A propos Zythom

Informaticien Ex²pert Judiciaire, Irresponsable de la SSI, 3 enfants, marié à une avocate (ma vie n'est pas facile). Clé PGP: 0u 41-j3 m15 c3773 pu741n d3 cl3f

Mi-temps

Ce billet est publié dans la catégorie « privée » et n’a aucun intérêt autre que pour mes proches (et encore ;-). Vraiment aucun intérêt, vous êtes prévenus.

Quand j’avais 7 ans, j’avais un petit rituel quotidien dont j’étais persuadé que si je le réussissais, j’allais vivre encore 100 ans : quand j’urinais, je faisais le tour de l’eau du fond de la cuvette sans toucher le bord extérieur, ni l’eau du fond, le tout sans éclabousser. Mesdames, vous avez là l’un des secrets qui peut occuper la vie des petits garçons…

Pendant toute l’année de mes 7 ans, j’ai réussi cet exploit sans faillir, à la grande joie de ma mère qui a certainement pensé que j’étais particulièrement propre, ou adroit (ou que j’urinais assis…).

Pendant toute l’année de mes 7 ans, j’ai réussi cette épreuve difficile, ce qui m’a permis de savoir, tout jeune, que j’allais vivre jusqu’à 107 ans !

Pourquoi en parler maintenant ? Et bien, pile aujourd’hui, j’ai 53,5 ans, et donc encore 53,5 années à vivre.

Je suis à la mi-temps de ma vie, avec encore plein de choses à faire 🙂

Si la tête et le corps tiennent…

Twitter en images

Pour ce billet du vendredi, je voulais faire un bilan, en images, sur les années que j’ai pu passer sur ce formidable réseau social qu’est Twitter :

Quand j’explique Twitter à mon épouse
Quand j’explique Twitter à mes parents
Quand je lis les CGU de Twitter
Quand tu essayes de twitter discrètement
Pour certains, Twitter est un village
Pour certains, Twitter est un village (bis)
Certains Twittos cherchent à rester à la pointe
Quand tu demandes de l’aide sur un sujet sensible
Quand tu veux jouer dans la cour des grands
Quand un Twittos emm… tout le monde
Quand tu commences à twitter avec ton compte tout neuf
Quand tu comprends que la vie sera dure sur Twitter
Quand tu demandes à tes étudiants d’explorer Twitter
… en toute sécurité
Quand tu veux attirer l’attention de @Maitre_Eolas
… ou celle de @MaitreMo
Quand tu résistes aux pressions
Quand ton bon goût n’est pas reconnu
Twitter permet de rencontrer des gens différents 1/2
… vraiment différents 2/2
… vraiment vraiment différents 3/2
Twitter nous donne une vision originale du monde
… même si c’est souvent un peu ça…
Quand un twittos ou une twittas drague discrètement sur Twitter
Quand un mec vaguement connu arrive dans ta TL…
… et que tu te rends compte qu’il te follow
Quand tu en fais des caisses pour attirer l’attention
Twitter est une source d’informations fiable
Au moins autant que la PQR
Sur Twitter, on discute de choses sérieuses…
… mais toujours avec une pointe de dérision
… et un peu d’humour
… même si certains sont très « premier degré »
Sur Twitter, attention à l’orthographe !
… même si certaines fautes peuvent être intentionnelles
… l’essentiel étant toujours d’être compris
… mais bon, les fautes c’est quand même pénible
Twitter peut être sexiste…
… ou pas
Bien sûr, il y a toujours des connards XXL
… des inconscients
… et des mythos
… beaucoup de mythos
… mais on y trouve aussi de belles chaînes de solidarité
Quand tu nettoies un peu ta TL
Quand tu es un peu trop prêt d’un tweetclash
Quand tu fais un DM fail sur Twitter
… et que tu t’en rends compte
Quand tu demandes si GNU/Linux a des outils de sauvegarde aussi simples que Apple
Quand tu choisis le camp des rouges…
… ou celui des bleus
Finalement, Twitter, c’est un peu ça…

Artisanat de l’expertise

Paul Vidonne, Directeur du LERTI, a diffusé dans le petit milieu de l’expertise judiciaire informatique un pavé dans la mare document qu’il m’a gentiment autorisé à publier ici (document pdf à télécharger ici).

Extrait :

Le petit monde de l’informatique légale est en ébullition à la suite de la décision du service des achats de la Direction des services judiciaires de la Chancellerie de mettre en œuvre le Rapport sur les frais de justice d’avril 2015 élaboré sous l’égide du Contrôle Général Économique et Financier (Ministère des Finances) et de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (Ministère de la Justice).

Conçu dans l’optique de réduire les frais de Justice, ce rapport examine les secteurs des expertises informatiques, toxicologiques, de la traduction et de l’interprétariat dans le domaine pénal. La dépense représentée par cet ensemble est chiffrée à 95 millions d’euros, dont 5 tout au plus pour l’informatique.

L’informatique légale est traitée pages 15 et 16. L’objectif annoncé est celui de la mise en place de marchés publics, mais la réalisation de cet objectif se heurte immédiatement à des réserves qui tiennent à la méconnaissance de ce secteur d’activité, à l’atomisation de l’offre et à l’incertitude des gains à attendre. Dès lors, la recommandation pour ce domaine d’activité (n°4, page 16) est celle d’étudier la mise en place d’un tarif qui serait intégré au Code de procédure pénale.

Cette recommandation, qui apparaît comme une solution de repli, semble aujourd’hui abandonnée par la Direction des services judiciaires au profit du retour à l’objectif initial de la mise en place de marchés publics.

On ne peut que souscrire à cet abandon : le tarif réglementé est la pire des solutions dans ce domaine d’expertises complexes, où aucun profil-type d’expertise ne peut être réellement défini. Le tarif réglementé n’offre aucune garantie de qualité pour un prix administré donné et constitue dès lors un effet d’aubaine pour certains tandis qu’il pénalise lourdement ceux qui s’attachent à rendre des rapports de qualité ou qui sont confrontés à des expertises difficiles. Le tarif prend ainsi le risque de faire disparaître les pôles d’excellence.

Il faut donc comparer les deux seules solutions qui subsistent : celle du maintien de la situation actuelle, – éventuellement améliorée – et celle des marchés publics.

Cette analyse sera conduite à l’aide des concepts que nous offre la science économique : la situation actuelle se caractérise comme un marché de concurrence imparfaite tandis que la solution des marchés publics apparaît comme un monopsone étatique conduisant à une offre exsangue.

La suite est à lire dans le document que je vous recommande (rappel : téléchargeable ici).

Déclaration de partialité :

Paul Vidonne est professeur à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, où il a été nommé il y a plus de 30 ans. Parallèlement à son activité à l’université, il ouvre un cabinet d’expert en informatique. Il travaillera longtemps pour les milieux juridiques et judiciaires, et en particulier les barreaux d’avocats dont il a été le consultant de vingt-et-un d’entre eux, avant de diversifier son activité auprès des entreprises. Son cabinet se consacre à l’expertise informatique et l’établissement de la preuve informatique. Dans la ligné d’un Edmond Locard, il crée en 2004 le LERTI avec quatre autres experts judiciaires en informatique et un ancien gendarme de l’IRCGN (INL), tous convaincus que l’investigation informatique légale ou privée demandait aujourd’hui des moyens que seuls de véritables laboratoires pouvaient réunir.

Je n’ai aucun lien de travail avec Paul Vidonne, ni avec le LERTI, à part le fait que j’ai beaucoup d’admiration pour leurs compétences et leurs travaux. Cela influence nécessairement la suite de ce billet 😉

Paul Vidonne, dans son article, brosse un tableau que je trouve particulièrement juste de la situation de l’expertise judiciaire informatique française.

Extrait :

L’offre d’expertises judiciaires en informatique légale repose sur cinq ou six laboratoires, – dont trois publics – auxquels s’ajoutent quatre ou cinq dizaines d’experts privés inscrits sur les listes des cours d’appel. C’est peu et beaucoup à la fois.

Cette offre est totalement hétérogène.

Les laboratoires publics de la Gendarmerie et de la Police disposent d’équipements du plus haut niveau international, d’ingénieurs de grande compétence, de crédits relativement abondants et sont astreints à des missions de formation et de recherche qui ne leur laissent qu’un temps mesuré pour les expertises pénales. À eux tous, ils n’emploient que quelques dizaines de personnes seulement.

Les laboratoires privés sont des sociétés de type commercial qui emploient chacune moins d’une dizaine d’ingénieurs salariés ou d’experts sous contrat, disposent d’un équipement inférieur à celui des laboratoires publics – et, au demeurant, assez inégal entre eux – se consacrent en partie seulement ou en grande partie à l’expertise pénale. Ils travaillent pour des juridictions réparties dans tout l’espace national, y compris l’outre-mer. Le nombre d’expertise effectuée n’est pas rendu public, mais on peut l’estimer autour d’un ordre de grandeur d’une à deux centaines par année.

Les experts privés individuels sont dans des situations extrêmement variables, avec comme caractéristique commune d’effectuer leurs expertises en supplément d’une autre activité, comme le leur impose la loi : ils sont salariés ou cadres d’entreprises, fonctionnaires de l’enseignement ou de la recherche, retraités de la police de la gendarmerie ou de l’armée, professions libérales, auto entrepreneurs… Leur niveau de formation est très variable, leurs équipements modestes, voire quasi inexistants, leurs licences, peu nombreuses, ne sont pas toujours mises à jour, compte tenu de leur coût élevé rapporté au faible nombre d’expertises qu’ils réalisent. Pour la plupart, ils n’ont pas passé les qualifications attachées à ces licences. Certains travaillent dans les locaux ou avec les matériels de leurs employeurs. Tous n’adhèrent pas à une compagnie d’experts et certains ne sont pas assurés. Ce sont les experts dits « locaux » ou « de proximité » qui ne travaillent guère que pour leur cour d’appel. Sauf de rares exceptions, ils n’effectuent que quelques expertises par année, et, pour beaucoup, une ou deux seulement. Ceci n’empêche pas certains d’entre eux de réaliser des travaux de grande qualité.

Les prix pratiqués reflètent cette hétérogénéité. Les laboratoires publics ne sont évidemment pas gratuits. Nous ne savons pas s’il existe une comptabilité analytique qui permettrait de connaître le coût de leurs travaux, mais nous pouvons aisément conjecturer que ces prix sont largement plus élevés que ceux des laboratoires privés. L’illusion de gratuité n’affecte en effet que ceux qui méconnaissent l’existence de refacturations interministérielles ou l’existence d’un budget global de la Nation.

Les prix des laboratoires privés sont relativement homogènes et pour cause : salaires et charges sociales sont les mêmes pour toutes les entreprises.

Les prix pratiqués par des experts privés individuels sont à l’image de leur diversité, allant du simple au triple. Ils sont en général inférieurs à ceux des laboratoires privés. Un expert s’est même rendu célèbre en 2016 en annonçant qu’il effectuerait désormais ses expertises gratuitement. Effectivement, sa situation particulière le lui permet.

Vous l’aurez compris, je pense être cet expert dont parle Paul Vidonne en fin d’extrait, car il semble faire référence à ce billet où j’annonçais la gratuité de mes interventions au titre des demandes pénales (0 demande à aujourd’hui ;-).

Le découpage est très clair, et je me retrouve très bien dans la catégorie « expert local », sous catégorie « cadre d’entreprise », équipement modeste, licences opensources, travaillant chez moi, non inscrit à une compagnie d’experts de justice, assuré (très cher) à titre individuel sous le statut auto entrepreneur.

Je suis donc un artisan de l’expertise judiciaire informatique.

Et comme tous les artisans, il me faut rester lucide sur mes capacités. Je ne peux pas rivaliser avec les moyens techniques des grosses structures (étatiques ou privées). J’ai souvent parlé sur ce blog d’anecdotes d’expertise où je privilégie un élément technique particulier, alors que la majorité des expertises que je mène relève plus d’un avis sur l’état de l’art dans tel ou tel sous domaine de l’informatique. Je l’ai souvent répété, je ne suis pas un spécialiste (ni en sécurité informatique, ni en développement web, ni en programmation) mais un généraliste de l’informatique. Pour autant, à chaque mission, on me demande mon avis sur un point très précis, qui peut relever de n’importe quel sous domaine de l’informatique. Suis-je légitime pour donner cet avis ? Franchement, je pense que oui, dès lors que je travaille suffisamment la question avec les spécialistes.

Mais l’artisanat est en voie de disparition : trop cher, trop fragile, trop lent, trop petit. Ainsi va notre monde, où je suis le premier à préférer faire mes courses sur internet.

C’est en faisant ce constat, que j’ai refusé toutes les missions qui m’étaient proposées sur la téléphonie mobile, qui demande des compétences et des moyens logiciels et matériels dont je ne dispose pas et qui ne me sont pas demandés par mon employeur. Je reste donc sur le créneau informatique, informatique qui s’est répandue dans toutes les couches de la société, mais où des structures d’informatique légale plus grosses se sont implantées, et où les OPJ et les huissiers se sont formés.

Mes compétences techniques sont de moins en moins demandées.

Je vais constater (avec sérénité) la disparition de l’expertise technique locale artisanale et évoluer vers une expertise ressemblant plus à du conseil critique auprès des avocats et des magistrats. C’est un choix que j’ai fait il y a quelques années.

L’article de Paul Vidonne me montre que cette évolution est inéluctable et qu’il va falloir que je me remette encore plus en cause. N’est-ce pas le cas pour tout le monde ?

Et un jour je jetterai l’éponge.

Intelligence et conscience artificielle

De nombreux articles sortent depuis quelques temps sur des objets connectés et/ou des programmes d’assistance sous l’intitulé « IA » pour « intelligence artificielle ». Je suis un peu surpris du terme, puisque certains de ces objets/programmes ne semblent pas si éloignés du vieux programme « Eliza » (1966) dont j’ai déjà parlé ici en 2007. On est quand même encore loin d’arriver à réussir le test de Turing pour pouvoir parler d’intelligence…

J’ai toujours été passionné par cette question de l’intelligence artificielle, au point de commencer ma carrière dans un laboratoire spécialisé sur ce sujet, et à passer un doctorat sur les réseaux de neurones formels (cf ma série non terminée de billets sur le thème réseau de neurones).

Le terme « intelligence artificielle » étant maintenant un peu galvaudé par les gens du marketing, je préfère utiliser l’expression « conscience artificielle » pour évoquer la question qui m’intéresse vraiment : un programme informatique peut-il imiter la capacité des neurones et
créer un esprit, et finalement, l’expérience de la conscience ?

Ma réponse personnelle est que c’est possible, qu’on y arrivera, et que c’est une aventure extraordinaire, qui nous amène sur la terra incognita de la singularité technologique.

Et j’espère voir ça, parce que j’aurai beaucoup de questions à poser à cette conscience artificielle, en espérant qu’elle évitera de me répondre « 42 » ou « désolé Zythom, j’ai peur de ne pas pouvoir [ouvrir la porte]« …

J’ai aussi une certitude glaçante : la création de la première machine à conscience
artificielle sera la dernière invention que l’Homme aura besoin de
réaliser.

Les scientifiques sont des gens curieux.

Biblio :

Philosophie de l’intelligence artificielle

Singularité technologique

Conscience artificielle

Informatique affective

Le vieil homme et l’immersion

J’ai toujours été attiré par la réalité virtuelle, qu’elle soit utilisée dans les jeux vidéos ou dans certains programmes informatiques professionnels. Je crois que mon premier « Whaouuu » en la matière a été lorsque j’ai lancé Quake sur une grosse station de travail sous HP-UX, et depuis je n’ai cessé de m’émerveiller.

Vers la fin des années 90, j’ai fait venir à l’école d’ingénieurs où je travaille une entreprise qui avait réalisé un casque d’immersion 3D qui coûtait la bagatelle de 120 000 euros. J’assistais à la démo assis dans le public et quand le démonstrateur a demandé un volontaire pour tester le système, j’ai levé la main précipitamment, déclenchant l’hilarité générale… Je me souviens que ce système avait été développé comme prototype pour l’étude et la conception des éléments de la fusée Ariane (montage, démontage des différentes pièces). La démo consistait en un déplacement dans une cité futuriste, avec des ascenseurs gravitationnels dans lesquels j’avais eu la mauvaise idée de regarder en bas : vertige et déséquilibre assurés 🙂

Avec les progrès fulgurants de l’informatique, j’étais sûr que les casques d’immersion 3D feraient rapidement leur apparition, à un coût raisonnable… Mais le temps a passé, et rien n’est arrivé.

Jusqu’à ces dernières années, où différents prototypes de casques sont apparus, à des prix trop élevés pour moi, et demandant des configurations très puissantes… Il me fallait donc me contenter de casques en carton intégrant mon smartphone, avec de petites applications d’immersion.

Puis je suis tombé sur l’annonce de la sortie imminente du casque de Sony pour la console de jeux PS4. Fébrile, je cherche un magasin où le tester, et ce samedi, malgré la foule de Noël, je me rends dans une grande enseigne où un démonstrateur de chez Sony permettait aux curieux de faire un test à partir de 15h.

A 14h55, j’étais prêt devant le stand. A 15h00, l’animateur me donnait les conseils d’usage : êtes-vous sujet au vertige, au mal des transports, etc. Parmi les démos disponibles, j’ai choisi la descente dans les abysses de VR World, qui présente l’intérêt de ne pas me ridiculiser avec une mauvaise maîtrise des commandes (il n’y a rien à faire d’autre que de regarder), en plus d’être assis confortablement sur un grand tabouret.

Voyant ma fébrilité, l’animateur me regarde un peu inquiet : vous êtes sûr que ça va aller ? C’est un achat pour vos enfants, me demande-t-il en regardant mes cheveux blancs… Non, non, c’est pour moi, allez-y / on y va / go ! Il m’explique qu’il a vu pas mal de réactions différentes à l’immersion 3D et que ça peut être désagréable. Il me règle le casque sur la tête, puis les écouteurs.

Me voici immergé dans une eau claire et transparente, entouré de poissons, de petits sous-marins, dans une cage anti-requin suspendue à un long câble relié à un navire de surface. Je suis subjugué. Les graphismes sont extraordinaires (à mes yeux), et je peux regarder dans tous les sens : devant, derrière, au dessus, au dessous de moi… Puis commence une lente descente vers les abysses, à travers un gouffre dans lequel je retrouve toutes mes sensations de spéléologue.

Pendant 10 mn (la démo dure 20 mn, mais l’animateur l’a arrêté plus tôt pour laisser la place à d’autres personnes), je me suis tortillé sur mon tabouret, les yeux écarquillés, pour regarder de tous les côtés. Je retrouvais les sensations d’immersion que j’avais connues fugacement comme jeune adulte. Enfin, je pouvais profiter d’un spectacle 3D complet. J’étais aux anges.

Quand l’animateur m’a retiré mon casque, il a été surpris et s’est exclamé : « ah, ben, ça c’est pas banal ! ». En effet, sous le coup de l’émotion, mes yeux s’étaient mouillés, et une larme coulait sur ma joue… J’ai ainsi ajouté une réaction à la liste déjà longue de l’animateur.

Vous connaissez ainsi le cadeau que je vais avoir à Noël. Je trépigne déjà d’impatience, et mon épouse refuse que je l’ouvre en avance, alors que j’attends depuis si longtemps 😉

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Je profite de ce billet pour vous souhaiter à tous de joyeuses fêtes de fin d’année. Embrassez vos proches, vos amis, votre voisine, votre voisin. Donnez un peu de chaleur à ceux qui en ont besoin.

Et n’oubliez pas : on n’a qu’une vie.

Interview ZDNet

Au début du mois de décembre, j’ai été contacté par le journaliste Louis Adam qui m’a proposé de répondre à quelques questions sur mes activités d’expert judiciaire. L’interview est parue en ligne sur ZDNet.fr (avec un titre choc 😉, et je retranscris ici avec l’aimable autorisation de Louis Adam, mes réponses intégrales.

Bonjour M. Adam,

Tout d’abord, il faut que j’insiste sur une chose : je suis un tout petit expert de province, et je ne représente en aucune façon à moi tout seul l’activité des experts judiciaires. J’ai simplement usé de ma liberté de pouvoir prendre la parole (écrite) en ouvrant un blog, ce qui m’a mis à dos un grand nombre de personnes dans ce petit monde clos. Je ne représente rien d’autre que moi-même, et les réponses que je vais essayer de faire à vos questions n’ont pas la prétention d’être pertinentes (je n’ai pas accès aux statistiques des compagnies d’experts, ni à celles de l’administration judiciaire). Pour pouvoir garder ma liberté de parole (et d’action), je ne suis plus maintenant adhérent à aucune compagnie d’experts.

Questions:



En quoi consiste concrètement votre rôle d’expert judiciaire ? Quels type d’opérations êtes vous amenés à réaliser pour les magistrats ?

Pour pouvoir juger, les magistrats ont parfois besoin de demander l’avis d’une personne sur un point technique qu’ils ne maîtrisent pas. Pour éviter de contacter n’importe qui, une sélection de personnes est faite parmi des candidatures volontaires. Les personnes retenues sont inscrites sur un annuaire géré au niveau des cours d’appel (et de la cour de cassation). Les personnes inscrites sur cet annuaire ont le droit d’utiliser le titre d’ « expert judiciaire près la cour d’appel de XXX ». Concrètement, je suis contacté par écrit par un magistrat qui me demande de faire un certain nombre de choses et de répondre à un certain nombre de questions. Il s’agit des missions qu’il me confie. Si je les accepte, j’ai un certain délai pour y répondre dans un document appelé « rapport d’expert ». Selon les différents types de dossiers, les procédures sont différentes: au pénal, je travaillerai par exemple pour un juge d’instruction, ou pour un officier de police judiciaire sous l’autorité d’un procureur. En matière civile et commerciale, la procédure est contradictoire, et je dois convoquer une réunion avec toutes les parties pour étudier devant elles toutes les pièces, mener toutes mes investigations, répondre à toutes leurs questions, pour finir par déposer mon rapport au juge, avec copie aux parties.

Je suis inscrit sur la liste des experts judiciaires de ma cour d’appel depuis 1999. J’ai eu à traiter des dossiers de recherches d’images et de films pédopornographiques, des litiges entre entreprises, ou entre un particulier et une entreprise, de la contrefaçon de logiciels, des litiges aux prud’hommes, etc.

Dans quels types d’affaires êtes vous confrontés à des entreprises ?

Tout type de dossiers dans lesquels l’informatique peut intervenir de près ou de loin.

Cela va d’un problème de pertes de données suite à un dysfonctionnement de serveur et de sauvegardes (cf le billet « le dernier maillon« ), en passant par le classique problème de (ré)informatisation ratée où l’on retrouvera le triptyque « entreprise/société de service/éditeur » comme par exemple dans la série de huit billets « Une histoire simple et banale« .

Quelle est l’attitude des entreprises face à vous ? Est-ce que vous êtes vu comme l’inspecteur des travaux finis ? Est-ce que les informaticiens des entreprises vous voient comme un ennemi, un allié, ou cela varie selon les affaires?

L’attitude des personnes est très dépendante du dossier, des participants et de l’avis que je vais prendre pendant le déroulé de l’expertise. J’ai pour habitude de commencer toutes mes expertises contradictoires en expliquant à toutes les parties mon rôle, et en lisant devant elles les questions qui me sont posées et l’interdiction que j’ai de sortir de ce rôle. Je ne suis ni un ennemi, ni un allié, ni une partie prenante dans le problème, ni même dans sa solution. Je suis l’expert désigné par le juge qui va décider des suites judiciaires à donner au litige en cours. Je me fais expliquer le(s) problème(s) en détail jusqu’à ce que je puisse répondre à l’ensemble des questions qui me sont posées. Cela peut prendre plusieurs réunions (en général d’une journée). La tension monte quand je commence à donner mon avis, et cela déclenche parfois des comportements agressifs. Je dois alors rester dans mon rôle et ne pas céder aux provocations qui peuvent m’être faites. Je suis un informaticien généraliste (comme un médecin généraliste) et donc je n’ai pas honte de me faire expliquer en détail une partie très spécialisée de l’informatique si elle intervient dans le sujet de l’expertise qui m’est demandé. Certains informaticiens spécialistes (en sécurité, en informatique bancaire, en développement basé sur une méthode particulière, etc.) peuvent me voir alors comme n’étant pas à leur hauteur, ce qui est le cas (puisque je ne suis pas spécialiste dans leur domaine).

Dans un cas de litige entre un prestataire et un client, qu’est ce qui va compter le plus dans votre interprétation des faits : le contrat, les bonnes pratiques, ou tout un ensemble de facteurs ?

Le contrat est un document juridique. C’est donc le terrain des experts en droit que sont les avocats. Je vais m’y intéresser mais je ne suis pas sur mon terrain d’expertise. Je suis plus concerné par les méthodes de gestion de projet mises en place, par les bonnes pratiques et par l’état de l’art (ce sont les questions du magistrats qui me guident sur ces terrains, ce qui est normal). Le prestataire a-t-il mis en place la possibilité technique d’un retour arrière en cas de problème, des sauvegardes de l’état initial, etc. ? Ce qui va compter le plus pour moi, ce sont les questions du magistrat…

Est-ce que vous avez déjà été confrontés à des entreprises faisant preuve de mauvaise volonté à votre égard ?

Oui, mais sans que je puisse trouver de règles universelles expliquant cela. C’est souvent une question de comportement humain: tel gérant va considérer que je ne suis pas assez de son avis et s’emporter, telle entreprise va snober la réunion, tel avocat va envoyer 50 pages de questions quelques heures avant la fin du délai imparti…

Et des bons élèves ?

Oui, avec le même constat, car il s’agit de rapports humains. Certaines personnes comprennent l’intérêt qu’elles ont à contribuer efficacement au travail de l’expert, même si là aussi il faut se méfier des bonnes intentions…

Comment est-ce que vous parvenez à garder une certaine neutralité dans ce cadre ? En se tenant strictement aux missions qui vous sont confiés ?

Lors de l’inscription sur la liste des experts judiciaires, nous prêtons le serment suivant : « Je jure d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience ». C’est à mes yeux un point important qui doit guider tout mon travail. Je dois donner mon avis « en mon honneur et en ma conscience ». Je dois répondre exclusivement aux questions qui me sont posées. Je dois faire abstraction des animosités qui ont pu me viser ou me blesser pendant l’expertise. Je dois adopter une vision scientifique de mes missions, un raisonnement argumenté. Je dois savoir écrire « je ne sais pas », même si cela peut me valoir de ne plus être désigné par ce magistrat. J’applique pour cela une technique de management connue basée sur 5 points, qui s’appellent les 5 accords toltèques :

– que votre parole soit impeccable

– quoiqu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle

– ne faites pas de suppositions

– faites toujours de votre mieux

– soyez sceptique, mais apprenez à écouter

J’en parle dans ce billet intitulé « l’expert judiciaire et les accords toltèques« .

J’imagine que vos interventions nécessitent une connaissance de l’état de l’art sur le sujet auquel vous êtes confronté, comment est-ce que vous vous maintenez à jour sur l’évolution des bonnes pratiques informatiques ?

Être expert judiciaire n’est pas une profession, c’est une activité annexe à une profession. Pour ma part, je suis directeur informatique et technique dans une école privée d’ingénieurs, ce qui me demande d’être en veille permanente sur toutes les techniques qui font parties de mon activité : matériels, logiciels, méthodes de travail, bonnes pratiques, échanges sur l’état de l’art, formation continue, etc. Je participe à (et j’anime) des réseaux professionnels d’échanges sur les bonnes pratiques. Je participe également à des conférences où j’apprends beaucoup de choses. L’activité d’expert judiciaire demande néanmoins de se former à certains domaines : comptabilité d’une activité d’autoentrepreneur, déclarations fiscales, assurances en responsabilité civile, compréhension du fonctionnement de l’administration judiciaire (procédures, logiciels CHORUS) et bien sur à la maîtrise des procédures et du droit concernant les expertises. Pour cela, il faut suivre des formations régulièrement, formations qui sont indiquées dans le dossier de renouvellement de la demande d’inscription sur la liste des experts judiciaires (tous les cinq ans). J’ai la chance d’être marié à une avocate qui peut me former, répondre à mes questions et m’orienter dans l’univers complexe du Droit.

Aujourd’hui, vous êtes fréquemment amenés à intervenir dans le cadre de litiges dans le cadre des prud’hommes ?

Tout dépend de ce que vous entendez par « fréquemment ». Mais oui, j’interviens dans ce type de dossiers, de trois manières différentes : soit à la demande d’un magistrat prud’homal, soit comme expert privé de l’entreprise, soit comme expert privé du (ou des) salarié(s).

Quels sont les principales affaires que vous êtes amenés à traiter dans ce cadre ?

Il s’agit souvent de répondre à la question de savoir si le salarié est parti avec des données appartenant à l’entreprise (fichiers clients, formules de calculs, plans, etc.) pour les exploiter chez un concurrent. J’ai aussi beaucoup d’affaires où l’équipement informatique a servi à autres choses que son objectif initial (pédopornographie, vols de données, contrefaçons, piratages…). Et parfois, c’est surprenant comme dans le billet « Le plein de pr0n » ou dans celui intitulé « Watching you« . Parfois, c’est moins drôle comme dans « L’interrogatoire« .

Est-ce que vous constatez une recrudescence du recours à l’expert judiciaire dans le cadre de litiges entre direction et employés ?

La justice française dispose de moyens financiers très limités, parmi les plus bas d’Europe. L’expertise judiciaire coûtant cher, je constate qu’elle est de moins en moins demandée. Par contre, je suis de plus en plus sollicité pour réaliser des expertises privées, c’est-à-dire des expertises pour l’une des parties. Ma spécialité : faire une analyse critique du rapport d’expertise informatique d’un confrère pour y déceler les éventuelles anomalies et permettre à l’avocat de rédiger des dires (des questions à expert) efficaces. Mes clients sont essentiellement des avocats qui recherchent pour leur client un expert indépendant des compagnies d’experts judiciaires. Lorsqu’une entreprise fait directement appel à mes services, je lui propose de travailler conjointement avec son avocat, de manière à être plus efficace. De ce point de vue, oui, je constate une recrudescence du recours à l’expert judiciaire mais dans le cadre de missions privées.

Bien à vous,

Zythom

La honte

Une impression d’inutilité m’envahit. Je me sens las. Je rentre du travail, les enfants sont dans leurs chambres, ma femme travaille encore dans son cabinet, je m’isole dans mon bureau et je pleure tout seul.

Je me surprends à lire les conditions de mon assurance décès pour le remboursement de l’emprunt des études de ma fille.

J’ai de beaux enfants, une femme formidable, un métier passionnant. Je suis en bonne santé, entouré par des gens qui m’aiment et que j’aime. Je vis dans un pays en paix, dans un confort appréciable…

J’ai tout pour être l’homme le plus heureux de la terre et cela amplifie ma honte de ne pas ressentir ce bonheur.

Je dors beaucoup, je me réveille fatigué. Je broie des idées noires.

J’ai envie de tout envoyer paître, j’ai envie d’en finir.

Je tombe sur un article concernant la dépression… et j’en ressens la plupart des symptômes. Je me regarde dans la glace, et je me dis que ce n’est pas possible. Pas moi.

La honte.

Je suis le roc sur lequel mes enfants s’arriment et se hissent pour voir plus loin. Je suis l’un des boosters de la fusée familiale et je n’ai pas le droit de lâcher, surtout sans raison.

Et pourtant, je suis assis, las, à me demander pourquoi je me sens si vide, pourquoi un grand gaillard comme moi est entré dans une boucle négative de dévalorisation de soi si intense. Le syndrome de l’imposteur puissance 10.

Rien ne justifie cette sensation. Rien.

Je lis que la dépression est une maladie, qu’elle se soigne, qu’il faut consulter.

Mais j’ai honte !

Les semaines passent, la souffrance est toujours là, inutile, incompréhensible. Impossible de la cacher auprès de mon épouse qui fait pour le mieux, j’arrive à épargner mes enfants. Au travail, je manque de convictions, d’énergie. J’envisage la démission, le départ, l’abandon.

Tristes sensations.

Je refuse toute aide. Mon médecin est un ami de la famille, j’ai trop honte de lui dévoiler cette faiblesse inavouable. J’ai encore un peu de fierté pour essayer de m’en sortir seul. Tous ces atouts de mon côté et se sentir nul de chez nul, je ne me comprends pas.

J’écris. Je me souviens du bien que cela me faisait quand j’étais anonyme parmi les anonymes et que j’affrontais les démons de l’univers de la pédopornographie pendant mes expertises judiciaires. J’écris, mais je ne publie pas. Trop de monde me connaît sous ma vraie identité sur ce blog. Mes enfants me lisent, des magistrats, des avocats, des journalistes me lisent.

De quoi peut-il bien se plaindre, il a tout pour être heureux. La honte !

Alors, j’écris pour moi. Sur du papier, avec un stylo. J’écris des horreurs. J’écris mes idées noires. J’écris mon envie de donner un petit coup discret de guidon en vélo dans ce carrefour si fréquenté par des voitures qui roulent vite. J’écris cette descente en enfer incompréhensible. J’ai l’impression d’être dans cette course de voiture absurde de la nouvelle de Dino Buzzati intitulée « Les dépassements »…

Je noircis des feuilles.

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Épilogue.

J’ai écris ce texte il y a quelques semaines. Je suis sorti maintenant de cette mauvaise passe, avec l’aide de mon épouse. C’est elle mon roc, mon soutien. Et à deux, nous sommes les moteurs de notre petit avion familial, qui vient de fonctionner quelques temps avec un seul propulseur.

Je publie ici ce texte parce que même si j’en ai encore honte, je pense que cela peut peut-être donner une petite lueur d’espoir à quelqu’un qui serait dans le 36e dessous, et qui aurait des idées noires.

Je considère que j’ai attrapé une sorte de virus, que je n’y suis pour rien, et que maintenant j’en suis guéri… J’ai fait une petite déprime d’homme 😉

Je ne suis ni un héros, ni un zéro. Je fais de mon mieux. Et parfois, ce n’est pas terrible.

[EDIT du 19/12/2016]

Merci pour tous vos messages de sympathie, en commentaire ou en direct, qui m’ont fait énormément plaisir.

MERCI ♥♥♥ !

Le procès Eolas

Maître Eolas m’a fait l’honneur de me choisir comme expert informatique afin de mener une expertise privée dans l’affaire qui l’oppose à l’association IPJ. Il y a entre Maître Eolas et moi nuls liens d’amitié comme entre Montaigne et La Boétie, mais
un solide respect, teinté de ma part d’une admiration sincère pour son
intelligence et sa vivacité d’esprit. Ce respect justifie que l’on puisse mener ensemble un travail de façon professionnelle, et ne m’a pas empêché de rédiger un rapport objectif et scientifique sur les questions qui m’ont été posées (ce qui a d’ailleurs été relevé par les parties du procès). Bien sur, ce travail étant demandé par une seule des parties (c’est le principe d’une expertise privée), il a fait l’objet de critiques et de suspicions de la partie adverse, ce qui a été débattu publiquement lors des différents procès (1ère instance puis appel).

J’ai assisté à la dernière étape (en date) du procès Eolas vs IPJ qui a eu lieu hier, à la Cour d’Appel de Versailles, assis simplement sur les bancs du public. Je voulais montrer concrètement à Maître Eolas mon soutien dans l’épreuve qui lui était infligée, indépendamment du travail que j’avais eu à faire pour lui. Comme je l’indiquais sur Twitter, c’est quand ils sont dans la merde, enfin dans le besoin, qu’il faut soutenir les gens qu’on apprécie.

Pour autant, je ne souhaite pas utiliser ce blog à chaud sur des affaires en cours auxquelles je participe, je m’en suis déjà expliqué et tout le monde comprendra. Vous ne trouverez donc ici aucune analyse, ni prise de position, ni avis personnel.

Je signale simplement à mes lecteurs un compte-rendu succinct d’audience réalisé par Rémi Flamant sur le site « épris de justice » (que tout curieux du fonctionnement de la justice devrait mettre dans son agrégateur de flux RSS 😉 : https://www.epris-de-justice.info/est-ce-que-lon-peut-imaginer-que-maitre-eolas-setait-torche-avec-une-association/

J’encourage également tous mes lecteurs à pousser la porte des tribunaux pour assister régulièrement aux audiences, et pas seulement à celles qui font la une des journaux. C’est passionnant.

J’invite aussi tous les experts qui me lisent à assister aux procès où leurs rapports sont débattus (quand ils ne sont pas cités comme témoin). C’est très instructif (et stressant). Le travail des avocats est extraordinaire, tant ceux qui attaquent votre travail, que ceux qui le mettent en avant.

Dans ma prochaine vie, je veux être avocat.

Chiffrement, sécurité et libertés

Je suis invité au colloque « chiffrement, sécurité et libertés » organisé par l’Observatoire des Libertés et du Numérique le 21 novembre 2016 à l’assemblée nationale.

J’y suis invité pour exprimer le point de vue d’un expert judiciaire. Comme je suis plutôt réservé et qu’il s’agit d’une table ronde, je risque fort de regarder tout le monde s’exprimer sans prendre d’assaut le micro pour balbutier quelques mots… Je jette donc ici quelques idées pour moi-même. 

Expert judiciaire :

Tout d’abord, je voudrais rappeler la base de ce qu’est un expert judiciaire : il s’agit d’une personne ayant des connaissances dans un domaine et qui les propose à la justice. Si la justice accepte que cette personne l’aide, elle est inscrite dans un annuaire particulier dans lequel les magistrats piochent lorsqu’ils ont besoin d’aide dans un dossier. Le fait d’être inscrit dans cet annuaire vous donne le droit d’utiliser le titre « d’expert judiciaire ».

Il y a des experts en plomberie (C.1.21), en fumisterie (C.1.26), en améliorations foncières (A.1.1), en paléographie (B.1.2), en héraldique (B.3.9), en chimie des résidus de tir (G.3.2)…

Concernant l’informatique, le législateur l’a regroupée avec l’électronique dans les rubriques suivantes :

E.1. Électronique et informatique.

E.1.1. Automatismes.

E.1.2. Internet et multimédia.

E.1.3. Logiciels et matériels.

E.1.4. Systèmes d’information (mise en œuvre).

E.1.5. Télécommunications et grands réseaux.

Pour ma part, je suis inscrit dans les rubriques E.1.2 et E.1.3 pour l’ordre administratif, et uniquement dans la rubrique E.1.3 pour l’ordre judiciaire (suite à une erreur de plume que je n’arriverai pas à faire corriger et dont j’ai fait le deuil).

J’ai une formation assez classique d’ingénieur, un doctorat, et comme beaucoup de monde, je suis passionné par l’informatique en général. Je n’ai aucune formation juridique, aucune connaissance hautement spécialisée en sécurité informatique pointue. Je suis un citoyen lambda ingénieur en informatique.

Je n’ai pas de pouvoir technique particulier, je ne guéris pas les ordinateurs par la pensée, je ne sais pas déchiffrer l’indéchiffrable, je n’écoute pas les communications téléphoniques de mes voisins, je ne mange pas le midi avec Nick Leeder, ni avec Damien Viel

Par contre, à chaque fois que la justice me confie un scellé informatique, j’ai un défi à relever : répondre aux questions qui me sont posées, si possible sans compromettre le scellé. Pour cela, j’utilise des logiciels achetés à mes frais, des freewares, des je-donne-ce-que-je-veux-ware, des conseils glanés sur internet ou auprès de mon réseau d’entraide personnel (des listes de diffusion d’experts judiciaires en informatique) et ma propre expérience. 

Chiffrement :

J’utilise à titre privé assez souvent le chiffrement de données (Gostcrypt, pourquoi ? parce que.), pour sécuriser mes dossiers d’expertise, pour protéger mes données privées ou les échanges confidentiels que je peux avoir. J’utilise également le chiffrement à titre professionnel pour protéger les travaux de recherche des chercheurs de mon école (je suis directeur informatique et technique dans une école d’ingénieurs), pour protéger les sauvegardes ou les données confidentielles de mon entreprise.

Il m’arrive aussi d’être confronté au chiffrement lors de mes expertises judiciaires. J’en ai parlé dans le billet intitulé « face à TrueCrypt« . Extrait :

Que se passe-t-il alors lorsque je tombe sur un scellé qui contient des données chiffrées avec TrueCrypt ?
Réponse : rien. Je ne peux rien faire sans avoir le mot de passe. Et
encore, je peux avoir un mot de passe qui ouvre le container TrueCrypt,
mais pas le container caché. Je n’ai pas de code secret universel, ni de
logiciel spécial me permettant d’accéder aux données.
Je ne dis pas
qu’ils n’existent pas, je dis que je n’y ai pas accès.
Pour autant, je ne baisse pas les bras immédiatement :
– je peux regarder si des données non chiffrées sont présentes et accessibles sur le disque dur (lire le billet intitulé « le disque dur chiffré« ).
– je peux chercher tous les mots de passe de l’utilisateur, mots de
passe stockés sur internet ou sur d’autres ordinateurs non chiffrés.
Sachant que beaucoup de personnes n’utilisent que quelques mots de
passe, la probabilité de trouver des mots de passe ouvrant les
containers TrueCrypt est forte. Lire par exemple ce billet intitulé « Perquisition« .
– je peux passer par l’enquêteur pour qu’il demande les différents mots de passe à l’utilisateur.
– je peux suspecter un fichier d’être un container TrueCrypt (avec TCHunt par exemple).

Chiffrement, sécurité et libertés :

J’ai répondu sur ce sujet aux questions d’Amaelle Guiton, journaliste au pôle Futurs du journal Libération, sur le sujet du chiffrement, de la vie privée, de la police, de la justice et de l’État. Extrait :

AG: Que pensez-vous de l’argument selon lequel le chiffrement freine
ou bloque les enquêtes? Est-il légitime (ou jusqu’à quel point est-il
légitime) ?

Lorsqu’un enquêteur, ou un expert judiciaire, doit analyser un
ordinateur ou un téléphone et que les données sont correctement
chiffrées, il est bien évidemment bloqué. Si son enquête ne repose que
sur cet élément, il est définitivement bloqué, ce qui est regrettable.
Mais dans les dossiers que j’ai eu à traiter, ce cas de figure n’est
jamais arrivé : un dossier ne repose jamais uniquement sur le contenu
chiffré d’un ordinateur ou d’un téléphone. Il y a toujours d’autres
éléments dans le dossier, et il s’agit d’ajouter encore des éléments de
preuve (à charge ou à décharge) pour le compléter. L’argument ne me
semble pas légitime, sauf dans le sens où le chiffrement complique la
recherche de preuve et donc alourdit la facture de l’enquête, ce qui est
déjà un problème dans notre pays où le budget de la justice est
anormalement bas. Il ne faut pas oublier aussi que si les données sont
chiffrées, il faut aussi qu’à un moment elles soient déchiffrées pour
être utilisées par leur destinataire. L’enquêteur peut intervenir à ce
moment-là.

Pour conclure, je reprendrai ma position de l’époque :

AG: Et enfin, comment vous positionnez-vous dans ce débat : en tant
qu’informaticien, en tant qu’expert judiciaire, en tant que citoyen (ou
les trois à la fois!).

Il m’est difficile de dissocier les trois : je suis un citoyen
informaticien expert judiciaire. J’ai l’expérience de ces trois
casquettes, expérience dont je fais part sur mon blog (ce qui m’est
assez reproché). Ma position personnelle est de placer au-dessus de tout
la protection de la vie privée individuelle. Tous les échanges et tous
les stockages de données devraient être chiffrés de manière à ce que
chacun puisse protéger ses données. Je préférerais d’ailleurs que l’on
parle de « vie intime » plutôt que de « vie privée », car ce dernier
terme prête à confusion dans un monde où beaucoup de citoyens échangent
l’accès à une partie de leur vie privée avec un droit d’usage gratuit à
certains services (proposés par les GAFAM). Tous les citoyens doivent
pouvoir utiliser des outils garantissant leurs données contre les
oreilles de l’État. Les malfaiteurs les utilisent depuis longtemps, sans
que cela ne gêne trop l’État, il est temps que les honnêtes citoyens
puissent les utiliser en masse. Les enquêteurs disposent d’autres moyens
de poursuivre les malfaiteurs sans que l’État n’oblige tous ses
citoyens à se mettre à nu. Je refuse d’être obligé de mettre une caméra
dans ma chambre à coucher sous le prétexte d’une meilleure sécurité, par
exemple pour une lutte soit disant plus efficace contre le terrorisme
ou contre les pédophiles. Je ne crois pas en la réalité d’un État
bienveillant qui surveille en masse ces citoyens pour le bien de tous.
L’Histoire a plutôt démontré que ce type d’État dérive toujours très
vite vers des abus en tout genre.

Quis custodiet ipsos custodes ?

Et comme tout le monde, j’attends avec effroi les premiers piratages de la base de données TES concernant les 60 millions de français créée, semble-t-il, pour supprimer 1300 postes dans les préfectures

Pourquoi avec effroi ? Tout simplement parce que je me souviens bien du film Brazil