Un dimanche matin

Je l’observe.

Il tient le fusil fermement.

Nous avançons prudemment, l’un derrière l’autre.

Je suis devant, protecteur, car je suis le plus expérimenté. Mais il apprend vite, et dans quelques temps, c’est moi qui le suivrai difficilement.

Pour l’instant rien ne bouge, mais le silence est trompeur.

Je regarde autour de moi. Quelques cadavres métalliques jonchent le sol, rien de préoccupant.

Soudain tout bascule: des T-7-T « Spiders » se dressent devant nous, avec un impitoyable HK (Hunter-Killers) en arrière plan. Je n’ai plus le temps de gamberger sur le niveau de violence, il faut y aller.

Mon fils a besoin du soutien d’un tir croisé, je réponds présent.

L’affrontement durera quelques minutes. Nous en ressortirons blessés, mais vivants.

Je lui tape dans la main. Il sourit.

C’était une petite scène de complicité masculine devant la Xbox360 ce dimanche matin, entre un père et son fils de 10 ans, jouant avec « Terminator Renaissance ».

Avec la réprobation générale des trois femmes de la maison…

Skynet n’a qu’à bien se tenir.

Le plein de pr0n

Le PC de Jean-Pierre est rempli de fichiers images et films pornographiques. Le problème est que cet ordinateur appartient à l’entreprise REKALL pour laquelle Jean-Pierre travaille. Enfin, « était installé » car le PC est maintenant sous scellé dans mon bureau et Jean-Pierre est en procédure aux Prud’hommes contre REKALL pour licenciement abusif.

Mais revenons un peu en arrière dans le temps.

Jean-Pierre travaille tous les jours sur son ordinateur fixe professionnel, comme beaucoup d’employés de la société REKALL. Il se plaint de temps en temps de la lenteur de son PC, mais comme un peu tout le monde. C’est que son ordinateur n’est pas de toute dernière jeunesse, et les investissements de renouvellement peinent à arriver jusqu’à lui. Mais aujourd’hui, son ordinateur semble avoir rendu l’âme: il n’arrive plus à le faire fonctionner, ni à le redémarrer. Il appelle donc le service informatique de REKALL.

Le service informatique envoie un technicien qui constate la réalité du problème. Après quelques procédures magiques, le technicien constate que le disque dur est plein, entrainant le dysfonctionnement du système d’exploitation. Quelques instants plus tard, le technicien constate la présence d’un répertoire rempli de fichiers pornographiques. C’est le début des ennuis de Jean-Pierre avec la société REKALL: convocation à un entretien préalable, mise à pied puis licenciement.

Tout au long de la procédure, Jean-Pierre nie avoir téléchargé ou introduit les fichiers pornographiques. La société REKALL n’en croit pas un mot et tout le monde se retrouve devant les prud’hommes.

Un expert judiciaire est désigné, avec mission d’analyser le disque dur, d’y trouver trace des éventuels fichiers pornographiques et d’en déterminer la provenance. Me voici avec l’ordinateur affecté à Jean-Pierre par REKALL posé sur mon bureau bien enveloppé dans son scellé. Le week-end s’annonce bien…

Je brise le scellé, déballe l’ordinateur et commence mes investigations.

Ma méthode est toujours la même: je note sur un cahier toutes les opérations que j’effectue, je vérifie la présence physique de tous les supports de mémoire possibles (cédéroms dans les lecteurs, clefs USB, disques SSD, disques durs, etc.), prends des photos avant démontage, note la présence de poussières, la position éventuelle des cavaliers, des nappes de câbles… Dans le cas présent, le dossier technique semble simple: un seul disque dur est branché sur la carte mère. Je procède à son extraction, avec précaution. Je démarre l’ordinateur et inspecte les paramètres du Bios pour relever le décalage horaire avec l’heure exacte de l’horloge parlante. Le bios d’un ordinateur peut révéler parfois des informations très intéressantes. Ici, rien de particulier.

Je branche le disque dur sur mon PC de prise d’image, derrière un bloqueur d’écriture. Puis, je procède à la prise d’image proprement dite, comme décrit ici. Mon NAS personnel se remplit toute la nuit d’une image bit à bit d’environ 500 Go, fidèle copie numérique du disque dur d’origine. Je replace le lendemain le disque dur d’origine dans son PC, non sans l’avoir pris en photo et noté toutes ses caractéristiques (numéro de série, marque, modèle, etc.) sur mon petit cahier papier.Promis, dans quelques années, j’achète un encrier, une plume sergent major et le porte-plume de mon enfance 😉

J’analyse le contenu du disque dur, et sans surprise, je trouve un répertoire intitulé « nvrzkflg » contenant plusieurs centaines de gigaoctets d’images et de films pornographiques. Me voici, porte du bureau fermée, en train de plonger dans ce qui ne constitue effectivement pas des études concernant la prostitution. Je fais le plein de pr0n…

Les fichiers semblent classés par thème, du plus classique au plus exotique, mais certains détails techniques attirent mon attention. L’organisation générale du stockage des fichiers est plutôt curieuse, avec des noms de répertoire d’un seul caractère, et les vidéos sont dans toutes les langues, avec parfois des sous-titres, eux-aussi dans toutes les langues. Je le note en remarque sur mon cahier d’écolier.

Après quelques heures passées à faire le tri, je m’attaque à la question de la provenance de ces fichiers. Jean-Pierre a-t-il abusé de son accès internet, sachant que de toute manière, internet, c’est pour le porno. J’analyse alors les traces de navigation laissées dans les différents caches présents sur le disque dur: rien d’inapproprié. Jean-Pierre a bien effectué quelques courses personnelles sur des sites de VPC, mais rien en rapport avec mes missions. Je recherche des traces d’extractions de fichiers archives compressées (zip, etc.), typique de la manipulation en masse de fichiers, mais là aussi rien de probant: que des documents de la société REKALL.

Je démarre l’image du disque dur dans une machine virtuelle et procède à son analyse avec l’aide de plusieurs antivirus à jour. Bingo! La machine est infectée… Une recherche sur Google m’indique que l’infection en question est un bot d’un cloud de stockage. Autrement dit, le disque dur du pc infecté est relié à un ensemble d’autres ordinateurs (des serveurs de contrôle et d’autres pc infectés) formant une grande zone de stockage à la disposition d’une ou plusieurs personnes. Dans le cas présent, la zone de stockage semble être destinée à de la pornographie.

Pour vérifier mon hypothèse, je relie à internet mon bac à sable où je faisais fonctionner la machine virtuelle, non sans avoir lancé un bon analyseur de trafic réseau.

Je dois dire que j’ai été assez fasciné de voir ma petite machine virtuelle être contactée depuis un ordinateur que j’ai tracé jusqu’à Taïwan (certainement une machine elle-même infectée) et recevoir des commandes à exécuter pour se mettre à jour et faire le plein de pr0n.

Mon rapport a été clair (comme toujours) sur la question: Jean-Pierre pouvait être mis hors de cause. Qui était responsable de sa désagréable situation, l’antivirus inefficace?, non mis à jour?, le service informatique?, heureusement la question ne m’a pas été posée. En tout cas, depuis, je surveille un peu plus les mises à jour des antivirus de mon entreprise, et les comportements suspects de notre parc informatique. Dans une école d’ingénieurs, ce n’est pas toujours facile.

Mais surtout, je n’accuse jamais un utilisateur pour ce que je peux trouver sur son poste de travail.

Demande d’informations

Je suis contacté de manière plus ou moins aléatoire par des étudiants ou des lycéens qui doivent mener à bien un projet plus ou moins en rapport avec l’activité d’expert judiciaire.

Je réponds toujours et de temps en temps, j’en fais un billet pour permettre aux étudiants éventuellement intéressés de profiter aussi des réponses. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué l’exercice, et désolé pour les lecteurs habituels du blog.

1. En quoi consiste exactement votre activité?

La profession que j’exerce, celle qui me nourrit, est responsable informatique et technique dans une école d’ingénieurs. Comme tout professionnel, mes connaissances et savoirs-faire intéressent l’institution judiciaire, qui peut en avoir besoin dans le cadre des affaires qu’elle a à traiter. Pour rendre plus simple le choix d’un professionnel par un magistrat, des listes sont établies auprès des cours d’appel et de la cour de cassation. Être inscrit sur l’une de ces listes fait de vous un « expert judiciaire ».
En pratique, mon activité est de répondre aux questions qu’un magistrat va me poser (que l’on appelle les missions de l’expert judiciaire) par écrit dans un document que l’on appelle un rapport d’expertise.

Dans mon cas, voici quelques exemples de questions:

– L’ordinateur X contient-il des images pédopornographiques?

– A quelle date l’ordinateur a-t-il été utilisé pour envoyer tel email?

– L’entreprise Y a-t-elle fait correctement l’informatisation de sa cliente Z?

2. Quel est votre revenu moyen?

Mon revenu moyen dépend du nombre d’expertises judiciaires que l’on va me confier. Certaines années, j’ai eu zéro dossier, et donc zéro entrée d’argent. Et pourtant, ces années là, j’ai du payer des charges sociales (forfaitaires), des abonnements logiciels spécifiques, des journées de formation, une assurance en responsabilité… Sinon, une expertise moyenne me prend environ 100 heures de travail, facturée 20 heures à 90 TTC euros de l’heure, soit 1800 euros.

3. Êtes-vous souvent demandé pour exercer votre activité?

Sur les dix dernières années, j’ai été missionné une cinquantaine de fois.

4. Pour chaque métier il y a des avantages et des inconvénients. Pouvez-vous en citer quelques-uns?

 L’activité d’expert judiciaire n’est pas un métier. Vous devez avoir un vrai métier pour intéresser la justice, et être missionné de manière ponctuelle. Un expert judiciaire est un « collaborateur occasionnel du juge ». Néanmoins, je peux donner de manière très subjective quelques avantages et inconvénients, vus de ma fenêtre personnelle:

Avantages:

– prestige

– fierté de concourir à l’œuvre de justice

– pouvoir travailler dans le domaine de mon épouse avocate

– travailler aux côtés de personnes de grandes valeurs (magistrats, avocats, OPJ…)

Inconvénients:

– risques et responsabilités importants

– faible rémunération

– paiement des frais engagés parfois avec deux années de retard

– charge de travail qui s’ajoute à celle du métier normal

– complexité administrative (impôts, sécurité sociale…)

– pénibilité de certains dossiers (pédopornographie, crimes contre l’humanité, suicides, etc.)

5. Quelles sont les qualités nécessaires?

C’est une question difficile. A mon avis, il faut aimer son travail, vouloir progresser sans compter ses heures, et avoir le sens du service public.

6. Qu’avez-vous fait comme études?

Ingénieur en informatique industriel et docteur en intelligence artificielle.

7. Depuis combien de temps êtes-vous expert judiciaire?

Depuis 13 ans.

8. Qu’est ce qui vous a amené à devenir un expert judiciaire?

J’aidais mon épouse à comprendre un rapport d’expertise judiciaire informatique dans un de ses dossiers. Le rapport était clair et simple pour moi, mais compliqué et obscur pour les juristes. Cela m’a donné envie de mettre mes compétences d’enseignant-chercheur au service de la justice.

Voilà, j’espère avoir répondu à votre attente et vous souhaite toute la réussite pour votre projet.

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L’image provient d’une campagne de publicité pour un site d’emploi. Le slogan est « la vie est trop courte pour occuper le mauvais emploi ». Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

La salle de contrôle

J’ai toujours rêvé d’aller dans l’espace. Ma jeunesse a été bercée par les premiers hommes sur la lune (j’avais 5 ans en juillet 1969) et nombreux étaient ceux qui pensaient alors que l’espace serait accessible au plus grand nombre en « l’an 2000 ». Ayant atteint l’âge mûr sans voir le commun des mortels aller dans l’espace, j’ai tenté ma chance autrement, comme vous pourrez le constater si vous cliquez sur les différents liens présents dans ce billet.

En juin 2007, l’agence spatiale européenne a lancé une vague de recrutement de spationautes. Malgré mes chances infimes, et pour ne pas le regretter toute ma vie, j’ai postulé. J’en ai parlé ici-même. J’ai même fait 100 km pour trouver un médecin agréé JAR-FCL 3 Class 2, tel que demandé par le dossier de candidature… Mes chances n’étaient pas nulles, car je suis ingénieur généraliste, informaticien, spéléologue, sportif, bricoleur, marié avec trois enfants et prêt à vendre père, mère, femme et enfants pour un aller simple vers Mars. Je suis même enthousiaste pour y vivre dans une cavité à 1000 m sous la surface, à une pression atmosphérique et des températures acceptables et protégé des rayonnements solaires.

Je vous ai même déjà raconté mon voyage et ma vie dans de telles conditions…

Une fois mon dossier complet, en juin 2008, je me suis mis à rêver de plus en plus. Hélas, ma candidature n’a pas franchi la 1ère étape

J’ai ensuite essayé de participer à la mission « Mars 500 », mais sans plus de succès… Jusqu’au projet « Mars 2020 » !!!

En attendant, je travaille dur pour devenir multimilliardaire et me payer un ticket de « touriste » spatial. Tout le monde n’a pas le talent du dessinateur Boulet pour être invité à un vol parabolique zéro G

Mais quand j’ai vu passer sur Twitter la possibilité d’être retenu pour un live tweet au centre spatial de Toulouse, je me suis dit: « pourquoi pas moi? » et j’ai tenté ma chance. Et là, bingo! j’ai été retenu parmi les 60 heureux élus.

La deuxième étape a été de convaincre les services communications de l’ESA et du CNES qu’il était possible de venir twitter sous pseudonyme sans que mon identité soit révélée ailleurs qu’à la sécurité de l’entrée du centre spatial. Je dois dire que l’organisatrice du tweetup s’est démenée pour moi et a parfaitement su adapter les procédures ESA/CNES pour me permettre de participer. Je tiens à la remercier Séverine Klein du CNES chaleureusement pour cela.

L’objet du tweetup était de réunir un groupe de geeks passionnés d’espace à l’occasion de l’amarrage du cargo spatial européen à la station spatiale internationale. J’avais déjà suivi en direct sur internet l’amarrage du 1er cargo européen dont j’avais brièvement parlé ici.

Cette fois-ci, le CNES et l’ESA proposaient aux participants sélectionnés de venir à Toulouse voir la salle de contrôle et assister à l’amarrage, étant entendu que chaque participant gère lui-même son voyage et son hébergement, et que les services comm s’occupent de tout le reste: accueil, autorisations d’entrée dans le centre spatial, connexion wifi, tables et rallonges électriques, buffets, cafés, etc.

Après plusieurs heures de route vers Toulouse, me voici garé devant le CNES avec une heure d’avance sur le rendez-vous. Bien sûr, en touriste passionné, je me suis mis à mitrailler avec mon appareil photo l’entrée du centre spatial avant d’être gentiment rappelé à l’ordre par les agents de sécurité de l’entrée qui m’ont montré avec calme tous les panneaux rouges vifs interdisant les photos. Ils n’ont pas rigolé quand je leur ai dit que je venais faire un live tweet de l’ATV et que j’allais prendre plein de photos à l’intérieur. Heureusement, le service comm est arrivé avant que je ne me retrouve en slip.

Tout le groupe de twittos était à l’heure et chacun s’est présenté rapidement aux autres, avec un micro et en anglais. Parmi les participants au tweetup, il y avait entre autres, des français, des allemands, des italiens, des espagnols, des américains, des brésiliens et des japonais. L’ambiance était très décontractées et surtout très… geek. J’avais chaussé mes lunettes spéciales « anonymat » pour les photos, et tout le monde venait me voir pensant à des lunettes de réalité virtuelle. Bonjour la discrétion 😉

La soirée s’est poursuivie avec des discours des pontes de l’ESA et du CNES. Le clou a été l’intervention du spationaute italien Paolo Nespoli qui nous a passionné avec ses anecdotes vécues à bord de la station spatiale internationale.

La nuit a été dense en activités, et d’autres que moi le racontent très bien. Un wiki a même été créé pour l’occasion.

Moi j’attendais avec impatience la visite du centre de contrôle. Je n’ai pas été déçu. Plutôt que des mots, je vous propose de découvrir toutes les photos que j’ai faites sur mon album flickr.

Quelques extraits:

La salle de contrôle

Gros plan sur le poste de la directrice de mission

POLAR: Flight Control and GNC Systems Monitoring

Ecran général de la salle de contrôle

Le spationaute italien Paolo Nespoli

A 7 mn de l’arrimage…

J’en ai encore plein les yeux, et la tête dans les étoiles 🙂

Etrange étranger

Depuis longtemps, les écoles d’ingénieurs se sont ouvertes aux étudiants étrangers. Pour propager la connaissance pour lutter contre l’obscurantisme, ou tout simplement parce que le partage du savoir est consubstantiel à la notion même de recherche et d’avancée scientifique.

Cela nécessite une curiosité de l’autre, le développement d’une interculturalité qui n’est pas toujours évidente. On ne peut pas dire à un étudiant: « tu es étranger et donc tu dois t’adapter et t’intégrer ». C’est nier l’apport de la différence, l’attrait du raisonnement « autre ». En peinture, on appelle « lumière étrangère », une lumière différente de la principale, et ménagée artistement pour le bon effet du tableau. Il en va de même pour un étudiant étranger dans un groupe d’étudiants français. Il ne doit pas devenir comme les autres, il doit s’intéresser aux autres et les autres à lui.

C’est vrai, et c’est ce qui est passionnant, que l’étranger surprend souvent. Le mot « étrange » est si proche du mot « étranger » que le Littré nous indique que les deux mots ont été primitivement synonymes. Aujourd’hui ils sont distincts, et signifient, l’un ce qui est hors des conditions naturelles, l’autre ce qui est hors de la nation, du pays. Dans le figuré, les significations se rapprochent beaucoup; cependant elles ne se confondent pas complétement.

C’est pourquoi, je vous demande de rester dignes, comme j’ai su l’être, devant l’anecdote suivante…

L’été, alors que les étudiants sont en vacances stage, l’école prête parfois ses locaux à des organismes de formation qui ont pour but l’enseignement du français à des étrangers.

La responsable de l’équipe de nettoyage de l’école arrive affolée dans mon bureau: Monsieur Zythom, Monsieur Zythom, venez voir, suivez moi, je n’en peux plus, il y a des étudiants qui nous ont fait une blague que je n’admets pas, un manque de respect, un manque de respect total. C’est incroyable, je n’ai jamais vu ça! Venez voir, suivez-moi…

En tant que responsable informatique, technique, hygiène, sécurité, espaces verts, etc., me voilà en train de courir dans les couloirs en me demandant ce que je vais encore trouver comme nouveau désastre à mettre au crédit de l’imagination débordante des étudiants.

La responsable de l’équipe de nettoyage me fait entrer dans les toilettes des femmes.

J’entre dans ce lieu mythique que peu d’hommes peuvent se vanter avoir vu. Il y règne un ordre et une propreté étrangers aux lieux fréquentés symétriquement par les hommes. Mais rien d’autre d’étrange ne me saute aux yeux. Ah!, si, une odeur s’insinue par mes narines, et identifiée aussitôt par mon cerveau à la mémoire associative aiguisée: l’odeur caractéristique des excréments humains… La responsable ouvre alors les portes des cabinets de toilette et je découvre ahuri à côté de chaque siège, par terre, un magnifique tas de papiers hygiéniques usagés responsables de cette odeur bien peu hygiénique.

Je regarde la responsable toujours rouge de colère. Je lui explique que nous sommes en été, il n’y a plus d’étudiants dans l’école et que je ne vois pas qui aurait pu faire cette curieuse blague.

Elle me dit alors cette phrase étrange: « ça doit être les étrangers! ».

Un déclic se fait dans mon cerveau et je lui réponds que je vais me renseigner. Me voilà à la recherche de la personne responsable de l’organisme donnant les cours de français. J’arrive à la contacter par téléphone et lui fait part de mon problème un peu particulier. Je l’entends rire au téléphone et m’expliquer la chose suivante:

Depuis hier, le groupe d’étrangers suivant les cours est un groupe de femmes venant d’un pays d’Afrique où l’eau est une denrée très rare. Il ne leur est pas venu à l’esprit qu’en France, nous utilisons de grande quantité d’eau pour évacuer, non seulement nos excréments, mais également le délicat et doux papier triple épaisseur qui va avec.

Pour en avoir parlé ensuite avec elles, elles utilisaient bien la chasse d’eau, en riant devant cette débauche de luxe, mais déposaient délicatement le papier hygiénique à côté du siège, ne sachant pas quoi en faire. Elles m’ont d’ailleurs avoué leur surprise devant ce manque d’hygiène, car chez elles, il y a un récipient prévu pour cela…

Amusements réciproques et blagues universelles ont accueillis des explications bienvenues. La responsable de l’équipe de nettoyage a soupiré en disant « je préfère ça. Je croyais qu’on m’avait fait une blague ». Un mois plus tard, elle recevait en cadeau d’adieu des étudiantes une magnifique robe traditionnelle multicolore. Elle m’en parle encore aujourd’hui. J’ai depuis demandé à l’organisme d’ajouter une petite explication sur les usages en vigueur dans les « lieux d’aisance ».

J’en ai discuté également avec un ami qui s’est trouvé dans une situation similaire au Japon où les toilettes (privées et publiques) disposent de jet d’eau et de séchoir, considérés comme étant plus hygiéniques que le papier toilette. Le siège des toilettes de l’entreprise qu’il visitait était muni d’une télécommande avec une dizaine de boutons et un mode d’emploi en japonais…

« Laisse parler ton coeur, interroge les visages, n’écoute par les langues… » écrivait Umberto Eco dans « Le nom de la Rose ».

Les étrangers sont des gens étranges.

Lettre ouverte aux candidats des présidentielles 2012

La Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA) et l’Union des Jeunes Avocats de Paris (UJA) ont créé en partenariat avec l’Union Syndicale de la Magistrature (USM), l’Association des Jeunes Magistrats (AJM) et le Conseil National des Barreaux (CNB) le site justice2012.org afin qu’il devienne une caisse de résonance des préoccupations des professionnels de la justice.

Je leur ai adressé ma contribution qu’ils ont acceptée de publier sur leur site et je les en remercie. Je vous invite à aller la lire, ainsi que les autres contributions.

Je reproduis mon texte ici pour archivage.

Notez qu’il s’agit d’une opinion personnelle qui n’engage que moi, et non l’ensemble des experts judiciaires de France.

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Madame, Monsieur le candidat à la magistrature suprême,

L’expert judiciaire est un citoyen amené à collaborer de manière occasionnelle avec la justice. Il peut donc porter un regard extérieur au fonctionnement de cette institution.

La notion de justice est fortement polysémique et il est intéressant de constater qu’en période électorale, les différents sens du mot justice sont souvent utilisés de manière interchangeable, entretenant ainsi auprès des électeurs une certaine confusion.

Le citoyen que je suis est tout d’abord attaché à l’idée de justice pour tous, et le mot fait alors référence au principe moral qui exige le respect du Droit et de l’équité. Les français sont très sensibles au 2e mot de la devise de notre république et beaucoup s’étonnent du coût qu’ils doivent supporter pour accéder au service public de la justice, aggravé depuis la mise en place d’un droit de timbre. Que dire des parties qui font face à l’avance du coût d’une expertise judiciaire?

Cela amène à réfléchir au périmètre de la Justice, le mot étant cette fois pris au sens de l’institution responsable de son application. La Justice en tant qu’institution regroupe des professionnels du Droit en charge de son interprétation. Elle traite des conflits de plus en plus nombreux qui nécessitent l’intervention extérieure de professionnels chargés de donner des avis sur des questions techniques: les experts judiciaires. La société doit prendre en charge cette soif d’accès du citoyen à la Vérité qui nécessite souvent des moyens scientifiques, des savoir-faire techniques qui ne relèvent pas des personnels de l’institution judiciaire.

Les femmes et hommes politiques doivent prendre conscience du besoin de justice du citoyen et des nécessaires moyens de l’institution judiciaire pour pouvoir y répondre.

Demander justice à la Justice pour que la société nous fasse justice…

Bien évidemment, et tous les indicateurs le montrent, en particulier par comparaison aux autres pays européens, le problème principal de la Justice en France est un problème de moyens: pas assez de magistrats, pas assez de greffiers, pas assez d’officiers de police judiciaire…

Ce manque flagrant de moyens se traduit également par le paiement en retard des fournisseurs de l’institution judiciaire, y compris des fournisseurs de service que sont les experts judiciaires. Mesdames et Messieurs les candidats à la magistrature suprême, savez-vous qu’un professionnel qui est considéré comme « très compétent dans sa matière et chargé par un juge, dans le cadre d’une affaire judiciaire, de donner son avis sur des questions techniques » peut être remboursé des dépenses qu’il a engagées, et payé pour son savoir ou son savoir-faire, plus de deux années après son intervention?

Quel salarié, quel artisan, quelle entreprise accepte d’être payé avec deux ans de retard?

Je comprends qu’il soit possible de considérer que la collaboration occasionnelle avec l’institution judiciaire de citoyens sélectionnés pour leurs connaissances techniques devrait être un acte gratuit et bénévole. L’inscription sur les listes d’experts judiciaires serait alors suffisamment gratifiante en tant que telle pour que cet honneur comble le citoyen méritant. Une sorte de légion d’honneur de l’expertise judiciaire, sans rente annuelle ni maison d’éducation pour la descendance féminine… Je crains néanmoins qu’une certaine frilosité s’empare de ses récipiendaires lorsqu’ils auront à faire face à un investissement particulièrement onéreux (investissement en temps ou en moyens) rendu nécessaire par certaines investigations.

Il est temps que les femmes et hommes politiques mettent l’institution judiciaire au centre de leurs préoccupations et lui donne l’indépendance et les moyens nécessaires à son rôle: rendre la justice.

Et ce sera justice.

Zythom

Blogueur informaticien expert judiciaire

320 kg d’explosifs

C’est le petit matin. Nous sommes huit à nous activer sous les regards attentifs des encadrants. Des trous ont été creusés la veille: un pour chacun d’entre nous.

Mon trou fait environ 10 cm de diamètre (à peu près la taille d’un DVD) et 10 m de profondeur. J’inspecte le contour parfaitement rond et retire les quelques cailloux qui risquent de tomber. Je regarde autour de moi: mes voisins les plus proches sont à quatre mètres de moi. Nous sommes tous tendus.

Je ne vois pas le fond du trou, trop sombre, mais je suppose et espère que les parois sont suffisamment lisses pour ce que je m’apprête à faire. Je me dirige vers le responsable de la carrière et lui demande mon bâton de dynamite. En fait de bâton, cela ressemble plutôt à un paquet de café bien cylindrique. Le « paquet » fait un kilo. Je le manipule avec précaution. C’est la première fois que je tiens autant d’explosifs dans les mains. Je prends également le détonateur électrique et son long fil de 15 m.

Je me redirige vers mon trou. Je regarde où je marche. Mes gestes sont précis, mais j’ai la peur au ventre. Je sais que si je tombe, il y a très peu de chance pour que mon pain de dynamite n’explose, mais je manque d’expérience, et ma semaine de formation me semble si courte.

J’enfonce le détonateur dans le pain de dynamite, j’enroule le fil électrique autour du pain pour pouvoir le soulever et je l’introduis dans le trou creusé dans le sol. Mon corps est un peu en retrait, juste au cas où, pendant que je laisse filer la dynamite au fond. Le pain a un diamètre légèrement inférieur à celui du trou, ce qui comprime l’air situé au dessous et amortit le « choc » de l’arrivée au fond. Je me sens comme l’ancien servant de mortier du XVIIe siècle…

Le pain de dynamite est en place au fond du trou. Je pose le fil électrique par terre et j’essuie un peu la sueur de mon front.

Je retourne voir le responsable de la carrière pour prendre mes sacs de nitrate-fuel. Ce sont des granulés très stables, qui pour exploser nécessitent une grande onde de choc. D’où la présence de mon pain de dynamite d’un kilo, lui même amorcé par un détonateur électrique contenant un gramme de pentrite. Il paraît que certains agriculteurs fabriquent eux-même les nitrates-fuel avec de l’engrais mélangé à du gazoil dans une bétonnière. Il paraît aussi qu’un mauvais mélange fait sauter parfois la bétonnière…

Je remplis mon trou avec mes granulés de nitrate-fuel. J’y déverse plusieurs sacs. Environ 40 kg d’explosifs…

C’est le dernier jour du stage d’une semaine pour devenir artificier. C’est le jour de l’examen pour obtenir le Certificat d’Aptitude au Tir. Huit candidats toujours en lice, huit trous, 320 kg d’explosifs.

Les examinateurs nous réunissent pour faire leurs critiques et corrections. Ils doivent désigner l’un d’entre nous pour effectuer le tir. C’est moi qu’ils choisissent. Je jubile.

Tout le monde s’écarte à une distance respectable des trous remplis d’explosifs. Je me retrouve seul avec un instructeur. Je passe d’un trou à un autre pour vérifier les fils électriques et les branchements. L’un des examinateurs a débranché discrètement des fils pendant le débriefing. Je corrige les défauts. J’annonce à l’instructeur que la mise à feu est possible. Il hoche la tête et coche une case sur sa grille d’évaluation.

Je branche ma ligne de tir sur le système et la déroule méticuleusement jusqu’au poste de mise à feu, 50 m en arrière de ce morceau de falaise au sommet de laquelle je me trouve et que je m’apprête à pulvériser. Ces cinquante mètres me semblent très courts…

Je branche le système de mise à feu que l’on appelle, je viens juste de l’apprendre pendant le stage, un exploseur. Le modèle que je vais utiliser est à manivelle. Une fois les fils électriques branchés, il suffit de tourner la manivelle pour charger un condensateur électrique qui va d’un seul coup se décharger et déclencher l’explosion. L’inconvénient est que je ne sais pas du tout au bout de combien de tours de manivelle l’explosion va se produire.

Tout le monde est à l’abri, enfin presque, car je me sens très proche des explosifs. La présence à mes côtés de deux instructeurs me rassure un peu. La petite route voisine vient d’être coupée. La sirène d’avertissement « tir imminent » vient juste de retentir. Elle a fait taire les oiseaux. Toute la carrière est silencieuse. Conformément aux consignes de sécurité, je suis débout. J’ouvre la bouche pour protéger mes tympans comme on m’a dit de le faire. Je lève la tête pour regarder le spectacle. Je tourne la manivelle, un tour, deux tours, trois…

L’adrénaline fait se dérouler la scène au ralenti: dans un vacarme assourdissant, je vois la falaise se soulever légèrement, puis s’écarter de la nouvelle falaise ainsi créée et s’effondrer dans un nuage de poussières.

C’est magnifique. Grandiose.

Je vois les deux instructeurs qui se trouvaient à mes côtés courir vers un bulldozer proche de nous. Ils me crient de les rejoindre. Je suis occupé à regarder, bouche déjà bée, des blocs de pierre monter vers le ciel: l’un des trous a fait canon. La ligne de fracture de la falaise, malgré le choix de détonateurs à retards différents, n’a pas été parfaite et la roche autour d’un trou a résisté quelques millisecondes, formant ainsi un canon dirigé à la verticale.

Mon cerveau, tout occupé à l’admiration du spectacle, n’a pas intégré immédiatement le fait que tous les blocs que je voyais monter dans le ciel, allaient finir par redescendre…

Je finis par bouger, mais je n’ai pas le temps de rejoindre sous le bulldozer les instructeurs. Je suis près d’eux, bien droit sous mon casque de chantier. Les blocs tombent autour de moi. L’un d’eux me fait dans le dos une estafilade que j’ai gardée longtemps en souvenir. Un bloc traverse la route devant les yeux médusés des conducteurs des voitures arrêtées qui râlaient quelques minutes plus tôt contre cette barrière abaissée.

Jamais plus, dans toute ma vie, je ne pense avoir à faire sauter autant d’explosifs d’un seul coup. Mais je me souviendrai longtemps encore de cette matinée en carrière, de cet examen final de mon certificat d’aptitude au tir, qui m’a permis de devenir artificier spéléologue.

J’espère simplement ne jamais avoir à m’en servir sous terre pour dégager un blessé.

L’entretien

L’école d’ingénieurs dans laquelle je travaille comme responsable informatique et technique recrute sur concours écrits et épreuves orales. Parmi les épreuves orales, une épreuve un peu redoutée par les candidats: l’entretien de motivation. C’est cette épreuve à laquelle je participe depuis plus de 17 ans maintenant.

Je suis moi-même un pur produit de la machine infernale que l’on appelle « les classes préparatoires aux grandes écoles ». J’y ai appris à travailler « vite et bien ». J’y ai appris un nombre de choses colossales en mathématiques théoriques et en physique et j’y ai épuisé trois des plus belles années de ma jeunesse. J’ai un regard mitigé sur ce système de formation depuis que je travaille dans une école d’ingénieurs en cinq ans, post bac, généraliste et sans classe prépa intégrée. Mais mon propos n’est pas là.

La question que l’on se pose lors du recrutement des étudiants est la suivante: « cette personne va-t-elle devenir un bon ingénieur? ». Pour répondre à cette question, il faut s’en poser beaucoup d’autres: « A-t-elle la capacité de travail suffisante? », « A-t-elle les capacités intellectuelles? », « A-t-elle le savoir-être et si non peut-elle l’acquérir? », « Sait-elle travailler en équipe et si non sera-t-elle apprendre à le faire? », etc. A toutes ces questions difficiles s’ajoute le fait que nos candidats ont à peine 18 ans pour ceux qui sont en terminale S, et 20 ans pour ceux qui veulent intégrer l’école en 3e année.

Les éléments pour évaluer un « bon » candidat se limitent à un dossier scolaire, des notes à des épreuves écrites et des notes à des épreuves orales… et parmi ces épreuves orales, l’entretien de motivation.

1) Jessica 17 ans

Je viens chercher le candidat suivant qui attend dans le couloir. C’est une jeune fille qui s’appelle Jessica. Je lui serre la main. Elle a l’air surprise par mon geste. Comme dans un restaurant, je la précède dans la salle pour qu’elle me suive. Je lui indique la place qu’elle doit occuper. Elle s’assoit. Je m’assois en face d’elle. Je commence à parler immédiatement pour ne pas laisser monter plus haut la pression.

« Notre entretien va durer environ 1/2h. Je vous propose de le découper en trois parties: vous allez vous présenter comme dans un CV, je vais vous poser des questions pour préciser votre parcours et vous pourrez me poser des questions sur l’école afin de savoir où vous souhaitez mettre les pieds. »

Jessica est tendue. Son niveau de stress est au maximum. Elle ouvre la bouche, la referme. Son visage est très blanc. Elle baisse les yeux et se met à pleurer en silence. Malaise…

J’ai toujours un stock de mouchoirs en papier pour cette occasion, je lui en tends un. Je prends ma voix la plus gentille possible. « Vous savez, je sais quelle tension vous subissez. C’est normal et cela n’a aucune importance à mes yeux que cela vous mette dans cet état. Nous avons tout notre temps et je vais vous aider à improviser votre présentation. D’accord? »

Jessica hoche la tête. Elle lève les yeux et me regarde derrière ses larmes. Je lui souris. Je lui laisse du temps pour faire redescendre son taux d’adrénaline. Je passe directement à la phase des questions sur son parcours afin de l’aider à établir son CV. Au fur et à mesure de ses réponses, elle reprend des couleurs et son discours s’affirme.

En fin d’entretien, je lui explique qu’elle aura toute sa scolarité, chez nous ou dans une autre école (je ne suis pas le seul évaluateur à intervenir dans le recrutement d’une personne et heureusement), pour apprendre à maitriser son émotivité, que ce n’est pas un défaut à son âge et qu’il serait aberrant d’en tenir compte lors d’un recrutement. Elle semble rassurée. A part cet incident, l’entretien s’est très bien déroulé.

Jessica sera reçue et réussira toute sa scolarité dans le premier 1/3 de sa promotion. Elle est ingénieur dans une grande entreprise du domaine spatial et dirige une équipe de 30 personnes aujourd’hui. Elle se souvient avec humour de son entretien avec moi.

2) Paul 20 ans

Paul est en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dans un lycée réputé. Il vient de finir l’épreuve orale de mathématiques juste avant de passer avec moi. Il est détendu car elle s’est bien déroulée. Il est curieux de cet entretien de motivation. Il me pose la question du rôle de l’entretien.

Je lui explique que le but est de mieux le connaître et surtout qu’il puisse expliquer et justifier les éventuels problèmes ou difficultés qu’il a pu rencontrer et qui pourraient se traduire dans son dossier par des notes peu reluisantes. Je lui explique que je ne connais pas son dossier, que c’est fait exprès pour ne pas avoir d’a priori, que c’est un autre groupe de personnes qui va l’étudier et m’interroger ensuite sur les éventuelles zones d’ombres et qu’il serait bien qu’il me donne des éléments pour que je puisse répondre.

Je lui explique qu’il est donc libre de me parler de lui en forçant ses qualités pour se mettre en valeur, mais que si son dossier possède des failles dont il ne me parle pas, je ne pourrai pas l’amener sur ce sujet (ne connaissant pas son dossier) et ne pourrai pas répondre à mes collègues lors de leurs questionnements.

Paul est un peu dépité. Il réfléchit. Rapidement.

Puis Paul m’explique ses difficultés à s’intégrer dans sa classe lors de sa première année de maths sup’, la compétition, le manque de solidarité. Il a eu des notes minables en maths et en physique lors de son 1er trimestre. Il a failli abandonner à Noël. Il s’est accroché, il a progressé chaque trimestre. Il est passé tout juste en 2e année (maths spé’), a continué sa progression, a changé sa méthode de travail. Il a travaillé dur et pour l’instant, tous les concours se passent plutôt bien.

Au fur et à mesure que l’entretien se passe, j’ai l’impression de parler à mon moi d’il y a 25 ans. Je me sens proche de Paul. J’essaye quand même de remplir sa grille d’évaluation le plus objectivement possible.

Paul sera pris à l’école, mais préfèrera choisir une école à son avis plus prestigieuse. J’espère qu’il suit une carrière qui correspond à ses aspirations et qu’il est heureux.

3) Alia 18 ans

Les parents recommandent souvent à leurs enfants une tenue vestimentaire sobre pour passer des oraux de concours. J’ai parfois même des candidats qui arrivent en costard, ce que l’on appelait quand j’étais petit « la tenue du dimanche ».

Alia est arrivée, elle, avec une tenue du samedi soir: robe mettant en avant valeur tous ses atouts, coiffure sophistiquée, déplacement dans la salle modifiant toutes les constantes de temps…

J’ai cette capacité si rare chez les hommes de pouvoir garder mon regard fixé sur les yeux de mon vis à vis sans glisser inexorablement dans les profondeurs d’un décolleté de type Krubera-Voronja.

Alia jouera tout l’entretien sur le mode de la séduction. Mon rôle est évidemment de ne pas en tenir compte et de rester neutre sur ce plan. J’explique les objectifs de l’entretien, je me tiens à mon rôle d’observateur: « Alia peut-elle devenir un bon ingénieur? ».

Je ne suis pas psychologue, je reste un scientifique, un chercheur, une personne curieuse de l’évolution technologique. Mais je ne suis pas dans une tour d’ivoire, je gère un service informatique qui dépanne, entretient, innove, investit, effectue des paris sur l’avenir et se frotte au quotidien des utilisateurs avec l’envie de l’améliorer. Je connais un peu l’âme humaine, et ses différentes facettes. Je pose donc à Alia une question classique de ce type d’entretien: « Alia, pourriez-vous me citer 3 de vos qualités? ». Alia me répond immédiatement et avec entrain trois qualités, et même une quatrième.

« Maintenant, Alia, je suppose que vous imaginez ma question suivante? »

« Heu, je pense que vous voudriez que je vous donne trois de mes défauts… »

« Allez-y »

Tout aussi rapidement, elle m’a expliqué trois de ses défauts (et même un quatrième ;-). Et pas des défauts passe-partout comme la curiosité ou la gourmandise, non, des vrais bons gros défauts: « Je suis paresseuse, arriviste et mes amis me trouvent chiante! Et puis, c’est mon père qui veut que je devienne ingénieur. »

Au moins a-t-elle joué sur le registre de la franchise. Je me fiche bien de ses défauts, mais je ne peux comprendre qu’une motivation provienne exclusivement du désir des parents.

Alia a intégré une autre école. Je ne sais pas si elle est allé jusqu’au bout où si elle a fini par trouver sa voie propre et/ou son bonheur. J’ai un ami qui, après avoir fini ses études d’ingénieurs et diplôme en poche, s’est inscrit aux beaux-arts en me disant: « J’ai fais plaisir à mes parents, maintenant je vais me faire plaisir et tenter de réaliser mon rêve. » Je pense parfois à lui, et à Alia.

4) Vladimir 21 ans

Vladimir impressionne par sa taille… et sa coiffure particulière: tête rasée très très court et deux petites cornes de cheveux en tirebouchon. Il ressemble à un diable moderne. Je ne bronche pas et le regarde droit dans les yeux, exerçant ma vision périphérique comme avec Alia.

Vladimir est un étudiant brillant d’IUT, il est premier de sa promotion. L’entretien se déroule correctement, et je découvre une personne à l’aise dans sa vie personnelle, curieux d’apprendre, vif et tourné vers les autres.

J’ai plutôt l’habitude d’avoir à mener l’entretien, en posant des questions, en relançant le débat, en creusant un point qui me semble obscur, en mettant en évidence des incohérences dans les réponses. Avec Vladimir, la prise des commandes était réciproque, il me posait des questions sur l’école, sur le métier de l’ingénieur, sur l’importance de l’expérience pratique, sur les stages… Vers la fin de l’entretien, il m’interroge: « Que pensez-vous de ma coupe de cheveux? » et attend ma réponse avec un air concentré.

Je lui réponds qu’elle ne me fait ni chaud ni froid et que j’estime que chacun est libre de se coiffer comme il l’entend. Et bien entendu, je lui demande: « pourquoi me posez-vous cette question? ».

Il est un peu interloqué, mais m’explique qu’il constate que ses professeurs lui ont souvent fait « payer » son originalité, sans nécessairement lui dire en face ce qu’ils pensaient. Subtilement, il m’explique qu’il doute de la sincérité de ma réponse.

Esprit brillant, il a réussi toute sa scolarité à l’école en restant dans les dix premiers de sa promotion. Quand je l’ai revu, plusieurs années après sa sortie, au gala annuel de l’école, il avait coupé ses deux petites cornes bouclées. A mon étonnement il a répondu avec malice qu’il évoluait dans ses goûts et il a tourné la tête pour me montrer une courte « queue de rat » à la base de son crâne rasé de près. « Je travaille comme ingénieur dans une grosse entreprise agroalimentaire, et mon équipe me surnomme le « petit diable » ».

Quatre exemples d’entretiens qui me confirment qu’il est très difficile de répondre à la question « cette personne fera-t-elle un bon ingénieur? ». En tout cas, j’essaye, et surtout, avec mes collègues, je fais le maximum pour qu’une fois entrés dans l’école, les étudiants puissent y répondre tout seul.

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Source photo projet EXCELSIOR III, record du monde du plus haut saut en parachute par Joseph Kittinger. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Mise à jour de la direction

Je suis l’heureux propriétaire d’une voiture de marque Ford, modèle Galaxy, qui fait surtout la joie des enfants et de leurs amis puisqu’elle dispose de 7 vraies places assises et me donne l’agréable sensation d’être un chauffeur de bus, surtout lorsqu’il faut ramener tout ce joyeux monde chez eux à 2h du matin après une « boum ». C’est en fait une voiture qui fait surtout plaisir aux parents des autres enfants.

C’est pratique aussi pour partir en vacances au ski en famille avec un coffre gigantesque rempli de matériels et de vêtements encombrants… C’est donc plein de joie, de bonne humeur et de bonbons Haribo que nous sommes partis vers les montagnes à bord de ce magnifique vaisseau spatial, tout juste sorti de chez le garagiste pour une réparation anodine.

Après 1000 km d’autoroutes à peine désertes, nous voici en train d’aborder à la queuleuleu les premiers virages serrés des charmantes routes de montagne, quand soudain, un voyant s’allume sur le tableau de bord digne d’un airbus A380: incident direction assistée… C’est d’ailleurs à peu près au même moment, comme quoi l’informatique d’une automobile est bien faite, que le volant a décidé de fonctionner comme s’il pesait 10 tonnes.

Je préviens aussitôt les passagers du problème, me démarquant ainsi sensiblement d’un conducteur de TGV. J’arrive à garer le monstre sur le bord de la route, au grand étonnement des enfants tout occupés qu’ils étaient à observer l’inclinaison soudaine des plaines environnantes.

Fidèle à une tradition informatique, je décide de couper le contact, de laisser se reposer le véhicule quelques minutes, d’ouvrir la portière pour sortir faire un tour, de remonter à bord et de redémarrer. Hélas, le secteur automobile n’ayant pas encore appris le charme réparateur du reboot informatique, j’annonce scientifiquement et solennellement à ma famille stupéfaite: « Nous sommes en panne! ».

Seulement voilà, un samedi de chassé-croisé hivernal, je sentais comme un début de grosse galère au bord du chemin… Voyons, à quelle distance sommes-nous de l’objectif? 42 km me souffle mon fidèle TomTom portable, qui n’a rien à envier à Pensées Profondes. Bon, 42 km, ça se tente, même sans assistance, même en montagne.

Voici donc le siège conducteur transformé en salle de musculation: les deux mains solidement accrochées au volant, manches de la chemise remontées, j’entame la longue ascension, tel un prédicateur ressuscité, luttant contre les dix personnes accrochées aux roues pour m’empêcher de virer avec la souplesse et l’élégance habituelles.

Tel un héros des temps modernes (Edward Cullen?), j’arrive par ma force surhumaine à mener mon équipage à bon port.

Une semaine se passe.

Les vacances s’achèvent et avec elles la joie des enfants de la station regardant avec des yeux brillants mon monoski extraterrestre et l’étrange équilibriste posé dessus.

Nous voici à nouveau devant le monstre de métal. Je tourne la clef dans un moment d’intensité émotionnelle rare. Le moteur démarre. La direction fonctionne. Le froid et l’altitude a fait son œuvre, comme chacun sait, réparatrice. Et bien sûr, au beau milieu d’un virage de la descente, après un quart d’heure de voyage, la direction se raidit de nouveau: me voilà parti pour 1000 km de routes aux commandes d’un fer à repasser en fonte, tel Chuck sur son Bell X-1-2 modèle 46-062.

Une fois encore, comme Ulysse, j’arrive à bon port.

Le lendemain, dès le paître jacquet, je fonce chez le garagiste ayant effectué une réparation bénigne (la veille du départ), un « simple » changement de démarreur: « Comment! Quoi! Mon automobile serait sortie de ce garage moins fiable qu’elle ne serait entrée! », dis-je en entrant dans la concession, tel fiert qui ne tue pas.

L’aimable tenancier, au sourire désarmant, prend le problème en main d’une manière toute professionnelle pour garder un bon client: « Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout ».

Une journée s’écoule pendant laquelle je sauve des étudiants de l’analphabétisme informatique. Le lendemain, je retourne voir mon destrier métallique et son palefrenier.

Lui: « Bon, alors, mécaniquement, on n’a trouvé aucun problème. »

Moi: « … »

Lui: « Et donc on a regardé les consignes du constructeur pour les cas identiques au vôtre. En fait, il y a une mise à jour du logiciel qui équipe votre ordinateur de bord pour mieux étalonner la gestion de la direction assistée. On a fait la mise à jour et votre problème est réglé. »

Moi: « !!! »

Donc, je résume: le véhicule auquel je confie ma vie, celles de ma femme et mes enfants, ainsi que celles de toutes les personnes que je croise, est muni d’un programme capable d’annuler arbitrairement le fonctionnement de l’assistance d’une direction, organe vital s’il en est sur une voiture! Et la solution tient dans une mise à jour ?!

Mon dieu, ils l’ont fait.

Les grands bonhommes verts

Nous sommes isolés dans ce grand désert blanc. Il est temps de faire une pause. Blottis les uns contre les autres, tels des manchots empereurs immobiles, nous restons silencieux devant la beauté de la nature qui nous entoure.

Nous sommes dans les années 80, l’année 2000 est encore loin et reste une référence de modernité futuriste. C’est l’époque où je me suis plongé par hasard dans l’univers de la science fiction en ouvrant par le milieu « Dune » de Frank Herbert (un pavé de 746 pages!) sans pouvoir le refermer avant d’arriver à la fin pour le recommencer ensuite depuis le début.

Alors que mes pensées vagabondent à plusieurs années lumières, j’aperçois au loin un groupe de personnes. Je les regarde s’avancer comme des Fremen, démarche silencieuse, souple et arythmique, fondus dans le désert blanc. Ont-ils les yeux bleus sur fond bleu à cause de l’Épice?

Mon guide les a aperçus et se redresse, attentif.

Il se rassoit, soulagé, en disant: « Tiens, voilà les grands bonhommes verts… »

La réverbération du soleil alentour m’empêche de distinguer les détails. Je plisse les yeux pour mieux voir. Certains portent un distille avec un tuyau en provenance de leur dos. Ils sont tous vêtus de vert, avec une grosse bosse sur leur dos. Leurs têtes sont nues, lisses et vertes également. En regardant bien, je distingue une antenne qui leur sort du dos…

Je me sens comme Luke Devereaux dans « Martiens, Go Home! » de Fredric Brown: que font tous ces martiens sur ma planète!

Ils s’avancent vers moi, je commence à distinguer leurs visages. Ils transpirent. Leurs crânes nus sont en fait des casques, la bosse de leur dos un énorme sac à dos duquel dépasse une antenne de transmission, et leur démarche de Fremen vient des raquettes qu’ils ont aux pieds. Ils passent devant nous silencieux, comme si nous n’existions pas.

Un groupe de militaires tout de vert kaki vêtus marche dans la neige. Je viens de finir mon service militaire, je les regarde avec compassion.

Quelques minutes après, mon moniteur de ski se lève et nous rechaussons nos monoskis. La montagne renvoie en écho son cri: « Allez! On les rattrape, bande de limaces! »

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Je pars demain au ski. Il paraît que la mode va revenir aux monoskis. J’aurais moins l’air d’un dinosaure 😉

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Source: https://www.render.ru