Dans une autre vie, j’ai eu l’occasion de subir un changement de directeur général. Quand vous faites partie d’un comité de direction, c’est toujours un moment « intéressant ».
Lors du premier entretien en tête à tête avec mon nouveau chef, celui-ci me demande : « Bon, Zythom, si vous me parliez un peu de votre réseau ». Et me voilà parti dans une présentation détaillée et passionnée de notre réseau informatique, sa complexité, sa technicité, ses risques de sécurité, les options de connexion à internet, les coûts. Je lui parle de switchs, de routeurs, de baies de brassage, d’onduleurs, de bornes Wifi, de fibres optiques, de sous-répartiteurs, de VLAN, de VPN… Au bout de quelques minutes, je remarque le visage un peu contrarié de mon patron. Inquiet, je lui demande si je manque de clarté dans ma présentation.
Il me répond : « Zythom, quand je vous pose cette question sur votre réseau, je parle de votre réseau relationnel. Les contacts que vous avez avec vos homologues, localement, régionalement etc. ».
Silence gêné.
« Ah. Mais votre prédécesseur me demandait plutôt de travailler seul pour être en avance sur nos concurrents. Donc, mes contacts avec mes homologues sont très limités ».
Sa réponse a changé ma vie : « Zythom, vous allez discuter avec vos homologues, échanger, vous déplacer. Je veux que vous intégriez tous les réseaux relationnels de votre domaine, avec l’idée que l’on progresse plus vite ensemble que seul dans son coin. »
Je n’ai jamais cessé depuis d’appliquer cette règle, et si j’ai un conseil à donner à toutes les personnes qui me lisent : essayez.
J’ai rencontré énormément d’experts dans ma vie : d’abord comme chercheur, puis comme enseignant, puis comme expert judiciaire, comme DSI, comme pilier de bar, et enfin comme blogueur. J’en ai vu des brillants, des fiers, des qui aiment les projecteurs, la lumière. Ceux-là sont pour la plupart des solitaires. Et il y a ceux qui arrivent à partager leurs savoirs, leurs succès comme leurs échecs.
Il a toutes sortes de réseaux d’échanges (conférences, listes de diffusion, clubs, associations, compagnies, réseaux sociaux, blogs…) mais je vais vous parler celui qui m’a fait gagner le plus de temps : le réseau des pairs.
Le réseau des pairs est plus communément appelé « communauté de pratique » en théorie de l’éducation. Voici ce qu’en dit Wikipédia :
Selon Lave et Wenger (1991), par qui le concept de communauté de pratique est apparu, et Kirschner and Wopereis (2003), une communauté de pratique
est constituée de groupes d’individus engagés dans la même occupation
ou dans la même carrière. Ces individus interagissent sur une base
continue en vue de maîtriser et d’améliorer les savoirs et savoir-faire
de leur domaine d’intérêt. Ainsi, la participation par qui
l’apprentissage se déploie, demeure un élément moteur dans une communauté de pratique et revêt un double sens d’implication et d’engagement. Lave et Wenger (1991) désignent cette forme d’apprentissage par Legitimate periphiral participation,
qui décrit l’investissement du membre au sein de cette communauté, du
stade de noviciat jusqu’à sa pleine reconnaissance par ses pairs.
L’engagement mutuel, l’entreprise conjointe et le répertoire partagé
sont parmi les caractéristiques importantes des communautés. On retrouve
les communautés de pratique dans les structures informelles.
Comme je n’ai pas la prétention de théoriser ce domaine, je vais simplement partager avec vous ma modeste expérience : quel que soit votre métier, je vous conseille de prendre contact avec un groupe de personnes ayant les mêmes préoccupations et qui sont d’accord pour partager leurs connaissances.
Exemple 1 : A force de fréquenter des salons informatiques dans ma région, j’ai fini par rencontrer des responsables informatiques avec qui j’ai sympathisé. D’abord par des discussions informelles, puis autour d’une table dans un bar. « Et si on se voyait plus souvent entre nous pour discuter de nos métiers ? ». L’idée était lancée et a abouti à la création d’un club de DSI local où l’on échange autour de nos idées, de nos problèmes, de nos projets, de nos fournisseurs, de nos coûts, de nos utilisateurs, de nos organisations métiers… Après chaque réunion, je ressors avec plein d’idées, d’envies, de solutions. Je gagne un temps colossal sur la majorité de mes projets !
Exemple 2 : Lorsque je me retrouve face à un problème que je ne sais pas résoudre dans une expertise judiciaire, après avoir cherché de manière approfondie une solution (histoire quand même de ne pas être trop ridicule si la solution est évidente), j’ai la chance de pouvoir solliciter l’aide confraternelle d’experts judiciaires sur une liste de diffusion spécialisée. Face à un problème qui me semble insurmontable, il y a très souvent quelqu’un qui s’est trouvé face au même problème et qui a trouvé une solution qu’il accepte de partager. Bien entendu, je réponds de même si j’ai moi-même quelque chose à apporter. Nous n’avons rien inventé, ce type de forum / liste de diffusion existe depuis la création d’internet.
Par ce billet, je voudrais remercier toutes les personnes qui, à un moment ou à un autre, m’ont aidé par leurs conseils ou leurs mises en garde. Que ce soit par un commentaire sous un billet du blog, un tweet, un email ou un coup de téléphone. Et aussi toutes celles et ceux avec qui j’ai pu discuter dans le « social event » d’une conférence (SSTIC/JRES/PSES ♥).
Par ce billet, je voudrais encourager les nerds, les geeks un peu solitaires, à surmonter leurs égos, leurs craintes du ridicule, leurs phobies relationnelles éventuelles, et à faire l’effort de rencontrer des personnes partageant leurs passions. Après tout, ce n’est pas comme si l’on manquait d’associations, de projets communautaires, de forums, de conférences…
Plusieurs conseils encore : soyez tolérants. Tolérance aux noobs, aux autres, à celles et ceux qui sont différents ou qui pensent différemment. Écoutez les idées des autres jusqu’au bout. Ayez le courage de poser des questions, de communiquer le plus clairement possible avec les autres, afin d’éviter les malentendus, les conflits. Ne sur-réagissez pas : ce que les autres disent et font ne sont qu’une projection de leur réalité et de leurs propres rêves. Lorsque vous êtes immunisés contre les opinions et les actes d’autrui, vous n’êtes plus la victime de souffrances inutiles. C’est certainement le point le plus difficile, sur lequel j’ai le plus de progrès à faire.
Ces conseils valent pour les réunions, mais aussi pour la vie en général.