L’éternel voyage de la science

Les experts les plus redoutables sont ceux dont la compétence paraît offrir le plus de garantie. En effet, si l’avocat peut toujours combattre, parfois victorieusement, les conclusions d’un expert graphologue, il osera plus difficilement discuter catégoriquement les rapports d’un grand professeur en médecine ou d’un chimiste dont la compétence est universellement reconnue.

Ainsi, le professeur Tardieu, grand médecin légiste du 19eme siècle, fit une carrière exemplaire. Prudent jusqu’à l’extrême scrupule, il ne s’était pourtant jamais prononcé qu’à coup -qu’il croyait- sûr.

Il n’apprit pourtant l’existence des ptomaïnes qu’en 1875, par les travaux des professeurs Selmi de Bologne et Gautier.
Jusqu’à cette époque, toute substance alcaloïde toxique extraite d’un cadavre au cours d’une expertise médicale était réputée avoir été introduite criminellement durant la vie.

En 1875, le grand médecin légiste était alors parvenu au terme de sa carrière.

Quel effroi rétrospectif, quelle tristesse durent le saisir, lorsque la découverte de ces poisons nés de la mort lui révéla combien d’erreurs il avait pu commettre.
Il avait trouvé du poison; il pensait avoir touché du doigt le crime.
Mais l’empoisonneuse n’était que la Nature surprise en son labeur de décomposition.

Tardieu ne s’était jamais trompé. Il avait subi les ignorances de la science.

Il en sera toujours ainsi. Si savant soit-il, un savant ne peut savoir que tout ce qui se sait à son époque. Il s’en rend compte et, devant la justice, il emploie volontiers cette formule de haute modestie: « Dans l’état actuel de la science, je crois pouvoir affirmer telle ou telle chose ». Mais de cette réserve philosophique nul ne tient compte.
« Voilà ce qui me paraît être la vérité », dit le savant.
« Voilà la certitude », traduit la foule ignorante, oublieuse de « l’éternel voyage » de la science.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Échangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
Victor Hugo — Les Châtiments

L’âne des ânes dans les siècles des siècles

J’ai beaucoup réfléchi depuis l’arrêt de ce blog.
J’ai lu les commentaires, j’ai reçu des emails, j’ai discuté avec des amis.

8 jours, 1h et 57 mn après l’écriture du billet précédent, la rédaction des billets me manque. Je mentirais en oubliant de préciser que l’attente de l’apparition des commentaires me manque aussi.

Plusieurs commentateurs m’ont fait remarquer gentiment qu’il n’était pas nécessaire de publier un billet tous les deux jours.

Je suis donc arrivé à la conclusion suivante: je suis un imbécile.

Seul l’imbécile ne change pas d’avis.
Mais alors, il y aurait contradiction avec le fruit des réflexions ci-dessus citées?
Est-ce une preuve d’intelligence de reconnaître ses tords et de

Nutrisco et extinguo

Sous titre: Les billets que vous ne lirez pas

Ce blog va s’arrêter.

Non pas parce que des pressions m’auraient obligées à cesser de tenir ce journal en ligne.

Uniquement de mon propre fait et de ma propre initiative.

Tenir ce blog m’a aidé à plusieurs titres:
– évacuer ma frustration d’avoir à souffrir seul des difficultés rencontrées lors de mes expertises, surtout celles en matière pédophile.
– discuter (en ligne et hors ligne) avec des personnes très intéressantes, blogueurs de qualité, ou internautes anonymes mais dont les commentaires m’ont été précieux.

Je pense avoir proposé des informations aux futurs experts leur permettant de sauter le pas et de mettre leur savoir faire au service des magistrats et des avocats.

Je pense avoir donné à un large public une vision particulière de l’activité d’expert judiciaire, à une époque où l’activité de celle-ci me semble mal connue et mal comprise.

Les billets de ce blog étaient répartis en trois grandes catégories: expertises judiciaires, vie professionnelle et vie privée. L’écriture sous pseudonyme m’a permis de proposer des anecdotes vécues sur mes expertises judiciaires, à la condition de modifier le contexte, les noms et les dates pour respecter les règles de déontologie de mon activité.

Professionnellement, l’utilisation d’un pseudonyme n’a pour moi aucune utilité. J’aime mon métier, j’apprécie mon employeur et ne cache rien de mes activités extérieures, notamment en matière d’expertises judiciaires. J’envie les blogueurs tenant un blog parallèle à leur métier, ouvertement et sans trop de contraintes. Le poids de leur opinion est plus fort et leur prise de position plus courageuse.

Côté vie privée, l’utilisation d’un pseudonyme est plutôt gênante. Mes enfants ne savent pas trop quoi penser de ce type d’activité et j’ai du mal à leur expliquer.

Mais pourquoi arrêter alors?
Tout simplement parce que je n’ai plus grand chose à raconter côté « anecdotes d’expertises ». Toutes les anecdotes ne sont pas racontables et celles qui le sont concernent des affaires trop récentes dont je ne peux pas parler. Et conserver le pseudonyme pour le reste n’a pas de sens.

Blogueur un jour, blogueur toujours?
Je vais peut-être ouvrir un blog sous mon nom, pour parler librement à mes amis, à ma famille et à toutes les personnes qui partagent les mêmes passions que moi. C’est amusant de penser que je vais tomber dans l’anonymat le plus complet dès lors que j’abandonnerai mon pseudonyme. Ce qui est sur, c’est que le comportement classique du blogueur me manquerait: « – Ah, c’est une idée d’article pour mon blog – Je note cela pour mon blog – Mais qu’est-ce que je peux bien trouver comme titre pour ce billet – Ah la belle citation que voilà, je la mets de côté pour mon blog – Bon, je tiens le titre, reste à écrire le billet… »

Je voudrais en premier lieu remercier Paxatagore qui a été le premier à me référencer dans son blog et qui m’a offert son aide sur plusieurs des problèmes que je pouvais rencontrer dans l’activité d’expert judiciaire.

Je voudrais particulièrement remercier Maître Eolas, dont l’apparition sur ce blog sous forme de commentaires m’a toujours rempli de joie et de fierté (wwoouaaaa, tu as vu, j’ai un commentaire d’Eolas!!!!), et dont le référencement sur son blog m’a amené les deux tiers de mes visiteurs. Je trahis un peu sa reconnaissance en stoppant ce blog.

Je voudrais transmettre mes salutations confraternelles à tous les experts qui me lisaient, même s’ils ne l’avouaient pas toujours en formation, en particulier à ceux qui ont soutenu ma démarche malgré tout.

Chers auteurs de tous les blogs référencés sur la partie droite de ce site, je resterai simple lecteur admirateur. Si je ne dépose pas toujours de commentaires sur vos sites, c’est simplement parce que souvent je ne sais pas écrire autre chose que « bien dit – je suis complètement d’accord avec vous… »

Un regret aussi auprès de Pascal Charest, qui m’a toujours fait rêver par son activité d’outre mer, et avec qui j’aurais bien aimé travailler.

Pour les lecteurs qui appréciaient ce blog, et pour ajouter à leurs frustrations, voici les billets en projet, mais jamais écrits ou terminés:
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Hérétiques (titre provisoire):
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Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, la finitude avait la préférence et l’on se rappelle du sort peu enviable réservé aux hérétiques qui parlaient d’infini.
Se basant sur les travaux de Nicolas Copernic et Nicolas de Cues, Bruno Giordano démontre, de manière philosophique, la pertinence d’un univers infini, peuplé d’une quantité innombrable de mondes identiques au nôtre.
Accusé d’hérésie par l’Inquisition, il est condamné à être brûlé vif au terme de huit années de procès.

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Les Drills
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La numérotation des pièces dans un dossier d’expertise:
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Les parties vous fournissent chacune des pièces, souvent identiques, mais avec une numérotation propre à chaque partie: comment les référencer?

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Quel est le crétin (titre définitif, billet de comptoir):
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QUEL EST LE CRETIN QUI A AUTORISE LA VENTE DES VELOS TOUT TERRAIN SANS LUMIERE?
Le matin, maintenant que le jour n’est pas encore levé lorsque j’accompagne ma fille à son collège, des ombres circulent sur la route, blafardement éclairés par les chiches lumières urbaines.
QUEL EST LE CRETIN QUI A REMPLACE LA BONNE VIEILLE DYNAMO DES BICYCLETTES PAR DES PILES?
Sans doute le même que précédemment.
A bon y fo lé chenjé lé pil? A b1 c pa ékolo di donk
Tous des crétins va.

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Intelligence économique et sécurité de l’information:
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Une anecdote vécue sur un débriefing dans le train. Six personnes partageaient avec moi deux carrés (2×4 places) dans le TGV. Elles revenaient d’une visite importante auprès d’un client et faisaient leur débriefing à côté de moi (et des autres personnes de la rame). Tout y est passé: les marges de leur entreprise, les trucs pour emporter le marché, les noms des personnes clefs, les chiffres confidentiels… Incroyable. A l’arrivée en gare de Lyon, j’ai failli faire un résumé au chef de projet, mais je n’ai pas osé…

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Les mots de passe:
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J’ai déjà évoqué plusieurs fois ici les méthodes permettant d’obtenir les mots de passe. Je souhaitais faire un billet récapitulatif et montrer la facilité déconcertante de cette facette de l’activité d’expert judiciaire. La sécurité en générale est mal implémentée, ou mal comprise par les utilisateurs. Un récent billet de l’excellent Cédric BLANCHER aborde une partie de cet aspect. Abonnement à son blog obligatoire…

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Les dates:
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Un billet sur les difficultés rencontrées pour répondre correctement à la question suivante: « à quelle date ont eu lieu tels et tels faits? ». La précision dans les expertises. Dates (bios, dates fichiers…)
« Le 3e millénaire ne commence pas le premier janvier 2000 mais bien le 1er janvier 2001. Pour parfaitement exacte que soit cette donnée, elle nous flanque pourtant un sacré choc au moral. Parce que alors, du coup, le paléolithique moyen dont on nous avait dit qu’il s’étendait de –75000 à –35000 n’a commencé en réalité que le 1er janvier –74999 pour s’achever le 31 décembre –34999. On s’est bien foutu de notre gueule en tout cas. »
Le Petit Roger de Philippe Geluck

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Les vieux:
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Les vieux peuvent-ils faire des expertises?
Sont-ils compétents en technique?
Oui oui oui

Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n’importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Les vieux – Jacques Brel

Jeune, on est beau comme un coeur. Vieux, on est beau comme un pacemaker.
Michèle Bernier
Extrait de Le Petit Livre de Michèle Bernier

Quand un homme a un bec de canard, des ailes de canard et des pattes de canards : c’est un canard. C’est vrai aussi pour les petits merdeux.
Michel Audiard
Dialogue du film « Les Vieux de la vieille »

Quand j’étais jeune, je plaignais les vieux. Maintenant que je suis vieux, ce sont les jeunes que je plains.
Jean Rostand

On est toujours plus vieux que sur la photo

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Une idée dont le temps est venu:
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Je n’ai pas réussi à caser cette citation (trop sérieuse et trop belle pour la plupart des sujets que j’ai abordés).
«Il y a une chose plus forte que toutes les armées du monde,
c’est une idée dont le temps est venu.»
Victor Hugo

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Prendre du recul (titre provisoire):
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Etre capable de prendre du recul dans les expertises (et dans la vie). Je voulais surtout placer cette histoire relevée dans une conférence et qui m’avait fait sourire:
Un paysan chinois se fait voler un cheval.
Un voisin lui dit: tu n’as vraiment pas de chance!
Le paysan lui répond: je ne sais pas, je verrai un peu plus tard…

Le lendemain, le paysan retrouve son cheval et son voisin lui dit: alors toi tu as de la chance!
Je ne sais pas lui répond le paysan, il faut attendre un peu pour savoir…

Le fils du paysan monte sur le cheval l’après-midi et fait une mauvaise chute qui lui brise la jambe. Quelle malchance lui dit le voisin, tu avais raison en disant d’attendre pour savoir…

Le lendemain, les Mongols attaquent la Chine et tous les jeunes hommes du village sont réquisitionnés pour partir à la guerre, sauf le fils du paysan, puisqu’il a la jambe cassée.
Finalement, j’ai eu de la chance, dit le paysan, quelques jours plus tard.

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pwnie-awards:
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https://pwnie-awards.org/winners.html
Via le site https://sid.rstack.org/blog/index.php/209-blackhat-en-panne
Je voulais écrire un billet sur quelques termes du jargon informatique, leur origine, etc (pwnie, woot, etc.)

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Méthodologie:
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Un petit cours sur les méthodes, avec application aux expertises judiciaires.
Citation à caser:
Les logiciels plantent car ils se basent sur la théorie qu’avec neuf femmes enceintes vous pouvez avoir un bébé en un mois.
Wernher von Braun

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La terre de nos enfants (billet écolo)
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Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.
Seattle (chef indien)

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Epilogue:

Je laisse le livre consacré à une partie du blog en vente sur Lulu.com (toute ma famille n’a pas encore acheté l’ouvrage!), mais j’ai modifié il y a quelques temps le paramétrage du blog pour afficher sur une seule page l’ensemble des billets (histoire d’enfoncer encore plus ceux qui surfent encore sur du RTC, ceux qui payent à la quantité téléchargée ou les fans de GPRS et consorts…). Il vous suffit d’enregistrer la page pour les sauvegarder. Le cache de google n’est pas éternel…

Beatus qui prodest quibus potest
Heureux qui vient se rendre utile à ceux qu’il peut aider
Plaudite, cives ! : citoyens, applaudissez !
Mots par lesquels les acteurs romains, à la fin d’une comédie, sollicitaient les applaudissements du public.
Public des jeux du cirque, Astérix gladiateur.

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Explication du titre:
Nutrisco et extinguo
Je nourris et j’éteins (Devise de François Ier, Roi de France)
La salamandre, symbolise généralement le pouvoir sur le feu, donc sur les hommes et sur le monde. La devise Nutrisco & extinguo (« Je m’en nourris et je l’éteins »), qui accompagne parfois cet emblème, prend tout son sens lorsqu’on se réfère au pouvoir sur le feu. On la retrouve sur énormément de plafonds et de murs du château de Chambord et de celui de Fontainebleau, et sur les armes de la ville du Havre et sur celles de Vitry-le-François ainsi que sur le logo du département du Loir-et-Cher. Cet animal un peu magique est censé éteindre les mauvais feux et attiser les bons.

Comprenne qui pourra sur mon choix de titre!
Ici Zythom,
A vous les studios…

Acte de réception d’Avocat

Mon père a trouvé dans une brocante un parchemin du 18e siècle portant comme titre « Acte de réception d’Avocat ». Nous l’avons fait encadrer pour le symbole qu’il représente et je vous livre ici la transcription que j’en ai faite. Je ne suis pas sur de tous les mots car la calligraphie était particulièrement difficile à lire pour mes yeux habitués aux polices TrueType.

Voici donc un petit morceau d’histoire:

L’an de Grâce mil sept cent sept le lundi vingt quatrième jour d’octobre au Pontaudemer devant nous Jean Legrix écuyer sieur de Henutamulle conseiller du roi lieutenant général crime et criminel et lieutenant criminel de monsieur le Bailly de Rouen aux bailliages du Pontautou et du dit Pontaudemer le lieutenant Général de Police ont siégés vu la requête présentée par Anne François Lebourg disant qu’il a obtenu ses licences en droit en l’université de Caen après avoir étudié pendant les temps portés par la déclaration du roi et y avoir expressément obtenu ses lettres de bachelier pourquoi je vous présente sa requête à ce qu’il nous plaira lui accorder acte de la représentation qu’il faut de ses dites licences et lettres de bachelier ordonne qu’elles seront enregistrées au greffe pour y avoir recourt et que son nom sera inscrit au catalogue des Avocats pour en faire les fonctions faisant droit sur ladite requête vu les dites licences et lettres de bachelier obtenues par le dit sieur Lebourg, les plans d’assignation faites aux témoins baillés en liste par le procureur du roi pour être informé de la vie et moeurs et conversation de religion catholique apostolique et romaine du dit sieur Lebourg par Pierre Letellier greffier fait et constaté en cette ville pour conclure ci-joint et pour information faite en conseil par nous de ce dit jour et en main les conclusions du procureur du roi auquel Lebourg a été communiqué nous avons accordé acte au dit sieur Lebourg de la représentation qu’il a faite de ses dites licences de bachelier ordonne qu’elles seront enregistrées au greffe de ce siège pour y avoir recourt et sieur Lebourg admis et reçu au serment d’Avocat permet alors de postuler et plaider comme les autres Avocats de ce dit siège à laquelle fut ordonné que votre nom sera inscrit au catalogue des Avocats de ce dit siège a lui enjoint de garder et obtenus les ordonnances avec en règlement de la cour ce qu’il a juré et promis faire sous promesse.
requête présentée par Anne François Lebourg

Affaire Castro (1854)

Les experts en écriture ne sont pas seuls à donner à rire… à rire au public et à pleurer aux inculpés. Trop persuadés de leur compétence, ceux que le juge appelle à son aide ne veulent jamais avouer que leur sagacité est en défaut. De là des expertises comme celles de cet honorable carrossier.

Dans les premiers jours du mois de janvier 1854, M. Castro, agent comptable de la Compagnie du chemin de fer de Bordeaux à Bayonne, parcourait la route impériale, entre Dax et St-Vincent-de-Tyrrosse, dans un cabriolet conduit par le voiturier Barbet.

Il avait placé, à St-Geours, dans la voiture, une somme de 24000 francs divisée en trois groupes, dont deux dans la caisse du cabriolet et le dernier sous les pieds des voyageurs.

Arrivés à St-Vincent, M. Castro et son conducteur constatèrent la disparition des 16000 francs enfermés dans la caisse qui était effondrée; il ne leur restait que les 8000 francs placés sous leurs pieds.

La justice avertie se livra à des recherches, ne recueillit aucun renseignement précis, mais devant la déclaration du carrossier chargé de l’examen de la caisse de la voiture, elle arrêta M. Castro et son conducteur, les accusant d’avoir détourné à leur profit les 16000 francs disparus.

De l’expertise, en effet, il résultait que la caisse avait été enfoncée volontairement et pour donner le change. Il y avait eu crime et non accident.

La chambre des mises en accusation avait déjà renvoyé Castro et Barbet devant la Cour d’assises des Landes, lorsque les dépenses exagérées d’un nommé Ditcharry, habitant d’une commune voisine de Dax, éveillèrent l’attention, puis les soupçons de la justice.

Ditcharry avait trouvé sur la route les 16000 francs perdus par Castro. La caisse du cabriolet s’était brisée toute seule.

En dépit du carrossier-expert, il fallut acquitter l’agent comptable et son voiturier. A titre de réparation, sans doute, le président de la Cour d’assises adressa quelques paroles de consolation aux accusés:

« La Providence, comme pour nous pénétrer du sentiment de notre faiblesse, comme pour signaler à la justice humaine la nécessité de la plus rigoureuse prudence, permet aux hommes les plus sages de s’égarer dans leurs appréciations. »

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).

Le temps du changement

Voici venu le temps du changement…

Depuis quelques années, j’occupe le poste de « responsable des systèmes d’information » dans une école d’ingénieurs, école où j’ai commencé comme professeur avant de retourner à mes premières amours.

Je m’y emploie à maintenir en état un parc d’ordinateurs, de serveurs, et l’assemblage de tous les logiciels qui constituent ledit « système d’information ». Je suis aidé en cela par une équipe de deux personnes que j’ai eu l’honneur de former.

Bref, le bonheur.

Il y a six mois, je me suis rendu compte que l’agitation cérébrale liée au début de mes activités à ce poste commençait à retomber. Malgré l’émergence continue de nouvelles technologies, la sortie de nouveaux bugs nouvelles fonctionnalités, le comportement browniens des étudiants, l’attitude quantique des utilisateurs, le constat est accablant: je commençais à tourner en rond…

Jeune ingénieur tout frais sorti de son école, j’aspirais à révolutionner le domaine de l’intelligence artificielle.

Jeune docteur tout juste diplômé, je fabriquais des systèmes d’équations récurrentes non linéaires.

Jeune professeur, j’allais évangéliser les rudes provinciaux en leur portant la bonne parole à coup de langage C…

Jeune responsable informatique, je découvrais l’ingratitude permanente des utilisateurs, le charme de la diplomatie et la joie des 30 jours de congés payés (fruits de hautes luttes sociales).

Oui mais voilà, maintenant, grimpeur assis au sommet de sa montagne, je regarde avec envie les sommets voisins (plus haut) en pensant à l’ivresse de l’escalade.

C’est pourquoi, cet été, quand j’ai appris que le responsable du service technique partait, et bien, après une petite hésitation, j’ai proposé à mon patron de me confier son service, en plus du mien…

Me voici donc maintenant également responsable:

– du nettoyage du bâtiment

– de son entretien

– de son chauffage

– de l’électricité

– du contrôle d’accès

– de la sécurité incendie

– des espaces verts

– du respect des règles de stationnement

– du parc de voitures de société (si si)

– des achats

– de l’agrandissement des locaux…

Je découvre avec joie le plaisir de l’encadrement de neuf personnes.

Je me baigne avec délice dans les joies des règlements ERP2, des normes de sécurité des engins de levage, des alarmes incendies intempestives et de la manipulation experte des autocollants « interdit de stationner ».

La plasticité synaptique de mes neurones est enfin mise de nouveau à contribution (je veux dire bien sur en dehors de mes opérations d’expertises judiciaires).

Autant vous dire que la qualité régularité des billets de ce blog va en pâtir quelques temps…

Où sont les femmes ?

Où sont les femmes ? Avec leurs gestes plein de charme…
Chantait Patrick Juvet en 1977.

En effet, il y a très peu de femmes expertes judiciaires en informatique (mais heureusement il y en a!). Pourquoi?

Je ne sais pas…

Pourquoi les femmes ne sont-elles pas attirées par ce type d’activité?
On trouve des femmes magistrates, avocates, gendarmes, policières… mais très peu de femmes expertes judiciaires en informatique.

Il n’y a pas d’explication. C’est comme cela.

Au point qu’une fois, en étudiant mon inscription à un congrès organisé par une compagnie d’experts judiciaires, et alors que les sujets d’étude évoqués nous intéressaient mon épouse et moi-même, nos regards furent attirés par le programme spécial prévu pour les « accompagnantes ».

Il était écrit « accompagnantes » et non pas « accompagnants ».

Les organisateurs n’avaient pas prévu qu’une femme puisse s’inscrire en tant qu’experte (ou qu’un expert vienne accompagné d’un homme…). Ils n’avaient pas prévu non plus que les conjoint(e)s puissent être intéressé(e)s par les débats techniques.

A ma question téléphonique, il me fut répondu « et bien inscrivez vous tous les deux comme congressistes ».

Oui, mais les prix ne sont pas les mêmes: un tarif réduit pour un expert plus un plein tarif pour un extérieur, alors que les conjoint(e)s étaient sensé(e)s ne pas payer…

Femmes, déposez des dossiers de candidature pour devenir expertes judiciaires!

Je suis sur que cela changera l’atmosphère de certaines réunions d’expertises…
Et puis comme cela, mon couple aura des tarifs réduits 🙂

11 novembre 2007

C’est la première fois que j’assiste à la cérémonie du 11 novembre dans ma ville. J’y accompagne ma fille qui doit lire un texte, avec ses camarades de classe de CM1. C’est un petit matin froid et nous retrouvons près du monument aux morts, des parents, des anciens combattants, les instituteurs, la fanfare, quelques personnalités et le maire.

La cérémonie est empreinte de dignité, émouvante et solennelle.

Moment de recueillement collectif, tout le monde est concentré sur les textes lus par les enfants à tour de rôle.

Arrive le tour d’un petit garçon dont le mère est à côté de moi. Elle me dit: il est très concerné car il nous a posé beaucoup de questions. Devant mon étonnement, elle m’explique que son arrière grand-père était allemand et avait combattu contre les français lors de la grande guerre…

C’est au tour de ma fille de 9 ans. Voici son texte:

« Plus de 4 millions d’hommes ne survécurent qu’après avoir subi de graves blessures, le corps cassé, coupé, marqué, mordu, la chair abimée, quand ils n’étaient pas gravement mutilés.

Les autre s’en sortirent en apparence indemnes: il leur restait le souvenir de l’horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l’odeur des cadavres pourrissants, de l’éclatement des obus, de la boue fétide, de la vermine, la mémoire du rictus obscène de la mort.

Il leur restait des cauchemars pour le restant de leurs jours, des images dont ils n’oublieraient jamais l’horreur. »

Ces mots dans la bouche de ma fille m’ont tiré quelques larmes discrètes.

Affaire Goujon (1809)

Dans les siècles passés, l’expertise était semble-t-il une profession, et les experts, et bien, dépendaient financièrement de celui qui les nommait, c’est-à-dire par exemple le juge d’instruction. Du coup, l’indépendance des experts pouvait parfois laisser à désirer.

Je tire cette information d’un passage de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897) sur lequel est basé cette série de billets:

On ne ménage aux experts ni les railleries ni les critiques. Ils mériteraient un peu d’indulgence. Entre l’enclume de l’accusation et le marteau de la défense, leur position n’est guère enviable! On leur reproche d’avoir, pour l’inculpé, les yeux du ministère public. Comment en serait-il autrement?

La profession d’expert est une profession; le seul amour de leur art n’anime pas ceux qui l’exercent. Or, quoique les frais et honoraires d’expertise paraissent lourds au justiciable, les vacations sont en réalité des plus médiocres. Pour vivre, l’expert a besoin de succomber sous le poids des expertises.

Et de qui ce nombre dépend-il? Quel est le dispensateur des affaires à examiner? C’est le juge d’instruction; c’est lui qui , sur la liste dressée par le président du tribunal, nomme les experts et choisit ceux « sur lesquels il peut compter ». Un expert sur lequel on peut compter, c’est, dans les affaires commerciales et financières, par exemple, un auxiliaire, un collaborateur qui prend l’affaire dès son début et la rapporte toute faite: quelques interrogatoires de forme, et le juge peut rendre l’ordonnance; le procureur n’aura qu’à résumer son rapport.

Nous n’en prétendons faire grief à personne, mais l’expert auquel est confié le plus de travaux est celui dont les avis sont le plus fréquemment d’accord avec la prévention(1). Aux yeux du magistrat, justifier l’inculpation est, de la part de son auxiliaire, une preuve de capacité.

Les experts sont d’ailleurs compétents pour la plupart et tous sont loyaux en leur partialité. Mais ils sont forcés d’expertiser à charge, sous peine de ne plus expertiser du tout.

Il semble aux magistrats qu’un expert favorable à la défense ne peut être sincère et le ministère public, à l’audience, n’a pas hésité parfois à déclarer suspectes des conclusions sur lesquelles il ne pouvait s’appuyer.

Tristes époques où le système judiciaire était biaisé…

Ceci m’amène à vous narrer une histoire montrant le côté (trop) humain des experts, et qui n’est pas sans rappeler l’abandon actuel dans lequel sont parfois laissé les personnes qui amène leur témoignage à la justice.

Devant les jurés de la Gironde comparaissaient le 16 novembre 1809 trois assassins présumés d’un nommé Léonard Goujon, dont on avait découvert le cadavre dans un lac voisin de Blaye.

Une pièce essentielle avait été soumise à la sagacité de trois experts en écritures. C’était une sorte de testament de mort laissé par la victime et qui contenait cette phrase:

« Je pars pour m’aller noyer »

On comprend, sans autre détail sur les faits, l’importance d’un tel document. S’il émanait vraiment de Léonard Goujon, l’accusation s’effondrait dans le doute. Le suicide devenait vraisemblable et, par suite, l’acquittement nécessaire.

Si, au contraire, l’écrit était l’œuvre de faussaires, c’était là, contre les accusés, une présomption bien grave.

Au cours de l’instruction, les trois experts avaient conclu à la fausseté du testament. L’un ne pouvait affirmer que la pièce fût falsifiée, mais « les date et signature étaient positivement d’une autre main que celle de Goujon« . Les deux autres experts, après un long examen « par tous les motifs que leur art pouvait indiquer » déclarèrent contrefaites les vingt-et-une lignes du document qui leur était soumis.

Mais à l’audience, deux sur les trois jurèrent qu’ils s’étaient trompés du tout au tout dans leur rapport! Vous allez comprendre très vite pourquoi, avec le réquisitoire du procureur général:

Tant que les experts ignorèrent quels étaient les accusés, dit-il, et quelle peine ils avaient encourue, seuls avec leur conscience ils dirent ce qu’ils voyaient.

Connus maintenant par les accusés et par leurs amis, instruits des conséquences terribles que peut avoir leur déclaration, deux d’entre eux les rétractent, et s’accusent d’ignorance ou d’irréflexion.

Je sais combien leur art est conjectural. Il y a pourtant des caractères auxquels cet art distingue la différence de la main, et la justice, en matière de faux, n’a guère d’autre guide… C’est après un examen approfondi que l’un avait déclaré fausses les vingt-et-une lignes en entier, et les autres les date et signature.

Alors, ils ne connaissaient ni les accusés, ni leurs protecteurs, ni les graves conséquences des déclarations qu’ils allaient faire.

Aujourd’hui, sur un simple aperçu, sans réflexion, pour ainsi dire sans examen, dans le trouble qu’inspirent une assemblée très nombreuse, la présence des magistrats et plus encore celle des prévenus, ils rétractent ces déclarations et l’on voudrait que nous leur accordassions une confiance entière!

Il n’était pas simple d’être expert judiciaire en ces temps anciens!

(1) NDZ: Prévention / Terme technique qui désigne ce qu’on pourrait appeler les « chefs d’accusation ». (Merci à Paxatagore) / Droit qu’un juge a de connaître d’une affaire parce qu’il a été saisi le premier / Opinion formée sans examen, état d’un esprit disposé d’avance.

Affaire Bellanger (1599)

En l’an 1599, sous le règne du Béarnais, un nommé Jean Prost demeurant à Paris, à l’auberge des époux Bellanger, disparut de son domicile. Sa mère, après avoir attendu vainement son retour pendant de longues semaines, porta plainte au lieutenant criminel; elle accusait les aubergistes du meurtre de son fils.

Les premières constatations du juge parurent confirmer la dénonciation de la dame Prost.

Les Bellanger avaient eu le tort de s’approprier une partie des hardes et tout l’argent laissé par Prost dans la chambre; ces effets retrouvés chez eux, en donnant au crime un mobile, semblèrent la démonstration de leur culpabilité.

En vain, prétendirent-ils avoir gardé ces objets pour se payer de ce qui leur était dû par leur hôte, leurs protestations n’ébranlèrent pas la conviction des juges: les Bellanger avaient assassiné Jean Prost pour s’emparer de ses effets.

L’attitude des accusés, au début de l’instruction, fut relevée contre eux comme une charge décisive: n’avaient-ils pas soutenu à plusieurs reprises qu’ils n’étaient pas même entrés dans la chambre de Prost depuis sa disparition, alors que leur enfant déclarait qu’à trois reprises ils avaient forcé la porte de cette pièce et qu’ils y avaient pris de l’argent?

Bellanger fut condamné à la question ordinaire et extraordinaire.

Il y a deux sortes de question ordinaire et extraordinaire qui s’exécutent dans l’étendue du parlement de Paris: à l’eau et aux brodequins. Dans d’autres parlements il s’en donne de plusieurs sortes, comme les mèches allumés entre les doigts, ou l’estrapade avec poids aux pieds et bras derrière le dos. La différence entre la question ordinaire et extraordinaire réside dans le degré de souffrances infligées: la quantité d’eau dans un cas, le nombre de coins pour les brodequins. Il faut remarquer que les brodequins se donnent plus rarement que l’eau car ils peuvent estropier le patient en faisant éclater les os…

La torture n’arracha pas d’aveux à Bellanger, et il fut sursis à statuer définitivement jusqu’à ce qu’une nouvelle preuve de culpabilité fut apportée.

Ce fut une preuve d’innocence que le hasard fournit, à quelque temps de là: deux individus arrêtés et poursuivis pour vol furent condamnés à mort et l’un d’eux, au pied de la potence, avoua sa culpabilité dans le crime reproché aux hôteliers.

La justice alors, n’accordait pas de réparation à ses victimes… Mais jadis comme aujourd’hui, ceux qui avaient eu le plus à souffrir de la justice gardaient encore confiance en elle. Bellanger, estropié par les chevalets de la question, s’adressa au parlement de Paris pour qu’il proclamât son innocence et la condamnation à des dommages-intérêts de la mère de Prost dont les accusations calomnieuses avaient eu pour lui et les siens de si déplorables conséquences.

L’avocat général Servin dans ses conclusions, exprima l’avis que si l’innocence des époux Bellanger devait être proclamée, il ne pouvait leur être alloué aucun dommage-intérêt, parce que, dit-il, si l’accusé avait souffert de la question, il devait se l’imputer à lui-même; il s’était perdu par ses réponses, et avait éprouvé la vérité de cet oracle de l’Ecriture:

Mors et vita in manu linguae; qui diligunt eam, comedent fructus eius.

La mort et la vie dépendent du langage, qui l’affectionne pourra manger de son fruit.

(Proverbes – Traduction œcuménique de la Bible – Capitulum 18 v. 21)

L’avocat général finit en disant qu’il n’était pas juste que l’accusé demandât des dommages-intérêts pour des poursuites que la mère de Prost n’avait point faites par un esprit de calomnie, et qu’il devait « recevoir cet accident comme une épreuve du ciel ».

Le Parlement adopta l’opinion de Servin et un arrêt du 17 janvier 1600 ordonna la mise en liberté des époux Bellanger dont l’innocence était reconnue, mais il leur refusa la réparation pécuniaire qu’ils réclamaient contre leur accusatrice.

Extrait de l’ouvrage « Les erreurs judiciaires et leurs causes » de Maurice Lailler et Henri Vonoven (1897).