son adresse email et de contacter un serveur de gestion de clefs publiques.

4) Principes de signature
Comment signer un document pour permettre d’identifier son auteur?
Par exemple, comment Zythom va-t-il signer un document de façon à permettre à Me Eolas de s’assurer que Zythom en est bien l’auteur?

Construction de la signature:
Zythom calcule la somme de contrôle[2] du message qu’il adresse à Me Eolas.
Cette somme de contrôle est ensuite chiffrée par Zythom avec sa propre clef privée (qu’il est le seul à détenir) et est jointe au document en tant que signature.

Vérification de la signature:
Me Eolas pourra alors calculer d’un côté la somme de contrôle du document qu’il a reçu, et d’un autre côté déchiffrer à l’aide de la clef publique de Zythom la signature jointe au document. Si les deux sommes de contrôle correspondent, l’auteur du document est identifié.

5) Les outils
Je n’ai pas la prétention de présenter tous les outils existants, ni même ceux couvrant toutes les configurations possibles. Je partage simplement mon expérience personnelle (forcément limitée).

La base:
Sous système d’exploitation Windows 2000/XP/2003/Vista: gpg4win. Choisissez a minima GnuPG et WinPT

Les messageries:
Les utilisateurs de Thunderbird installeront enigmail.
Les utilisateurs de Firefox installeront FireGPG qui fonctionne parfaitement pour Gmail.
Les utilisateurs d’Outlook: Personnellement, j’utilise beaucoup le copier/coller et WinPT avec le bloc notes.

6) Création de ses clefs
A venir…

7) Les risques
A venir…
La lecture des commentaires donnent déjà une bonne idée des risques.

[1] La non-répudiation signifie la possibilité de vérifier que l’envoyeur et le destinataire sont bien les parties qui disent avoir respectivement envoyé ou reçu le message. Autrement dit, la non-répudiation de l’origine prouve que les données ont été envoyées, et la non-répudiation de l’arrivée prouve qu’elles ont été reçues (extrait de wikipedia).

[2] La somme de contrôle, également appelée empreinte, résumé de message, condensé, condensat ou encore empreinte cryptographique, est calculée à l’aide d’une fonction de hachage.

Affaire Bernard (1868)

Avant de me prendre une volée de bois vert, je tiens à préciser que je suis moi-même expert en province et que le texte qui suit est extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897), sur lequel je fonde cette rubrique consacrée aux erreurs judiciaires du passé. Le texte n’est bien évidemment plus d’actualité.

La caravane du Progrès a son arrière-garde et ses traînards: médecins de petite ville, pharmaciens de chef-lieu de canton dont la science médico-légale retarde de dix ou vingt années. Le gros de la troupe n’offre guère plus de garantie. Sans doute, au chef-lieu du département, on reçoit les journaux médicaux, on lit les comptes rendus de l’Académie de médecine, on sait peut-être aussi bien qu’ailleurs soigner et guérir; mais la pratique de l’expertise manque. Un grand crime survient, la foule est déchaînée, le juge de paix ou le juge d’instruction nomme un expert chimiste ou un expert médecin. Voilà le nom de l’élu dans tous les journaux de France! Quelle gloire!… Mais s’il n’allait rien trouver dans les viscères de ce cadavre? Que dirait toute la ville convaincue de l’empoisonnement? S’il concluait à la mort par accident? Que de railleries! Et puis, plus de procès; adieu la déposition sensationnelle à la Cour d’assises, dans le grand silence de la salle bondée, les dames tendant l’oreille, les journalistes prenant des notes, adieu… (peut-être, qui sait?) le ruban rouge dont la demande serait appuyée par ces Messieurs du Tribunal ou de la Cour.

Certes, rien n’empêchera l’expert de conclure suivant sa conscience et sa science; malheureusement c’est dans le vertige de la gloire entrevue qu’il procèdera aux opérations dont on l’aura chargé.

Prévenue de suppression d’enfant, Adèle Bernard fut examinée par un médecin qui constata les traces d’un accouchement récent dont il plaçait la date au 8 octobre.

La jeune femme fut condamnée à six mois de prison le 6 novembre 1868 par le tribunal de Vie (Meurthe).

Le 24 décembre, elle mettait au monde un enfant à terme. Elle était enceinte de six mois au moment où l’expert avait conclu à son récent accouchement.

Appel fut interjeté par le procureur général (la défense n’a que dix jours pour en appeler à d’autres juges; l’accusation a deux mois). La Cour de Nancy, le 10 janvier 1869, acquitta Adèle Bernard.

Si la malheureuse eût été vierge, elle fût à jamais restée convaincue d’avoir supprimé son enfant.

Le législateur et les nouvelles technologies

J’ai eu la semaine dernière la visite d’un fournisseur ayant pris rendez-vous pour me présenter les matériels dernier cri de sa société. Il s’agit d’un fabricant de machines de mise sous plis. Il se trouve que nous disposons d’une telle machine âgée maintenant de cinq bonnes années et toujours ma foi en bonne santé, bon pied, bon oeil…

L’intrépide commercial sentant mon attention faiblir lors du rendez-vous, me sort l’argument massue pour réveiller mes ardeurs consuméristes:

« Mais savez-vous que nos machines de mise sous plis sont équipées du dernier système de gestion des incidents?! En cas de problème, plus besoin d’appeler un technicien qui viendra – quand il pourra – constater qu’il n’a pas la pièce! Il suffit maintenant d’appuyer sur le bouton rouge et la machine contactera immédiatement grâce à son modem intégré un serveur distant qui saura que vous êtes en panne et qui vous appellera immédiatement. »

J’ai donc expliqué au dynamique commercial qu’il me faudra donc mettre en place deux téléphones avec ligne directe (denrée rare dans mon entreprise, tant les numéros SDA sont hors de prix): l’un pour la machine, l’autre pour l’opérateur…

J’ai alors posé la question suivante:

« N’est-il pas possible de passer par internet? »

Devant les yeux arrondis de mon interlocuteur, j’ai senti que j’étais entré dans un autre monde, dans une autre dimension ou dans une autre époque.

« Mais monsieur, ne savez-vous pas qu’internet est empli de dangers pouvant mettre en danger toute votre installation, allant jusqu’à déclencher de fausses alertes!!! »

Me dire cela, en 2007, au XXI siècle, à moi…

Pourquoi commencer ce billet avec cette anecdote liminaire somme toute assez insipide?

Et bien, parce que finalement j’étais heureux de rencontrer encore quelqu’un qui se souvenait qu’une technologie mal utilisée pouvait être dangereuse (je parle d’internet, pas de la machine à mettre sous plis, il faut suivre, vous là-bas au fond!).

Et c’est là que nos législateurs entrent en scène.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais rappeler à mes lecteurs l’une des règles de base concernant Internet (je mets un « I » majuscule quand je veux):

l’échange sur internet de courriers électroniques non cryptés équivaut IRL à l’échange de cartes postales (sans enveloppe): tous les intermédiaires peuvent en lire le contenu. Quels sont ses intermédiaires? Les informaticiens responsables du serveur d’envoi de votre messagerie, toutes les personnes intervenant sur les actifs réseaux que vos emails emprunteront et enfin, tous ceux susceptibles d’accéder à la boite email de réception de votre correspondant. Sans compter que les emails peuvent rebondir vers des boites aux lettres « de sécurité », vers des serveurs de secours, quand ce n’est pas vers une boite aux lettres de votre prestataire informatique (si si j’ai déjà vu cela)…

Il est de plus EXTREMEMENT facile d’envoyer un email en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Vérifier dans votre poubelle à SPAM combien d’emails vos « amis » vous ont adressés pour vous permettre de gagner 20% de plus (devinez ce qui doit pousser de 20%? Ah, vous lisez trop de spam vous aussi…).

C’est l’une des raisons qui me pousse à continuer à adresser mes convocations en recommandé avec avis de réception, et mes pré-rapports par FAX. Je réserve l’utilisation de ma messagerie pour des messages du type « Cher Maître, suite à notre conversation téléphonique du 18 juin 1940, pouvez-vous me confirmer la date du 6 juin 1944 comme date de notre première réunion d’expertise? »

Et si la réponse consiste en une demande de transfert de fond d’une riche veuve nigérienne en total désaccord avec l’article 419, et bien je faxe sans confirmation en priant pour la survie dudit cabinet.

Vous comprenez donc que j’ai toujours caché ma joie en apprenant la mise en place entre experts et avocats de procédures d’échanges de données informatisés sécurisé(e)s

(je ne sais plus si ce sont les procédures, les échanges ou les données qui sont sécurisés…)

Quelle ne fût donc pas ma surprise, lorsque Maître Eolas attira tantôt mon attention sur le « décret n°2007-1620 du 15 novembre 2007 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l’utilisation des nouvelles technologies » m’entrainant malgré le poids de mon manque de sommeil dans la rédaction de ce [long] billet nocturne, post Cold Case.

Extrait du décret (je mettrai le lien en fin de billet pour éviter de perdre le peu de lecteurs arrivés à ce stade):

La copie des actes du dossier d’instruction […] peut être réalisée sous forme numérisée, qui est conservée dans des conditions garantissant qu’elle n’est accessible qu’aux personnes autorisées à la consulter.

A chaque transmission ou remise d’une copie numérisée, le greffier délivre une attestation indiquant qu’elle est conforme à l’original.

Les copies numérisées remises aux avocats […] peuvent être adressées par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique de l’avocat.

Ce qui signifie qu’un document aussi important que le dossier d’instruction, document de procédure plus confidentiel que le code secret de l’arme atomique (tatoué sur une oreille de Baltique?), va pouvoir circuler vers des adresses emails GMAIL, hotmail ou de feu la société « vouloir faire« …

Avez-vous lu quelque part les mots « cryptage », « PKI », « signature électronique »? Moi non.

Je passe sur le fait que l’attestation du greffier sera sans doute une document papier dument tamponné…

Et pourtant, à un moment, j’ai cru que nos législateurs avaient eu un sursaut technologique en lisant:

DE L’UTILISATION DE MOYENS DE TÉLÉCOMMUNICATION AU COURS DE LA PROCÉDURE

Extraits:

Pour l’application par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention des dispositions […] prévoyant la retranscription dans différents procès-verbaux des déclarations des personnes entendues en plusieurs points du territoire, il est procédé selon l’une des deux modalités prévues par le présent article.

Soit deux procès-verbaux sont dressés simultanément, l’un par le magistrat et son greffier dans les locaux de la juridiction, et l’autre par un greffier sur le lieu où se trouve la personne entendue, et ils sont signés sur place par les personnes présentes.

Soit un procès-verbal est dressé dans les locaux de la juridiction par le magistrat et son greffier, et ce document est immédiatement transmis sur le lieu où est présente la personne entendue, pour être signé par cette dernière, selon la procédure des contreseings simultanés […]

Hélas, pour ceux qui ne sauraient dire en quoi consiste la méthode de sécurité dite des « contreseings simultanés », voici sa définition selon l’article D.47-12-3 du code de procédure pénale:

Lorsqu’il est fait application de la procédure des contreseings simultanés, le procès-verbal est signé par le magistrat et son greffier, puis est transmis par télécopie ou par un moyen de communication électronique sur le lieu où est présente la personne entendue, pour être signé par cette seule personne. Ce document est immédiatement retourné au magistrat selon le même procédé. L’original du document signé par la personne entendue est ensuite transmis par tout moyen pour être joint au dossier de la procédure.

J’ai du relire plusieurs fois, et à cette heure avancée de la nuit faire un petit croquis (si si)…

Enfin, cerise sur le gâteau, le TITRE XII – DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Extraits:

Lorsqu’un protocole a été passé à cette fin entre, d’une part, le président et le procureur de la République du tribunal de grande instance et, d’autre part, le barreau de la juridiction représenté par son bâtonnier, les avocats de ce barreau peuvent transmettre à la juridiction par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique de la juridiction ou du service de la juridiction compétent, et dont il est conservé une trace écrite, les demandes, déclarations et observations suivantes :

[suit la liste de toutes les demandes possibles]

Ces transmissions sont effectuées, en respectant les modalités prévues par le protocole, à partir de l’adresse électronique professionnelle de l’avocat, préalablement communiquée à la juridiction, et après que les documents joints ont fait l’objet d’une numérisation.

Les messages ainsi adressés font l’objet d’un accusé électronique de lecture par la juridiction.

Ils sont considérés comme reçus par la juridiction à la date d’envoi de cet accusé, et cette date fait, s’il y a lieu, courir les délais prévus par les dispositions du présent code.

Là, je dois dire que j’en suis resté comme deux ronds de flan.

Il est 1h33 du matin, je vais me coucher.

Je relirai demain.

Désolé pour les fôtes.

Je laisse mes collègues informaticiens rompus à la pédagogie expliquer en détails les problèmes de sécurité liés aux emails.

Références bibliographiques:

Décret n°2007-1620 du 15 novembre 2007

L’éternel voyage de la science

Les experts les plus redoutables sont ceux dont la compétence paraît offrir le plus de garantie. En effet, si l’avocat peut toujours combattre, parfois victorieusement, les conclusions d’un expert graphologue, il osera plus difficilement discuter catégoriquement les rapports d’un grand professeur en médecine ou d’un chimiste dont la compétence est universellement reconnue.

Ainsi, le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, fit une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Il n’apprit pourtant l’existence des ptomaïnes qu’en 1875, par les travaux des professeurs Selmi de Bologne et Gautier.
Jusqu’à cette époque, toute substance alcaloïde toxique extraite d’un cadavre au cours d’une expertise médicale était réputée avoir été introduite criminellement durant la vie.

En 1875, le grand médecin légiste était alors parvenu au terme de sa carrière.

Quel effroi rétrospectif, quelle tristesse durent le saisir, lorsque la découverte de ces poisons nés de la mort lui révéla combien d’erreurs il avait pu commettre.
Il avait trouvé du poison; il pensait avoir touché du doigt le crime.
Mais l’empoisonneuse n’était que la Nature surprise en son labeur de décomposition.

Tardieu ne s’était jamais trompé. Il avait subi les ignorances de la science.

Il en sera toujours ainsi. Si savant soit-il, un savant ne peut savoir que tout ce qui se sait à son époque. Il s’en rend compte et, devant la justice, il emploie volontiers cette formule de haute modestie: « Dans l’état actuel de la science, je crois pouvoir affirmer telle ou telle chose ». Mais de cette réserve philosophique nul ne tient compte.
« Voilà ce qui me paraît être la vérité », dit le savant.
« Voilà la certitude », traduit la foule ignorante, oublieuse de « l’éternel voyage » de la science.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Échangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
Victor Hugo — Les Châtiments

Acte de réception d’Avocat

Mon père a trouvé dans une brocante un parchemin du 18e siècle portant comme titre « Acte de réception d’Avocat ». Nous l’avons fait encadrer pour le symbole qu’il représente et je vous livre ici la transcription que j’en ai faite. Je ne suis pas sur de tous les mots car la calligraphie était particulièrement difficile à lire pour mes yeux habitués aux polices TrueType.

Voici donc un petit morceau d’histoire:

L’an de Grâce mil sept cent sept le lundi vingt quatrième jour d’octobre au Pontaudemer devant nous Jean Legrix écuyer sieur de Henutamulle conseiller du roi lieutenant général crime et criminel et lieutenant criminel de monsieur le Bailly de Rouen aux bailliages du Pontautou et du dit Pontaudemer le lieutenant Général de Police ont siégés vu la requête présentée par Anne François Lebourg disant qu’il a obtenu ses licences en droit en l’université de Caen après avoir étudié pendant les temps portés par la déclaration du roi et y avoir expressément obtenu ses lettres de bachelier pourquoi je vous présente sa requête à ce qu’il nous plaira lui accorder acte de la représentation qu’il faut de ses dites licences et lettres de bachelier ordonne qu’elles seront enregistrées au greffe pour y avoir recourt et que son nom sera inscrit au catalogue des Avocats pour en faire les fonctions faisant droit sur ladite requête vu les dites licences et lettres de bachelier obtenues par le dit sieur Lebourg, les plans d’assignation faites aux témoins baillés en liste par le procureur du roi pour être informé de la vie et moeurs et conversation de religion catholique apostolique et romaine du dit sieur Lebourg par Pierre Letellier greffier fait et constaté en cette ville pour conclure ci-joint et pour information faite en conseil par nous de ce dit jour et en main les conclusions du procureur du roi auquel Lebourg a été communiqué nous avons accordé acte au dit sieur Lebourg de la représentation qu’il a faite de ses dites licences de bachelier ordonne qu’elles seront enregistrées au greffe de ce siège pour y avoir recourt et sieur Lebourg admis et reçu au serment d’Avocat permet alors de postuler et plaider comme les autres Avocats de ce dit siège à laquelle fut ordonné que votre nom sera inscrit au catalogue des Avocats de ce dit siège a lui enjoint de garder et obtenus les ordonnances avec en règlement de la cour ce qu’il a juré et promis faire sous promesse.
requête présentée par Anne François Lebourg

Affaire Castro (1854)

Les experts en écriture ne sont pas seuls à donner à rire… à rire au public et à pleurer aux inculpés. Trop persuadés de leur compétence, ceux que le juge appelle à son aide ne veulent jamais avouer que leur sagacité est en défaut. De là des expertises comme celles de cet honorable carrossier.

Dans les premiers jours du mois de janvier 1854, M. Castro, agent comptable de la Compagnie du chemin de fer de Bordeaux à Bayonne, parcourait la route impériale, entre Dax et St-Vincent-de-Tyrrosse, dans un cabriolet conduit par le voiturier Barbet.

Il avait placé, à St-Geours, dans la voiture, une somme de 24000 francs divisée en trois groupes, dont deux dans la caisse du cabriolet et le dernier sous les pieds des voyageurs.

Arrivés à St-Vincent, M. Castro et son conducteur constatèrent la disparition des 16000 francs enfermés dans la caisse qui était effondrée; il ne leur restait que les 8000 francs placés sous leurs pieds.

La justice avertie se livra à des recherches, ne recueillit aucun renseignement précis, mais devant la déclaration du carrossier chargé de l’examen de la caisse de la voiture, elle arrêta M. Castro et son conducteur, les accusant d’avoir détourné à leur profit les 16000 francs disparus.

De l’expertise, en effet, il résultait que la caisse avait été enfoncée volontairement et pour donner le change. Il y avait eu crime et non accident.

La chambre des mises en accusation avait déjà renvoyé Castro et Barbet devant la Cour d’assises des Landes, lorsque les dépenses exagérées d’un nommé Ditcharry, habitant d’une commune voisine de Dax, éveillèrent l’attention, puis les soupçons de la justice.

Ditcharry avait trouvé sur la route les 16000 francs perdus par Castro. La caisse du cabriolet s’était brisée toute seule.

En dépit du carrossier-expert, il fallut acquitter l’agent comptable et son voiturier. A titre de réparation, sans doute, le président de la Cour d’assises adressa quelques paroles de consolation aux accusés:

« La Providence, comme pour nous pénétrer du sentiment de notre faiblesse, comme pour signaler à la justice humaine la nécessité de la plus rigoureuse prudence, permet aux hommes les plus sages de s’égarer dans leurs appréciations. »

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Où sont les femmes ?

Où sont les femmes ? Avec leurs gestes plein de charme…
Chantait Patrick Juvet en 1977.

En effet, il y a très peu de femmes expertes judiciaires en informatique (mais heureusement il y en a!). Pourquoi?

Je ne sais pas…

Pourquoi les femmes ne sont-elles pas attirées par ce type d’activité?
On trouve des femmes magistrates, avocates, gendarmes, policières… mais très peu de femmes expertes judiciaires en informatique.

Il n’y a pas d’explication. C’est comme cela.

Au point qu’une fois, en étudiant mon inscription à un congrès organisé par une compagnie d’experts judiciaires, et alors que les sujets d’étude évoqués nous intéressaient mon épouse et moi-même, nos regards furent attirés par le programme spécial prévu pour les « accompagnantes ».

Il était écrit « accompagnantes » et non pas « accompagnants ».

Les organisateurs n’avaient pas prévu qu’une femme puisse s’inscrire en tant qu’experte (ou qu’un expert vienne accompagné d’un homme…). Ils n’avaient pas prévu non plus que les conjoint(e)s puissent être intéressé(e)s par les débats techniques.

A ma question téléphonique, il me fut répondu « et bien inscrivez vous tous les deux comme congressistes ».

Oui, mais les prix ne sont pas les mêmes: un tarif réduit pour un expert plus un plein tarif pour un extérieur, alors que les conjoint(e)s étaient sensé(e)s ne pas payer…

Femmes, déposez des dossiers de candidature pour devenir expertes judiciaires!

Je suis sur que cela changera l’atmosphère de certaines réunions d’expertises…
Et puis comme cela, mon couple aura des tarifs réduits 🙂

Affaire Goujon (1809)

Dans les siècles passés, l’expertise était semble-t-il une profession, et les experts, et bien, dépendaient financièrement de celui qui les nommait, c’est-à-dire par exemple le juge d’instruction. Du coup, l’indépendance des experts pouvait parfois laisser à désirer.

Je tire cette information d’un passage de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897) sur lequel est basé cette série de billets:

On ne ménage aux experts ni les railleries ni les critiques. Ils mériteraient un peu d’indulgence. Entre l’enclume de l’accusation et le marteau de la défense, leur position n’est guère enviable! On leur reproche d’avoir, pour l’inculpé, les yeux du ministère public. Comment en serait-il autrement?

La profession d’expert est une profession; le seul amour de leur art n’anime pas ceux qui l’exercent. Or, quoique les frais et honoraires d’expertise paraissent lourds au justiciable, les vacations sont en réalité des plus médiocres. Pour vivre, l’expert a besoin de succomber sous le poids des expertises.

Et de qui ce nombre dépend-il? Quel est le dispensateur des affaires à examiner? C’est le juge d’instruction; c’est lui qui , sur la liste dressée par le président du tribunal, nomme les experts et choisit ceux « sur lesquels il peut compter ». Un expert sur lequel on peut compter, c’est, dans les affaires commerciales et financières, par exemple, un auxiliaire, un collaborateur qui prend l’affaire dès son début et la rapporte toute faite: quelques interrogatoires de forme, et le juge peut rendre l’ordonnance; le procureur n’aura qu’à résumer son rapport.

Nous n’en prétendons faire grief à personne, mais l’expert auquel est confié le plus de travaux est celui dont les avis sont le plus fréquemment d’accord avec la prévention(1). Aux yeux du magistrat, justifier l’inculpation est, de la part de son auxiliaire, une preuve de capacité.

Les experts sont d’ailleurs compétents pour la plupart et tous sont loyaux en leur partialité. Mais ils sont forcés d’expertiser à charge, sous peine de ne plus expertiser du tout.

Il semble aux magistrats qu’un expert favorable à la défense ne peut être sincère et le ministère public, à l’audience, n’a pas hésité parfois à déclarer suspectes des conclusions sur lesquelles il ne pouvait s’appuyer.

Tristes époques où le système judiciaire était biaisé…

Ceci m’amène à vous narrer une histoire montrant le côté (trop) humain des experts, et qui n’est pas sans rappeler l’abandon actuel dans lequel sont parfois laissé les personnes qui amène leur témoignage à la justice.

Devant les jurés de la Gironde comparaissaient le 16 novembre 1809 trois assassins présumés d’un nommé Léonard Goujon, dont on avait découvert le cadavre dans un lac voisin de Blaye.

Une pièce essentielle avait été soumise à la sagacité de trois experts en écritures. C’était une sorte de testament de mort laissé par la victime et qui contenait cette phrase:

« Je pars pour m’aller noyer »

On comprend, sans autre détail sur les faits, l’importance d’un tel document. S’il émanait vraiment de Léonard Goujon, l’accusation s’effondrait dans le doute. Le suicide devenait vraisemblable et, par suite, l’acquittement nécessaire.

Si, au contraire, l’écrit était l’œuvre de faussaires, c’était là, contre les accusés, une présomption bien grave.

Au cours de l’instruction, les trois experts avaient conclu à la fausseté du testament. L’un ne pouvait affirmer que la pièce fût falsifiée, mais « les date et signature étaient positivement d’une autre main que celle de Goujon« . Les deux autres experts, après un long examen « par tous les motifs que leur art pouvait indiquer » déclarèrent contrefaites les vingt-et-une lignes du document qui leur était soumis.

Mais à l’audience, deux sur les trois jurèrent qu’ils s’étaient trompés du tout au tout dans leur rapport! Vous allez comprendre très vite pourquoi, avec le réquisitoire du procureur général:

Tant que les experts ignorèrent quels étaient les accusés, dit-il, et quelle peine ils avaient encourue, seuls avec leur conscience ils dirent ce qu’ils voyaient.

Connus maintenant par les accusés et par leurs amis, instruits des conséquences terribles que peut avoir leur déclaration, deux d’entre eux les rétractent, et s’accusent d’ignorance ou d’irréflexion.

Je sais combien leur art est conjectural. Il y a pourtant des caractères auxquels cet art distingue la différence de la main, et la justice, en matière de faux, n’a guère d’autre guide… C’est après un examen approfondi que l’un avait déclaré fausses les vingt-et-une lignes en entier, et les autres les date et signature.

Alors, ils ne connaissaient ni les accusés, ni leurs protecteurs, ni les graves conséquences des déclarations qu’ils allaient faire.

Aujourd’hui, sur un simple aperçu, sans réflexion, pour ainsi dire sans examen, dans le trouble qu’inspirent une assemblée très nombreuse, la présence des magistrats et plus encore celle des prévenus, ils rétractent ces déclarations et l’on voudrait que nous leur accordassions une confiance entière!

Il n’était pas simple d’être expert judiciaire en ces temps anciens!

(1) NDZ: Prévention / Terme technique qui désigne ce qu’on pourrait appeler les « chefs d’accusation ». (Merci à Paxatagore) / Droit qu’un juge a de connaître d’une affaire parce qu’il a été saisi le premier / Opinion formée sans examen, état d’un esprit disposé d’avance.

Affaire Bellanger (1599)

En l’an 1599, sous le règne du Béarnais, un nommé Jean Prost demeurant à Paris, à l’auberge des époux Bellanger, disparut de son domicile. Sa mère, après avoir attendu vainement son retour pendant de longues semaines, porta plainte au lieutenant criminel; elle accusait les aubergistes du meurtre de son fils.

Les premières constatations du juge parurent confirmer la dénonciation de la dame Prost.

Les Bellanger avaient eu le tort de s’approprier une partie des hardes et tout l’argent laissé par Prost dans la chambre; ces effets retrouvés chez eux, en donnant au crime un mobile, semblèrent la démonstration de leur culpabilité.

En vain, prétendirent-ils avoir gardé ces objets pour se payer de ce qui leur était dû par leur hôte, leurs protestations n’ébranlèrent pas la conviction des juges: les Bellanger avaient assassiné Jean Prost pour s’emparer de ses effets.

L’attitude des accusés, au début de l’instruction, fut relevée contre eux comme une charge décisive: n’avaient-ils pas soutenu à plusieurs reprises qu’ils n’étaient pas même entrés dans la chambre de Prost depuis sa disparition, alors que leur enfant déclarait qu’à trois reprises ils avaient forcé la porte de cette pièce et qu’ils y avaient pris de l’argent?

Bellanger fut condamné à la question ordinaire et extraordinaire.

Il y a deux sortes de question ordinaire et extraordinaire qui s’exécutent dans l’étendue du parlement de Paris: à l’eau et aux brodequins. Dans d’autres parlements il s’en donne de plusieurs sortes, comme les mèches allumés entre les doigts, ou l’estrapade avec poids aux pieds et bras derrière le dos. La différence entre la question ordinaire et extraordinaire réside dans le degré de souffrances infligées: la quantité d’eau dans un cas, le nombre de coins pour les brodequins. Il faut remarquer que les brodequins se donnent plus rarement que l’eau car ils peuvent estropier le patient en faisant éclater les os…

La torture n’arracha pas d’aveux à Bellanger, et il fut sursis à statuer définitivement jusqu’à ce qu’une nouvelle preuve de culpabilité fut apportée.

Ce fut une preuve d’innocence que le hasard fournit, à quelque temps de là: deux individus arrêtés et poursuivis pour vol furent condamnés à mort et l’un d’eux, au pied de la potence, avoua sa culpabilité dans le crime reproché aux hôteliers.

La justice alors, n’accordait pas de réparation à ses victimes… Mais jadis comme aujourd’hui, ceux qui avaient eu le plus à souffrir de la justice gardaient encore confiance en elle. Bellanger, estropié par les chevalets de la question, s’adressa au parlement de Paris pour qu’il proclamât son innocence et la condamnation à des dommages-intérêts de la mère de Prost dont les accusations calomnieuses avaient eu pour lui et les siens de si déplorables conséquences.

L’avocat général Servin dans ses conclusions, exprima l’avis que si l’innocence des époux Bellanger devait être proclamée, il ne pouvait leur être alloué aucun dommage-intérêt, parce que, dit-il, si l’accusé avait souffert de la question, il devait se l’imputer à lui-même; il s’était perdu par ses réponses, et avait éprouvé la vérité de cet oracle de l’Ecriture:

Mors et vita in manu linguae; qui diligunt eam, comedent fructus eius.

La mort et la vie dépendent du langage, qui l’affectionne pourra manger de son fruit.

(Proverbes – Traduction œcuménique de la Bible – Capitulum 18 v. 21)

L’avocat général finit en disant qu’il n’était pas juste que l’accusé demandât des dommages-intérêts pour des poursuites que la mère de Prost n’avait point faites par un esprit de calomnie, et qu’il devait « recevoir cet accident comme une épreuve du ciel ».

Le Parlement adopta l’opinion de Servin et un arrêt du 17 janvier 1600 ordonna la mise en liberté des époux Bellanger dont l’innocence était reconnue, mais il leur refusa la réparation pécuniaire qu’ils réclamaient contre leur accusatrice.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Les erreurs du passé

En fouillant dans mes vieux livres, je suis tombé sur un ouvrage remarquable intitulé « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven.

Cet ouvrage date de 1897.

Après l’avoir dévoré, ce livre m’a décidé de créer sur ce blog une rubrique consacrée aux erreurs judiciaires des siècles passés (hors 20e et 21e siècles). Je vais commencer par de larges extraits de cet ouvrage.

Il ne s’agit pas ici de dénigrer mes confrères d’antan, je n’ai pas oublié la notion de respect confraternel, même à travers les âges, mais plutôt de m’adresser aux (futurs) jeunes experts. L’historien qui relève les fautes des gouvernements passés ne rend-il pas service aux gouvernants du jour? Plus que les autres, ceux-ci ne doivent-ils pas bénéficier des critiques et puiser des enseignements dans les faits?

Ainsi les experts qui parcourront cette rubrique trouveront, dans ce martyrologe, des avis et des exemples. Et si jamais, au moment de signer un rapport dont leur conscience s’inquiète, le souvenir d’un de ces billets traverse leurs hésitations, leur fait poser la plume et leur évite – qui sait? – une involontaire injustice, peut-être devront-ils à l’auteur de ce blog quelque reconnaissance.

Il est fascinant de constater qu’en matière archéologique, l’exhumation des corps anciens ne choque personne. Elle nous apprend tant sur la nature humaine. Etudier les mœurs anciennes nous amène fatalement à réfléchir sur nous même.

Il y a beaucoup d’intervenants dans un procès: les magistrats, les avocats, les experts, les greffiers, les témoins, la foule, le public, les journalistes, l’opinion… Dans les affaires que j’ai dénichées dans mes fouilles archéologiques, vous verrez tous ces intervenants à un moment ou à un autre. C’est parfois surprenant, souvent désastreux, toujours catastrophique pour l’innocent.

Dans toute affaire terminée par une condamnation erronée, l’un des acteurs, à un moment quelconque, a enfreint une règle essentielle de sa délicate mission. Et directement ou non, l’erreur est née de cette faute. Par penchant, plus souvent par imprudence, langueur d’esprit, désir d’arriver à un résultat ou crainte de laisser un crime impuni, quelqu’un a pris parti contre le prévenu. Dès lors, il l’a tenu coupable. Il n’a pas conçu la possibilité de son innocence, et, pour découvrir la vérité, il a cru qu’il suffisait de chercher des preuves de culpabilité. Les meilleurs s’y laissent aller. Ils croient bien faire, et préparent « des condamnations plus crimineuses que le crime » [Montaigne, Essais, livre III, chap.XII].

Et cela, parce qu’une qualité leur manque, une qualité qui peut devenir un défaut chez d’autres hommes, mais qui devrait être la vertu maîtresse de tous les acteurs du procès: l’inquiétude d’esprit, qui fait qu’après avoir trouvé le vrai, on le cherche encore.

Vous verrez également que les siècles se suivent et parfois se ressemblent.

A suivre.