L’interrogatoire

L’homme qui est en face de moi est souriant. Il m’inspire confiance et coopère complètement avec moi, malgré le stress.

Il
faut dire que ce n’est jamais très agréable de se retrouver avec, dans
son bureau, un expert judiciaire, son patron, un huissier de justice et
un représentant syndical…

Pour lui, tout cela n’était pas prévu.

Je lui pose des questions sur son métier d’informaticien, sur l’entreprise dans laquelle il travaille, sur ses responsabilités.
Je lui pose quelques questions techniques pour lui montrer que je
partage avec lui un intérêt et des compétences similaires. Nous sommes
du même monde, ce monde informatique que peu d’utilisateurs comprennent
vraiment…

Il
est à lui tout seul le service informatique : il gère le réseau, le
serveur, la hotline, les commandes, les réparations, les interventions.
L’entreprise n’est pas bien grande, mais il en est l’homme clef pour la
partie informatique/réseau/télécom.

Je
lui pose LA question : « avez-vous utilisé le mot de passe de votre
patron pour vous connecter sur son compte et accéder à des données
confidentielles ? »

Il
me regarde et sa réponse est limpide : « Non. Je n’ai pas accédé au
compte informatique de mon patron. » Son regard est franc, un bon rapport
de confiance s’est établi entre nous, il est jeune, il manque encore un
peu d’expérience, je le crois.

Je
demande au patron l’autorisation d’avoir accès aux différents
ordinateurs utilisés par son informaticien. Il y a un ordinateur de
travail posé sur un bureau encombré de câbles, de post-it, de figurines
de Star Wars. Je passe une heure entouré de tout ce petit monde à
regarder son contenu, à expliquer à l’huissier ce que je fais, ce que je
vois. Je contourne le répertoire marqué « privé », bien que l’ordinateur
soit strictement professionnel.

Il faut dire que nous sommes en pleine période « arrêt Nikon »
et que beaucoup de discussions ont lieu sur la cybersurveillance. Tout
ce que je sais, c’est que pour qu’une fouille soit possible, qu’elle
concerne une armoire personnelle ou un support dématérialisé, elle doit
avoir un fondement textuel, ou être justifiée par des circonstances
exceptionnelles et des impératifs de sécurité, ou être contradictoire,
et respecter le principe de proportionnalité. Je ne suis pas un fin
juriste, mais je n’ouvre les répertoires privés qu’en dernier recours…
Les photos des enfants et de la famille qui trône autour sur les écrans
suffisent déjà à me mettre mal à l’aise.

L’ordinateur
fixe semble clean, je ne trouve rien de suspect. Je demande à
l’informaticien s’il dispose d’un ordinateur portable pour son travail.
Il me répond que oui, qu’il est dans sa sacoche. Le patron fait quelques
commentaires sur le prix de ce joujou qui, à l’époque, coûte plusieurs
fois le prix d’un ordinateur fixe.

J’interroge l’informaticien sur l’utilisation de cet ordinateur portable.
Il m’explique que cela facilite ses interventions sur les actifs du
réseau, ou à distance lorsqu’un problème survient et qu’il est chez lui.
Il est très fier de m’indiquer qu’il dispose d’une ligne ADSL, chose
plutôt rare à l’époque. Nous échangeons sur le sujet quelques commentaires techniques, le courant passe bien entre nous. Je compatis à sa situation embarrassante de premier suspect aux yeux de son patron.

Il
me fournit facilement les mots de passe d’accès aux machines, aux
applications. Il est serein et répond facilement à mes questions. Une
heure se passe encore, et je ne trouve rien de particulier sur son
ordinateur portable.

Je prends dans ma mallette un liveCD (HELIX, distribution gratuite à l’époque. Aujourd’hui j’utilise DEFT) pour démarrer son portable sans modifier son disque dur. Je lance quelques outils d’investigation.

Je
vois son regard intéressé de connaisseur. J’explique ce que je fais
pour que l’huissier puisse rédiger son rapport. Je sens l’attention de
l’assistance remonter un peu après ces deux heures plutôt soporifiques.

Je
demande au patron son mot de passe. Un peu surpris, celui-ci me le
donne. Je le note, et l’huissier aussi. Je fais une recherche du mot de
passe en clair avec une expression rationnelle simple.

Et là, bingo. Je trouve le mot de passe du patron en clair. Stocké dans un fichier effacé.

Je
lève les yeux, je regarde l’homme assis à côté de moi. Sans un mot. Son
visage jovial se transforme. Son regard se durcit. J’y vois de la
haine. La métamorphose est tellement rapide que je reste stupéfait.
Personne autour de nous n’a encore compris ce qu’il vient de se passer.

J’explique à voix haute ce que je viens
de trouver : un fichier effacé contenant le mot de passe en clair du
patron. Une analyse rapide montre la présence du logiciel John The Ripper.

Je me suis fait balader depuis le début.

Le contact amical que j’avais établi était une illusion.

L’innocent vient de devenir coupable.

La suite de l’enquête montrera le piratage du compte du patron, les accès aux données confidentielles et leurs modifications.

Je ne suis pas fait pour mener correctement un interrogatoire : j’ai trop d’empathie. Mais jamais je n’oublierai la transformation de son visage et l’étincelle de haine que j’ai vu dans son regard ce jour là.

Points de vue

Nous sommes plusieurs hommes en costume ou en uniforme dans la pièce, sous le regard stressé du locataire des lieux qui assiste à notre perquisition.

Quelques minutes auparavant, nous avons sonné à 6h05 à la porte du logement, comme demandé par notre ordre de mission. J’assiste les forces de l’ordre, l’huissier et le serrurier. Je n’en mène pas large.

L’homme nous a ouvert la porte un peu hagard. Il était déjà debout et en train de se préparer pour aller travailler. Sa femme est en robe de chambre, se demande ce qu’il se passe, qui peut frapper à la porte à cette heure, et nous dit de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller les enfants.

Chacun observe la scène de son propre point de vue. L’huissier explique l’intervention à l’homme qui vient d’ouvrir la porte, les policiers sont en attente, légèrement en retrait. Le serrurier et moi sommes derrière ce rideau humain en train de découvrir la violence psychologique de ce type d’intervention. L’homme qui ouvre la porte écarquille les yeux et écoute les griefs qui lui sont reprochés. Sa femme qui est derrière lui est en colère mais pense à ses enfants qui dorment…

Je suis maintenant dans une pièce encombrée de matériel informatique : plusieurs ordinateurs fixes, des ordinateurs portables, des téléphones, des switchs, des câbles… Sans bruit, les policiers ouvrent les armoires, les tiroirs, les placards, pendant que l’huissier prend des notes. La liste du matériel à analyser s’allonge, me dis-je. Le serrurier s’ennuie dans un coin.

J’entends un enfant qui pleure et sa maman qui lui parle pour le rassurer. Quelques minutes après, je le vois entrer dans le bureau où nous sommes. Il me regarde. De son point de vue, je suis un étranger qui est dans le bureau de son papa en train de fouiller ses affaires.

Je l’ai lu quelque part, les enfants voit le monde plus grand qu’il n’est, plus impressionnant. Pour leur parler, il est conseillé de se mettre à leur hauteur. Face à cet enfant apeuré, mais suffisamment courageux pour affronter un groupe d’inconnus, je m’assois sur les talons et met mon regard au niveau du sien. Je lui parle avec ma voix la plus douce possible en essayant d’y gommer toute la tension que je ressens. Je le rassure sur nos intentions, je reprends les arguments utilisés par sa mère. Il repart prendre son petit déjeuner.

Pendant notre échange de moins d’une minute, tout le monde s’est arrêté de parler et de travailler, pour nous regarder et nous écouter. Les policiers ont hoché la tête en voyant le « petit d’homme » partir la tête haute. Le père a hoché la tête. La mère, toujours en colère, m’a foudroyé du regard. Question de point de vue.

Avant de me relever, je perçois sous le plan de travail du bureau, un petit NAS qui est jusqu’à présent passé inaperçu à la fouille du bureau. J’ai pu le signaler à l’huissier qui l’a ajouté à ses notes, et a allongé ma liste des choses à analyser. Il n’était visible qu’accroupi devant le bureau. Question de point de vue.

–oOo–

Il y a plusieurs façons de réagir à cette anecdote :

– il y a le lecteur qui privilégiera le point de vue « intrusion dans la vie privée ».

Le réflexe est alors de se mettre du côté de la famille, de se demander si c’est bien normal de pouvoir entrer chez les gens comme cela. La maison doit être sanctuarisée. C’est un point de vue que je partage aussi.

– il y a celui qui se demandera comment mieux planquer ses données.

Cacher ses données privées pour les protéger devrait être un réflexe chez tout le monde. Les solutions ne manquent pas: externalisation chez un tiers de confiance, répartition dans plusieurs pièces, chiffrement, etc. Les données privées doivent répondre à des niveaux d’accès contrôlés: le monde extérieur, les amis, les enfants, le conjoint… Et il faut bien sur prévoir le cas où le monde extérieur s’invite à l’intérieur. C’est mon point de vue.

– il y a celui qui se placera du côté de la loi, du côté de la force publique, du côté de la société, du côté des victimes de cet homme.

Cet homme est suspecté d’avoir commis des actes criminels odieux. Il est facile de le voir comme un monstre, comme un danger pour les autres. Et si c’était mes enfants qui avaient été les victimes de ses actes ? Je partage ce point de vue.

– il y a celui qui se placera du côté de l’expert.

Comment un homme de science réagit-il lorsqu’il est sorti de sa tour d’ivoire pour être plongé dans le quotidien d’un huissier, d’un policier ? Est-il formé, est-il prêt ? Doit-il assister en simple spectateur et refuser d’être acteur ? Doit-il tout accepter, ou tout laisser faire ? L’expérience de Milgram est passée par là…

– il y a le point du vue du policier, de l’huissier, du magistrat, de l’informaticien, de l’avocat, mais aussi du comptable, de l’instituteur, de l’ancienne victime, du politique, du médecin, de la secrétaire… J’écoute souvent ses points de vue lorsque je discute avec ces personnes. Je partage souvent leurs vues.

Prêter ses connaissances au service de la justice, c’est aussi remettre en cause ses positions, ses opinions, son point de vue. C’est faire du doute un élément de méthodologie scientifique. Les choses sont toujours plus compliquées qu’elles n’en ont l’air. Le café du commerce est un monde en noir et blanc sans nuances de gris ni couleurs.

Enfin, c’est mon point de vue.

Et le votre ?

Expert près la Cour Administrative d’ Appel

Pour la première fois, les Cours Administratives d’Appel sont tenues de mettre en place un tableau des experts. Si vous souhaitez postuler pour y être inscrit, il faut déposer la demande d’inscription avant le 15 septembre prochain. Je vous recommande d’anticiper cette date le plus possible pour éviter le rejet inéluctable de votre demande en cas de dossier incomplet.

Mais avant, revoyons tout cela tranquillement.

Qu’est-ce que donc que la justice administrative ?

N’ayant jamais étudié le droit, je fais parti des Mékeskidi en la matière. Heureusement, il y a d’excellents sites qui expliqueront tout cela mieux que moi, à commencer par celui de Maître Eolas:

le grand divorce de 1790 : la séparation des autorités administratives et judiciaires

L’autre justice

L’autre Justice (2)

Pour ceux qui ont le tort de ne pas lire ces trois billets, voici un raccourci :

Il existe en France deux juridictions séparées : l’ordre administratif et l’ordre judiciaire. L’existence de ces deux ordres de juridictions distincts est en France le produit de l’histoire, fruit de la volonté d’empêcher le juge judiciaire de s’immiscer dans les questions de l’administration (source Wikipédia).

Tenant compte des déboires qu’ont connus les Rois de France avec les parlements et craignant d’être entravés à leur tour dans leur action, les révolutionnaires construisent un système visant à empêcher les magistrats d’influer sur la vie politique et législative.

Du juge, ils n’attendent que la stricte application de la loi, émanation de la souveraineté populaire, qui ne souffre ni interprétation, ni détournement -interdiction leur est faite de prendre des décisions de règlement, et obligation leur est faite d’en référer au législateur pour interpréter la loi. Mais avant tout, les révolutionnaires interdisent aux juridictions judiciaires d’exercer leur contrôle sur les différends susceptibles de naître entre les administrés et l’administration.

Dès lors, sont créés deux ordres distincts : un ordre administratif, chargé du contentieux administratif opposant les citoyens à l’administration, et un ordre judiciaire, chargé de régler les conflits entre personnes privées et de sanctionner les infractions à la loi. (source justice.gouv.fr)

Et les experts dans tout cela ?

Attention, en parlant d' »experts », il faut bien préciser le mot, tant la notion est floue et prête à confusion dans la langue française. Les tribunaux de l’ordre judiciaire, lorsqu’ils ont besoin de l’aide d’un technicien pour juger une affaire, font appel à des personnes inscrites sur une liste tenue par chaque Cour d’Appel. Les personnes inscrites sur ces listes sont appelés « experts judiciaires ».

Jusqu’au 31 décembre 2013, un seul article du code de justice administrative faisait référence à l’établissement des tableaux d’experts: « chaque année, le président procède, s’il y a lieu, à l’établissement du tableau des experts près la juridiction qu’il préside« . Depuis le 1er janvier 2014, cet article est remplacé et les Cours Administratives d’Appel doivent mettre en place une liste expertale.

Expert administratif ?

Quel sera le titre donné à ces « nouveaux » experts, je ne sais pas. Le décret n°2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de
justice administrative, ne parle en effet (dans son chapitre IV) que
« d’un tableau des experts auprès de la cour et des tribunaux
administratifs du ressort ». Mais les associations qui regroupent les personnes inscrites sur ce type de liste ont trouvé un terme: au lieu « d’expert judiciaire », il faudrait maintenant parler « d’expert de justice ». Toutes les associations ont donc changé leurs noms (ou sont en train de le faire), ce que vous pouvez constater dans votre moteur de recherche favori en tapant les mots clefs « compagnie » « expert » « judiciaire » (exemple ici avec mon moteur préféré).

Pour ma part, je trouve tout cela un peu confus, puisque l’inscription à une association d’experts n’est pas obligatoire, et qu’il y aura des experts judiciaires non administratifs, des experts administratifs non judiciaires et des experts judiciaires et administratifs… J’attends d’y voir plus clair avec un texte de loi. En attendant, je parlerai d’expert administratif, ou d’expert près une cour administrative d’appel.

Il est à noter qu’aucune procédure n’a été créée (à ma connaissance) pour le tableau des experts près le Conseil d’État, qui est le pendant de la Cour de Cassation.

La procédure d’inscription

Le président de la cour administrative d’appel procède aux inscriptions, après avis d’une commission composée des présidents des tribunaux administratifs du ressort et d’experts en nombre au moins égal au tiers de ses membres. Il arrête les inscriptions en fonction des besoins des juridictions dans les différents domaines d’activité dans lesquels les juridictions administratives peuvent avoir recours à une expertise. Ces domaines d’activité sont recensés dans une nomenclature arrêtée par le vice-président du Conseil d’Etat.

Vous noterez la ressemblance avec la nomenclature utilisée par l’ordre judiciaire.

Voici quelques rubriques pouvant intéresser un informaticien:

E. ― INDUSTRIES

E.1. Électronique et informatique.

E.1.1. Automatismes.

E.1.2. Internet et multimédia.

E.1.3. Logiciels et matériels.

E.1.4. Systèmes d’information (mise en œuvre).

E.1.5. Télécommunications et grands réseaux.

F. ― SANTÉ

F.5. Biologie médicale et pharmacie.

F.5.5. Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication.

G. ― MÉDECINE LÉGALE, CRIMINALISTIQUE ET SCIENCES CRIMINELLES

G.2. Investigations scientifiques et techniques.

G.2.5. Documents informatiques.

Si vous travaillez dans un service informatique:

G.3. Armes. ― Munitions. ― Balistique.

G.3.1. Balistique.

G.3.2. Chimie des résidus de tir.

G.3.3. Explosifs.

G.3.4. Munitions.

G.3.5. Technique des armes.

sans oublier

H.1. Interprétariat.

H.1.3. Langue française et dialectes.

H.3. Langue des signes et langage parlé complété.

(rhooo, je plaisante…)

Les conditions pour être inscrit au tableau des experts administratifs

Pour être inscrit, l’expert doit satisfaire à cinq conditions définies à l’article R. 221-11 du code de justice administrative :

– Justifier d’une qualification et avoir exercé une activité professionnelle, pendant une durée de dix années consécutives au moins, dans le ou les domaines de compétence au titre desquels l’inscription est demandée, y compris les qualifications acquises ou les activités exercées dans un État membre de l’Union européenne autre que la France ;

– Ne pas avoir cessé d’exercer cette activité depuis plus de deux ans avant la date de la demande d’inscription ou de réinscription ;

– Ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation pénale ou d’une sanction disciplinaire pour des faits incompatibles avec l’exercice d’une mission d’expertise ;

– Justifier du suivi d’une formation à l’expertise ;

– Avoir un établissement professionnel ou sa résidence dans le ressort de la cour administrative d’appel.

Les experts déjà inscrits sur les listes d’experts judiciaires sont réputés satisfaire, à l’issue de la période probatoire, aux conditions énoncées aux quatre premiers points.

Comment s’inscrire ?

Le dossier de demande d’inscription doit être adressé au président de la cour administrative d’appel avant le 15 septembre (il serait folie de l’envoyer le 14 septembre!). La première inscription est faite pour une durée probatoire de trois ans à l’issue de laquelle l’expert peut demander sa réinscription pour une période de cinq ans (art. R.221-12).

Le président de la cour administrative d’appel prend l’avis d’une commission présidée par lui-même et composée des présidents des tribunaux administratifs du ressort de la cour et d’experts inscrits au tableau de la cour (au moins deux experts sans que leur nombre puisse excéder le tiers des membres de la commission) (art. R.221-10). La commission tient compte des besoins des juridictions du ressort (art. R.221-14). La décision de refus d’inscription ou de réinscription d’un candidat doit être motivée (art. R.221-15). Les décisions de refus d’inscription ou de réinscription d’un candidat, de retrait ou de radiation d’un expert du tableau peuvent être contestées. Elles sont examinées par une autre cour administrative d’appel (art. R.221-19).

Les experts inscrits au tableau d’une cour administrative d’appel doivent adresser à la fin de chaque année civile un état des missions qui leur ont été confiées, des rapports déposés et des missions en cours ainsi que des formations suivies au cours de l’année (art. R.221-16).

Il est important de noter que l’importance de la partie du document suivante :

« Les organismes de droit public ou privé intervenant dans mon domaine d’activité avec lesquels j’entretiens des liens directs ou indirects sont les suivants : …… » où le candidat doit mentionner les organismes de droit public (État, collectivités territoriales, établissements publics tels que CHU, etc.) ainsi que les organismes de droit privé (sociétés de droit commercial, compagnies d’assurances, laboratoires privés, associations, etc.) avec lesquels il entretient des relations qui ne sont pas occasionnelles, sous quelque forme que ce soit.

Et après ?

Je suis en train de constituer mon dossier. Je suis toujours enthousiaste à l’idée de mettre mes compétences au service de la justice. Mes contacts au sein de la magistrature administrative sont dubitatifs sur l’idée d’avoir besoin d’un expert en informatique. Cela m’étonne: n’y aurait-il pas de litiges entre les citoyens et l’administration en France où l’informatique serait partie prenante ?

On verra bien si mon dossier est retenu. Si non, tant pis, je retenterai une deuxième fois (comme pour celui d’expert judiciaire).

Je ne manquerai pas de vous tenir au courant du suivi.

Je vous prie de croire, chère lectrice, cher lecteur, à l’expression de mes salutations distinguées.

Zythom

Les géants

Parfois, je me rend compte à quel point je peux être pitoyable, à mes yeux tout au moins. Pour beaucoup de lecteurs (à ce que je comprends de certains emails que je reçois), je suis une sorte de héros hypercompétent capable de tout faire en informatique. C’est très loin d’être le cas: je suis nul en sécurité informatique, je suis nul en développement informatique moderne, je ne capte rien en téléphonie mobile, je ne connais pas la différence entre un processus et un thread, je ne dispose pas d’outils extraordinaires, ni de connaissances incroyables…

J’ai déjà expliqué tout cela en images dans le billet « expert judiciaire, ce qu’on pense que je fais« .

La justice n’ayant aucun moyen technique à m’offrir, les services de l’état (police ou gendarmerie) ne fournissant aucun logiciel ni matériel aux experts judiciaires hors de leur rang, je me débrouille comme je peux. En voici un exemple.

Un scellé m’est remis pour analyse, avec comme mission principale de relever la présence éventuelle d’images ou de films pédopornographiques. Après la copie du disque dur, me voici à analyser tous les fichiers encore présents, entiers ou sous forme de traces dans les recoins du disque dur.

A un moment de mes observations manuelles, je note la présence du logiciel Shareaza. Je n’ai bien évidemment rien contre le partage P2P, technologie parfaitement légale, mais dans le cas que l’on m’a confié, je m’intéresse de près au contenu partagé.

N’ayant pas la chance de disposer d’un logiciel de type P2P Marshal, me voilà avec sur les bras des dizaines de fichiers avec des noms longs comme un jour sans pain et des extensions « .partial » et « .sd ».

Les fichiers « .partial » contiennent les données en cours de téléchargement (ou de partage) et les fichiers « .sd » contiennent des données de gestion des téléchargements. Une ouverture de ces fichiers .sd avec Notepad++ montre une partie en clair contenant le nom du fichier en cours de téléchargement. Intéressant ! Je trouve dans la plupart des fichiers .sd des noms contenant des références pédopornographiques. Je note tout cela dans mon rapport.

J’installe sur un ordinateur monté pour l’occasion (une machine virtuelle en fait) le logiciel Shareaza que je récupère sur internet dans la même (ancienne) version que celle trouvée sur l’ordinateur placé sous scellé. Je télécharge quelques vidéos et documents mis en partage de manière légale par des internautes, et j’observe le comportement des différents fichiers .part et .sd lors des différentes manipulations.

A un moment, je réalise que, comme la plupart des fichiers .part nommés dans les fichiers .sd contiennent des vidéos, il me suffit de renommer les fichiers en question avec l’extension correspondant au type de vidéos qu’ils sont censés contenir: j’ajoute .avi/.mpg/.mov au choix après l’extension .partial et j’essaye d’ouvrir la vidéo avec VLC.

VLC est un logiciel fantastique qui a entre autre la capacité de lire des vidéos incomplètes, avec des pans entiers manquants.

Bingo, j’arrive à lire toutes les vidéos (ou presque), dont celles de nature pédopornographique. Je passe encore un week-end pénible, à classer les vidéos, à en extraire des images choisies pour le rapport et à les graver sur un DVD annexé au rapport.

Rien d’autre qu’un travail fastidieux, loin de l’image d’Épinal de l’expert omniscient et omnipotent, enfermé dans mon bureau pour éviter que mes enfants ne voient leur père regarder des images pédophiles sur ses écrans.

Je l’ai déjà écrit moultes fois ici même: je suis nul et je suis faible.

« Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons
ainsi davantage et plus loin qu’eux, non parce que notre vue est plus
aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils nous portent en
l’air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesque. » (Bernard de Chartres, XIIe siècle)

Évidemment, les géants représentent nos prédécesseurs, mais aussi le
savoir accumulé dans les livres ou sur internet. C’est aussi
l’expérience de nos collaborateurs, les conseils de nos aînés, les avis
de nos confrères.

Merci à tous les géants.

Le témoin

Il arrive qu’on demande à l’expert judiciaire de venir témoigner lors d’un procès. Un de mes confrères à bien voulu me faire l’honneur de raconter son expérience sur mon blog dans ce billet.

Cela ne m’était jamais arrivé, jusqu’à cette semaine.

Je dois dire que je n’étais pas pressé de vivre cette expérience (mais suffisamment curieux quand même pour souhaiter le faire au moins une fois dans ma vie).

J’ai reçu il y a quelques mois l’email suivant:

Bonjour Monsieur l’expert,

Je vous informe que je vais vous citer comme témoin dans le dossier X dans lequel vous m’avez adressé un rapport d’expertise privée particulièrement clair et précis.

Vous allez recevoir une convocation pour une audience qui aura lieu le 1er avril (ce n’est pas une plaisanterie) au TGI de Vulcain.



Je vous remercie de me dire si vous acceptez de venir témoigner, afin que je lance la procédure.



Je vous prie d’accepter, Monsieur l’expert, mes salutations respectueuses,



Signé: Maître Spock

Enfin, ce moment tant craint était arrivé: participer à un procès, devant une cour, dans un tribunal, en public, devant tout le monde, comme dans les séries ! J’en parle aussitôt à mon épouse qui me répond d’un air entendu: « j’espère que tu seras indemnisé vas-y ça me fera des vacances« .

Je réponds donc « oui » à Maître Spock et quelques jours plus tard, un huissier de justice sonne à ma porte pour me remettre en main propre une citation comme témoin pour l’audience du 1er avril (je ne m’en remets pas) d’un tribunal situé à l’autre bout de la galaxie France…

Je note le rendez-vous dans mon agenda de ministre, je pose un jour de congé auprès de mon employeur pour cette date, je déplace les rendez-vous déjà programmés.

Le temps passe.

La date s’approchant, je prend mes billets de train et j’achète les tickets de métropolitain nécessaires à mon transport jusqu’au tribunal. Le week-end précédent, je me plonge dans le rapport que j’avais déposé dans ce dossier, j’apprends par cœur les faits, les dates et tous les éléments techniques du rapport, les annexes, les critiques remarques de la partie adverse sur mon travail, les éléments de procédure… Bref, je passe un bon week-end (qui en plus est celui du second tour des élections municipales où j’ai tenu un bureau de vote et soit dit en passant fêté ma la victoire de ma liste et ma brillante élection). Bref je bosse à fond le dossier.

Plus le jour approche et plus je sens une boule d’angoisse se former. Mon épouse me rassure: « tu vas en chier y arriver, tu es le meilleur ».

Le jour J, je prends le train le matin très tôt pour traverser la France, tellement tôt que, malgré 4 heures de train, j’arrive devant le tribunal avec deux heures d’avance. J’en profite pour repérer les lieux, trouver la salle d’audience, me présenter au greffe, me faire expliquer un peu la procédure: « bah, vous allez prêter serment, puis vous faire cuisiner répondre aux questions ».

Je trompe mon stress en allant me glisser dans le public (peu nombreux) d’un procès d’assises qui se tenait dans la salle voisine (véridique). Une histoire de cambriolage par des pieds nickelés, de coups de couteaux, de séquestration, de vol… On se détend comme on peut.

Un quart d’heure avant l’audience, Maître Spock arrive et m’explique comment il voit les choses: « vous allez être isolé dans la salle des témoins, puis l’huissier viendra vous chercher, vous prêterez serment, puis je vous poserai quelques questions, puis la cour vous posera aussi quelques questions, ainsi que la partie adverse ». Devant mon visage transpirant, il ajoute: « mais ne vous inquiétez pas, rien de compliqué. Soyez vous même et répondez sans trop entrer dans les détails techniques ».

Ok.

Donc l’inconnu total.

Je ne sais pas quand on va venir me chercher.

Je n’assiste pas aux débats.

Je ne connais pas les questions qui vont m’être posées.

Je ne sais pas où je vais poser mon sac, mon manteau, mon pull, mon écharpe (je suis en chemise car je transpire déjà 10L d’adrénaline).

Je ne sais pas qui est qui dans la salle (Président, procureur, avocats, parties). Je ne connais que deux personnes: Maître Spock et l’innocent qu’il défend.

Ah si, je sais une chose: la presse judiciaire est là.

Ok, ok.

Mon coeur bat la chamade.

[minute historique: autrefois afin de parlementer ou lors d’une reddition, on émettait un
signal avec un tambour ou une trompette ; on appelait cela battre la
chamade
, source Wikipédia]

Me voici en train d’attendre dans la salle des témoins (en fait dans la salle des pas perdus, le tribunal ne disposant pas de salle pour isoler les témoins).

Comme d’habitude, je constate avec un étonnement tout scientifique, que si l’on note t le temps d’attente, mon niveau de stress augmente proportionnellement à t, alors que mon encéphalogramme varie en 1/t…

Je fais alors la seule chose que je sais faire dans ces cas là: je récite la litanie contre la peur des sœurs du Bene Gesserit:

Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l’esprit.

La peur est la
petite mort qui conduit à l’oblitération totale.

J’affronterai ma peur.

Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.

Et lorsqu’elle
sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.

Et là où
elle sera passée, il n’y aura plus rien.

Rien que moi.

J’appelle mes followers Twitter à l’aide. Ils me remontent le moral.

Les minutes passent.

Je ne sais pas si mon affaire passe en premier (il y a plusieurs affaires convoquées à la même heure).

Les minutes semblent être des heures.

Des personnes entrent dans la salle d’audience: des personnes en robes noires, des personnes à l’air sombre, des personnes angoissées, des personnes avec des blocs notes, des avocats rigolards, un policier…

Les minutes deviennent une heure.

Je sursaute à chaque sortie d’une personne dont je suis persuadé qu’elle vient me chercher. Je n’ai pas hâte d’entrer dans l’arène, j’ai envie qu’on m’oublie, je suis pressé d’en finir, j’ai hâte d’entrer dans l’arène.

Les minutes deviennent deux heures.

J’entends quelques bribes de mots en provenance de la salle, je reconnais la voix de stentor de Maître Spock. Je sens que je vais bientôt être appelé.

Je regarde sur internet l’origine du mot « stentor » [minute culturelle: dans la mythologie grecque, Stentor (en grec ancien Στέντωρ / Sténtôr) est le crieur de l’armée des Grecs lors de la guerre de Troie. Son nom vient du verbe στένειν / sténein qui signifie « gémir profondément et bruyamment, mugir ». Il reste dans l’expression populaire « avoir une voix de Stentor » qui, dès l’Antiquité, signifie avoir une voix très puissante, retentissante et parfaitement audible. Les scholiastes d’Homère précisent que Stentor est d’origine thrace, qu’il est le premier à se servir d’une conque comme trompette de guerre et qu’il est mis à mort après avoir été vaincu par le dieu Hermès dans une joute vocale. Source Wikipédia]

J’en profite également pour relire le serment des témoins: « Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité. » (source Wikipédia: liste des serments).

Je relis la litanie contre la peur.

(normalement, si j’ai réussi mon exercice d’écriture de billet, vous êtes là maintenant chaud bouillant comme je pouvais l’être).

Quand, soudain, l’huissier audiencier sort de la salle et

(roulement de tambours)

(sonneries de trompettes)

(mon cœur s’arrête)

(je me lève, au ralenti, style « Matrix »)

(ça fait mal au doigt, hein)

Ah, tiens, non, ce n’est pas l’huissier audiencier, c’est Maître Spock.

Maître Spock:

« Bonjour Monsieur l’expert, je suis désolé, mais l’affaire est reportée ».

Ah, ok.

« Mais elle est reportée à une date ultérieure que je vous communiquerai dès que j’en aurai connaissance ».

Oui. Bien sur.

« Je suis désolé »

Oui, moi aussi.

Nous sommes sortis du tribunal pour aller prendre un verre avec la presse judiciaire. Après quelques bières, mon sang contenait à nouveau quelques globules rouges. Les discussions portaient sur le futur nouveau gouvernement. Fidèle à ma longue habitude des réunions publiques (c’est-à-dire lorsque je participe à un groupe de plus de deux personnes), je suis resté dans un coin à écouter et à boire les paroles des célébrités présentes.

Bilan:

Points négatifs:

– un procès auquel je ne pouvais pas assister (puisque cité comme témoin)

– 8h de transport (TGV, métro, RER)

– 2h d’attente car arrivé en avance

– 2h d’attente en salle des pas perdus faisant office de salle des témoins

– une journée de congés perdue

– je ne sais pas si je serai remboursé (car je n’ai pas été appelé à la barre)

– ce billet de blog qui est frustrant pour tout le monde

Points positifs:

– j’ai servi la justice et tenté de participer à la défense d’un innocent

– j’ai révisé la litanie contre la peur

– j’ai serré la main (deux fois) de Pascale Robert Diard et pris un verre avec elle.

That just made my day.

L’informatique et les divorces difficiles

Je suis souvent contacté, en tant que blogueur – expert judiciaire, par des internautes qui me demandent ce qu’ils doivent faire pour prouver telle ou telle malversation de leur futur ex-conjoint sur leur matériel informatique…

La situation est en général la suivante : un couple est en procédure de divorce, le climat est très conflictuel, et au milieu trône… un ordinateur. Non que le couple se dispute la garde de la machine (encore que certains courriels que j’ai reçus montre un certain attachement parfois et en général à du matériel « Pomme »), mais plutôt que l’un accuse l’autre d’avoir piégé l’ordinateur et de collecter illégalement un certain nombre de données.

Comment constituer un dossier de preuves permettant d’accabler l’adversaire afin de lui faire rendre gorge et de le mettre minable plus bas que terre ?

Tel est en substance la question qui m’est posée à travers ce blog. Et comme j’accepte volontiers les consultations gratuites, mais que je souhaite optimiser mes réponses sur ce thème, j’en profite pour écrire mes quelques conseils sous la forme d’un billet, ce qui me permettra d’adresser à mes interlocuteurs un simple lien plutôt qu’un copié/collé…

Exemple: Daenerys et Cersei, qui vivaient ensemble avant de gagner récemment le droit de divorcer, se livrent toutes les deux une bataille terrible, avec coup bas, dénigrements et stratégies de haine meurtrière. Daenerys accuse Cersei d’avoir installé sur son ordinateur personnel un keylogger lui permettant d’avoir eu accès à tous ces mots de passe, et de surveiller à distance toute sa correspondance. Il faut dire que Cersei est plutôt calée en informatique, la preuve, c’est elle qui a configuré le Facebook de Daenerys.

La guerre fait rage.

Heureusement, être blogueur a ses petits avantages : je suis contacté par Daenerys qui me confond avec Drogo demande de l’aide… Elle se retrouve sans le sou, nomade errant d’un appartement à un autre, avec pour seules richesses des oeufs pas frais un ordinateur MacBook Pro 15″ sous les pixels la puissance©, un iPad Air qui peut le plus pèse le moins© et un iPhone 5s 64Go toujours plus loin©. Et une seule idée: comment faire payer le plus possible Cersei pour cette infamie, elle va morfler cette salope© !

Savez vous quelles sont les professions qui voient les gens toujours sous leur plus mauvais côté ? Les proctologues et les avocats spécialisés dans les divorces… Et les avocats qui me lisent savent que la colère d’un conjoint cela peut prendre des proportions extrêmes…

Oui, mais comment faire mordre la poussière à son adversaire ?

Comment prouver sa faute ?

Comment expliquer au juge que l’autre c’est le mal et que la surveillance de ma vie privée ne relève pas ici des prérogatives de la NSA ?

Comment démonter le disque dur pour l’analyser sans risque ?

Comment le copier sans compromettre les preuves ?

Comment établir les preuves de manière irréfutables ?

De même qu’un bon avocat sait calmer la colère de son client et essaye toujours de le guider vers la procédure de divorce la moins conflictuelle possible, dans l’intérêt de tous, un bon expert saura guider son client vers le meilleur conseil technique, dans l’intérêt de tous.

Première chose à faire : éteindre son ordinateur et le ranger proprement à l’abri de l’humidité et des chocs. Le plus tôt sera le mieux. Oui, je sais, c’est un cadeau de votre amant auquel vous tenez beaucoup. Oui, c’est une machine hors de prix à laquelle vous attachez beaucoup d’importance.

Mais n’y touchez plus ! Investissez dans un nouvel ordinateur, ce ne sera que le début d’une longue série de dépenses.

Ensuite, réinitialisez tous vos mots de passe (de toutes manières, vous n’en avez qu’un ou deux, pas vrai ?). Faites le pour tous vos comptes.

Et réinitialisez vos téléphones (tant pis pour vos contacts, de toutes manières, avec le divorce, beaucoup de contacts vont disparaître…) et réinitialisez vos tablettes à leurs configurations d’origine. Recréez des comptes emails, recréez des comptes iTunes, recréez des comptes Ubuntu… Bref, recommencez une nouvelle vie numérique.

Puis contactez votre avocat, Maître Tyrion, pour lui demander conseil sur les suites à donner au piratage de votre ordinateur. Si vous êtes sur que celui-ci a été perverti par votre maintenant-ennemi-juré.

Et parmi les moyens de constitution de preuve, il y aura l’analyse réalisée par un expert judiciaire en informatique.

Je précise ici : PAS l’analyse faite par un ami qui s’y connaît, la preuve, il travaille comme informaticien dans une grosse boîte. Non : une analyse de ce type doit être faite par une personne assermentée et habituée à procéder à une analyse inforensique de matériel informatique confié par la justice. Vous ne demanderiez pas à un ami de faire un constat d’huissier, non ?

L’expert judiciaire n’est pas nécessairement le meilleur technicien du monde, ou le plus grand spécialiste en sécurité informatique, mais c’est une personne expérimentée et habilité par la justice à intervenir pour établir un rapport sur les faits et rassembler de manière scientifique les preuves avérées qu’il aura constatées.

J’oubliais : cette analyse aura un coût. Mais Daenerys est prête à tout pour se venger, non ?

La justice française ayant l’un des budgets honteusement les plus faibles d’Europe, il faudra probablement quelques années mois avant qu’un expert ne soit désigné pour procéder à l’analyse de l’ordinateur incriminé. L’expert judiciaire analysera ensuite les centaines de gigabits du disque dur. Si vous êtes sous Windows, ce sera simple mais long. Si vous êtes sous GNU/Linux ou MacOS, ce sera plus compliqué car mieux protégé. N’oubliez pas de lui fournir les différents mots de passe utilisés à l’époque.

Puis viendra la contre expertise, le procès, l’appel du procès, la cassation.

Donc, si vous êtes sûr que votre ex-conjoint a piégé votre ordinateur et que vous en avez subi un préjudice terrible, oui, cela en vaut la peine. Mais n’oubliez pas qu’un grand avocat a dit récemment: « La justice, c’est une administration à laquelle on a donné le nom d’une vertu. Ça n’est rien d’autre que cela. Elle a les qualités et les défauts d’une administration. Moi, je ne voudrais pas avoir à faire à la justice. » (source)

Une autre manière de faire consiste à se poser et à réfléchir. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Mon conjoint m’a certes joué un mauvais tour en espionnant toutes mes correspondances, mais n’est-il pas plus simple de tourner la page ? Cela mérite-t-il que j’y consacre toute cette énergie et tout cet argent ?

L’expertise judiciaire informatique peut être la bombe atomique de votre divorce. Mais un simple reset est parfois la meilleure solution – et le meilleur conseil d’ami.

Ordonnance de Louis XIV donnée à St Germain en Laye en avril 1667

J’aime bien de temps en temps me plonger dans des ouvrages anciens concernant les expertises judiciaires. Je trouve en général ces ouvrages sur internet, numérisés par Google, ou par Gallica.

En 1667, l’Ordonnance de Saint-Germain-en-Laye codifie la justice civile et pose une partie des bases du Code Louis. Les trente cinq « titres » traitent surtout de la hiérarchisation des différents tribunaux, de la discipline des magistrats et toilettent la procédure. Ils modifient aussi les règles relatives à l’état civil, constituant ainsi une importante étape dans la construction de l’État en France.

Pour mon plaisir, et peut-être pour celui de quelques experts ou juristes, je vous retranscris ici le texte du Titre XXI, intitulé: « Des descentes sur les lieux, Taxe des Officiers qui iront en Commission, Nomination et rapports d’Experts. »

[NDZ: Descentes : Action de se transporter dans un lieu par autorité de justice, ou par action policière, pour en faire la visite, pour y procéder à quelque perquisition, etc. Source Wiktionary]

J’ai ajouté parfois des commentaires sur l’ordonnance, commentaires que j’ai trouvés dans un ouvrage de 1755 rédigé par M. SALLÉ, Avocat au Parlement. Ils m’ont paru intéressants.

Attention, plongée dans l’Histoire…Vous y trouverez un peu de tout, y compris un article renvoyant les détails à un décret jamais pris (article 22) et sur les difficultés déjà rencontrées avec les photocopies (article 23) 😉

Ordonnance de Louis XIV donnée à St Germain en Laye en avril 1667

Titre XXI.

« Des descentes sur les lieux, Taxe des Officiers qui iront en Commission, Nomination et rapports d’Experts. »

Article I.

Les Juges, même ceux de nos Cours, ne pourront faire descente sur les lieux dans les matières où il ne se présente qu’un simple rapport d’Experts, s’ils n’en sont requis par écrit par l’une ou l’autre des parties, à peine de nullité, de restitution de ce qu’ils auront reçu pour leurs vacations, et de tous dépens, dommages et intérêts.

Article II.

Les Rapporteurs des procès pendants en nos Cours, Requêtes de notre Hôtel et du Palais, ne pourront être commis pour faire les descentes ordonnées à leur rapport ; mais sera commis par le Président un des Juges qui aura assisté au Jugement, ou, à leur refus, un autre Conseiller de la même Chambre ; ce qui sera aussi observé et gardé pour les descentes ordonnées en l’Audience.

[NDZ: procès pendants : on dit qu’une affaire est « pendante » lorsqu’un tribunal a été saisi et que la cause n’a pas encore jugée]

Article III.

Dans les Bailliages, Sénéchaussées, Présidiaux et autres Sièges, l’ordre du tableau sera gardé, à commencer par le Lieutenant Général et autres principaux Officiers, et les Conseillers qui auront assisté en l’Audience ou au rapport de l’instance.

Article IV.

Les Commissaires pour faire les descentes seront nommés par le même Arrêt ou Jugement qui les ordonnera.

[NDZ: Dans la France de l’Ancien Régime, le nom de commissaire est donné à partir du XVIe siècle à des agents du pouvoir royal chargés d’exécuter en son nom des fonctions temporaires dans les provinces du royaume. Il vient du verbe latin committere (envoyer en mission) et a donné « commission ». Le roi, et son conseil, peuvent nommer et révoquer à tout moment un commissaire royal, à la différence des titulaires d’offices, propriétaires de leur charge. Source Wikipédia]

Article V.

Les Commissaires ne pourront faire les descentes sans la réquisition de l’une des parties ; et sera tenue la partie requérante, consigner les frais ordinaires.

Article VI.

L’Arrêt ou Jugement qui ordonnera la descente, et la Requête portant réquisition pour y procéder, seront mis pardevers le Commissaire, qui donnera sur la première assignation un jour et lieu certain pour s’y trouver ; le tout signifié à la partie ou à son Procureur : et sera tenu le Commissaire de partir dans le mois du jour de la réquisition ; autrement sera subrogé un autre en sa place, sans que le temps du voyage puisse être prorogé, à peine de nullité et de restitution de ce qui aura été reçu.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Le temps du voyage une fois indiqué, il ne peut plus être prorogé ; ce qui est contraire aux anciennes Ordonnances, et notamment à celles de Charles VII et de Louis XII rapportées dans le Code Henry, Livre 2. titre 22 suivant lesquelles on renvoyait toutes les Commissions, au temps des Vacations, afin que le service de la Chambre ne fût point interrompu par l’absence des Officiers. Mais on a considéré depuis, que ces retards n’étaient véritablement que pour l’intérêt des Juges, et qu’ils étaient très préjudiciables aux Parties, par une suspension de huit ou neuf mois qui pouvait arriver dans les procès par ce moyen. C’est pourquoi comme depuis ces siècles reculés, on a augmenté le nombre des Officiers dans chaque Tribunal, et qu’il n’est plus conséquemment à craindre que l’absence de quelques-uns d’entre eux par rapport aux Commissions particulières, cause aucune interruption dans le service, on a mis des bornes légitimes à l’exécution de ces Commissions.]

Article VII.

S’il y a causes de récusation contre le Commissaire, elles seront proposées trois jours avant son départ, pourvu que le jour du départ ait été signifié huit jours auparavant ; autrement sera passé outre par le Commissaire, et ce qui sera fait et ordonné, exécuté nonobstant oppositions ou appellations, prises à partie, et récusations, même pour causes depuis survenues, sauf à y faire droit après le retour du Commissaire.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Une Partie qui a intérêt de s’envelopper dans les ténèbres, et qui a lieu de craindre les éclaircissements que doit répandre dans la contestation un Procès-verbal de Descente, met souvent tout en œuvre pour l’empêcher. Dans cette vue, elle attend quelquefois au dernier moment du départ du Commissaire, pour le récuser ou pour le prendre à partie. Notre Ordonnance y pourvoit, en statuant que les récusations ne pourront être proposées que trois jours au moins avant le départ. Mais il faut pour cela que ce départ ait été indiqué au moins huit jours auparavant par une signification juridique, sans quoi on ne peut imputer aucune
faute ni aucune négligence à une Partie qui ignorait le départ ou qui n’en avait point été avertie à temps, pour n’avoir pas plutôt proposé ses moyens de récusation. Mais aussi lorsqu’après avoir été avertie à temps, elle n’a pas profité
du délai de l’Ordonnance pour mettre au jour ses causes de récusation, l’opposition qu’elle peut faire par la suite, même la prise à partie et l’appel, n’empêchent point le Commissaire de passer outre au Procès-verbal de Descente; et tout ce qu’il ordonne à cet égard, à son exécution provisoire, comme faisant partie de l’instruction ; sauf ensuite, et après la Descente achevée, à faire droit, s’il y a lieu, sur la prise à partie ou les moyens de récusation proposés.
]

  

Article VIII.

Les Jugements qui ordonneront que les lieux et ouvrages seront vus, visités, toisés, ou estimés par Experts, feront mention expresse des faits sur lesquels les rapports doivent être faits, du Juge qui sera commis pour procéder à la nomination des Experts, recevoir leur serment et rapport ; comme aussi du délai dans lequel les parties devront comparaître pardevant le Commissaire.

Article IX.

Si au jour de l’assignation l’une des parties ne compare, ou qu’elle soit refusante de nommer ou convenir d’Experts, le Commissaire en nommera d’office pour la partie absente ou refusante ; pour procéder à la visitation avec l’Expert nommé par l’autre partie ; et en cas de refus par l’une et l’autre des parties d’en nommer, le Commissaire en nommera d’office ; le tout sauf à récuser : et si la récusation est jugée valable, il en sera nommé d’autres en la place de ceux qui auront été récusés.

Article X.

Le Commissaire ordonnera par le procès verbal de nomination des Experts, le jour et l’heure pour comparaître devant lui, et faire le serment ; ce qu’ils seront tenus de faire sur la première assignation : et dans le même temps sera mis entre leurs mains l’Arrêt ou Jugement qui aura ordonné la visite, à quoi ils vaqueront incessamment.

Article XI.

Les Juges et les parties pourront nommer pour Experts des Bourgeois ; et en cas qu’un Artisan soit intéressé en son nom contre un Bourgeois, ne pourra être pris pour tiers Expert qu’un Bourgeois.

[Commentaire de M. SALLÉ sur les tiers Experts: 

Sur la représentation de leur rapport, ou [les Experts] sont d’avis unanime, ou ils sont d’avis différent. Si leur avis se trouve unanime, il sert ordinairement de base au Jugement qui intervient. Mais s’ils sont contradictoires dans leur façon de penser, la Justice nomme d’office un tiers Expert pour les départager ; on observe, pour la nomination et la prestation de serment de ce tiers Expert, les formalités ci-dessus prescrites pour les autres Experts.
Cependant s’il s’agissait d’une contestation entre un Bourgeois, et un Artisan pour ouvrages de son métier, en cas de contrariété d’avis des premiers Experts nommés, on ne saurait choisir pour tiers Expert, un Artisan ; parce qu’il y aurait lieu de craindre que la considération de son intérêt personnel, dans une occasion pareille, ne le fit pencher en faveur de l’Artisan, Partie dans la contestation. C’est
pourquoi pour éviter cet inconvénient, comme c’est l’avis du tiers Expert qui fait la loi, on ne peut alors en choisir d’autres qu’un Bourgeois.
]

Article XII.

Les Experts délivreront au Commissaire leur rapport en minute, pour être attaché à son procès verbal, et transcrit dans la grosse en même cahier.

[NDZ: Autrefois, les jugements étaient recopiés à la main par les greffiers et la délivrance de la copie était payante, facturée à la page. Les greffiers avaient alors pris l’habitude de recopier l’exemplaire facturé de la décision en gros caractères (la décision était grossoyée). Aujourd’hui, en droit français, la grosse d’un jugement civil est la copie exécutoire de la décision (arrêt, jugement ou ordonnance), délivrée par le Greffe aux parties à la procédure. Au contraire, la minute (en menus caractères) est l’exemplaire de la décision conservé par le Greffe. Source Wikipédia]

[NDZ: l’article XII est à interpréter comme suit: les Experts ne sont pas obligé de rédiger leur rapport sur place, mais peuvent le transmettre au Commissaire après coup.



Commentaire de M. SALLÉ:

L’Article 185. de la Coutume de Paris assujettissait les Experts à « faire, rédiger et signer la minute de leur rapport sur le lieu, et avant que d’en partir » de peur qu’étant gagnés dans la suite par quelques-unes des Parties, ils ne se prêtassent à y changer, ou à y ôter quelque chose après coup. En conféquence on se proposait de renouveller cette disposition par un Article exprès de notre Ordonnance. Mais M. le Premier Président de Lamoignon observa que la disposition de la Coutume de Paris pouvait être bonne pour son détroit, parce que les Procès-verbaux ne se faisaient ordinairement que dans Paris ou aux environs ; mais qu’elle ne pourrait être rendue universelle pour tout te Royaume, sans causer de grands frais aux Parties ; que les Experts étaient dans l’usage, pour accélérer, de faire sur les lieux seulement leurs notes et observations qui leur servaient ensuite à rédiger chez eux leur rapport à loisir sans que cela occasionnât aucunes vacations de plus aux Parties ; qu’on ne pourrait abolir cet usage et introduire en son lieu et place la disposition de la Coutume de Paris, sans donner lieu à une augmentation considérable de vacations et de dépenses. Ces inconvénients ont déterminé à supprimer l’Article qui avait été inséré à cet égard dans le projet de l’Ordonnance.
Ainsi à l’exception du ressort de la Coutume de Paris, les Experts ne sont point assujettis à dresser leurs rapports sur les lieux ;ils peuvent en rédiger la minute chez eux, pour la joindre au Procès-verbal du Commissaire, ou la remettre aux Greffiers de l’écritoire dans les lieux où il y en a d’établis.
]

Article XIII.

Si les Experts sont contraires en leur rapport, le Juge nommera d’office un tiers qui sera assisté des autres en la visite ; et si tous les Experts conviennent, ils donneront un seul avis et par un même rapport, sinon donneront chacun leur avis.

Article XIV.

Abrogeons l’usage de faire recevoir en Justice les procès verbaux des descentes, et rapports des Experts, et pourront les parties les produire ou les contester si bon leur semble.

Article XV.

Défendons aux Commissaires et aux Experts de recevoir par eux ou par leurs domestiques aucuns présents des parties, ni de souffrir qu’ils les défraient ou payent leur dépense directement ou indirectement, à peine de concussion [NDZ: Profit illicite que l’on fait dans l’exercice d’une fonction publique. Source Wiktionary] et de trois cents livres d’amende applicable aux pauvres des lieux ; et seront les vacations des Experts taxées par le Commissaire.

Article XVI.

Les Juges employés en même temps en différentes commissions, hors les lieux de leur domicile, ne pourront se faire payer qu’une seule fois de la taxe qui leur appartiendra par chaque jour, qui leur sera payée par égale portion par les parties intéressées.

Article XVII.

Lors que les Juges seront sur les lieux pour vaquer à des commissions et descentes, et qu’à l’occasion de leur présence ils seront requis d’exécuter une autre commission, ils ne seront payés par les parties intéressées à la nouvelle commission et descente, que pour le temps qu’ils y vaqueront, et les parties intéressées à la première commission payeront les journées employées pour aller sur les lieux où la première descente devait être faite, et pour leur retour.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Pour tenir la balance exacte sur ce point, notre Ordonnance distingue deux cas ; savoir, celui où le Commissaire part du lieu de son domicile dans l’intention d’exécuter plusieurs Commissions en même temps; et celui où se trouvant sur les lieux, il est requis, fortuitement et à l’occafion de sa présence, d’exécuter une autre Commssion.

Dans le premier cas, c’est-à-dire, lorsque le Juge se transporte hors du lieu de son domicile pour exécuter plusieurs Commissions à la fois ; si quelques-unes de ces Commissions n’occanonnent point une augmentation de voyage, toutes les Parties intéressées dans chacune de ces Commissions, doivent supporter par égale portion les frais, tant du voyage que du séjour. Mais si l’une de ces Commissions donnait lieu à une augmentation de voyage, le coût de cette augmentation ne doit tomber que sur les Parties intéressées à cette Commission : c’est une charge qui leur est particulière, indépendamment de la contribution générale.
Dans le second cas au contraire, c’est-à-dire, lorsque l’exécution d’une nouvelle Commission n’est que fortuite, et que le Commissaire est requis d’y vaquer parce qu’il se trouve sur le lieu, à l’occasion d’une première qui est l’objet de son transport, les Parties intéressées dans cette Commission fortuite, n’ayant point donné lieu au voyage du Commissaire, elles ne doivent point entrer dans les frais du voyage et du retour ; elles doivent seulement payer les Vacations employées à la nouvelle Commission, au prorata du temps qui y aura été employé.
]

Article XIX.

Les Commissaires seront tenus de faire mention sur les minutes et grosses de leurs procès verbaux, des jours qui auront été par eux employés pour se transporter sur les lieux, et de ceux de leur séjour et retour, et de ce qui aura été consigné par chacune des parties, et reçu des taxes faites pour la grosse du procès verbal, et de ceux qui auront assisté à la commission ; le tout à peine de concussion et de cent livres d’amende.

Article XX.

Si les Commissaires sont trouvés sur les lieux, ils ne prendront aucune vacation pour leur voyage ni pour leur retour ; et s’ils sont à une journée de distance, ils prendront la taxe d’un jour pour le voyage, et autant pour le retour, outre le séjour.

Article XXI.

Chacune des parties sera tenue d’avancer les vacations de son Procureur, sauf à répéter si elle obtient condamnation de dépens en fin de cause ; et si outre l’assistance de son Procureur elle veut avoir un Avocat ou quelque autre personne pour conseil, elle payera ses vacations sans répétition. Si néanmoins la partie poursuivante se trouvait obligée d’avancer les vacations pour l’autre partie, exécutoire lui sera délivré sur le champ, sans attendre l’issue du procès.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Les Parties n’ayant pas pour l’ordinaire une connaissance personnelle, assez exacte de ce qui donne lieu à la Descente des Commissaires, la présence de leurs Procureurs par cette raison, est le plus souvent de nécessité absolue pour faire sur les lieux les observations, dires et réquisitions qui peuvent administrer à la Justice les lumières qu’elle cherche sur les faits contestés. C’est pourquoi on n’a jamais fait difficulté d’allouer dans ces cas les Vacations des Procureurs des Parties, sans néanmoins qu’elles puissent se faire assister d’autre Conseil, si ce n’est à leurs frais et sans aucune répétition soit provisoire soit définitive.

Mais auparavant l’Ordonnance, celui qui provoquait la Descente était obligé de payer par provision et sauf à répéter en définitif, non seulement les Vacations des Commissaire, Greffier et Huissier, mais encore celles de tous les Procureurs des Parties. Ce dernier point a paru une vexation odieuse au Législateur, et c’est ce qui l’a déterminé à régler qu’à l’avenir chaque Partie avancerait provisoirement les Vacations de son Procureur, sauf à répéter définitivement en cas de gain de cause. Par une suite de ce Règlement, si la Partie provoquante, se
trouvait contrainte, pour accélérer, d’avancer les Vacations du Procureur de l’autre Partie, elle est autorisée à en obtenir exécutoire de remboursement, sur le champ et sans attendre l’événement du procès.
]

Article XXII.

Lors que les Officiers feront des descentes ou autres commissions hors la Ville et Banlieue de l’établissement de leur Siège, ils ne prendront par chaque jour que les sommes qui seront par Nous ci-après ordonnées par une Déclaration particulière.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Dans le projet primitif de cet Article, Messieurs les Commissaires tant du Conseil que du Parlement devaient régler les droits des Officiers employés en Commissions. Mais les Commissaires n’ayant pas eu le temps de vaquer à cette liquidation, on renvoya sur cela à une Déclaration particulière qui n’a point paru depuis. Nous ne connaissons sur cela d’autre Règlement postérieur à l’Ordonnance qu’un Arrêt du Conseil en date du premier Septembre 1684 rendu pour les Officiers de la Cour des Aides à Montpellier, qui taxe aux Conseillers allant en Commission hors la ville, la somme de 15 livres par jour tant pour eux
que pour leurs valets et chevaux, lorsque le Roi sera seule Partie, et 9 livres en sus, lorsqu’il y aura Partie Civile ; au Substitut du Procureur Général, moitié ; au Greffier les deux tiers y compris la grosse, aux Procureurs le tiers et aux Huissiers le tiers. Mais cet Arrêt n’ayant point été revêtu de Lettres Patentes enregistrées dans les Cours, il n’y a pas force de Loi.]

Article XXIII.

Pourra la partie plus diligente faire donner au Procureur de l’autre partie, copie des procès verbaux et rapports d’experts, et trois jours après poursuivre l’Audience sur un simple acte, et produire les procès verbaux et rapports des Experts, si le principal différend est appointé.

[Commentaire de M. SALLÉ: 

Cet article a changé l’usage où l’on était auparavant, (du moins au Parlement) de prendre, toujours et indéfiniment, un apointement sur les Procès-verbaux de Descentes et Rapports d’Experts. Cet usage était fondé sur la difficulté qu’il y a, de faire voir à l’Audience une carte, une figure et description des lieux ; choses qui par elles-mêmes demandent une inspection personnelle et particuliere de tous les Juges, laquelle parait incompatible avec l’Audience.

[…] L’esprit général de l’Ordonnance est que tout soit porté à l’Audience, et y soit jugé, s’il est possible.]

————————————————-

Sources bibliographiques:

– Ordonnance de Louis XIV Roy de France et de Navarre donnée à Saint Germain en Laye au moi d’avril 1667 (pdf)

– L’esprit des Ordonnances de Louis XIV tome premier (Gallica)

L’erreur et l’expertise judiciaire

La hantise de l’expert judiciaire est de commettre une erreur. Je cite souvent l’histoire du professeur Tardieu qui a probablement fait condamner nombre d’innocents. Et pourtant il ne s’était toujours prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Au delà des ignorances des futures avancées de la science, toujours en mouvement, l’expert judiciaire reste humain et est donc faillible à ce titre. Il peut commettre des erreurs et celles-ci peuvent avoir un impact considérable sur la suite du processus judiciaire.

Je suis tombé par hasard sur cette page de www.kitetoa.com où se trouvent deux rapports d’experts judiciaires qui vont illustrer mon propos.

L’affaire concerne un informaticien poursuivi pour contrefaçon. Le premier expert judiciaire intervenant dans cette affaire est contacté par un magistrat qui lui demande de venir étudier le dossier au palais et de répondre à plusieurs questions. La démarche est particulière puisque le magistrat ne demande pas à l’expert judiciaire de mener des investigations techniques sur les scellés (qui existent pourtant dans cette affaire), mais d’étudier un dossier papier et de donner son avis dessus. L’expert a accepté sa mission, et à mon avis, son erreur réside dans cette acceptation.

Extrait du rapport du 1er expert judiciaire:

Page 3

I) Lecture des éléments du dossier en la présence de Madame le Juge H.

Nous , Monsieur R., avons procédé à la consultation du dossier No du Parquet [42], no d’instruction [101], afin de répondre à la mission confiée.

Ensuite, pour chacune des questions posées, l’expert judiciaire commencera sa réponse par « A la lecture des faits exposés dans les éléments de la procédure nous pouvons répondre… »

Un deuxième expert judiciaire s’est penché, en appel semble-t-il, sur le travail de son confrère. Voici son analyse:

Extraits du rapport du 2e expert judiciaire:

Page 5

Les investigations judiciaires ont été confiées à l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC).



Au cours de ses investigations, l’OCLCTIC a placé sous scellé deux éléments techniques : le scellé numéro « UN » (cote D 74), qui correspond à la copie de l’espace d’hébergement alloué au site internet de « G. », et le scellé numéro « R-UN » (cote D 60), qui correspond au fichier « VGNaked.zip », téléchargé à partir du site internet « www.g…..net ».



Une mission d’expertise technique a été confiée à Monsieur R., dont le rapport précise que la mission a été réalisée sur l’unique fondement de la « lecture des éléments du dossier en la présence de Madame le Juge H. ».



Ce seul et unique fondement des travaux d’expertise est confirmé par la phrase : « A la lecture des faits exposés dans les éléments de la procédure », qui introduit chacun des trois paragraphes de conclusion du rapport de Monsieur R.



Sur ce seul et unique fondement des travaux d’expertise, le rapport de Monsieur R. conclut par l’affirmative sur l’ensemble des faits reprochés à Monsieur G., c’est-à-dire sur la modification et l’adaptation du logiciel ViGuard, sur la mise à disposition, gratuite ou onéreuse, d’un logiciel ViGuard créé à partir des éléments permettant la suppression ou la neutralisation du logiciel ViGuard.

[…]

Page 16

Le scellé numéro « UN », correspondant à la copie de l’espace
d’hébergement alloué au site internet de « G.3, n’a fait l’objet d’aucune
expertise technique.



Il est donc techniquement
impossible de caractériser et de fonder les éléments techniques d’une
infraction à propos de ce scellé.



Le scellé numéro « R-UN », correspondant au fichier « VGNaked.zip », téléchargé à partir du site internet « www.g…..net », n’a fait l’objet d’aucune
expertise technique.



Il est donc techniquement
impossible de caractériser et de fonder les éléments techniques d’une
infraction à propos de ce scellé.

Pages 17-18

[…]

Ces éléments informatiques n’ont pas été analysés par l’expert désigné.

[…]

Cela signifie que les éléments techniques placés sous scellé par l’OCLCTIC, essentiels à la compréhension du dossier et indispensables à la qualification de l’infraction éventuelle, n’ont pas été analysés au cours de l’expertise technique réalisée par Monsieur R.



Cela signifie également que Monsieur R., au mépris des règles expertales fondamentales, a émis ses conclusions sans avoir procédé à aucune analyse des éléments techniques contenus au sein des scellés.



Comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure être en présence « d’un cas avéré de modification et de réassemblage de tout ou partie de logiciel », sans qu’aucune analyse des éléments informatiques que sont le logiciel original et le logiciel modifié ait été réalisé, sans que soient décrits la méthode et les outils du désassemblage et du réassemblage, et sans que soient précisées la nature et l’ampleur des modifications ?



De même, comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure à « la distribution gratuite de logiciels tirés du source du logiciel ViGuard », sans avoir eu accès au code source du logiciel ViGuard, sans avoir analysé la nature et le contenu du ou des fichiers mis en cause, et sans avoir vérifié et analysé les conditions de la mise à disposition du ou des fichiers mis en cause ?



Enfin, comment, dans ces conditions, Monsieur R. peut-il affirmer et conclure que Monsieur G. « diffuse bien tous les éléments, comportements, logiciels, extraits de code et informations permettant la neutralisation du produit ViGuard », sans présenter la liste et le contenu de ces éléments, comportements, logiciels, etc., sans avoir défini, ni comment, ni en quoi, le logiciel ViGuard pouvait être neutralisé par ces éléments, et sans avoir procédé à aucun test protocolaire démontrant que l’ensemble de ces éléments permet effectivement (condition nécessaire et suffisante) de neutraliser le logiciel ViGuard ?



Dans ces conditions, les conclusions du rapport d’expertise de Monsieur R. sont donc d’un point de vue technique totalement infondées et injustifiées, et par voie de conséquence, ne peuvent en aucun cas être retenues pour caractériser ou fonder une infraction.

[…]

La charge est dure et sans appel. Qui a dit que les experts se soutiennent les uns les autres… Remarquez au passage que l’analyse du deuxième expert suit rigoureusement les règles de déontologie des experts judiciaires: « l’expert qui remet une note ou des observations écrites sur les travaux d’un confrère, doit le faire dans une forme courtoise, à l’exclusion de toute critique blessante et inutile. Son avis ne peut comporter que des appréciations techniques et scientifiques« .

Ce que je cherche à mettre en avant est qu’il est toujours possible de corriger l’erreur d’un expert judiciaire, à condition de le faire le plus tôt possible. Si l’expertise judiciaire est contradictoire, faites vous accompagner de votre propre expert (un expert peut mener une expertise privée à vos côtés et s’assurer que son confrère respecte les règles de l’art en matière d’expertise judiciaire). Parlez en avec votre avocat.

Lorsqu’un expert judiciaire adresse son pré-rapport aux parties, celles-ci peuvent émettre des remarques, en général sous forme de questions à l’expert. Ce sont « les dires à expert ». Faites vous aider par un expert qui saura faire préciser un point ou lever un doute. Parlez en avec votre avocat.

Lorsque le rapport est définitif, les choses sont plus compliquées, mais l’affaire n’est pas encore jugée. Il vous est possible de demander un rapport d’expertise privée qui analyse de façon critique le rapport déposé. Parlez en avec votre avocat. Même chose si vous faites appel.

L’erreur est de croire que tout s’arrange tout seul et que les magistrats verront facilement les défauts éventuels d’un rapport d’expertise, surtout sur les points très techniques. L’erreur est de croire que la dépense est inutile, ou que la justice est gratuite. L’erreur est de se laisser faire sans mettre toutes les chances de son côté.

Pour l’expert, l’erreur sera de croire qu’il faut accepter toutes les
missions demandées par le magistrat, sous prétexte que ce dernier est
garant de la procédure.

Pour l’avocat, l’erreur est de penser qu’il pourra seul détecter les failles techniques d’un rapport d’expertise. Il est expert en droit, rarement en technique.

Bien entendu, je prêche pour ma paroisse…

Le petit blogueur et l’ANSSI

En discutant avec les personnes du stand de l’ANSSI aux JRES2013, je me suis rendu compte que mon billet intitulé « L’ANSSI et le test Google » avait fait grincer quelques dents… Cela m’a désolé car ce n’était vraiment pas le but. En relisant le billet, je me suis dit que je n’avais pas été très clair et que l’autodérision dont j’avais essayé de faire preuve n’était pas bien passé et que n’était resté que le dénigrement d’un processus de recrutement.

Voici donc quelques points que j’aimerais clarifier:

L’ANSSI, Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information, est une structure gouvernementale étatique chargée d’assurer la sécurité et la défense des systèmes d’information de l’état et des sociétés stratégiques françaises. Vous trouverez tous les détails de son fonctionnement et de son histoire sur son site, ou sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.

N’étant ni spécialiste de la sécurité, ni DSI dans un établissement sensible ou stratégique, je n’ai entendu parlé de l’ANSSI que lorsque j’ai été invité au SSTIC 2012 (où je me suis fait déchirer mon blog, merci de me le rappeler..) pour parler de l’activité d’expert judiciaire.

J’ai alors découvert l’existence de l’ANSSI, son mode de fonctionnement et pu discuter avec des personnes passionnantes, toutes très compétentes dans leur spécialité. Pour dire les choses autrement, l’ANSSI regroupe un nombre impressionnant des spécialistes de la sécurité informatique, et est la seule structure française à recruter de manière importante dans ce domaine.

C’est pourquoi, j’ai voulu voir si un profil comme le mien pouvait les intéresser, sachant que MOI j’étais très intéressé par leur profil. Hélas, mes compétences ne correspondaient pas au poste pour lequel j’ai postulé. J’ai donc logiquement pris une veste. Fin de l’histoire.

Le billet « L’ANSSI et le test Google » raconte tout cela, mais avec comme sujet principal une moquerie de ma part sur les tests mesurant les compétences. Il faut dire que je travaille depuis 25 ans dans des établissements d’enseignement supérieur et que les méthodes et pratiques d’enseignement et d’éducation (ce que l’on appelle « la pédagogie« ) sont au cœur de mes préoccupations. Et comme tout enseignant, j’ai des idées bien arrêtées sur ce sujet. Je ne vais pas réécrire le billet…

Mais alors que je ne faisais qu’écrire une moquerie dans un billet de petit blog, j’oubliais un point très important: les employés de l’ANSSI sont tenus à la plus grande discrétion. Ils ne disposent pas d’une liberté qui m’est chère: la liberté d’expression. Ou plutôt, ils en disposent, mais avec un fort encouragement à la discrétion. C’est comme cela. Je rappelle que l’ANSSI est rattachée au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et que si chacun à l’ANSSI pouvait raconter sa vie dans un blog, tout cela ne ferait pas très sérieux (mais serait certainement très intéressant)…

[Certains de mes confrères experts judiciaires me rappellent parfois que mon blog « ne fait pas très sérieux », voire « est la honte de l’expertise judiciaire », ou encore « mais qui est le CON qui tient ce blog? ». Seulement voilà, c’est mon petit coin d’internet, ma manière de profiter de cet espace de liberté. Je n’oblige personne à me lire et je rappelle qu’on est toujours le CON de quelqu’un. Je souffre du fait que les ordres des avocats ont encouragé ceux-ci à ouvrir des blogs, mais que les compagnies d’experts n’ont rien fait sur le sujet. C’est tellement XXème siècle…]

Ce n’est jamais intelligent de lancer une pique (une pichenette ?) contre des personnes qui ne peuvent pas répondre. Je travaille suffisamment avec les gendarmes pour comprendre cela.

Je voudrais donc m’adresser aux personnes de l’ANSSI qui ont trouvé mon billet désagréable et faire remonter un commentaire que j’avais écrit sous le billet: « oui, je suis déçu car j’aurais bien voulu travailler avec les roxors de l’ANSSI« . 

Ma consolation : je suis sur la photo présentant le directeur général de l’ANSSI sur la page Wikipédia d’icelle 😉

Et pour les autres, souvenez vous : tout s’arrange autour d’une binouze, surtout au SSTIC.

Update to 2014

Chère lectrice, cher lecteur,

J’espère que la mise à jour vers la v.2014 s’est bien passée et que vous ne regretterez pas la v.2013. Je vous souhaite de profiter de vos proches, de réaliser vos rêves et de contribuer à un monde meilleur !

Bonne release 2014.

Zythom