L’interrogatoire

Ce billet est le 3e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Le jour J arrive. Stressé et angoissé, j’arrive 4 heures avant le rendez-vous. Je trouve mon chemin, je repère les lieux, je tourne en rond dans la ville.

Je discute avec mon avocat qui essaye de me détendre.

L’heure H arrive enfin. Je frappe à la porte du bureau du magistrat. A la Cour d’Appel, on l’appelle un conseiller. Mon avocat m’accompagne. Dès la porte du bureau ouverte, il demande au conseiller l’autorisation d’assister à mon audition. Le conseiller refuse poliment, expliquant que les textes ne prévoient pas la présence d’un avocat. Mon avocat m’avait prévenu. Me voici seul.

Le bureau est une jolie pièce avec plafond en voute. Deux personnes m’attendent: le conseiller et son greffier. Je m’assoie sur une chaise et me sens coupable. Mais je ne sais pas pourquoi.

Bonjour Monsieur, J’ai été saisi par le chef de Cour dans la mesure où vous tenez un blog et que l’on s’interroge pour savoir si vous considérez que ce blog est compatible avec l’obligation de réserve à laquelle vous avez prêtée serment.

Patatras.

Le ton est froid, professionnel. Sur ma chaise, je maîtrise avec peine mon stress.

Pendant une demi heure, sur un ton très courtois mais ferme, je suis interrogé sur mon blog, principalement sur ce billet. J’essaye d’expliquer mes motivations. Mon cerveau fonctionne à plein régime, mais ma voix trahit mon stress. C’est le premier interrogatoire auquel j’assiste, et c’est moi l’accusé.

Curieusement, ma voix légèrement chevrotante me fait penser à cette voix de vieillard dont j’ai déjà parlé dans cette anecdote. Seulement cette fois, le stress est resté jusqu’au bout tellement j’étais impressionné.

Le magistrat est parfaitement correct dans son rôle de neutralité absolue: froid sans être glacial, sans sourire mais sans sècheresse. Des questions courtes, factuelles. Je réponds (enfin j’essaye de construire une réponse intelligente). Le greffier prend des notes avec rapidité. Le magistrat prend le temps de répéter ses questions, et de reformuler mes réponses, sans en trahir le sens, pendant que j’écoute en silence.

Ce qui m’a surpris le plus, malgré mon stress, c’est que le greffier n’utilisait pas d’ordinateur, mais une simple feuille et un stylo. Lorsque je lui ferai remarquer, il m’expliquera qu’il est plus à l’aise comme cela, avec le sourire désabusé que je connais pour le voir souvent sur les personnes plutôt réfractaires à l’informatique. Je ne lui donne pas tort, d’autant que son écriture est fine et plutôt lisible. Les phrases sont complètes, les mots aussi. Il n’y a pas d’abréviation, ni de faute d’orthographe.

Dernière question du conseiller: « Avez-vous quelque chose à ajouter? »

Réponse instantanée: « Oui… mais… j’ai mille choses à ajouter! »

Puis je réfléchis en silence.

Le conseiller laisse ce silence s’installer.

Je regarde ce professionnel et comprend qu’il ne laissera transpirer aucun sentiment, aguerri qu’il est à ce type de situation.

Mais je lui sais gré de me laisser le temps de la réflexion, de ne pas me brusquer.

Je présente en quelques phrases le fait que je mets mes compétences au service de la Justice et que ce blog me permet de faire un retour d’expérience, avec des affaires transposées, déformées et méconnaissables, sous le couvert d’un pseudonyme, afin de partager ces expériences avec d’autres, professionnels du droit, experts confirmés, experts en devenir ou simples citoyens. Ce n’est pas incompatible à mon sens avec une obligation de réserve.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme.

Je sens que la messe est dite. Inutile de me ridiculiser. Je me sens déjà assez humilié.

Le conseiller me demande de relire le procès verbal du greffier. Je déchiffre son écriture étroite en me demandant pourquoi il n’a pas utilisé l’ordinateur. Le compte rendu est fidèle à l’esprit de mes propos. Je signe malgré l’absence de mon avocat.

Pourquoi avoir refusé la présence de mon avocat? Certes, sa présence n’était pas obligatoire, mais le magistrat aurait pu accepter sa présence. Car si son travail m’a semblé remarquable, je suis sur que l’avocat aurait du en être le témoin, en complément du greffier.

Je demande s’il m’est possible d’avoir accès au dossier, pour savoir qui a entamé cette procédure contre moi. Le conseiller m’indique qu’à ce stade de la procédure, ce n’est pas possible.

Le silence s’installe.

Le conseiller m’informe que l’audition est terminée.

Il ne me dit pas si je serais informé des suites, ni quand.

Je dois reconnaître que j’ai oublié de poser la question.

Mon avocat me ramasse à la sortie à la petite cuillère.

L’attente cruelle commence.

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Remarques:

– J’ai écris ce billet le lendemain de l’audition. Le soir même, j’étais trop fatigué. Et l’expérience m’a appris qu’il n’était jamais bon de réagir à chaud: un peu de recul ne nuit jamais à la réflexion. Je publie aujourd’hui ce billet sans retouche particulière. Sauf les présentes remarques.

– J’ai un rapport à l’autorité très respectueux. Les magistrats, la police, les gendarmes, les militaires et les politiques m’impressionnent beaucoup. Ils portent beaucoup de responsabilités et de pouvoirs sur les épaules, sans attirer la sympathie et la reconnaissance qui leur sont dues. Les voir travailler de près reste pour moi une source permanente d’étonnement, même quand je suis moi-même au cœur de leurs préoccupations.

– En venant avec mon avocat, malgré les avertissements de celui-ci, je pensais réellement que le magistrat accepterait sa présence, puisqu’il avait le choix. J’en veux beaucoup aux lois françaises (votées par les députés) de ne pas imposer la présence d’un avocat dès qu’un citoyen le souhaite. J’ai sans doute abusé un peu des séries américaines, mais les Etats-Unis ne peuvent pas se tromper sur tout…

– Il faut beaucoup, beaucoup de détachements pour relativiser sa propre affaire, se dire qu’il y a des cas beaucoup plus graves, des affaires où des vies sont en jeu, etc. Je me suis rendu compte que je n’en suis pas capable: cette affaire m’a rongé et m’a inquiété pendant des mois. J’y reviendrai.

Billet suivant: La lettre du procureur.

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Photo: détail du fronton du palais de Justice de Boulogne sur Mer (rien à voir avec moi… ou pas:).

La convocation de la Cour d’Appel

Ce billet est le 2e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Mettre ses compétences au service de la Justice, c’est une fierté, mais c’est aussi une source de stress et d’angoisse. Vous n’êtes pas à l’abri d’une erreur ou d’une faute. Je pense n’avoir jamais commis de telles choses.

Et pourtant, voici le courrier que j’ai reçu à mon domicile il y a quelques semaines, en recommandé avec avis de réception:

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Objet: Audition préalable à d’éventuelles poursuites disciplinaires

Monsieur,

Le Premier Président de la Cour d’Appel m’a saisi de faits pouvant justifier contre vous des poursuites disciplinaires.

Afin de recueillir vos explications, je vous remercie de vous présenter le [date] à [heure] à mon bureau, au Palais de Justice [adresse].

Vous trouverez ci-joint copie des articles 24 à 32 du Décret du 23 décembre 2004 relatif à la discipline des experts.

Cette convocation n’est qu’un entretien préalable à l’engagement éventuel de poursuites. En cas de poursuites seulement, les articles 26 et suivants reçoivent application.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleures salutations.

Le magistrat chargé des relations avec les experts.

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Consternation à la maison. Je suis resté stupéfait et comme assommé. Qu’est-ce qui pouvait être à l’origine d’une telle convocation?

Première idée: cela doit avoir un rapport avec ce blog.

Deuxième idée: pas de deuxième idée.

Je relis le courrier à la recherche d’indices: rien.

Nous somme samedi, la Cour d’Appel est fermée, et demain c’est dimanche.

J’ai passé un des plus mauvais week-end depuis longtemps.

Lundi je contacte le greffe de la Cour d’Appel pour aller à la pêche aux informations: rien.

Je ronge donc mon frein en attendant la date de l’audition: dans 10 jours.

10 jours d’attente à me demander ce qui a bien pu justifier une telle convocation. Alors, je rédige un billet qui laisse transpirer mon humeur sombre

Comment positiver quand on est dans le noir.

Je prends un avocat. Le meilleur.

Billet suivant: L’interrogatoire.

L’affaire Zythom – Introduction

Pourquoi n’y a-t-il pas beaucoup de blogs d’experts judiciaires?

Tenir un blog sur lequel un expert raconte des anecdotes sur ses expertises judiciaires est-il contraire à la déontologie?

Depuis la création de ce blog, je me pose ce genre de questions et fais en sorte que mes billets restent dans une limite que je trouve conforme à ce que doit faire un expert judiciaire.

Mais certains experts ne sont pas de cet avis et ont décidé d’attaquer ce blog en justice. L’attaque fut soudaine, brutale et imprécise comme une convocation judiciaire.

Ce fut alors le début d’une longue série de mois d’angoisses, de doutes et de nuits sans sommeil. Avais-je pris la bonne décision en ouvrant ce blog? Un expert judiciaire peut-il tenir un blog? Cela valait-il la peine de risquer d’être radié de la liste des experts judiciaires? Quel impact cela aura-t-il sur ma famille, sur mon travail?

Cette procédure judiciaire à mon encontre m’a tellement angoissé que maintenant qu’elle est terminée, je ressens le besoin de la raconter, d’autant plus que je me suis astreint au silence pendant les moments les plus durs.

Et puisque c’est l’esprit même d’un blog de raconter ce qui nous arrive de marquant en relation avec le thème du blog, a fortiori quand c’est du blog même dont il s’agit, je vais vous raconter cette histoire sous forme de billets, dans une rubrique que j’ai simplement appelée « Affaire Zythom« .

Ce qui me semble également intéressant de partager, c’est que cette affaire m’a, à mon corps défendant, donné une vision différente du monde judiciaire: je suis cette fois à la place de celui qui est jugé, et non plus à celle de celui qui aide à juger.

Les différents magistrats et experts judiciaires qui ont eu à se pencher sur mon cas ont toujours travaillé en parfaits professionnels et, même s’ils n’étaient pas d’accord avec moi, m’ont laissé développer mes arguments pour répondre à la question qui était au cœur des débats « un expert judiciaire peut-il tenir un blog et pour autant respecter la réserve, l’impartialité et la conscience professionnelle imposées par sa fonction d’expert judiciaire?« .

Je vais essayer de tenir le rythme d’un billet tous les deux jours, mais je ne promets rien, tant le stress de ce dossier est encore présent en moi.

Voici le plan que je me propose de suivre:

1) L’affaire Zythom – Introduction (présent billet)

2) La convocation de la Cour d’Appel

3) L’interrogatoire

4) La lettre du Procureur

5) Commission de discipline

6) Décisions de la Compagnie

7) Conclusions provisoires

8) Décision du Procureur [AJOUT du 25/01/2009]

En attendant, je vous propose de relire ce billet que je recycle ici, tant il est l’âme de ce blog:

C’est ici un blog de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dés l’entrée, que je ne m’y suis proposé nulle fin que domestique et privée: je n’y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire: mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein.

Je l’ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis: à ce que m’ayant perdu (ce qu’ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver tous les traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive, la connaissance qu’ils ont eue de moi.

Si c’eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautés empruntées, ou me fusse tendu et bandé en ma meilleure démarche. Je veux qu’on m’y voit en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice: car c’est moi que je peins.

Mes défauts s’y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïve autant que la révérence publique me l’a permis. Que si j’eusse été parmi ces nations qu’on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t’assure que je m’y fusse très volontiers peint tout entier et tout nu.

Ainsi, cher Internaute, je suis moi-même la matière de mon blog: ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.

Adieu donc.

Un dernier conseil:

Pour vivre heureux, vivez cachés: n’ouvrez pas de blog.

Billet suivant: La convocation de la Cour d’Appel

Blogroll update

Je profite de ce billet de meilleurs vœux pour l’année 2009, pour mettre à jour la liste de liens vers d’autres blogs que je dévore dès qu’un billet y est publié (est-ce la liste que je dévore, les liens, les blogs ou les billets???).

Ma blogroll est située sur le côté droit de ce blog, sous la zone de recherche. Les liens sont en général à jour, et regroupent les meilleurs blogs de mon point de vue. Parmi ces blogs, vous retrouverez ICI les billets que j’ai particulièrement appréciés.

Viennent donc s’ajouter à cette blogroll, après examen de passage et félicitations du jury:

La plume d’Aliocha
Action Critique Média
Affaires étrangères
Aïe! tech et
Boules de Fourrure.

C’est à cause d’eux, et des autres déjà présents, que je dors de moins en moins.
Mais tous en valent le coup!

Ah oui, et meilleurs vœux pour l’année 2009, à vous qui vous êtes égarés sur ce blog…

Devenir expert judiciaire

Sur la tombe des Gardes Suisses tués par les émeutiers le 20 juin 1792, au Cours-la-reine à Paris, fleurissait un marronnier tous les ans au premier jour du printemps. De la même façon, tous les ans, un article paraissait dans la presse pour relater l’évènement, de faible importance il est vrai, mais attendu par les lecteurs.

L’encyclopédie en ligne Wikipedia nous donne ainsi l’origine du sens du mot « marronnier » en matière de journalisme, ainsi que sa définition: un article d’information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un évènement récurrent et prévisible.

Sans être journaliste, j’ai néanmoins sur ce blog un « marronnier », qui nécessite chaque année un billet de ma part: le 1er janvier ouvre en effet la période de dépôt des dossiers de candidature pour devenir expert judiciaire, période qui prendra fin le 1er mars de la même année.

Et comme l’un des objectifs de ce blog est de permettre aux meilleurs d’entre vous de se dire « pourquoi pas moi », voici un billet qui démontre avec brio ma maîtrise consommée de l’art du copier/collé. Les références bibliographiques des pillages effectués sont en bas de billet…

Vous avez toujours rêvé de mettre vos talents au service de la Justice?

Vous vous sentez capable de procéder à l’analyse d’un disque dur, d’une clef USB ou d’un cédérom tout abimé?

Vous n’avez pas peur d’organiser une réunion et de l’animer avec sérénité?

Vous n’avez pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs?

Les mots Warrant, Verus dominus, Usucapion, Urssaf, Quérable, Léonin, Forclusion, Exécution provisoire, Contradictoire ne vous font pas peur et vous vous sentez capable d’apprendre leur définition par coeur?

Vous êtes prêt à accepter un refus poli de votre dossier malgré sa grande qualité?

Vous savez chiffrer les dommages financiers causés par une informatisation partiellement ratée à cause d’un bug non reproductible?

Vous savez trouver un texte du Journal Officiel sans connaître sa date de parution?

Si vous avez répondu « Oui » à toutes ces questions, vous pouvez postuler pour devenir expert judiciaire (mais cela ne suffira pas!).

Commencer par lire attentivement le bon Journal Officiel (celui du 30 décembre 2004) en allant directement au texte 63 intitulé « Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires ».[Réf_1]

Mais savez-vous ce qu’est un expert judiciaire?

Les experts judiciaires sont des professionnels habilités chargés de donner aux juges un avis technique sur des faits afin d’apporter des éclaircissements sur une affaire. Ce sont des spécialistes de disciplines très variées (médecine, architecture, gemmologie, économie etfinance, etc.).

Leurs avis ne s’imposent pas aux juges qui restent libres.[Réf_2]

Comment devenir expert judiciaire?

Un technicien qui voudrait s’inscrire sur une liste d’experts judiciaires dressée par la cour d’appel doit envoyer une demande sous forme de lettre sur papier libre, précisant les domaines et/ou les spécialités pour lesquels la demande est introduite, ainsi que les rubriques de la liste pour lesquelles il souhaite son inscription.

En annexe à cette lettre doit figurer un curriculum vitae, un extrait du casier judiciaire et une copie certifiée conforme des diplômes présentés à l’appui de la demande, ainsi que les travaux déjà effectués dans les spécialités concernées et toute pièce permettant d’apprécier ses compétences.

Cette demande doit parvenir au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel le candidat exerce son activité professionnelle ou possède sa résidence, avant le 1er mars de chaque année pour les inscriptions à valoir l’année suivante.[Réf_3]

Quelles sont les conditions nécessaires?

Une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts que si elle réunit les conditions suivantes :

1° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs;

2° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation;

3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce;

4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité;

5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante;

6° N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise;

7° Sous réserve des dispositions de l’article 18, être âgé de moins de soixante-dix ans;

8° Pour les candidats à l’inscription sur une liste dressée par une cour d’appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, y avoir sa résidence.[Réf_4]

Y a-t-il des petits trucs à savoir?

«L’expertise judiciaire n’est pas une profession, c’est une fonction» qu’exercent de façon périodique des professionnels de la matière concernée (médecins, architectes…). «L’expert est un auxiliaire du juge, ce n’est pas un auxiliaire de justice comme l’avocat, qui exerce une profession vraiment judiciaire.»[Réf_5]

L’inscription n’est pas un un diplôme supplémentaire, mais une charge, parfois lourde, voire dangereuse dans certaines expertises en matière criminelle. Les candidats ne doivent pas être déçus ne pas être inscrits dès leur première demande.

Le nombre d’expert retenu tient à des facteurs indépendant des candidats, comme l’évolution du nombre d’expertises, le nombre d’experts dans une discipline, les orientations générales de la Chancellerie ou encore à d’autres facteurs relatifs à l’institution judiciaire. Seuls les magistrats pourraient indiquer quels sont les critères qui tiennent aux candidats eux-mêmes. Au vu des pièces demandées, on peut toutefois estimer que les magistrats examinent la compétence, l’expérience, la notoriété, la disponibilité, l’indépendance et les moyens de remplir les missions que présentent les candidats.

Un conseil : après un refus, ne pas hésiter à représenter sa candidature l’année suivante, surtout si l’on peut faire valoir des éléments nouveaux.[Réf_6]

Un coup de téléphone à sa cour d’appel peut être utile pour savoir s’il faut des documents complémentaires (photos, etc.)

Si votre demande est acceptée, vous serez convoqué pour prêter serment. C’est aussi le bon moment pour contacter une compagnie d’experts pour parler formations, procédures, assurance…

Plus d’informations en cliquant ici (mais il faudra réfléchir).[Réf_7]

Et quand vous aurez enfin votre nom inscrit sur l’une de ces listes, alors le travail ne fera que commencer…

Vous avez deux mois.

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[1] Réf: Zythom.

[2] Réf: Ministère de la Justice.

[3] Réf: Ministère de la Justice

[4] Réf: Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, version consolidée au 21 juillet 2007.

[5] Réf: Sénat.

[6] Réf: Paul Vidonne

[7] Réf: Zythom. Je vous l’avais dit: un marronnier!

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Crédit image Aviso.

Les anciens et la vitesse

Je participe à la commission déplacement de ma ville, et à ce titre, je suis amené à réfléchir sur les sens de circulation, les aménagements d’une rue, d’un carrefour, etc.

Lors d’un travail sur une rue toute droite où la vitesse des usagers était un peu trop grande, nous avons décidé de profiter de l’enfouissement des réseaux pour « restructurer » la rue en y plaçant des plateaux ralentisseurs.

Deux réunions de présentation aux riverains ont permis de finaliser le projet et quelques mois plus tard les travaux commencent.

La législation sur les plateaux ralentisseurs imposent de signaler aux usagers que leur vitesse doit être ramenée à 30 km/h avant le plateau, et de signaler juste après celui-ci que la limitation est terminée. Trois plateaux ralentisseurs impliquent dont douze panneaux car la rue est à double sens.

Comme je trouve que cela fait beaucoup pour une seule rue, je propose que la totalité de la rue soit limitée à 30 km/h (cela ferait donc quatre panneaux).

La discussion s’anime, avec les antis et les pros, l’idée principale étant que d’imposer une limite aussi basse, c’est quand même chiant.

Je fais alors remarquer que la rue principale de la commune (qui la traverse de part en part) est limitée à 30 km/h.

Pourquoi pas d’autres rues?

Et là, un ancien de la commune (les commissions sont chez nous ouvertes aux citoyens de base pourvu qu’il en fasse la demande et viennent à toutes les réunions) m’explique l’histoire suivante:

Il y a dix ans, la commune souhaitait que les usagers roulent moins vite lors de la traversée de son centre ville. Après enquête auprès de la maréchaussée, la police a informé les conseillers de l’époque qu’ils ne verbalisaient que si la vitesse était mesurée à plus de 20 km/h d’excès de vitesse. Si l’on voulait que les chauffards soient verbalisés au dessus de 50 km/h, il fallait donc placer des panneaux limitant la vitesse à 30 km/h. CQFD.

Et les panneaux sont restés, mais la police verbalise aujourd’hui à 30,001 km/h…

J’ai bien aimé cette histoire.

Elle est trop bête pour ne pas être vraie.

De coup mon avis a été minoritaire et nous avons décidé de placer douze panneaux pour que les voitures puissent foncer après chacun des trois plateaux ralentisseurs.

Heureusement, on a ensuite parlé pistes cyclables…

Illusoire anonymat

Je reçois beaucoup d’emails me questionnant sur ce sujet, et je me rends compte que ce que je tiens pour évident, du fait de ma profession, ne l’est pas pour tout le monde.

Je tiens ce blog en utilisant le pseudonyme « Zythom ».

Je m’en suis déjà clairement expliqué dans ce billet et dans celui-ci.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme.

Notre Maître à tous explique très bien les raisons de son anonymat. Je n’irai pas le paraphraser…

Aliocha, journaliste anonyme qui tient le blog « La Plume d’Aliocha« , a très bien expliqué l’intérêt des masques pour l’écriture dans son billet « impérieux anonymat« .

Néanmoins, j’ai parfaitement conscience que cet anonymat est tout relatif.

Qui mieux que moi est bien placé pour savoir qu’il suffit d’une demande officielle de la justice pour lever cet anonymat?

Quels sont alors les éléments techniques qui permettent à un expert judiciaire, ou à un officier de police judiciaire, de « remonter » jusqu’à la personne physique? Comment procèdent-ils?

Pour illustrer la démarche, je vais prendre mon propre cas.

En tout premier lieu, en copier/collant Maître Eolas, j’existe. J’ai vérifié ce matin auprès d’experts, médecins, juristes et philosophes, qui m’ont tous confirmé mon existence. Aucun doute n’est plus permis là dessus.

Je blogue principalement depuis la maison, ou depuis mon lieu de travail lors de ma pause repas-saladette. Accessoirement depuis un hôtel ou des amis. Plus rarement depuis un point d’accès Wifi en libre service (un bar, ou un banc public à Paris).

1) Depuis la maison.

J’utilise les services d’une entreprise de télécommunication qui relie mon domicile à Internet via un réseau téléphonique. Autrement dit un fournisseur d’accès internet (FAI). Lorsque je souhaite me connecter à Internet, cette entreprise doit me fournir un numéro qui identifie chaque machine connectée à Internet. Ce numéro s’appelle l’adresse IP. A un instant t, ce numéro est affecté à une machine unique, et le FAI a l’obligation légale de conserver l’historique précis des affectations « adresse IP / abonné ».

Ainsi, lorsque vous surfez sur un site, vous y laissez la trace de votre passage sous la forme de votre adresse IP. Celle-ci identifie le FAI (car il dispose d’un paquet d’adresses IP qu’il est le seul à gérer) et il suffit de lui demander le nom de l’abonné à qui telle adresse IP a été affectée tel jour à telle heure.

Bien, mais comment faire pour accéder aux données de consultation du site https://zythom.fr pour y retrouver l’adresse IP de son auteur?

Et bien, il suffit de demander tout cela poliment à l’hébergeur du site, dont les coordonnées doivent apparaître de façon très claire sur le site. Dans le cas de ce blog, vous trouverez toutes ces informations (et plus encore) dans les mentions légales.

En résumé: fichiers de log des connexions du blog -> adresse IP utilisée par l’auteur -> FAI -> identité de l’abonné -> blogueur.

2) Depuis le lieu de travail.

La situation est la même puisque le lieu de travail vous connait et que l’informaticien de votre entreprise sait qui utilise l’accès internet. La loi lui demande de conserver également les fichiers de connexions afin de pouvoir remonter jusqu’au compte informatique utilisé.

En résumé: fichiers de log des connexions du blog -> adresse IP utilisée par l’auteur -> FAI -> entreprise -> fichiers de connexions internet -> compte informatique utilisé -> blogueur.

3) Depuis un hôtel.

La situation est la même que depuis le lieu de travail car l’hôtel vous connait et que la loi lui demande de conserver également les fichiers de connexions afin de pouvoir remonter jusqu’au compte informatique utilisé par le locataire de la chambre.

En résumé: fichiers de log des connexions du blog -> adresse IP utilisée par l’auteur -> FAI -> hôtel -> fichiers de connexions internet -> compte wifi utilisé -> blogueur.

4) Chez un ami.

Les choses commencent à se compliquer…

En effet, comme dans le cas du surf depuis la maison, il est facile de remonter jusqu’à l’abonné du fournisseur d’accès à internet (votre ami). Et là, c’est à lui d’expliquer à la maréchaussée qui a utilisé sa liaison internet tel jour à telle heure…

5) Depuis un accès Wifi public en libre service.

Dans ce cas, le côté « public » de l’accès rend le surf complètement anonyme. Sauf si le blogueur est habitué d’un bar précis (ou d’un banc de Paris particulier)…

6) Les problèmes.

Ils sont nombreux, et je n’en présenterai que quelques uns.

– l’adresse IP peut être modifiée dans les fichiers de log du blog, du lieu de travail ou du FAI;

– il peut y avoir un problème de datation (heure d’été/d’hiver, dérive de l’horloge du serveur, etc.);

– l’informaticien de votre entreprise ne connait pas nécessairement toutes ses obligations légales;

– remonter jusqu’à l’identité d’un abonné n’implique pas qu’il soit la bonne personne (famille, amis, borne wifi mal protégée utilisée par le voisinage, etc.);

– les comptes informatiques dans les entreprises sont parfois utilisés par plusieurs personnes, ou protégés par des mots de passe triviaux;

– les réseaux d’anonymisation brouillent sérieusement les pistes (Tor, Freenet, I2P, etc.) mais ne sont pas infaillibles.

Pour ma part, j’ai fait le choix d’une certaine transparence: je blogue sous pseudonyme, mais mon identité est facile à obtenir via une décision judiciaire.

Et comme je le mentionne ici, beaucoup de monde la connait déjà.

J’assume pleinement tous les billets que j’ai écrits.

Mais que mon masque ne vous empêche pas d’accepter mes vœux les plus sincères pour les fêtes de Noël et de fin d’année. Pour ma part, je vais hiberner quelques temps pour profiter de ma famille, tout en préparant quelques billets, entre autres sur les suites de ce billet. My God, what a teaser!

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Image via darkroastedblend.com

Une taxe sur les blogs

Après l’idée d’une taxe sur le chiffre d’affaire des FAI pour financer l’arrêt de la publicité sur les télévisions publiques, l’idée d’une taxe visant les sites Web communautaires (Dailymotion, YouTube, MySpace, Kewego…), jugés en concurrence avec les services audiovisuels à la demande des chaînes, je lance l’idée d’une taxe sur les blogs pour aider les groupes de presse qui n’auraient pas encore basculé une partie de leurs activités sur internet.

Gare aux blogueurs qui publieraient des billets avec contenu multimédia et/ou analyse politique contestataire!

En attendant la régularisation généralisée d’Internet par le CSA, demandée par Frédéric Lefebvre (UMP) dans un discours à l’assemblée le 15 décembre 2008: « L’absence de régulation financière a provoqué des faillites. L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde? »
Source PCImpact.

Combien faudra-t-il d’emails non sollicités pour que les autorités réagissent et mettent en place une régulation de chaque messagerie?

Combien faudra-t-il d’électeurs manipulés par des billets de blogs écrits par des analphabètes libertaires?

Je propose 30 euros par blog et par mois. Rien que pour les blogs de Skyrock (20 millions à l’heure d’écriture de ce billet), cela représente quand même 7,2 milliards d’euros.

Tiens, cela me rappelle la taxe de 1798 sur les Windows

Le piratage

Il y a longtemps que je souhaite écrire un billet sur le sujet du piratage, mais je n’arrive pas à trouver le ton ou les mots justes (ou peut-être simplement un ton politiquement correct).

Mais quand ma fille a reçu de la part du papa d’un de ces copains d’école le cédérom gravé d’un chanteur à la mode, je me suis vraiment rendu compte que le phénomène apparaissait maintenant au grand jour sans complexe.

Comment expliquer à ses enfants que ce que font tous leurs copains est illégal?

Comment expliquer que regarder des clips TV sur YouTube est interdit?

Comment résister?

Comment rester incorruptible?

Je me sens un peu comme Eliot Ness, dans le film de Brian De Palma…

Surtout que je partage en grande partie les idées de Tim O’Reilly sur le sujet (son texte date de 2002!). Extraits sous forme de résumé, de la traduction de Philippe Aigrain:

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– L’obscurité est une menace bien plus grave que le piratage pour les auteurs et créateurs.

Des dizaines de milliers de musiciens éditent eux-mêmes leurs CD. De rares élus ont un contrat d’enregistrement. Parmi ceux-ci, seuls un nombre encore plus petit voient leur disques atteindre des ventes significatives. Le fond de stock des éditeurs musicaux est inaccessible pour les consommateurs parce qu’ils n’atteint jamais les magasins. C’est l’obscurité.

– Le piratage, c’est un impôt progressif.

Pour tous les créateurs, qui travaillent pour la plupart dans l’obscurité, être assez connu pour être piraté serait le couronnement de leur carrière. Le piratage est une sorte d’impôt progressif, qui peut raboter quelques pour cent des ventes d’artistes connus, en échange de bénéfices massifs pour les créateurs bien plus nombreux à qui une visibilité plus grande peut apporter des revenus supplémentaires.

– Les consommateurs ne demandent pas mieux que de respecter la légalité, s’ils peuvent.

Piratage est un mot lourd de sens, que nous réservions autrefois à la copie/revente en gros de produits illégaux. L’application récente de ce mot par l’industrie musicale et cinématographique au partage de fichiers pair à pair fait obstacle au débat honnête.

Le partage de fichiers en ligne est l’œuvre de passionnés qui échangent leur musique parce qu’il n’y a pas d’alternative licite, à un juste prix.

– Le vol a l’étalage est une menace plus grave que le piratage.

Il n’y a pas de problème significatif de piratage aux Etats-Unis et en Europe. Le fait que les logiciels de Microsoft aient été accessibles depuis des années sur des sites de téléchargement ou plus récemment sur les réseaux pairs à pair d’échanges de fichiers n’a pas empêché cette société de devenir l’une des plus grandes et plus profitables du monde. Les estimations de « manque à gagner » supposent que les copies illicites auraient été payées ; à l’opposé on ne tient pas compte des copies qui sont vendues comme « mises à jour » à cause de la familiarité qu’ont permis les copies illicites.

Le problème réel est analogue, au plus, à celui du vol à l’étalage, qui représente une perte agaçante pour les activités commerciales.

– Les réseaux de partage de fichiers ne menacent pas les livres, la musique ou l’édition de films. Ils menacent les éditeurs existants.

Les nouveaux médias n’ont pas remplacé historiquement ceux qui leurs préexistaient, mais ont plutôt étendu les marchés, au moins à court terme. Il y a des occasions d’arbitrages renouvelés entre le nouveau média de distribution et l’ancien, et par exemple, la montée en puissance des réseaux de partage de fichiers a nourri l’échange de vinyles et CD (non disponibles par les canaux commerciaux classiques) sur eBay.

Dans le futur, il se peut que les services d’édition musicale en ligne remplacent les CD et d’autres médias de distribution physique, tout comme la musique enregistrée a relégué les éditeurs de partitions dans un marché de niche, et, pour beaucoup, ont transformé le piano domestique en un emblème nostalgique bien éloigné du centre familial d’accès à la musique qu’il constituait autrefois. Mais le rôle des artistes et des éditeurs musicaux ne disparaîtra pas. La question n’est pas alors celle de la mort de l’édition de livres, de l’édition musicale ou de la production de films, mais plutôt celle de savoir qui seront les éditeurs.

– Ce qui est gratuit finit par être remplacé par un service payant de meilleure qualité.

Pourquoi est-ce que vous paieriez un morceau que vous pourriez avoir gratuitement ? Pour la même raison que vous achèterez un livre que vous pourriez emprunter dans une bibliothèque publique, ou achèterez un film sur DVD que vous pourriez regarder à la télévision ou louer pour le week-end. Parce que ce sera pratique, facile à utiliser, à cause du choix, de la facilité de sélection, et pour les enthousiastes à cause du simple plaisir de posséder quelque chose auquel vous tenez.

– Il y a plusieurs façons d’y arriver.

C’est la leçon finale. Donnez au wookie ce qu’il veut! comme le disait Han Solo dans le premier Stars Wars. Donnez-lui d’autant de façons que vous pouvez en inventer, à un juste prix, et laissez-le choisir ce qui lui convient le mieux.

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Tant que les politiques suivront les éditeurs qui s’accrochent à l’idée qu’ils font faillite à cause des réseaux peer to peer, ils voteront des lois liberticides.

Un peu comme si les autoroutes étaient fermées à la demande des banques, sous prétexte que les gangsters les « empruntent ».

Mais pour autant, ces lois s’imposent à tous.

Si vous voulez les changer: aller voir votre député. Ou votez!

Vous l’avez compris, je me sens comme l’Eliot Ness de la dernière séquence du film, lorsqu’il répond à la question « Qu’allez-vous faire lorsque la prohibition sera terminée? »

« J’irai boire un verre! »

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Photo d’Eliot Ness: source wikipedia.

La psychose du pédophile

Je reprends ici un billet publié sur Numerama sous licence Creative Commons par Guillaume Champeau. Mes commentaires suivent cet article.

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Wikipedia censuré par la psychose du pédophile

Société 2.0 –

Les internautes britanniques n’ont plus accès à une page de Wikipedia reproduisant la pochette d’un album du groupe allemand Scorpions. Les fournisseurs d’accès, sur simple requête d’un organisme co-financé par l’Europe, ont bloqué l’accès à la page, démontrant les dérives et les limites d’un système de filtrage non contrôlé par l’autorité judiciaire.

Voici une affaire qui illustre bien les dérives que nous avions évoquées au sujet du filtrage des contenus pédopornographiques décidé sur simple décision administrative, ou par accord entre partenaires privés. « Où se situera le curseur entre les sites indéniablement pédophiles qu’il faut bloquer, et les sites qui prêtent davantage à interprétation ?« , avions nous demandé à propos du projet du gouvernement français de permettre le filtrage des sites à contenus pédopornographiques. « La morale publique étant une donnée variable dans la société, que censurera-t-on demain au nom de sa protection ?« . En Grande-Bretagne, une page de Wikipedia a été bloquée parce qu’elle reproduisait la pochette de l’album Virgin Killer de Scorpions (de 1976), sur laquelle une fillette pose nue, le sexe toutefois dissimulé derrière l’effet d’un éclat de verre :

Bien que sensible, le blocage est décidé sans contrôle du juge. L’Internet Watch Foundation (IWF) a simplement ajouté l’URL de la page de Wikipedia à sa liste noire des sites soupçonnés d’abriter des contenus pédophiles. L’organisme britannique, financé par l’Union Européenne et plus de 80 entreprises de télécoms, transmet régulièrement son listing aux FAI, qui bloquent immédiatement les URL sur simple requête. Sans vérification préalable.

Au moment où nous publions ces lignes, la page ne peut plus être éditée, mais après discussion les administrateurs de Wikipedia ont préféré maintenir l’image de la pochette. Ils ont eu raison.

Même si déjà en son temps la pochette avait fait scandale et avait été interdite dans certains pays, l’illustration de Virgin Killer n’est pas une image pédophile. C’est au mieux une oeuvre d’art provocatrice, au pire une image de mauvais goût. Mais aucune fillette n’a été violée pour sa réalisation, et l’on imagine mal que l’image puisse réveiller des pulsions chez les pédophiles en puissance. Et quand bien même il y aurait un doute, ça n’est pas à un organisme privé d’en décider.

Et l’on espère qu’un juge ne l’aurait pas censurée. Toute société doit savoir vivre avec la part de risque qu’induit la vie en communauté. Souhaite-t-on vraiment, pour se prémunir de tout risque, vivre dans une société totalement aseptisée ?

En France, le projet de filtrage du gouvernement vise à imposer aux fournisseurs d’accès une obligation de résultat pour le blocage des contenus pédophiles, qu’ils ne pourront contester. Faudra-t-il qu’ils censurent La Madone aux oeillets de Raphaël ou les images de la pièce Equus de Peter Shaffer ? Et si non, où faut-il tracer la ligne entre ce qui relève de l’image artistique et de l’image pédophile ? La question, simple en apparence, soulève des réponses toutes plus insatisfaisantes les unes que les autres.

Si les problèmes sont aussi nombreux, c’est que le filtrage n’est pas une solution. Ce n’est qu’une manière de cacher le problème. La lutte contre la pédophilie ne passera que par un combat judiciaire et médical contre les pédophiles, pas par la lutte technologique contre leurs contenus réels ou supposés.

L’affaire n’est pas sans rappeler celle du roman Adorations perpétuelles de Jacques Henric. En 1994, la police avait été dépêchée dans les librairies pour faire retirer des rayons des libraires l’ouvrage dont la couverture était une reproduction du célèbre tableau de Courbet, l’Origine du monde. Il avait fallu que quelques librairies fassent de la résistance pour que l’ouvrage ne soit pas interdit. Un an plus tard, le tableau faisait son entrée au Musée d’Orsay, où il est désormais une pièce emblématique de la collection.

Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com

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Depuis l’écriture et la publication de ce billet, la page incriminée est de nouveau accessible.

Les médias et les politiques traitent le thème de la pédophilie de façon très émotionnelle et instaurent un climat hystérique peu propice à une justice sereine et équitable.

Pourtant, Mona Chollet écrivait en 2001 au sujet des accusations de pédophilie portées contre Daniel Cohn-Bendit: « Toutefois, [cette] affaire s’inscrit dans le contexte bien plus large d’un nouvel ordre moral: l’étau se resserre; la liberté des individus, dont l’idéologie sécuritaire triomphante fait peu de cas, est de plus en plus ressentie comme une menace pour l’ordre établi.[…] Voilà un procédé que tous ceux qui tentent de promouvoir la liberté d’expression sur Internet connaissent bien. Un procédé qui revient à dire: quand on cherche la liberté, on trouve le crime. Mais de quelle liberté s’agit-il, au juste?« . Je vous invite à lire son article sur uZine.

Noel Pécout écrit sur son blog Jadislherbe dans un billet intitulé « le pédophile surproduit et antihéros de la société marchande« :

« On dirait que l’on découvre tout à coup l’existence d’une forme de sexualité depuis toujours ignorée. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la pédophilie, et même l’inceste, bénéficiaient dans le public d’un accueil neutre et parfois bienveillant. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la presse des années 70 et 80. Qu’on me permette de rappeler l’indulgence amusée et admirative, avec laquelle critiques littéraires et présentateurs de télévision accueillaient les déclarations de Gabriel Matzneff ou de René Schérer, lequel écrivait dans Libération du 9 juin 1978: “L‘aventure pédophilique vient révéler quelle insupportable confiscation d’être et de sens pratiquent à l’égard de l’enfant les rôles et les pouvoirs”. Le cas de Tony Duvert, pédophile déclaré et militant, est encore plus remarquable. En 1973, son roman Paysage de fantaisie, qui met en scène des jeux sexuels entre un adulte et des enfants, est encensé par la critique qui y voit l’expression d’une saine subversion. Le livre reçoit le prix Médicis. L’année suivante, il publie Le bon sexe illustré, manifeste qui réclame le droit pour les enfants de bénéficier de la libération sexuelle que leur apporte le pédophile. En tête de chaque chapitre du livre, se trouve reproduite la photographie d’un jeune garçon d’une dizaine d’années en érection. En 1978, un nouveau roman du même auteur, intitulé Quand mourut Jonathan, retrace l’aventure amoureuse d’un artiste d’âge mûr avec un petit garçon de huit ans. Ce livre est salué dans Le Monde du 14 avril 1976: “Tony Duvert va vers le plus pur”. En 1979, L’île Atlantique lui vaut des éloges dithyrambiques de la part de Madeleine Chapsal.

Que s’est-il donc passé entre 1980 et 1995 pour que l’opinion connaisse un revirement aussi spectaculaire? Le phénomène est d’autant plus remarquable que nos sociétés occidentales contemporaines sont cimentées par l’idéal sacro-saint, mais purement imaginaire, de l’enfant-roi et par l’obsession corrélative de la protection de l’enfance.« 

Bertrand Lemaire dans un billet sur le populisme antipédophile écrit:
« Je ne suis pas pédophile mais je me préoccupe des libertés publiques pour chacun, y compris les pédophiles, les terroristes… et ceux qui sont accusés de pédophilie (comme à Outreau) ou de terrorisme (comme de pauvres bougres gardés à Guantanamo). »

Au delà des questions posées par Guillaume Champeau, Noel Pécout ou Bertrand Lemaire, interrogations dont je me fais ici l’écho, l’expert judiciaire ayant pour mission la recherche d’images à caractère pédopornographique est confronté à toutes sortes de problèmes, dont le principal est « Qu’est-ce qu’une image pédopornographique? ».

Je vous renvoie à ce billet de juin 2007 qui reste toujours d’actualité.

Pour ma part, je classe à part, dans un premier dossier, les images et films particulièrement atroces mettant en scène en général un homme et une petite fille de moins de 10 ans.
Le deuxième dossier contiendra les images douteuses (a priori des mineurs de 18 ans).
Enfin le troisième dossier contiendra les images à interrogation: un visage d’enfant au milieu d’un dossier pornographique (un glissé/déposé malheureux?), une situation étrange avec des enfants. La photo de l’album de Scorpions aurait trouvé sa place dans ce dossier (car je ne connaissais pas cette couverture).

Le rapport d’expertise expliquant bien entendu toutes les interrogations et précautions d’usage. A charge pour l’enquêteur, et in fine le magistrat, de décider ce qui est illégal (ou pas).

On voit bien que l’on est aux antipodes d’un système automatique sans contrôle. En France, la justice est saisie, fait intervenir un technicien compétent (en général un OPJ spécialisé) pour extraire les images, pour finalement décider du caractère légal ou non du contenu.

Cela va-t-il durer?

Mais surtout, pourquoi ce type de dossier constitue-t-il la majorité des expertises judiciaires sur lesquelles je suis missionné depuis quelques années?