A propos Zythom

Informaticien Ex²pert Judiciaire, Irresponsable de la SSI, 3 enfants, marié à une avocate (ma vie n'est pas facile). Clé PGP: 0u 41-j3 m15 c3773 pu741n d3 cl3f

Pour dévoiler le visage et embrasser le genou de Thémis

Je reçois régulièrement, comme beaucoup d’entre vous, des emails d’appel à l’aide, d’une veuve éplorée, cherchant en général à transférer des fonds d’un pays lointain vers la France, et demandant mon aide. Ces emails sont en général dirigés automatiquement vers mon dossier SPAM et je n’y prête pas attention. Il s’agit de fraudes dites « 419« , et Vidocq en parlait déjà au XVIIIe siècle dans son ouvrage « Les Voleurs » sous l’appellation de « Lettres de Jérusalem« .

De temps en temps, mon filtre antispam laisse passer dans ma boite principale ce type de message, que je lis rapidement avec circonspection.

Cette fois le message que j’ai sous le yeux est différent et l’appel à l’aide à l’air sérieux. Il s’agit d’une femme désespérée pour qui je serais le dernier recours dans une affaire judiciaire.

Je suis souvent sollicité par l’intermédiaire de ce blog, mais comme je l’indique sur ma page « Contact« , je n’accepte d’intervenir dans un dossier privé que par l’intermédiaire d’un avocat. Je rédige donc ma réponse type habituelle, ce qui suffit en général à clore le débat.

Quelques jours plus tard, je reçois pourtant un email issu d’un cabinet d’avocat français confirmant les propos de l’appel à l’aide de ma mystérieuse correspondante. Diantre.

Je demande plus d’informations, et que les pièces du dossier me soient envoyées. L’avocat me prévient qu’il s’agit d’un dossier pro bono, c’est-à-dire que la personne n’a pas les moyens financiers de se payer les services d’un avocat, ni d’un expert…

Je réfléchis un peu. Je me revois postuler la première fois pour devenir expert judiciaire, il y a 18 ans. Je pensais que l’activité était bénévole, que les sachants proposaient leur aide gracieusement à la justice, pour le plaisir de la recherche de la vérité, pour le plaisir d’aider à rendre le monde meilleur. Quand j’ai compris le coût d’une expertise, le prix de l’assurance en responsabilité civile, le coût des logiciels, le temps passé en formation sur les procédures… je suis vite rentré dans le rang.

Et puis, j’ai pris la décision de réaliser gratuitement toutes les expertises judiciaires pénales qui me seraient demandées par les magistrats de mon ressort, ce qui m’a valu la réprobation d’un grand nombre de confrères (le gratuit c’est mal, ça dévalorise l’activité, etc.). Pour les rassurer, je dois avouer qu’en un an, à ma grande surprise, aucun magistrat ne m’a contacté…

Parallèlement aux dossiers où je suis désigné par un magistrat, il y a les dossiers privés (c’est-à-dire où je suis sollicité par l’une des parties). J’ai dans ce cas également choisi de travailler gratuitement à hauteur environ d’un dossier
privé sur dix, en ciblant plus particulièrement les clients sans moyen. C’est une question de convictions politiques et philosophiques.

Dans le cas qui se présente, la femme qui m’a contacté est dans une situation particulièrement précaire. J’accepte d’étudier le dossier. Je demande toutes les pièces à l’avocat. Je ne suis pas déçu : le cas est réellement désespéré. Une grande entreprise française a déposé plainte pour fraude informatique contre une de ses salariés. Une enquête a eu lieu, mais biaisée par des incompréhensions techniques, par des a priori malheureux, par un manque de moyens. La machine s’est pourtant mise à écraser des vies.

La Justice se doit d’être rendue objectivement, sans faveur ni parti
pris, indépendamment de la puissance ou de la faiblesse des accusés. La
cécité est alors la meilleure façon de garantir cette impartialité. C’est la raison du bandeau de lin que l’on met sur les yeux des statues représentant Thémis, la déesse de la Justice.

Mais la justice peut se tromper. C’est le sens des recours. Thémis a parfois le genoux dénudé, car les écrits antiques matérialisaient le genou comme l’attribut corporel
de la piété, de la magnanimité et de la clémence du puissant. La Justice se veut réceptive au malheur humain, et cette clémence est alors symbolisée par ce genou dénudé.

C’est la première fois que j’ai dans les mains un dossier où les éléments techniques clament de manière diffuse l’innocence de cette personne injustement condamnée. Comme l’avocat l’a fait avant moi, je me plonge à corps perdu dans le dossier.

Les soirées passent. Les semaines. J’arrête toutes les autres activités, les réseaux sociaux et les billets de blog, tant elles me semblent dérisoires. Je lis les pièces, les notices, les rapports, les conclusions, les réquisitions. Je prend des notes, je mets en évidence les anomalies, les failles, j’essaye de rester factuel. Je me réveille la nuit. Je pense à l’enfer vécu par cette femme accusée à tort. Face à elle, je devrais dire face à nous, la puissance de l’argent, la puissance de l’administration, la puissance du prestige de l’avis des puissants. Mais nous, qu’avons-nous ? Comment prouver l’innocence alors que l’absence de preuve de culpabilité devrait suffire ? Il y a de la passion dans les discussions que j’ai avec son avocat, persuadé comme moi de l’innocence de sa cliente.

Mais la passion se doit d’être absente de la note technique que je rédige. Je rassemble tous les points que j’ai relevés depuis trois mois. Je m’isole dans mon bureau pendant plusieurs jours. Je cherche à retirer temporairement le bandeau
des yeux de la Justice pour que celle-ci regarde pleinement les
personnes auxquelles s’adressent les règles de droit et agisse en
conséquence. Il me faut faire valoir le principe d’équité.

Pour que David puisse vaincre Goliath.

Pour dévoiler le visage et embrasser le genou de Thémis.

L’engagement de l’expert va parfois au delà de sa mission, pourvu qu’il ne s’en brûle pas les ailes.

Alea jacta est.

Allez, à tantôt !

Les temps sont durs pour moi, avec comme conséquence un silence en ces lieux. L’avantage de cette situation est qu’elle m’incite à écrire beaucoup de billets, puisque c’est ma manière d’évacuer mon mal être. Je ne peux pas encore publier ces billets, tant que les cendres sont encore chaudes, mais j’espère que dans quelques mois, je sourirai de nouveau.

En attendant, je m’accroche au sourire de mon épouse, et à ceux de mes enfants. Le bonheur tient à la capacité que l’on a de savourer ces choses là.

Ma tribu et moi, nous partons trois semaines faire des randonnées autour du Saint Laurent au Canada, pour se vider la tête et s’enrichir des aventures que l’on va vivre ensemble. Je vais en profiter pour renouveler ma collection de casquettes, et essayer de retrouver ma confiance en moi.

Ce sera silence radio sur ce blog pendant tout ce temps.

Ensuite, je viendrai de nouveau raconter mes histoires.

Allô ça va bien ? Allez, à tantôt 😉

L’intimité mise à nu

Chaque année, les étudiants de l’Année spéciale de journalisme (DUT en un an) de L’École Publique de Journalisme de Tours (EPJT) réalisent de A à Z un magazine appelé Innova. Cette publication a la particularité d’être thématique et d’être réalisée intégralement au sein de l’EPJT, par des étudiants encadrés par des professionnels spécialisés en presse magazine : rédacteurs en chef, maquettistes, secrétaires de rédaction. Cette année, le numéro 24 s’intitule « L’intimité mise à nu » et contient un article qui me cite et consacré aux perquisitions : « Sortie brutale du réel ».

Je reproduis ici cet article, avec l’aimable autorisation de l’étudiant journaliste, Ambre Philouze-Rousseau. J’ai également ajouté ensuite l’interview complète avec mes réponses.

PERQUISITION SORTIE BRUTALE DU RÉEL

UNE VIE FOUILLÉE, SCRUTÉE À LA LOUPE. LA PERQUISITION N’EST ANODINE POUR PERSONNE. NI POUR LES PERQUISITIONNÉS NI POUR LES PERQUISITIONNEURS. RÉCIT CROISÉ D’ISABELLE ET DE SON FILS THOMAS, PERQUISITIONNÉS EN MARS 2016 ET DE ZYTHOM, INFORMATICIEN EXPERT JUDICIAIRE

C’est un mercredi matin comme les

autres. Les parents se préparent à aller

donner leurs cours, leur fils est en

route pour sa classe préparatoire. Et

puis des coups. Des coups frappés à la

porte de la maison familiale. Il est 7 h 45, le mari va

ouvrir. Sa femme, Isabelle*, observe par la fenêtre et

voit trois personnes devant l’entrée. Lorsqu’elle

remarque les brassards rouges marqués « Police », ils

sont déjà à l’intérieur. « Nous venons pour une

perquisition, annonce froidement la policière. Je

suis inspectrice de la brigade des mineurs. » Pour

Isabelle, qui se tient au milieu de l’escalier, l’incom-

préhension est totale. Tout s’écroule : « Ça t’arrête

dans tes gestes, dans tes paroles, tu t’arrêtes de res-

pirer, tu t’arrêtes de penser. » Près d’un an après, elle

a enfin trouvé les mots : « Cette perquisition a été

une ­rupture brutale, indélébile et irrémédiable. »

Les suspects ne sont pas les seuls à être atteints par

une perquisition, c’est également le cas de leur

entourage. « C’était violent dans leur parler et leur

façon d’être, se souvient Thomas*, le fils d’Isabelle.

J’avais ­l’impression qu’ils s’en fichaient complète-

ment, comme s’ils n’étaient pas impliqués. »

Les perquisitionneurs doivent en effet se garder de

toute empathie. La police n’agit pas toujours seule.

Elle a parfois besoin de s’entourer de ­personnes

comme Zythom, informaticien expert ­judiciaire.

Les autorités font appel à ses services pour analyser

le contenu de matériel informatique. Il assiste ­depuis

1999 des huissiers de justice, des juges d’instruction

ou des policiers dans des ­perquisitions et raconte

son vécu dans son blog. Malgré sa longue expé-

rience, il ne s’habitue pas à la ­violence de cette intru-

sion. « Une maison est un lieu privé. Quand vous

entrez avec les forces de l’ordre chez quelqu’un, c’est

d’une brutalité incroyable, explique-t-il. En plon-

geant dans les données ­numériques stockées sur le

disque dur, j’entre dans la vie intime des gens, pour

le meilleur et pour le pire. » Ce sentiment de « viol

de ­l’intimité » ne le quitte jamais.

ASSISTER À LA FOUILLE DANS LA RÉSIGNATION

Pour autant, Zythom a vécu des perquisitions plus

éprouvantes que d’autres. Comme celle lors de

laquelle il rencontre Léo, 7 ans. « C’est un petit gar-

çon volontaire, écrit l’informaticien sur son blog.

Il me dévisage sans peur, mais avec une lueur

d’incompréhension dans le regard. » Zythom tente

de sauver les apparences : « Je lui fais un grand sou-

rire. Je force mon visage à se détendre, ­raconte-t-il.

“ Ta maman a un petit problème avec son ordina-

teur. Nous sommes venus pour voir si on peut le

réparer ’’, c’est la seule chose qui lui vient à l’esprit. Le

petit Léo, rassuré, reste malgré tout ­soucieux, mais

pour d’autres raisons. « J’espère que ce n’est pas mon

nouveau jeu qui a abîmé ­l’ordinateur de maman »,

s’inquiète-t-il. Une innocence ­touchante et déchi-

rante pour Zythom. « Mon cœur se brise mais au-

cun muscle de mon visage ne bouge, poursuit-il. La

dernière image que j’aurai de Léo est son départ

pour l’école tenant son petit frère par la main et

accompagné par une voisine. Je lui ai fait un petit

signe avec le pouce levé. » L’informaticien ne peut

s’empêcher de terminer son récit en avouant : « Que

c’est dur, une perquisition. »

Cette rudesse, Isabelle et Thomas l’ont ressentie.

Non sans quelques sanglots dans la voix, le jeune

homme décrit une sortie brutale du réel. « À partir

de ce moment, tu te dis que rien n’est vrai,

raconte-t-il. Tu es dans le déni. » Il souligne égale-

ment la difficulté à prendre du recul et « à accepter

que des gens viennent chez toi pour prendre tes

affaires, pour fouiller dans ta vie. » Les trois étages

de la maison, les chambres, la salle de bains, les

placards, le garage ou encore la voiture, rien n’est

laissé au hasard. C’est dans le silence et la résigna-

tion ­qu’Isabelle et Thomas ont dû assister à

ces fouilles, pires qu’un cambriolage. « Un

cambrioleur, tu ne le vois pas faire, pré-

cise Isabelle. Là, tu les vois passer

partout et ils sont maîtres chez toi.

Tu n’as plus le droit de ­parler, de

bouger, tu n’es plus rien. »

Malgré plusieurs tentatives

d’échange, ­Isabelle reste dans

l’ignorance. « Vous cherchez quoi ? »

demande-t-elle aux policiers. « Des

indices » est la seule réponse qu’elle

obtient. Au delà de l’impuissance, elle se

dit marquée par ­l’attitude des forces de l’ordre qui,

sur l’instant, lui retire sa dignité. « Je savais qu’ils

ne venaient pas pour moi. Mais dans leur façon

d’être, ils me ­culpabilisaient de la même façon,

explique-t-elle. Je n’avais plus l’impression d’être

une victime, mais une coupable. » Un sentiment

qui ne la quittera pas, même une fois la perquisi-

tion achevée, puisqu’une convocation pour un

interrogatoire lui sera remise dans la foulée.

Le moment du départ reste, pour Zythom, tout

aussi marquant que celui de l’arrivée. Il se souvient

ainsi d’une perquisition d’un domicile familial en

2010. Seule la mère de famille était présente. Au

moment de quitter le logement, il lui présente ses

excuses. « Je revois encore aujourd’hui la rage dans

son regard », raconte-t-il.

Isabelle s’est quant à elle sentie abandonnée. « Ils

sont partis de chez moi, mon mari menotté. Ils ne

m’ont rien demandé. Même pas si j’avais besoin d’un

soutien psychologique », ­déplore-t-elle. Comme si

l’après importait peu. « Tu le prends bien. Tant

mieux. Tu le prends mal. Tant pis », avance la quin-

quagénaire d’une voix entrecoupée de silences. Pen-

dant les quarante-huit heures qui ont suivi la per-

quisition, Isabelle n’a pas eu de nouvelles. Son mari

en garde à vue, elle s’est accrochée aux quelques

mots glissés par ­l’inspectrice au terme de six appels

téléphoniques : « Vous aurez des nouvelles en temps

voulu. » Face à ce mutisme, son fils évoque une

« nonchalance qui ne respecte pas les sentiments ».

LE PREMIER JOUR DU RESTE DE SA VIE

Malgré la violence des émotions qui l’ont animé ce

jour-là, le fils d’Isabelle a réussi à prendre de la dis-

tance. « Ceux qui perquisitionnent le font à lon-

gueur de journée. S’ils ne prenaient pas les choses

froidement, ils ne pourraient pas le faire », résume le

jeune homme. Cette prise de conscience, sa mère l’a

eue lors d’une discussion téléphonique avec

l’inspectrice. « Ça a été un moment fort, parce

qu’elle m’a parlé de femme à femme, plutôt que

d’inspectrice à femme de suspect », se souvient-elle.

La policière évoque alors la nécessité qu’elle a de

s’interdire toute ­empathie. Elle concède cependant

que cela peut être extrêmement violent. Pour

Isabelle, ces mots sont libérateurs. « Cela m’a fait un

bien fou, j’ai compris que sa crédibilité était aussi en

jeu », avance-t-elle. ­

Pour Zythom, beaucoup de ­métiers impliquent de

devoir faire face à des ­situations désagréables tout

en mettant ses ­sentiments de côté : « Un pompier

choisit-il son métier pour les tragédies auxquelles il

va assister ? s’interroge-t-il. Lorsqu’on décide de

mettre ses ­compétences au service de la justice, il

n’est pas question de choisir les interventions en

fonction de ses goûts. »

Un an plus tard, Isabelle considère cette

perquisition comme « l’acte premier,

celui que l’on n’oublie pas ». Même si le

traumatisme va au-delà de la perquisi-

tion en tant que telle, c’est bel et bien

ce jour qui aura déclenché le boulever-

sement profond de sa vie intime. D’un

rire jaune, elle lance : « C’est désormais

un anniversaire supplémentaire. »

ANA BOYRIE, AMBRE PHILOUZE-ROUSSEAU
ET CLÉMENT PIOT

(*) Les prénoms ont été modifiés.

Le numéro 24 de la revue Innova est téléchargeable en cliquant sur ce lien (l’article commence en page 10).

—oOo–

Interview réalisée par Ambre Philouze-Rousseau

– Depuis quand participez-vous à des
perquisitions ?


Je suis inscrit sur la liste des
experts judiciaires depuis 1999. Ma première perquisition a été
une assistance à Huissier de Justice l’année suivante.


– Pourquoi, en tant qu’informaticien,
avoir décidé de travailler avec la justice ? Et donc de
participer à des perquisitions ?


Comme je le décris sur mon blog, mon
épouse est avocate. J’ai souhaité me rapprocher de son univers,
qui est passionnant, et c’est elle qui m’a expliqué ce que mes
connaissances pouvaient apporter à la justice. En demandant mon
inscription sur la liste des experts judiciaires, je ne savais pas
que ma vie allait basculer parfois dans l’horreur : recherche
d’images et de films pédopornographiques, perquisition, intrusion
dans la vie privée… Mais c’est le lot de beaucoup de professions
: un pompier choisit-il son métier pour les tragédies auxquelles
il va assister, un policier pour les insultes, un journaliste pour
les chats écrasés ? Je ne me plains donc pas et j’essaye de faire
mon travail du mieux possible pour aider la justice.


– Quel est votre rôle lors de ces
perquisitions ?


En général, j’assiste un Huissier de
Justice, ou un Juge d’instruction, ou un policier, dans sa
recherche de la vérité. Surtout si celle-ci se trouve sur un
ordinateur…


– Combien de temps dure une
perquisition,
en moyenne ?


Celles auxquelles j’ai participé ont
duré environ une journée.


– A combien de perquisitions avez-vous
assisté ?


Dix perquisitions, entre 1999 et 2016.


– De quand date votre dernière
perquisition ? Pouvez-vous nous la raconter ?


Elle date de l’année dernière et je ne
peux pas la raconter. Par contre, j’ai raconté plusieurs de mes
perquisitions, en les anonymisant, sur mon blog (voir billets :

https://zythom.blogspot.fr/2007/04/assistance-lors-dune-perquisition.html

https://zythom.blogspot.fr/2010/06/perquisition.html

https://zythom.blogspot.fr/2014/12/perquisitionner-un-informaticien.html


– Avez-vous souvenir d’une
perquisition plus difficile que les autres ? Si oui,
pourquoi ?


Elles sont toutes difficiles, surtout
celles chez les particuliers. Je garde le souvenir d’un enfant de
7 ans qui réagissait à l’entrée très matinale d’un groupe de
personne dans sa maison. Je raconte cette histoire dans ce billet
:

https://zythom.blogspot.fr/2013/02/leo-7-ans.html



– Vous dites ne pas aimer participer à
des perquisitions chez des particuliers ? Qu’est-ce-qui vous
dérange ? 


Je n’arrive pas à m’habituer à la
violence d’une intrusion chez les particuliers.


– Dans l’un de vos billets, vous parlez
de « viol de l’intimité ». Qu’entendez-vous par
intimité ?


Une maison est un lieu privé. Vous
acceptez parfois d’inviter des personnes que vous connaissez à
entrer chez vous, dans une partie de votre vie privée : le séjour,
la cuisine, la salle à manger. Quand vous entrez avec les forces
de l’ordre chez quelqu’un, c’est d’une brutalité incroyable (même
si les policiers et les Huissiers avec lesquels j’ai travaillé ont
toujours fait preuve d’une grande humanité et de respect). Vous
entrez dans l’intimité des personnes : bureau, chambres à coucher,
pièces des enfants, salle de bains, etc.

Je ressens la même chose quand j’analyse chez moi le contenu d’un
ordinateur mis sous scellé par la police : en plongeant dans les
données numériques stockées sur le disque dur, j’entre dans la vie
intime des gens, pour le meilleur et pour le pire. Ce n’est pas
une sensation agréable.


– Est-ce-qu’en fouillant dans
l’ordinateur
d’un perquisitionné, vous ressentez également ce sentiment de
« viol de l’intimité » ?


Oui.


– Vous n’êtes évidemment pas seul dans
ce genre d’intervention. Combien êtes-vous ? Pensez-vous qu’ils
ressentent tous la même gêne que vous ?


Il y a en général deux ou trois
policiers (ou gendarmes), un serrurier, l’Huissier de Justice et
moi.

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aime faire cela, mais tout
le monde est concentré sur sa mission et souhaite qu’elle se passe
le mieux possible.

Les policiers parlent correctement aux personnes et à leurs
enfants, et tout le monde essaye de faire baisser la tension
initiale de l’entrée dans les lieux.


– Comment réagissent ceux qui sont
perquisitionnés ? (Même si les réactions doivent toutes être
différentes, comment réagissent ceux que vous avez pu voir?)


Il y a un grand stress dans le premier
quart d’heure, puis la tension baisse quand tout le monde a
compris le rôle de chacun des intervenants.


– Enfin, malgré le fait que l’intrusion
vous dérange, allez-vous continuer à participer à des
perquisitions ? Et pourquoi ?


Quand on choisit de mettre ses
compétences au service de la justice, il n’est pas question de
choisir les interventions en fonction de ses goûts. Par contre,
j’accepte moins souvent d’intervenir lors de perquisitions,
simplement parce qu’avec l’âge, mon niveau et mon agilité
technique diminuent. Il n’est pas facile de rester au contact de
toutes les technologies de stockage, surtout que je n’ai pas de
compétences en téléphonie mobile. Il m’est difficile de dire aux
personnes que j’accompagne que je ne peux pas analyser le contenu
d’un téléphone portable, alors que les données intéressantes s’y
trouvent peut-être. Il y a dans mon ressort des experts
judiciaires plus jeunes et plus expérimentés que moi. Je leur
laisse maintenant ma place.


Échanges du 19/03/2017

TeamVieux

Je me rends souvent compte sur les réseaux sociaux que je suis un peu à part (mais pas tout seul 😉 quand on considère le critère de l’âge. Beaucoup des personnes que je suis, sont plus jeunes que moi, et par ailleurs, beaucoup de mes amis IRL qui sont du même âge que moi ne sont pas sur les réseaux sociaux…

Je suis né en 1963.

Je fais parti de la #TeamVieux… voire #TeamTresTresVieux

Comme je n’y peux pas grand chose, je m’interroge sur ma résilience face au choc de la vieillesse sagesse. Et le constat n’est pas fameux.

J’ai beaucoup perdu en plasticité synaptique. J’ai du mal à retenir tous les éléments nouveaux lorsque j’assiste à une formation. Je suis pétri d’habitudes et de réflexes, même si je lutte contre ces ornières (voir ce billet de 2007).

La pratique de mon métier s’éloigne inexorablement de la technique (que j’aime) pour devenir plutôt un gestionnaire de ressources : la part de management augmente avec l’effectif que j’encadre, je mets en place des indicateurs qualités pour maîtriser les budgets et la croissance de l’entreprise, la part juridique de mon activité de responsable informatique augmente…

J’ai été marqué par la lecture de ce billet qui m’a fait comprendre le phénomène de perte progressive de nos capacités cognitives décrit sous le terme savant « d’agnosie de l’empan cognitif« … Et bien entendu, je me suis reconnu.

J’ai subi une petite dépression (voir le billet intitulé « la honte ») cette année et un burn-out qui m’a laissé sur les rotules, avant de réaliser qu’il fallait que je me fasse aider (d’où les indicateurs qualité pour justifier d’une embauche).

Sur Mastodon, j’ai écris « Tu sais que tu commences à être vieux quand tu n’as plus le temps de
saisir les 6 chiffres du jeton d’authentification avant qu’ils ne soient
remplacés par 6 autres… », ce qui montre à quel point je suis atteint par la décrépitude 😉

Concernant les expertises judiciaires, j’atteins presque l’âge que je critiquais quand j’ai prêté serment, à l’âge de 35 ans, il y a plus de 18 ans… J’étais jeune et plein d’entrain, je voulais proposer mes compétences à la justice, et j’étais consterné de constater que l’expert judiciaire juste au dessus de moi en âge dans mon ressort avait 30 ans de plus que moi (il a exercé jusqu’à 75 ans !). Je considérais qu’il était difficile pour une personne de 65 ans d’être encore dans le coup au niveau technique. Sans en être encore là, j’ai bien conscience du côté artisanal de mes compétences, et leurs limites (lire le billet « Artisanat de l’expertise »). J’envisage maintenant sérieusement de demander mon retrait de la liste des experts judiciaires. 18 ans, c’est déjà beaucoup.

A titre d’amusement, j’ai repris mes travaux de recherche, à peu près là où je les avais laissés en 1994 quand j’ai quitté mon poste de Maître de conférences pour me consacrer pleinement à l’enseignement, puis à la fonction support. Cela fait beaucoup de choses à rattraper, et cela occupe mes soirées à l’infini, quand je n’ai pas de réunions municipales, ni d’expertises judiciaires à faire. C’est effrayant tout ce que l’on peut oublier, en particulier dans le domaine des mathématiques…

Ce que je regrette le plus, ce n’est pas la perte de mes tablettes abdominales, ni de ma souplesse, ni de mon énergie, non. Ce que je regrette, c’est la perte de mon employabilité. J’ai une expérience, un savoir-faire, une envie d’apprendre, une envie de découvrir de nouveaux domaines, mais personne ne souhaite embaucher une personne qui a passé 50 ans. Même si j’accepte de redémarrer à zéro dans un domaine connexe (comme dans la sécurité informatique par exemple, voir ce billet sur l’ANSSI).

Pourtant, malgré la rouille de mes méninges, de mes articulations et de mes connaissances techniques, je me sens capable de mettre en place tous les aspects de l’informatique d’une start-up, d’une TPE ou d’une PME ! A moi tout seul, je peux concevoir une infrastructure correctement dimensionnée, gérer le projet de mise en place (du budget à la réception), assurer l’exploitation et le suivi, mettre en place une sécurité « raisonnable ». Idem pour les serveurs, les outils logiciels métiers, les accès à internet, la téléphonie…

Mais simplement en regardant l’âge inscrit sur mon CV ou mon profil LinkedIn, je sens que je suis écarté. C’est ce qui me blesse le plus.

Vieillir, c’est se souvenir d’une époque où l’on pouvait faire des choix. C’est se retrouver coincé sur une route sans carrefour, dont on sait que c’est une impasse et dont on connaît déjà la fin.

Parfois c’est dur…

Omnes vulnerant, ultima necat 
« Toutes blessent, la dernière tue. » Formule affichée sur les
cadrans d’horloge et les cadrans solaires en référence aux heures qui
passent.
Omnia dicta fortiora si dicta Latina 
« Un propos prend plus de force lorsqu’il est dit en latin. »

L’Orange lui va si bien

Dans le cadre professionnel, je gère un abonnement internet pour le logement du gardien de mon entreprise. Il s’agit d’une offre classique Orange pour particulier. Le quartier où je travaille devenant (enfin) une zone éligible à la fibre optique pour les particuliers, je demande l’évolution de l’abonnement Orange vers son homologue survitaminé, toujours chez le même fournisseur d’accès.

Attention, à ce stade du récit, il faut comprendre que sous la présidence de Nicolas Sarkozy, certaines des entreprises « majeures » du marché de l’accès internet se sont partagées le gâteau déploiement de la fibre jusqu’à l’habitant (FTTH). Les découpages géographiques ont fait que je suis en zone « SFR », ce qui signifie que c’est la Société Française du Radiotéléphone (SFR donc) qui investit dans des kilomètres de fibres optiques autour de mon lieu de travail. Et sur mon lieu de travail vit un gardien (dans un logement de fonction), dont je m’occupe de l’accès à internet (suivez un peu ;-).

En cliquant dans l’interface web du site Orange pour confirmer ma demande de passage à « la fibre », je ne me doutais pas de l’enchaînement qui allait suivre…

Pour faire court et ne pas vous noyer dans une masse de détails ubuesques, j’ai successivement reçu des emails d’Orange, des SMS de prises de rendez-vous avec des techniciens sous-traitants de SFR, des coups de téléphone me confirmant les SMS et l’imprécision des horaires de rendez-vous, des emails de confirmation des coups de téléphone, et des emails d’enquêtes de satisfaction client (parce que c’est important pour nos relations) alors que rien n’avançait…

Les techniciens sont pourtant venus trois fois.

A chaque fois, il s’agissait d’une équipe différente et d’une entreprise différente.

A chaque fois, ils n’avaient aucune information, ni sur le dossier, ni sur les suites de la venue de l’équipe précédente…

Le problème est pourtant simple : vu la hauteur des couloirs et la situation des chemins de câbles dans mon entreprise, il faut une NACELLE pour tirer la fibre optique jusqu’au logement du gardien.

Toutes les équipes sont venues avec des échelles, des tabourets, des outils, des tire-câbles, etc., mais pas l’équipement approprié pour travailler en hauteur. L’installation n’a donc pas eu lieu.

Les mois passent, je relance de temps en temps mon dossier par un email aux services commerciaux qui me disent qu’ils vont prendre les choses en main (mais qui ne me disent jamais où ils en sont).

Jusqu’à ce que je reçoive cette lettre d’Orange :

« Suite à la résiliation de votre offre ou option, ou à votre déménagement, […] et conformément à vos conditions contractuelles, nous vous remercions de bien vouloir restituer les équipements mis à votre disposition par Orange […].

A défaut, les frais suivants vous seront facturés : Livebox 100 euros.« 

La résiliation ? Mais quelle résiliation ?

Je transmets le courrier à ma commerciale Orange préférée (commerciale pro) qui me dit qu’elle va s’occuper du dossier…

15 jours après, je reçois un courrier de relance intitulé « Rappel : restitution des équipements mis à votre disposition par Orange« , contenant à peu près les même information, avec du gras sur la date limite de retour du matériel (quand j’écris « avec du gras », je fais allusion évidemment à la graisse en typographie).

Je commence à me demander si je ne vais pas goûter aux joies de la vie communautaire décrite par Piper Chapman

J’appelle le 3900 où je passe successivement avec succès les différentes étapes me permettant d’accéder au graal suprême : l’accès à un être humain. Un être humain du service technique. Pourquoi du service technique, je ne sais pas. J’ai juste dit « internet » à un automate qui me demandait de résumer en une phrase mon problème.

L’être humain me dit qu’il s’agit d’un problème qui ne peut être traité qu’au niveau commercial, et me passe un autre être humain du service commercial. Ils sont donc au moins deux derrière le 3900 de chez Orange, derniers humains non encore automatisés.

Je suis extrêmement poli, calme, à l’écoute et bienveillant, comme je l’apprends en formation au management chez Germe. Et il en fallait de la bienveillance pour écouter ce compagnon en humanité m’expliquer :

« Mais monsieur, c’est tout à fait normal : vous avez reçu un courrier type puisque votre dossier m’indique que SFR refusant l’installation de la fibre, dans votre cas, l’évolution vers l’offre fibre Orange ne peut se faire« .

« Mais vous allez couper l’accès internet ? »

« Non, non, votre abonnement est remis à son offre antérieur. Vous n’avez rien à faire« .

Donc, pour résumer, quelqu’un, dans l’entreprise Orange, planqué bien loin du terrain, s’est dit « c’est compliqué d’ajouter un courrier type couvrant le cas d’une annulation de demande d’évolution d’offre. On va plutôt envoyer le courrier type de retour du matériel avec menace de faire payer 100 euros, c’est pareil »…

Sachant que l’être humain que j’avais au bout du fil, bien qu’arrogant dans ses certitudes (« vous savez monsieur, c’est compliqué la fibre avec toutes les contraintes imposées par la réglementation« ), ne pouvait pas faire grand chose à part me confirmer que je n’avais rien à faire et que mon abonnement antérieur était bien maintenu malgré les deux courriers de demande de restitution du matériel (« mais non, monsieur, je ne peux pas vous le mettre par écrit, mais vous savez c’est bien consigné dans le dossier que j’ai sous les yeux« ).

Je m’attends au pire dans les jours qui viennent, concernant l’abonnement internet de mon gardien. Évidemment, si jamais Orange coupe la ligne, je lui garantis un maintien de l’accès internet via notre liaison pro.

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que je sais qu’il y a dans mon entreprise une fibre Orange, éteinte depuis 10 ans (issue d’un marché gagné par Orange pour la région afin de relier notre école d’ingénieurs à internet). Cette fibre est toujours là. Je connais son cheminement jusqu’à la rue. Elle pourrait être utilisée pour nous relier de nouveau à internet, du moins pour relier le logement du gardien. J’ai montré cette fibre à tous les techniciens qui sont venus sur place, et j’en ai parlé à tous mes interlocuteurs de chez Orange (je n’ai jamais eu à faire à quelqu’un de chez SFR). Personne ne veut l’utiliser. Nous sommes en zone SFR, ce n’est pas le même service, nous ne sommes pas habilités à brancher cette fibre, le diamètre du câble est trop gros pour notre boîtier…)

Et pourtant l’Orange lui allait si bien.

Analyse inforensique simple avec des outils gratuits

Lors d’une discussion avec un Officier de Police Judiciaire, celui-ci me demandait comment faire une analyse de disque dur sans budget logiciel, tout en garantissant un bon niveau d’investigation.

Après avoir pris les précautions d’usage consistant à dire qu’on ne peut pas mener à bien des investigations techniques sans comprendre ce que l’on fait, je me suis dit que je pouvais faire sur ce blog une proposition (SGDZ), même si celle-ci peut éventuellement faire hurler les techniciens les plus pointus sur ces sujets (je trolle un peu aussi à ma manière).

Mon hypothèse de travail va consister à prendre le cas le plus répandu : un ordinateur sous Windows, non chiffré, avec un usage bureautique basique. L’objectif est de trouver un fichier présent sur le disque, éventuellement effacé.

1) Préserver les éléments de preuve au maximum.

Le disque de stockage de l’ordinateur ne doit pas être modifié. Or, un démarrage du système d’exploitation modifie plusieurs informations du disque, modifie des caches, procède éventuellement à des mises à jour, des connexions internet, etc. Il faut donc travailler sur une copie du disque d’origine.

2) Copier les données.

Parmi toutes les manières de procéder à la copie des données du disque de stockage, je vais présenter celle qui me semble la plus simple, même si elle n’est pas sans risque.

Les données sont aujourd’hui de plus en plus stockées sur un disque SSD, ou sur des mémoires flash plus ou moins propriétaires. Il n’est pas toujours facile de démonter le disque de stockage pour le placer sur une plate-forme adaptée, avec bloqueur d’écriture et connecteurs ad hoc.

Il est possible de démarrer l’ordinateur sur une clef USB appropriée, à condition de connaître parfaitement la procédure de démarrage sur clef USB spécifique de l’ordinateur.

Il faut donc se documenter le plus possible (sur internet) sur le modèle d’ordinateur, et sa procédure d’accès au choix du périphérique de démarrage (touche Echap, ou F1, ou F2, ou F11, ou F256, ou Suppr…).

Ma recommandation est de retirer si possible le disque de l’ordinateur et de faire des essais « à vide » pour être sur de démarrer correctement sur la clef USB.

J’utilise une clef USB de démarrage DEFT qui fonctionne pour tous les ordinateurs que j’ai rencontrés pour l’instant. Cette clef a la particularité de protéger tous les disques contre l’écriture (de manière logicielle), en plus de disposer de nombreux outils d’investigation qu’il serait trop long de présenter ici (mais qui sont très intéressant).

Une fois le démarrage sur clef USB DEFT effectué, il ne reste plus qu’à brancher un disque externe de capacité suffisante sur l’ordinateur et d’utiliser la commande dd, ou dd_rescue, ou ddrescue pour effectuer une image bit à bit du disque de stockage. Attention de bien vérifier les noms logiques des devices : il est préférable de savoir bien différencier le disque cible du disque source, surtout qu’il faudra bien passer le disque destiné à contenir l’image en lecture/écriture. Il faut comprendre ce que l’on fait.

Une fois la copie terminée, éteindre l’ordinateur et souffler un peu car le contenu du scellé est préservé (si l’ordinateur n’est pas tombé en panne JUSTE pendant ce moment là, auquel cas, il faudra faire jouer son assurance en responsabilité civile NECESSAIREMENT prise pour ce type d’activité).

3) Analyse des données de la copie.

Chacun est libre du choix de ses outils préférés (GNU/Linux, Windows, FreeBSD, etc.), mais comme la plupart des enquêteurs sont sous Windows, je recommande l’outil gratuit OSFMount qui permet de monter en lecture seule une image dd sous Windows (qui sera attribuée à un lecteur disponible, G: par exemple).

Cela permet de se promener sur le contenu (de l’image) du disque, sans modifier son contenu. Cela permet d’utiliser tous les outils de récupération de données,  tels que Recuva ou PhotoRec, ainsi que la version Windows de The Sleuth Kit (TSK).

Vous pouvez également utiliser tous les outils de la LiberKey, en particulier SearchMyFiles ou Everything.

Conclusion :

Il est possible d’utiliser des outils gratuits pour faire une analyse des données d’un support de stockage. MAIS cela ne dispense pas de SAVOIR ce que l’on fait et oblige à COMPRENDRE les concepts en jeu.

On ne s’improvise donc pas expert informatique.

Par contre, ces outils étant gratuits, ils sont faciles d’accès et permettent à une personne curieuse de s’entraîner, par exemple sur un vieux disque, et parfois de sauver une situation où la sauvegarde est un peu ancienne…

La carte graphique, CUDA et l’expert

Je me suis lancé passionnément dans le calcul parallèle (cf billet précédent). Pour cela, je me suis offert une carte graphique à un prix abordable et que je destine au calcul intensif.

Imaginez mon impatience en attendant la livraison… Le jour J arrive et me voilà en train de démonter ma machine pour y ajouter ce magnifique objet technologique.

A ce stade du récit, il me faut faire un petit rappel : je suis adepte de GNU/Linux depuis de nombreuses années. J’aime tester de nouvelles distributions, j’aime l’univers GNU/Linux, ou FreeBSD. J’ai fait ma thèse sous Domain/OS et HP-UX. J’ai bien connu la distribution Yggdrasil qui était la première sur cédérom, c’est dire si je suis vieux. A titre professionnel, j’ai d’abord choisi Yggdrasil, puis Slackware, puis Red Hat, et enfin depuis de nombreuses années, Debian. A titre privé, j’ai beaucoup aimé Gentoo, puis Ubuntu, pour maintenant utiliser Mint.

La plupart des analyses techniques que je réalise pour mes expertises judiciaires sont faites sous GNU/Linux en utilisant des logiciels en ligne de commande.

Pour autant, j’apprécie la facilité d’installation des distributions GNU/Linux actuelles : il suffit de graver un DVD ou d’utiliser une clef USB et hop, les différents éléments de votre machine sont fonctionnels (en général ;-).

J’aime beaucoup la facilité…

Les plus barbu(e)s d’entre vous se souviennent des heures passées à configurer leur serveur X pour arriver à brancher deux malheureux écrans sur la même carte graphique. C’est un peu là où je vais en (re)venir.

La semaine dernière, lorsque j’ai reçu ma nouvelle carte graphique, j’étais tout excité à l’idée de transformer mon bête ordinateur en bête de calculs parallèles. Après m’être assuré (quand même) que toutes mes données étaient correctement sauvegardées, j’ai démonté ma tour pour y insérer cette nouvelle carte graphique surpuissante.

Premier constat : la carte graphique nécessite une alimentation dédiée, avec un connecteur 8 broches… Affolé, je regarde l’intérieur de ma machine éventrée, et je constate avec joie qu’un connecteur sort de mon boitier d’alimentation avec 6 broches d’un côté et deux de l’autre qui ressemblent fort au truc nécessaire pour faire fonctionner ma carte graphique. Je branche, rien ne fume o/.

Deuxième constat : je dispose de deux emplacements PCI Express me permettant de conserver mon ancienne carte graphique utilisée par mes deux écrans.

Je branche tout ce petit monde et redémarre mon ordinateur. Magie (et travail) de la communauté open source, tout est reconnu par le système d’exploitation, les pilotes par défaut chargés et tout fonctionne parfaitement. Sauf que…

Je ne perds pas de vue mon objectif : faire massivement des calculs. J’ai donc ma carte graphique d’origine sur laquelle sont branchés mes deux écrans, et ma nouvelle carte graphique sur laquelle rien n’est branché et qui va me servir de calculateur GPU. Sauf que…

J’ai soigneusement choisi mon modèle de carte graphique pour qu’elle intègre un GPU Nvidia qui, au moment où j’écris ce billet, est admirablement programmable avec un environnement qui s’appelle CUDA. Avant de casser ma tirelire, j’avais fait quelques essais avec le vieux portable de ma fille (seul appareil de la maison muni d’une carte Nvidia). Sous GNU/Linux Mint, l’installation de l’environnement de développement CUDA se fait très simplement avec la commande « sudo apt-get install cuda ». Après quelques réglages post-installation, me voici donc en train de jouer avec les 1920 cœurs des 15 processeurs graphiques. Je suis aux anges 🙂 Sauf que…

Sous Windows, quand vous installez un nouveau composant ou un nouveau programme, il faut la plupart du temps redémarrer l’ordinateur. Ce n’est pas vrai sous GNU/Linux. J’ai donc pu m’amuser immédiatement pendant plusieurs heures avec mon nouveau jouet avant d’éteindre mon ordinateur.

Mais le lendemain, catastrophe. En démarrant ma machine, plus rien ne fonctionnait. Enfin, « plus rien » non : je n’avais plus d’interface graphique fonctionnelle. Me voici parti pour plusieurs jours de galères « à l’ancienne » pour essayer d’abord de réparer ma configuration graphique, puis pour essayer de comprendre. Comme avant, j’ai écumé les forums, j’ai cherché les tutos, les howto, les manuels correspondant à mon problème…

Pour faire court : je n’ai pas réussi à trouver d’aide.

Oui, je sais. Je suis EXPERT. Je suis EXPERIMENTE (= vieux). Mais non. Je n’ai pas réussi à faire fonctionner deux cartes graphiques (une vieille Radeon et une jeune Nvidia) dont une devait être consacrée à la gestion de mes deux écrans et l’autre à mes calculs massivement parallèles… Le serveur X Windows et les deux pilotes graphiques associés (libres ou propriétaires) ne semblent pas vouloir fonctionner ensembles après redémarrage. Pourtant j’arrive à faire fonctionner l’ensemble AVANT redémarrage…

Je me suis tapé la configuration d’un xorg.conf (fichier qui est sensé avoir disparu).

J’ai abandonné Mint pour installer Ubuntu (comme conseillé par la doc CUDA).

J’ai réussi la configuration avec une seule carte RADEON.

J’ai réussi la configuration avec la seule carte Nvidia.

MAIS je n’ai pas réussi à créer la configuration avec les deux cartes.

Après plusieurs jours de transpiration, j’en suis arrivé à la conclusion suivante : je suis NUL en configuration graphique GNU/Linux.

J’ai donc ravalé ma fierté, retiré ma nouvelle carte graphique, remis ma configuration d’origine GNU/Mint, et j’ai sorti un vieux PC de son placard. J’y ai installé un Ubuntu server tout frais. J’y ai placé ma carte graphique surpuissante. J’ai constaté l’absence d’alimentation dédiée… J’ai acheté cet adaptateur d’alimentation SATA vers carte vidéo PCI Express 8 broches. J’ai attendu trois jours pour la livraison.

Et j’ai maintenant un calculateur dédié aux calculs parallèles.

Je m’y connecte à distance en ssh. Je lui ai consacré un processus de sauvegarde dédié. Il a une place particulière dans mon bureau et dans mon cœur.

Il faut savoir reculer pour mieux avancer.

Avant je programmais un réseau de neurones qui travaillait sur 60 000 exemples d’apprentissage sur plusieurs semaines. Maintenant j’ai 60 000 réseaux de neurones identiques qui travaillent chacun en parallèle sur leur exemple d’apprentissage, en une nuit à une vitesse de folie sur 8 Go de mémoire graphique ultra rapide.

Le rêve d’un vieux chercheur 🙂

Mais cela, c’est une autre histoire.

Deep learning, BFGS, GSL, OpenMP et CUDA

Il m’arrive par moment de renouer avec les travaux de recherche de ma jeunesse : les réseaux de neurones. J’ai d’ailleurs écrit ici même quelques billets sur le sujet, dans une série non terminée.

Je tombe régulièrement sur des articles consacrés au deep learning, nouvelle terminologie à la mode remettant en scène les outils de ma jeunesse. Alors je creuse un peu plus, rebondis de publication en publication, jusqu’à retrousser les manches et ressortir mes vieux rêves.

Bien sur, le temps est passé, et de nombreuses avancées ont eu lieu. Mais si j’ai appris une chose de mes années de jeune chercheur, c’est que tout est possible pour qui s’en donne la peine. Je n’ai donc aucune honte à remettre mes habits d’étudiant et à lire toute une bibliographie sur ces sujets.

J’ai recommencé il y a quelques semaines. Une heure par ci, deux heures par là, prises sur mes soirées et mes week-ends, entre deux occupations plus sérieuses. J’ai commencé à apprendre le langage Python, surtout pour sa simplicité. Je suis loin d’en avoir fait le tour et nous nous apprivoisons doucement.

Il faut dire que j’ai enseigné pendant dix ans le langage C… Et que j’aime beaucoup son côté « proche de la machine ». Je passe donc souvent de Python au langage C, et depuis quinze jours, j’écris et je réécris un ensemble de programmes de simulation de réseaux de neurones et d’optimisation.

Il est vrai que j’ai découvert sur internet beaucoup d’outils extraordinaires, comme par exemple la bibliothèque mathématique GSL avec laquelle je joue beaucoup, en particulier avec la fonction d’optimisation multidimensionnelle gsl_multimin_fdfminimizer_vector_bfgs2 qui implémente l’un des algorithmes d’optimisation avec lequel j’ai le plus travaillé dans ma jeunesse : BFGS.

Mais rien ne vaut l’écriture soi-même d’un tel algorithme d’optimisation. Cela permet d’en comprendre les subtilités, surtout que sa mathématique reste encore à ma portée, et de l’adapter à son problème précis, le tout piloté par une classique recherche linéaire basée sur les conditions de Wolfe et Powell (attention allergiques aux maths s’abstenir ;-). Comme je n’ai pas de problème précis à régler, je joue avec un problème classique de classification de chiffres manuscrits issus de la base de donnée MNIST.

Je suis encore très loin des performances des meilleurs algorithmes, mais au moins, cela me permet de tester quelques idées.

J’ai donc délaissé provisoirement le langage Python pour écrire un programme en langage C et m’amuser avec des tableaux de pointeurs, des allocations de mémoire et du calcul de matrices de grandes tailles.

En effet, l’apprentissage supervisé d’un réseau de neurones consiste à trouver le meilleur jeu de coefficients permettant de minimiser une fonction d’erreurs. Dans le problème qui m’occupe (la reconnaissance de caractères manuscrits), les entrées sont des images 28×28 en 255 niveaux de gris. Cela fait quand même 784 entrées, plus l’entrée constante qui permet de passer d’un espace vectoriel à un espace affine, soit 785 neurones d’entrée.

Ces 785 entrée injectent les pixels dans un réseau de neurones complètement connectés (je n’aime pas les réseaux à couche cachés, j’ai toujours préféré sa généralisation complètement connectée). Le réseau possède une sortie unique, si l’on code la réponse de 0 à 9, ou dix sorties si l’on préfère un codage hypercube (par exemple chaque chiffre sera codé par 9 zéros et un 1 sur sa sortie correspondante : 7=0000000100) qui semble être la représentation privilégiée.

Un réseau typique dans mon cas sera constitué de 785 entrées, N neurones cachés et 10 neurones de sortie. Si N vaut par exemple 25, cela donne 28 025 coefficients à calculer… C’est-à-dire un vecteur gradient à 28 025 composantes et une matrice « approximation de l’inverse du Hessien » de 28 025 x 28 025 termes, soit plus de 785 millions de nombres réels double précision… Il s’agit de ne pas se tromper dans les « malloc » pour éviter les « segmentation faults » !

Je suis en train de tester une version modifiée par mes soins de l’algorithme BFGS où cette grande matrice est remplacée par N matrices plus petites.

Mes programmes sont désespéramment longs dans leurs calculs sur mon pauvre PC perso, un « vieux » i7 à 8 cœurs. Constatant qu’un seul cœur était mis à contribution, je me suis tourné avec un peu d’appréhension vers le calcul parallèle. Et j’ai découvert (ne riez pas) l’interface de programmation OpenMP : quelques lignes de directives bien placées, et hop, le programme utilise les 8 cœurs de ma machine. C’est magique !

Je commence enfin à avoir des résultats corrects avec l’apprentissage de mon réseau de 25 neurones sur ce fichu problème de reconnaissance de chiffres manuscrits.

Les semaines passent, le temps me glisse entre les doigts. J’aimerais bosser un peu la question de l’utilisation de mon GPU à travers la bibliothèque CUDA, surtout que je peux accéder au boulot à une carte NVidia Tesla (pendant quelques minutes, histoire de voir si j’arrive à programmer une multiplication matricielle). Si j’arrive à maîtriser CUDA, alors il me faudra négocier avec Mme Zythom l’achat d’une carte NVidia supportant cette technologie et accessible financièrement (parce que la NVidia Tesla K80 à 7000 euros, ça va pas être possible…)

Encore de longues soirées en perspective, à regarder évoluer les coefficients de mes petits réseaux de neurones…

Ensuite, dès que j’en aurai le courage, je réattaque TensorFlow que j’ai lâchement abandonné en attendant des tutos plus détaillés.

Si mes neurones réels ne flanchent pas d’ici là 😉

La parole aux femmes

How it Works

xkcd.com/385

J’ai trouvé l’idée de Kozlika très intéressante : profiter de ce 8 mars pour relayer ici des articles de blogs écrits par des femmes.

Du coup, j’ai fait le tour de mes sites favoris, et quelques recherches sur internet, sous l’angle « est-ce écrit par une femme ? ».

Il y a dans ma blogroll beaucoup de sites tenus par des femmes (vous trouverez sur le côté droit du blog, version web, tous les sites de ma blogroll). Je voudrais mettre en avant mes préférés :

De bric et de blog tenu par Veuve Tarquine

Judge Marie, tenu par… Judge Marie, juge des enfants et présidente d’audience correctionnelle

Kozeries en dilettante, par Kozlika

Oh Joy Sex Toy (NSFW), tenu par un couple, mais surtout par Erika Moen, qui m’a appris beaucoup de choses, vraiment beaucoup, sur les femmes

Et comme ce 8 mars est l’occasion d’ouvrir mon horizon, j’ai cherché et trouvé les sites suivants, que j’ai ajoutés à mon lecteur de flux RSS :

Le blog de Fatiha, « fan de Linux, open source et développement personnel » que je vous laisse découvrir.

Romy.tetue.net, « conceptrice web UX, parisienne et têtue ».

Comme une Geek, de Julie, « femme qui aime l’informatique, le hacking, les jeux vidéos, les séries TV, le high tech et l’humour ».

– Le blog de Valérie Aurora (en anglais)

Je n’ai pas trouvé de site tenu par une femme dans le domaine de la sécurité informatique, ni dans celui de l’expertise judiciaire informatique 🙁 mais j’ai certainement raté pleins de sites intéressants, donc si vous avez des sites tenus par des femmes à recommander (qui ne sont pas dans ma blogroll), n’hésitez pas à les indiquer en commentaires.

[Edit 08/03/17 10h48]

blog.linuxgrrl.com de Mairin Duffy (via @Jehane_fr)

decentsecurity.com de @SwiftOnSecurity (via @Kozlika)

Et pourtant la journée avait bien commencé

Extrait de https://salemoment.tumblr.com/
avec l’aimable autorisation de l’auteur

Je suis installé devant mon ordinateur et je commence à faire défiler les images.

Ce dimanche matin, je suis tout content de voir que la copie numérique du disque dur, commencée la veille, s’est bien déroulée. Le disque dur original est remis dans le scellé, après avoir pris les photos d’usage du numéro de série, du modèle et de la marque d’icelui.

J’ai sur mon bureau mon cahier papier sur lequel je prends toutes sortes de notes : l’heure où le gendarme m’a amené le scellé, l’heure où j’ai brisé le sceau du scellé, les diverses descriptions physiques que j’en ai fait, les photos que j’ai prises avant et après l’ouverture de l’unité centrale, l’état général de l’intérieur, l’ordre des connecteurs de branchement du disque dur, etc.

Les dernières lignes inscrites sur mon cahier concernent la fin de la prise d’image bit à bit du disque dur d’origine, l’extraction des fichiers encore présents même sous forme de traces, et l’heure de début de mes investigations sur ces fichiers.

J’ai en tête la mission que le magistrat m’a confiée : je dois lui dire si le disque dur contient des images et/ou des films de nature pédopornographique. Je dois également, à titre subsidiaire, signaler tout élément qui pourrait l’intéresser. Non seulement mes compétences techniques l’intéressent, mais aussi mes capacités divinatoires…

Je suis installé devant mon ordinateur et je commence à faire défiler les images. J’ai une sexualité « normale », j’allais dire « banale », une vie tranquille bourgeoise centrée sur l’informatique, les jeux vidéo et la science-fiction. Je mène une existence protégée des atrocités « lointaines », des meurtres, des guerres. Je travaille dans une école d’ingénieurs généralistes comme directeur informatique et technique. J’aime transmettre mes connaissances et ma passion pour l’informatique. Le pire stress que je subis est la pression que je m’inflige pour que les utilisateurs bénéficient du meilleur service possible.

Les images que je regarde sont atroces. Rien ne prépare à ce type de spectacle. Je ferme la porte de mon bureau et demande à mes enfants de ne pas me déranger. Toutes les atrocités humaines défilent sur mon écran : viol d’enfants de moins de 10 ans, actes de tortures filmés pendant les guerres de Yougoslavie, êtres humains enflammés au lance-flamme…

Je trie ces images et ces films en différentes catégories. Mon cerveau se sature de ces scènes tout en « évaluant » le degré d’atrocité. Au bout de trois heures, quelques larmes coulent sur mon visage. Je viens de penser à mes enfants.

Je note l’heure sur mon cahier avec la mention « pause ».

Je prends un temps pour moi.

Il y a des gens qui font des métiers très durs : pompiers, policiers, médecins, etc. Je lis ici ou là qu’ils s’endurcissent avec l’habitude, par force. Ils exercent leurs métiers avec passion et efficacité, malgré les drames qu’ils côtoient.

Je me rends compte que je n’arrive pas à m’endurcir. Que ma sensibilité gène mon activité d’expert judiciaire, du moins sur ce type de mission. Rien ne m’a préparé à cela, et je n’ai pas demandé à l’être. Je sais que bon nombre de confrères qui me lisent sont beaucoup plus forts que moi et arrivent à aller au delà de l’horreur pour se concentrer sur la mission.

Il y a les héros du quotidien, anonymes, qui surmontent leurs angoisses et leurs dégoûts pour le bien de la communauté. Et il y a les autres, dont je fais partie, ceux qui n’arrivent pas à s’habituer.

Je reprends l’analyse des images. L’utilisateur de l’ordinateur collectionne des images qui me terrifient. Je passe d’un cadavre décapité à une enfant au regard triste face à un sexe trop grand pour elle. Je la reconnais et j’en ai déjà parlé ici, il s’agit d’une petite fille qui revient souvent dans les collections pédopornographiques. Je l’ai surnommée Yéléna et elle hante souvent ma mémoire, parfois à des moments les plus saugrenus.

La matinée passe lentement. Je fais une pause repas avec les enfants et mon épouse. J’arrive à faire bonne figure, mais tout le monde sent que je suis un peu « en panne ». J’explique que je suis fatigué et l’excuse passe comme une lettre à la poste. Je n’ose pas parler à mon épouse de ce que je vois. Je reste vague. Elle connaît la mission sur laquelle je travaille et n’insiste pas.

Je me ré-installe devant mon ordinateur et je continue à faire défiler les images. « Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique. On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. » Écrivait Louis-Ferdinand Céline à propos de la guerre dans « Voyage au bout de la nuit ». Comment aurais-je pu me douter de cette horreur en devenant expert judiciaire ?

Et pourtant la journée avait bien commencé avec le succès de la copie numérique du disque dur du scellé. Elle se terminera tard dans la nuit avec le transfert sur DVD des images et des films trouvés, et l’impression de quelques « morceaux choisis » qui feront le cauchemars de la greffière, du juge d’instruction et des avocats qui auront mon rapport entre les mains.

Partager ses cauchemars n’adoucit en rien son propre fardeau.