Mon père me raconte encore aujourd’hui quelques anecdotes sur sa longue carrière d’instituteur-Directeur d’école primaire. Il devait gérer les problèmes administratifs, les problèmes humains des collègues instituteurs, les problèmes de sa propre classe et les problèmes avec les parents d’élève de toutes les classes. Parmi les histoires de parents d’élève que j’écoutais en silence à table le soir, celle-ci a retenu mon attention et va me servir à mon tour.
Un certain père d’élève, lorsqu’il rencontrait une difficulté avec une administration quelconque, avait pris l’habitude d’écrire une lettre de protestation directement au Président de la République, rien de moins.
A cette époque, la lettre était ouverte par le service de l’Élysée concernés par le courrier, lue et transmise au ministère concerné. La lettre suivait ensuite toute la voie hiérarchique depuis le sommet jusqu’au chef du service administratif à l’origine du supposé problème.
Je vous laisse imaginer la tête de mon père lorsqu’il reçut un courrier de cette nature, accompagné d’un mot de l’inspecteur d’académie lui faisant comprendre qu’il fallait régler rapidement ce problème, et que bon, le Ministère n’était pas content, et que bon, la carrière, le Ministre, les problèmes, tout cela ne faisait pas bon ménage.
Le courrier faisait bien rigoler mon père, car en général le problème était résolu depuis longtemps. Si ce n’était pas le cas, et bien mon père, il allait le régler ce problème, parce que mon père, et bien dans le genre bon directeur d’école, c’était le meilleur. Et puis, ça le faisait bien rigoler que le parent d’élève en question ne soit pas venu le voir directement!
Moi qui était enfant, j’ai retenu plusieurs leçons de cette histoire:
– il y a des petites gens qui écrivent au Président de la République;
– parfois ces courriers sont lus et redescendent toute la voie hiérarchique sans faire rigoler personne (sauf mon père), chacun ajoutant une couche pour son subordonné;
– parfois ces courriers résolvent les problèmes.
Et bien, moi, j’ai un GROS problème, et je sens que je vais en parler au Président de la République.
Comprenez moi, j’ai déjà écris plusieurs fois au tribunal concerné. Par Fax, par courrier recommandé avec avis de réception. Dans mon dernier courrier, j’indiquais même que je continuais toujours à accepter des missions, mais que je voulais simplement que l’on me réponde quelque chose. J’aurais tout accepté, même une réponse du type « Oui, nous avons bien enregistré tous vos mémoires de frais et honoraires dans les affaires que vous citez en référence. Mais nous regrettons de ne pouvoir vous les régler, car en ce moment, vous savez, le budget du tribunal est à sec… »
Mais rien. Pas une seule réponse. Pas un coup de fil. Rien.
Alors, comme je n’ai pas l’impression que le Procureur de ma Cour d’Appel soutiendra avec entrain ma démarche après l’affaire Zythom, il ne me reste plus qu’à écrire au dessus. Sauf qu’au dessus, c’est le ministère de la Justice. Et les problèmes de budget d’un expert judiciaire, ça doit pas trop le passionner…
C’est alors que cette histoire de parent d’élève m’est revenue.
Alors, malgré l’avis contraire de ma conseillère juridique favorite (qui trouve que je me ridiculise), j’ai décidé d’écrire au Président de la République.
Monsieur le Président de la République,
[Ici, il me faut une accroche introductive courte]
J’effectue des missions comme expert judiciaire en informatique dont une grande partie dans des enquêtes sur des pédophiles présumés.
[Ensuite, je pense placer un petit développement explicatif]
Ces missions consistent à assister les officiers de police judiciaire dans leurs recherches et investigations informatiques. Je suis nommé par un magistrat du Tribunal de [Tandaloor] auquel j’adresse un devis qu’il me retourne signé pour accord. J’effectue avec célérité mes missions pour rendre un rapport complet de mes investigations techniques. Avec ce rapport, je joins un mémoire de frais et honoraires conforme au devis établi.
[Maintenant, je présente le cœur du problème]
Malheureusement, aucune de mes expertises n’a été payée par ce tribunal depuis plus de 14 mois, pour un montant cumulatif de 20 000 euros (vingt mille euros), et ce malgré mes différents courriers de relance.
[A ce stade, un petit extrait de discours me semble pertinent]
Monsieur le Président, je me permets de citer un extrait du discours que vous avez prononcé le 7 décembre 2007 à Lyon devant l’Assemblée des Entrepreneurs CGPME:
« Les PME de France ont une autre particularité: ce sont les seules à devoir se constituer un fonds de roulement massif, pour faire face à des délais de paiement supérieurs de 10 jours à la moyenne européenne. Je le dis aujourd’hui, ce n’est pas le rôle des PME d’assurer la trésorerie des grands groupes, et de la grande distribution, et même de l’Etat. […] Et bien, dès l’année prochaine, nous réduirons ce délai à 30 jours pour les administrations d’Etat, et tout jour de retard sera payé d’intérêts moratoires supérieurs au coût de financement des PME. Chaque ministère devra également justifier de ses propres délais de paiement dans un rapport au Parlement, car il existe aujourd’hui des écarts considérables qui ne sont pas acceptables. »
Monsieur le Président, est-ce au simple expert judiciaire d’avoir à assumer seul les problèmes liés à des retards de paiement de plus de 400 jours?
Pouvez-vous faire le nécessaire auprès des services concernés afin de permettre au tribunal de [Tandaloor] d’effectuer les paiements des mémoires de frais et honoraires de mes expertises judiciaires?
Je vous remercie de l’attention que vous pourrez porter à ma demande, et vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mon profond respect.
Je ne suis pas sur que ce courrier changera grand chose, et puis c’est vrai que c’est un peu ridicule, mais cela me fait tellement plaisir d’essayer. Et je suis sur que cela fera plaisir à mon père, et cela, ça n’a pas de prix.
Et puis, il n’est pas nécessaire de timbrer l’enveloppe.
Le courrier est parti lundi. Je vous tiendrai au courant du suivi…
Moi, quand je peux aider au bon fonctionnement d’un tribunal, je ne compte pas ma peine. A bene placito.