Je suis un grand naïf…
Quand j’ai décidé de mettre mes compétences au service de la justice, je ne pensais pas qu’un expert judiciaire pouvait se faire payer pour cela. Depuis, j’ai appris et compris que j’allais engager des frais, parfois élevés, qui me seraient remboursés, peut-être, avec un ou deux ans de retard.
Bien.
Comme j’aime raconter des histoires, j’ai ouvert ce blog pour parler de moi et faire mon intéressant. J’ai expliqué ma manière de faire mes notes de frais et honoraires, dans ce billet. J’ai découvert, comme tout le monde, la complexité du monde lorsque l’on perçoit des revenus (voir ce billet). J’ai donné ma vision des choses sur les coûts des expertises, dans cet autre billet.
Bref, j’ai usé de la possibilité merveilleuse d’internet de pouvoir m’exprimer, dans les limites de ma liberté d’expression.
Ces limites ont été étudiées lors d’une procédure devant la justice, lancée par un confrère qui n’appréciait pas qu’un expert judiciaire use de sa liberté d’expression en toute indépendance. J’ai raconté tout cela dans la série de billet que j’ai sobrement intitulé « l’affaire Zythom« . Cette triste affaire m’a néanmoins permis de continuer à tenir ce journal en ligne, au grand dam de certains experts judiciaires. J’ai du régler seul les honoraires et frais de mon avocat.
Bien, bien.
J’ai eu la chance de pouvoir être invité à une conférence sur la sécurité informatique où les organisateurs m’ont demandé de présenter l’activité d’expert judiciaire. Une personne se faisant passer pour un expert judiciaire mécontent a piraté mon blog, effaçant l’intégralité des billets écrits et expliquant sa désapprobation de ma démarche. Ceux qui veulent en savoir plus sur cette histoire pénible peuvent relire ce billet. Le prix à payer cette fois était d’encaisser sans broncher le ridicule de ma situation, avec heureusement le soutien chaleureux des personnes qui m’aiment. De remettre en ligne la sauvegarde du blog… Et d’assumer mes failles.
Bien, bien, bien.
J’ai ensuite décidé de mettre mes compétences au service des avocats. J’explique la création de ma petite entreprise dans ce billet où j’indique que je propose mes services aux avocats selon trois axes :
– assistance technique pendant les réunions d’expertise judiciaire;
– assistance dans la rédaction des dires;
– analyse critique d’un rapport d’expertise judiciaire.
Je me doute bien que certains experts ne voient pas d’un très bon œil ce type de prestations… pas très confraternelles.
Et donc, PAF, j’ai reçu assez vite des courriers en provenance de certaines associations d’experts judiciaires m’indiquant qu’il fallait que je cesse toute publicité relative à cette activité, car j’enfreins les règles déontologiques de la grande famille des experts judiciaires…
Cela mérite quelques explications.
Lorsque j’ai prêté le serment de l’expert judiciaire, j’ai juré d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience.
En mon honneur et en ma conscience.
Je réalise personnellement les missions que les magistrats me confient. Je mène mes analyses avec mon savoir faire, puis je donne mon avis. Je suis libre et indépendant.
Beaucoup d’experts judiciaires ont choisi de se regrouper en association loi 1901 pour (extraits d’un exemple de statuts) : améliorer les conditions de l’intervention des experts dans les missions que [les] juridictions leur confieront, contribuer au développement et au rayonnement de l’état de droit en France, en Europe et dans le monde, promouvoir et transmettre les valeurs morales et éthiques de dignité, d’indépendance et de probité qui doivent être la règle de conduite des experts judiciaires, soumettre à cet effet, ses membres à une discipline librement acceptée et étudier toutes les questions pouvant se rattacher à l’exercice de leurs missions…
soumettre ses membres à une discipline librement acceptée
Il n’est pas obligatoire d’adhérer à une compagnie d’experts judiciaires, mais de nombreux experts le font, et je le recommande chaudement, au moins pour des questions d’assurance et de formation. Mais une fois adhérent, l’expert est tenu aux règles de fonctionnement de sa compagnie, voire aux règles de l’organisme auquel est adhérente sa compagnie. En effet, il existe un conseil national des compagnies d’experts de justice (le CNCEJ) qui édicte des règles de déontologie qui s’appliquent à tous les experts membres d’une compagnie adhérente au CNCEJ. Vous pouvez lire ces règles de déontologie sur leur site dans ce document.
Voici la règle I.11 : « L’expert s’interdit toute publicité en relation avec sa qualité d’expert de justice. Il peut porter sur son papier à lettre et ses cartes de visite la mention de son inscription sur une liste ou un tableau dans les termes prévus par les textes en vigueur.«
TADAM ! En proposant mes services aux avocats, services qui, je le rappelle, sont les suivants :
– assistance technique pendant les réunions d’expertise judiciaire ;
– assistance dans la rédaction des dires ;
– analyse critique d’un rapport d’expertise judiciaire.
je ne peux pas faire état de ma qualité d’expert judiciaire… sauf à démissionner de ma compagnie d’experts judiciaires, puisque ces règles ne s’appliquent pas aux experts judiciaires non membres.
Et bien entendu, cela a un coût : mon assurance en responsabilité civile (non obligatoire mais fortement conseillée) va quelque peu augmenter. L’assureur applique le tarif de 120 euros pour un expert membre d’une compagnie d’experts judiciaires, et… 1200 euros pour un expert qui n’adhère pas à une compagnie et qui veut s’assurer seul, pour les mêmes prestations.
1200 euros… le prix de la liberté.
Je suis persuadé qu’on peut aider la justice, aider les avocats, sans être membre d’une quelconque association. Mais avouez que ça fait un peu mal.
Pourtant, je garde cet esprit naïf. Je pense que le système peut fonctionner avec des experts judiciaires indépendants, ayant sur leur propre rôle un regard critique (et naïf). C’est dans cet esprit que j’ai envoyé ma candidature à l’inscription sur la liste des experts agréés par la Cour de Cassation (lire ce billet). Ma candidature sera examinée en décembre 2015.
Je vous tiendrai au courant du suivi.
En attendant, je continuerai à utiliser ce magnifique outil qu’est internet et à partager avec vous mes états d’âme.
En espérant ne pas me faire écraser par le système.
Dommage quand les corporatismes prennent le pas sur le reste et notamment les valeurs.
Bon courage !
Bon courage dans votre combat qui ne s'annonce malheureusement pas gagné d'avance.
Continue de défendre tes libertés. Et oui, au risque de répéter, bon courage.
Sache que j'adore tes billets, qui sont vraiment uniques en leur genre et il est vraiment plaisant d'avoir ton point de vue. J'espère sincèrement que tu continueras donc à faire ton intéressant 😉
Bravo, le jour où j'en ai besoin, je fais appel à vous.
"L’expert s’interdit toute publicité en relation avec sa qualité d’expert de justice"
Pour moi c'est complètement hors de propos dans le sens où :
– un traducteur assermenté ne pourrait-il pas faire des traductions contradictoires ?
– un expert-comptable ne pourrait-il pas faire une expertise ?
– un architecte…
Mais allons plus loin. Puisque c'est toute publicité, ce n'est pas toute prestation. Donc quelqu'un d'autre peut faire la publicité.
Par ailleurs on ne pourrait alors faire de publicité de son métier, car l'on vient d'être expert judiciaire ? Non, ce serait une violation de l'indépendance et une contrainte d'exercice.
Est-ce qu'un avocat validerait que "toute publicité en relation avec sa qualité d'expert de justice" revient à dire "utiliser le titre/terme d'expert de justice pour sa publicité" ? Car ici, c'est la qualité d'expert informatique que vous promouvez, fut-ce auprès d'avocat et non d'expert de justice.
Bon, et si la publicité était :
– assistance technique pendant les réunions d'expertise ;
– assistance dans la rédaction des conclusions d'expertise ;
– analyse critique d'un rapport d'expertise.
Là, plus de problème. On ne vous reprocherait pas de n'avoir que des avocats comme clients tout de même !
Ne perdez pas espoir, il me semble que la CNCPI (autre conseil national) vient de renoncer à l'interdiction de la publicité. Les choses bougent, à leur rythme. C'est souvent dur d'être une locomotive.
Bonjour,
Si je comprends bien, ce qui vous est reproché par votre compagnie d'experts, c'est de vous faire de la pub via ce blog ? Pas le blog en lui meme comme l'avait montré l'affaire Zythom.
Donc ne serait-il pas plus simple et rentable pour vous de continuer ce blog avec vos réflexions personelles comme actuellement, et de développer un site plus pro, sous une autre identité non connue de votre compagnie d'expert qui pourrait éventuellement ne pas être rattachée à cette compagnie ?
En tout cas bon courage à vous, et continuer à nous conter vos histoires passionnantes !
De ce que je comprend du texte, ce n'est pas la tenue de ce blog qui pose ici problème, c'est le fait de monter une entreprise proposant :
– assistance technique pendant les réunions d'expertise judiciaire ;
– assistance dans la rédaction des dires ;
– analyse critique d'un rapport d'expertise judiciaire.
Tout en affirmant son statut d'expert judiciaire (afin de montrer aux clients potentiels que c'est pas juste un gus un peu excentrique, mais un véritable professionnel qui connait son sujet).
Ce serait un peu comme si on interdisait a un militaire a mi temps (en admettant que ce soit possible) qui voudrait monter sa boite de service en protection rapproché de dire qu'il est soldat.
Du moins c'est comme ça que j'interprete cette partie du billet.
En l'espèce, c'est effectivement interdit 😉