Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre

Cette expertise s’annonce compliquée car les accusations semblent reposer sur des preuves vagues : un compte informatique a été utilisé tel jour à telle heure pour accéder à des données confidentielles de l’entreprise, alors que la personne associée au compte était en déplacement. Les données ont ensuite fuité, causant un préjudice pour l’entreprise.

Me voilà au milieu du problème, désigné comme expert informatique pour essayer d’éclairer la lanterne du magistrat saisi de ce dossier.

Mon problème est que je ne vois pas trop par quel angle commencer, alors que dans ma tête tourne un nombre incalculable de possibilités : malversation du salarié à distance, partage du compte avec un collègue, compromission du compte par vol de mot de passe, hameçonnage, fuite de données par sauvegarde non protégée, perte d’un disque dur, etc.

Toute l’enquête interne menée par l’entreprise désigne l’utilisation de ce compte informatique comme cause la plus probable de cette fuite de données. En présence de toutes les parties, j’étudie donc tous les éléments techniques soulevés par cette enquête interne.

Mais cette expertise judiciaire est également une enquête à part entière. Je dois mener des investigations, poser les bonnes questions, auditer la sécurité informatique du site, pour enfin pouvoir répondre aux questions posées par le magistrat.

Dans ce court billet, je vais laisser de côté le temps passé en investigations diverses, les différentes réunions, la somme de connaissances réunie autour de la table pour étudier ce problème. Mon objectif est de poser ici cette petite anecdote qui montre que le hasard fait parfois bien les choses, et qu’il faut lui laisser sa chance.

Le réseau de l’entreprise est un réseau Windows à contrôleur de domaine. Je demande à être autorisé à utiliser un compte local avec les droits administrateurs sur une machine du réseau, habilité à lancer quelques outils d’investigation. En attendant d’utiliser les outils plus avancés de ma panoplie, sans trop savoir où aller, je lance l’explorateur de fichiers à la découverte du réseau, en commentant ce que je vois apparaître sur l’écran de l’ordinateur, pour l’éclairage des avocats et différents responsables techniques et juridiques présents autour de moi.

Je vois apparaître différents appareils branchés sur le réseau de l’entreprise : ordinateurs, serveurs, imprimantes, photocopieurs, routeurs… Un nom attire mon attention : une marque de serveur de vidéosurveillance. Je clique sur le lien, pour voir apparaître une page web d’accueil demandant un login/mot de passe.

Je fais un petit tour sur DuckDuckGo pour obtenir les informations de connexion par défaut, et tape admin/admin comme login/mot de passe. Bingo, me voici connecté au serveur gérant les 32 caméras de vidéosurveillance de l’entreprise.

Silence gêné dans la salle.

Comme je travaille dans une école d’ingénieurs, je suis sensibilisé au problème des smartphones qui peuvent filmer les professeurs pendant les cours, en particulier quand ceux-ci tapent leur mot de passe sur le clavier de leur ordinateur. J’explore donc les différentes caméras de surveillance, et tombe sur celles de l’open space de l’entreprise. Un petit coup de zoom et nous voilà en train d’observer la frappe d’une personne sur son clavier (ainsi que son écran).

Les logs de connexion du serveur de vidéosurveillance montrent des connexions suspectes dans les semaines précédant l’incident, à partir d’une adresse MAC non connue de l’entreprise. Toutes les prises RJ45 étant brassées, n’importe qui pouvait brancher un ordinateur pour accéder au réseau de l’entreprise, y compris dans les toilettes (hors champ des caméras).

Je n’ai pas pu trouver la personne à la source de la fuite de données (cela ne faisait pas partie des missions confiées par le magistrat), mais j’ai pu prouver que n’importe qui pouvait intercepter sans difficulté un login/mot de passe. Cela a permis au moins de montrer que le titulaire du compte n’était pas nécessairement en faute (ou au moins de semer le doute). Imaginez ce qu’il se serait passé si la personne n’avait pas été en déplacement…

Même dans votre entreprise, méfiez vous des caméras. Vous pensez qu’elles vous protègent parce que vous pensez qu’elles ne filment que les méchants. Dans la rue, dans l’entreprise, dans votre propre maison, elles peuvent être piratées et détournées de leur usage initial. Pensez-y quand on vous dira que si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre.

Vous avez toujours quelque chose à protéger : vos mots de passe, vos écrans, votre vie privée.

Quand vous dites « je ne me soucie pas du droit à la vie privée parce que je n’ai rien à cacher », ce n’est pas très différent que de dire « je me fiche de la liberté d’expression parce que je n’ai rien à dire » ou « de la liberté de la presse parce que je n’ai rien à écrire ».

Edward Snowden

Hommage aux Harkis

Je suis depuis plusieurs mois un blog que je vous recommande si vous voulez découvrir les coulisses d’un conseil municipal: elu-local.blogspot.com

C’est très bien écrit et riche d’enseignements sur « ce que tout citoyen devrait savoir, s’il en prenait la peine. Les anecdotes croustillantes, l’immanquable désillusion, les conflits… »

J’y ai découvert ce texte d’Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense

et aux Anciens combattants, que je reprends ici à l’occasion du 25 septembre 2009, journée nationale d’hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives.

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Aujourd’hui, la République rend un hommage solennel aux Harkis et aux membres des formations supplétives qui ont servi la France tout au long de la guerre d’Algérie.

Nous nous inclinons avec respect devant la mémoire des morts. Leur souvenir ne s’efface pas et le nom de chacun d’entre eux est entré dans notre mémoire nationale. Leur histoire est notre histoire.

Nous exprimons, par cette journée nationale, la reconnaissance du pays tout entier envers les Harkis et tous ceux qui ont fait le choix de la France durant ces années terribles.

Leur sacrifice fut double.

De 1954 à 1962, ils ont combattu avec courage et vaillance dans des opérations militaires aux côtés de l’armée française ou simplement en défendant leurs villages. Tous sont restés indéfectiblement fidèles à la France, jusque dans l’adversité la plus tragique.

Mais la paix retrouvée n’a pas marqué la fin de leurs souffrances. Ils ont vécu la terrible épreuve de l’exil. Arrachés à leur terre natale, à leur famille et à leur culture, ils ont traversé la Méditerranée. Ils ont tout quitté et tout recommencé. Ils ont dû reconstruire leurs vies dans une Métropole qui ne les attendait pas.

Ces hommes et leurs familles ont vécu les pires drames. lis ont connu les pires difficultés. Mais ils sont restés, malgré tout, des hommes dignes, des hommes debout, fidèles aux valeurs de la République.

Regardons ce que fut leur vie: ils nous apprennent le courage et la volonté, l’honneur et la fidélité. Ils ont mérité le soutien de la communauté nationale.

Honneur aux Harkis et aux membres des formations supplétives qui ont combattu jusqu’au sacrifice suprême pour la France en Algérie.

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Ce texte est très beau et émouvant. Moins, je trouve, que le film « Indigènes« , mais émouvant quand même.

Il reste maintenant à la France à réparer l’injustice auprès des anciens combattants coloniaux encore vivants. Voici un extrait de l’appel pour l’égalité des droits entre les anciens combattants français et coloniaux:

1 Français «invalide de guerre» vaut 3 Sénégalais et 11 Marocains…

1 Français «ancien combattant pensionné» vaut 2,5 Sénégalais et 7,5 Marocains…

1 Français ayant été incorporé «90 jours dans une unité combattante» vaut 5,2 Maliens, 7,3 Algériens et 26 Cambodgiens…

Ce n’est pas une histoire du temps des colonies, c’est la situation actuelle des anciens combattants «INDIGÈNES», dans 25 pays de l’ancien empire colonial français… Un des plus grands scandales de notre République.

Cet appel demande simplement que l’on revienne à l’arithmétique républicaine et que cesse l’arithmétique coloniale: l’égalité de tous devant la loi, pour ceux qui étaient égaux dans les combats. Depuis 50 ans, les recours se succèdent, des spécialistes nous expliquent que les économies locales ne peuvent «digérer» une telle parité (83.000 personnes seulement sont concernées aujourd’hui — en dehors de ceux qui n’ont pu jusqu’alors faire valoir leurs droits — sur plusieurs centaines de millions d’habitants!), les condamnations internationales se cumulent et les débats juridiques et financiers continuent… alors, qu’entre temps, les anciens combattants coloniaux disparaissent sans avoir connu l’égalité de traitement. Le Président de la République a déclaré le 14 juillet 2006, qu’il fallait «poursuivre le mouvement» de décristallisation.

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Monsieur le Président de la République, je partage votre souhait, comme beaucoup de français. Il ne reste plus qu’à passer aux actes.

Les experts en série

Depuis mon billet sur la récupération de fichiers, où je cite plusieurs métiers de spécialistes en criminalité informatique, j’ai reçu plusieurs emails de personnes intéressées par ces professions.

On me demande également mon avis sur la meilleure formation, ou sur le choix à faire entre police ou gendarmerie, etc.

STOP. Je ne connais pas ces métiers, je ne sais pas quelle filière suivre pour y parvenir et je travaille tout aussi bien avec des professionnels de la police nationale ou de la gendarmerie (nationale également, il n’y a pas de gendarmerie municipale).

Et comme tout le monde, je regarde les séries télévisées avec leurs lots de suspense, de situations rocambolesques et d’enquêtes scientifiques. Je comprends donc l’intérêt que l’on peut porter à ces métiers, vus à travers la petite lucarne. Mais comme toujours, la réalité est plus douloureuse, et moins télégénique.

Pour autant, si l’on est en général loin des salles hypertechnologiques de la série « Les Experts », si les algorithmes de décryptage sont un peu plus long que dans la série « NCIS », la réalité du terrain est aujourd’hui loin de l’image encore présente à l’esprit du plus grand nombre (me semble-t-il). La réalité, c’est ce qui fait mal quand on éteint l’ordinateur (John Warsen).

Les policiers et les gendarmes avec lesquels j’ai pu travailler disposent d’ordinateurs et de matériels dernier cri. Pas tous, pas partout, mais beaucoup. Et pour ce que j’en ai vu, ils savent parfaitement s’en servir!

Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, les seuls ordinateurs des brigades de gendarmerie étaient ceux qu’ils avaient bien voulus acheter à titre personnel et qu’ils utilisaient sur leur lieu de travail.

Et les experts dans tout cela?

Le mot « expert » est un mot dont le sens est multiple (dictionnaire Petit Robert 1991): en tant qu’adjectif, il signifie « qui a, par l’expérience, par la pratique, acquis une grande habileté« , et en tant que nom:

1) Personne choisie pour ses connaissances techniques et chargée de faire, en vue de la solution d’un procès, des examens, constatations ou appréciations de fait (droit 1754).

2) Expert-comptable: personne faisant profession d’organiser, vérifier, apprécier ou redresser les comptabilités, en son nom propre et sous sa responsabilité.

3) Personne dont la profession consiste à reconnaître l’authenticité et à apprécier la valeur de certains objets d’art, pièces de collection.

Mon dictionnaire étant ancien, je me suis tourné vers ROME (le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois de l’ANPE) qui me fournit une liste de 28 métiers dont le nom contient le mot « expert »! Dont l’expert(e) informaticien(ne) qui négocie puis prescrit des solutions en matière d’informatique dans les domaines administratif, industriel, scientifique, technique

Rome enfin se découvre à ses regards cruels;

Rome, jadis son temple, et l’effroi des mortels;

Rome, dont le destin dans la paix, dans la guerre,

Est d’être en tous les temps maîtresse de la terre.

Il y a donc profusion d’experts, surtout si vous utilisez le mot comme adjectif:

Technicien expert, il est expert dans cet art, dans cette science, il est expert en la matière…

Des experts en série.

Et parmi eux, il y a les experts judiciaires (il parait que l’on doit dire maintenant « experts de justice », mais j’ai beau regarder mes codes, je ne vois mention de cela nulle part…).

Et si, comme Woody Allen, vous me disiez « J’ai des questions à toutes vos réponses« …

Comme par exemple, qu’est-ce qu’un expert judiciaire? Vous trouverez la réponse par exemple ICI, mais pour répondre simplement, un expert judiciaire est une personne qui prête devant la cour d’appel le serment suivant: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

Et si en plus, à titre personnel, vous avez prêté le serment d’Archimède, vous aurez droit à toute ma considération…

Attention, tous les mots sont importants.

Merci de lire à voix haute.

Les gras sont de moi, vous pouvez parler plus fort.

Serment d’Archimède

Considérant la vie d’Archimède de Syracuse qui illustra dès l’Antiquité le potentiel ambivalent de la technique,

Considérant la responsabilité croissante des ingénieurs et des scientifiques à l’égard des hommes et de la nature,

Considérant l’importance des problèmes éthiques que soulèvent la technique et ses applications,

Aujourd’hui, je prends les engagements suivants et m’efforcerai de tendre vers l’idéal qu’ils représentent :

• Je pratiquerai ma profession pour le bien des personnes, dans le respect des Droits de l’Homme[1] et de l’environnement.

• Je reconnaîtrai, m’étant informé au mieux, la responsabilité de mes actes et ne m’en déchargerai en aucun cas sur autrui.

• Je m’appliquerai à parfaire mes compétences professionnelles.

• Dans le choix et la réalisation de mes projets, je resterai attentif à leur contexte et à leurs conséquences, notamment des points de vue technique, économique, social, écologique… Je porterai une attention particulière aux projets pouvant avoir des fins militaires.

• Je contribuerai, dans la mesure de mes moyens, à promouvoir des rapports équitables entre les hommes et à soutenir le développement des pays économiquement faibles.

• Je transmettrai, avec rigueur et honnêteté, à des interlocuteurs choisis avec discernement, toute information importante, si elle représente un acquis pour la société ou si sa rétention constitue un danger pour autrui. Dans ce dernier cas, je veillerai à ce que l’information débouche sur des dispositions concrètes.

Je ne me laisserai pas dominer par la défense de mes intérêts ou ceux de ma profession.

• Je m’efforcerai, dans la mesure de mes moyens, d’amener mon entreprise à prendre en compte les préoccupations du présent Serment.

• Je pratiquerai ma profession en toute honnêteté intellectuelle, avec conscience et dignité.

Je le promets solennellement, librement et sur mon honneur.

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PS: En relisant le billet, je me rends compte que je suis parti dans tous les sens… Mais c’est mon blog, et je vous dis Merci d’être venu 🙂

To do is to be (Platon)

To be is to do (Marx)

Doo be doo be doo (Frank Sinatra)

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[1] Selon la déclaration universelle de l’ONU (10 décembre 1948)

Sombre

Aujourd’hui, je suis d’humeur sombre.

J’ai reçu une mauvaise nouvelle.

Et je crains qu’elle ne concerne ce blog.

Alors je me réfugie un peu plus dans le travail, un peu aussi dans les citations:

question à deux euros: qui a écrit « Pour vivre heureux, vivons caché »?

Réponse: Jean-Pierre Claris de Florian, dans sa fable « Le grillon », que je vous livre ici in extenso:

Le grillon

Un pauvre petit grillon

Caché dans l’herbe fleurie

Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs;

L’azur, la pourpre et l’or éclataient sur ses ailes;

Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,

Prenant et quittant les plus belles.

Ah! disait le grillon, que son sort et le mien

Sont différents! Dame nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

je n’ai point de talent, encor moins de figure.

Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas:

Autant vaudrait n’exister pas.

Comme il parlait, dans la prairie

Arrive une troupe d’enfants:

Aussitôt les voilà courants

Après ce papillon dont ils ont tous envie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper;

L’insecte vainement cherche à leur échapper,

Il devient bientôt leur conquête.

L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps;

Un troisième survient, et le prend par la tête:

Il ne fallait pas tant d’efforts

Pour déchirer la pauvre bête.

Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché;

Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.

Combien je vais aimer ma retraite profonde!

Pour vivre heureux, vivons caché.

Pauvre grillon.

Je suis un nain

J’entends très souvent autour de moi la phrase suivante: « J’aimerai bien apprécier les subtilités de tel ou tel domaine, mais je n’ai pas la connaissance nécessaire pour. »

Moi-même, il m’est arrivé assez souvent d’utiliser cette phrase dans les domaines tels que la musique classique, la peinture, la danse, l’art contemporain…

Je vivais très bien avec cet a priori quand je suis tombé sur ce billet-bd de Sylvie-Anne Ménard.

Je me suis hélas rendu compte que je pouvais tout aussi bien m’identifier au personnage qui dit « la musique classique, hein… Bah, j’écoute pas ça, moi, je suis trop nul! Je veux dire, j’ai pas assez de connaissance pour pouvoir apprécier. »

Puis, en réfléchissant, je me suis dit que les arguments de Sylvie-Anne pouvaient tout aussi bien s’appliquer à moi, sur la musique classique bien entendu, mais aussi sur d’autres domaines.

Est-il nécessaire d’avoir des connaissances pour apprécier le spectacle d’un ciel étoilé? Je conseille évidemment à tous les visiteurs de Paris la visite du planétarium du Palais de la Découverte ou de celui de la Cité des Sciences. Vous y apprendrez le nom des galaxies, des étoiles les plus remarquables. Mais le ciel garde toute sa beauté, même si (comme moi) vous oubliez la plupart des noms dès la sortie de ces planétariums.

Est-il nécessaire de connaître les principes du moteur à explosion pour bien conduire une voiture? Faut-il comprendre le principe du routage pour utiliser Internet? Etc.

Je reçois régulièrement des emails de lecteurs avouant leurs intérêts pour l’expertise judiciaire (informatique). Ils me disent ne pas oser franchir le pas, soit par jeunesse (moins de 40 ans), soit par peur de « ne pas avoir les connaissances nécessaires pour… »

A ces personnes, je réponds par une citation:

« Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu’eux, non parce que notre vue est plus aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils nous portent en l’air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesque. »

(Bernard de Chartres, XIIe siècle)

Evidemment, les géants représentent nos prédécesseurs, mais aussi le savoir accumulé dans les livres ou sur internet. C’est aussi l’expérience de nos collaborateurs, les conseils de nos aînés, les avis de nos confrères.

Bref, si l’on doit bien sûr assumer ses propres responsabilités, il est bon de rappeler que l’on ne doit pas attendre de tout savoir, de tout maîtriser pour s’essayer à l’aventure, pour apporter sa propre pierre à l’édifice.

Oui, je me sens comme un nain juché sur les épaules d’un géant: parfois je vois loin et mieux que lui, parfois je ne vois rien car j’ai la tête dans les nuages.

Parfois, « j’ai la connaissance pour », parfois non.

On ne peut pas tout savoir, mais on doit savoir que l’on ne sait pas tout.

Etre expert judiciaire en informatique, ce n’est pas tout savoir sur toute l’informatique. Vous croyez vraiment que je ne transpire pas quand je lis un billet de Sid, de Nono, de Bruno Kerouanton ou de Pascal Charest?

Etre expert judiciaire en informatique, c’est être capable de donner un avis qui éclaire un magistrat. Et pour cela, avoir envie de tout mettre en œuvre pour ne pas se tromper.

«Je donne mon avis non comme bon mais comme mien.»

disait Michel de Montaigne.

C’est valable pour ce blog…

Mais pas pour un rapport d’expertise.

Et c’est très bien.

PS: De la genèse d’un titre…

J’ai failli mettre comme titre du billet « Je suis un nain posteur » par clin d’œil au titre de ce billet… Puis je me suis amusé avec « Je suis un nain blogueur », mais cela n’avait de sens que pour moi. Du coup, j’ai fait plus simple. Mais j’ai hésité!

Habemus papam

Vendredi soir, j’ai assisté en tant que conseiller à mon premier conseil municipal. L’ordre du jour imposé a été l’élection du maire, le choix du nombre d’adjoints et la désignation de ceux-ci.

Dans la mesure où une seule liste se présentait dans mon gros village de 5000 âmes, que nous avons été élus dès le premier tour avec 90% des voix (participation 60%), la suite a été très classique: un seul candidat au poste de maire, élu avec 26 voix pour et un vote blanc (le sien), le nombre de 6 adjoints (adopté à l’unanimité) et le choix de ceux-ci sur une liste (liste adoptée à l’unanimité).

Présentation est ensuite faite des commissions par chaque adjoint et j’ai cinq jours pour réfléchir aux commissions auxquelles je souhaite participer.

Mon choix est déjà tout fait: commission communication (site internet, bulletins mensuels et bulletin annuel), et commission urbanisme (PLU et gestion des déplacements). Pas mal de réunions en perspective…

J’ai été le seul conseiller à prendre des photos pendant le conseil… Je crois que je commence mal. Mais je vais tenter de me rattraper en faisant mienne la citation suivante:

« Vir bonus est is, qui prodest quibus potest, nocet nemini »

[c’est un homme bon, celui qui se rend utile à ceux qu’il peut aider et qui ne nuit à personne]

Cicéron, De Officiis, 3.64

Maintenant, yapuka.

Pourvu que je ne casse rien.

Je vais reprendre un peu de Champomy, tiens.

Quand on n’a rien d’intelligent à dire

Quand on n’a rien d’intelligent à dire, le silence est une solution honorable.

Cette citation (hors contexte) de Maître Eolas m’a paru tellement s’appliquer à moi en ce moment que je ne résiste pas à l’envie d’en faire l’un des billets les plus courts de ce blog 🙂

D’aucuns devraient l’encadrer dans leur bureau.
A commencer par moi…

Lenteur des instructions criminelles

La justice française ne dispose pas des moyens financiers lui permettant de fonctionner correctement. Il suffit de lire les différents billets de magistrats, d’avocats ou de greffiers sur ce sujet pour en être convaincu. J’ai moi-même, sans m’en plaindre outre mesure (ce serait indécent), évoqué plusieurs fois sur ce blog le délai important (un an) du paiement des factures d’expertise par les tribunaux.

Le justiciable ressent facilement tout cela avec « le temps judiciaire » très différent du temps commun.

Comment ces choses-là étaient-elles perçues du temps de nos ancêtres?

Et bien pareillement, mais avec des délais différents. Comme quoi, tout est relatif:

« Il ne faut pas trop s’étonner de la lenteur des instructions criminelles d’autrefois. En 1895, à Bourges, le marquis de Nayve fut acquitté après vingt-deux mois de prévention. Au mois de mars 1896, Tremblié fut condamné à mort par la cour d’assises de Douai après dix-huit mois d’attente. Le 28 mars 1896, la neuvième chambre du tribunal correctionnel de la Seine acquittait un nommé Wing, banquier américain, détenu depuis dix mois pour escroquerie! »

Note de bas de page dans l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven, sur lequel je fonde ma rubrique consacrée aux erreurs judiciaires du passé.

L’auteur trouvait ces délais inhumains.

Ce texte date, rappelons le, de 1897…

Présomption d’innocence – In dubio pro reo

Quand les juges n’ont point vu le crime, quand l’accusé n’a point été saisi en flagrant délit, qu’il n’y a point de témoins oculaires, que les déposants peuvent être ennemis de l’accusé, il est démontré qu’alors le prévenu ne peut être jugé que sur des probabilités. S’il y a vingt probabilités contre lui, ce qui est excessivement rare, et une seule en sa faveur de même force que chacune des vingt, il y a du moins un contre vingt qu’il n’est pas coupable. Dans ce cas il est évident que des juges ne doivent pas jouer à vingt contre un le sang innocent. Mais si avec une seule probabilité favorable l’accusé nie jusqu’au dernier moment, ces deux probabilités, fortifiées l’une par l’autre, équivalent aux vingt qui le chargent. En ce dernier cas, condamner un homme, ce n’est pas le juger, c’est l’assassiner au hasard.

Voltaire – La méprise d’Arras.

Appel a minima

Il est parfois amusant de voir à quel point l’Histoire peut se répéter, voir hoqueter. Je suis tombé par hasard sur ce texte de Voltaire qui me semble d’actualité et sur lequel je vous laisse méditer (formule polie pour dire que je n’ai rien à ajouter):

« Appeler a minima, dit Voltaire, c’est demander que celui qui a été condamné à une peine en subisse une plus cruelle. C’est présenter requête contre la plus belle des vertus: la clémence. Cette jurisprudence d’anthropophages était inconnue des Romains. Il était permis d’appeler à César pour mitiger une peine, mais non pour l’aggraver. Une telle horreur ne fut inventée que dans nos temps de barbarie. Les procureurs de cent petits souverains pauvres et avides, imaginèrent d’abord de faire prononcer en dernière instance des amendes plus fortes que dans les premières: et bientôt après ils requirent que les supplices fussent plus cruels pour avoir un prétexte d’exiger des amendes plus fortes. »

Voltaire – Fragment sur le procès criminel de Montbailli.