Portabilité du bricolage

J’ai reçu il y a quelques jours un ordinateur portable de marque Apple.

Je n’aime pas analyser les portables, vous allez comprendre pourquoi.

La devise de l’expert judiciaire en informatique est celle d’Hippocrate : Primum non nocere, qui se traduit par d’abord, ne pas nuire ou plus généralement avant tout, ne pas nuire à la preuve.

Il faut donc être sur de ne pas endommager ou écrire sur le disque dur que l’on doit analyser.

Dans mon cas, je ne maîtrise pas de système simple pour booter un Apple ibook G4 sur cédérom pour une prise d’image à travers le réseau. Il me faut donc démonter le portable pour en extraire le disque dur afin de le placer sur mon matériel d’analyse.

La galère commence.

Première phase, trouver sur internet un site qui décrit le plus précisément possible le démontage. En l’espèce, il s’agit de l’excellent site aberco.free.fr/ibook/demontage1.html qui me sauve la vie.

2ème phase: la préparation des outils. Après avoir étudié le problème en détail, il s’agit de faire l’inventaire de tout le matériel nécessaire. Ici, j’ai besoin de plusieurs tournevis cruciformes très fins, de tournevis Torx et d’un tournevis mou (une brosse à dent limée). Je recommande également le rangement d’un vaste espace de travail, ceci pour placer les différentes vis extraites sur des croquis de remontage.

3ème phase: le démontage. Personnellement, j’ai mis quatre heures! En effet, le propriétaire du portable apprécierait peu que son matériel lui soit rendu avec des marques de démontage (d’où le tournevis mou) ou avec des pièces mal remontées. Il faut utiliser le bon tournevis pour chaque vis afin de ne pas marquer la tête (de vis). Il faut placer la vis démontée sur une feuille blanche sur laquelle on aura reporté un croquis de la machine, pour être sur de la replacer au bon endroit. Il faut travailler au dessus du plan de travail (et non sur ses genoux) pour qu’une vis malicieuse qui saute de son emplacement ne rebondisse pas dans un endroit inaccessible.

Il faut démonter 42 vis sur un ibook G4 avant de pouvoir extraire son disque dur… Et elles sont presque toutes différentes! Certaines sont cachées derrière des petits aimants. Et pour couronner le tout, avec l’évolution de la fabrication, le portable que je démontais n’était pas exactement comme celui du site internet: certaines vis manquaient et d’autres, surnuméraires, étaient vicieusement cachées.

Règles d’or: quand vous avez enlevé toutes les vis, il en reste une cachée quelque part. Ne pas forcer. Rester calme.

Pour compliquer le tout, des clips maintiennent certains éléments plastiques qu’il faut forcer… mais pas trop.

Quatre heures, je vous dis!

Mais l’analyse en valait le coup…

PS: J’ai oublié de dire qu’il m’avait également fallu 4 heures pour remonter l’ensemble des pièces, avec quelques frayeurs quand je n’avais pas correctement repéré le trou dans lequel la vis devait être remontée (surtout vers les premières étapes du remontage).

J’en ai profité pour enlever la poussière accumulée sous le clavier et pour passer un coup de chiffon sur le parebrise.

Primum non nocere

Réservation

Vous connaissez sans doute déjà mes déboires avec la société nationale des chemins de fers français.

J’ai beaucoup progressé dans mes rapports avec ses agents.

Mais il m’arrive encore d’être piégé par le système mis en place.

Lors de sa mise en service, le Train à Grande Vitesse a inauguré un système de surcoût permettant de déguiser habilement une grossière augmentation des tarifs en service artificiel. Ce système est curieusement nommé par la SNCF « réservation ». A l’époque, le système était expliqué comme étant un service à valeur ajoutée pour le confort du passager. Souvenez vous, dans les trains normaux, les riches pouvaient avoir un papier jaune glissé dans un support plastique présent sur chaque siège qui leur donnait le droit d’éjecter l’opportun qui s’était assis sur leur place RESERVEE. Et bien dans les TGV, tout le monde sera placé comme les riches. Le progrès est en route.

Je me présente au guichet pour acheter un billet aller-retour vers la capitale.

Le guichetier me reçoit les yeux tournés vers l’écran de son ordinateur d’un bonjour mécanique.

Moi qui demande à mon équipe d’éteindre leur(s) écran(s) pendant les réunions, l’attention envers autrui tendant vers zéro en présence de LCD (une propriété des cristaux sans doute).

Je commence donc la relation client-serveur légèrement agacé.

« Bonjour, je voudrais un aller-retour vers la capitale ».

« Vers quelle ville? »

« Vers Paris »

« Un aller simple ou un aller-retour? »

« Un aller-retour »

Vous remarquerez la parfaite cohérence entre la conversation et l’ordre des cases de l’écran (heureusement allumé), sauf peut-être sur la première phrase (un problème de plasticité synaptique peut-être?).

« Le train est complet. Je vous prends une place quand même? »

« Heu, mais s’il est plein, je vais pouvoir monter quand même? »

Le guichetier s’est tourné vers moi, sans doute pour voir quel étrange animal lui posait une question aussi stupide (c’est vrai qu’elle est bête cette question).

« Oui. Mais je ne peux pas vous garantir une place assise ».

« Je comprends. Je prends quand même un billet. »

C’est là que j’ai manqué de discernement en ajoutant:

« Je suppose que vous ne me comptez pas de réservation… »

« Monsieur, la réservation est OBLIGATOIRE dans les TGV »

« Oui, je comprends la règle, mais là, vous ne me réservez pas de place assise! A quoi me sert la réservation? »

Nous nous affrontons du regard.

Comme le combattant de la Tribu de Dana, je sens mes armes me glisser des mains (et mes larmes couler à flots).

J’ai quand même lancé une petite pique.

« OK, ok, je prends la réservation. Vous acceptez ma carte famille nombreuse, même si je voyage seul? »

Je n’ai pas osé ajouter « c’est possible? ».

Je suis sur qu’il l’aurait pris de haut.

Il faut toujours se méfier de l’haut qui dort (je sais, c’est nul).

J’ai voyagé debout pendant une heure.

Je vous promets que si le contrôleur avait osé vérifier les billets (vous avez remarqué qu’il ne passait pas lorsque le train est bondé), je n’aurais fait aucune remarque.

Je sais me tenir.

Je suis réservé.

Les risques du métier

Ce billet s’adresse plus particulièrement aux futurs jeunes experts judiciaires.

L’activité d’expert judiciaire peut amener à prendre des risques et à se retrouver au pied du mur. Voici la mésaventure arrivée à un confrère, et rapportée dans la revue Experts (n°70 et 76) par l’excellent Gérard ROUSSEAU, Docteur en droit, expert honoraire près la Cour de cassation. Je la place dans ma rubrique Anecdotes d’expertises, en priant pour que ce type de mésaventure ne m’arrive jamais.

Un expert judiciaire est physiquement agressé pendant une réunion d’expertise par l’une des parties qui le projette à terre. Cette agression entraîne le dépôt d’une plainte par l’expert. Un mois après, l’expert dépose son pré rapport, preuve que l’expertise était avancée lors de l’agression. Un mois après, l’agresseur dépose une requête demandant la récusation de l’expert sur le fondement de l’article 341 du NCPC. Cette requête est rejetée trois mois plus tard par le magistrat en charge du contrôle des expertises qui confirme l’expert dans ses missions. L’agresseur fait appel de cette décision. Un mois après, parallèlement à l’affaire principale, il est condamné pénalement pour l’agression qu’il a commise sur l’expert. Pendant ce temps l’expertise continue, et un dire est déposé par l’agresseur trois mois plus tard. L’expert rend son rapport final un mois après. Un an passe avant que la cour d’appel ne confirme la décision du magistrat en charge du contrôle des expertises estimant qu’il n’y a pas lieu à récusation de l’expert. Pourvoi en cassation de l’agresseur. Un an plus tard, jugement au fond sur le rapport déposé par l’expert. L’agresseur perd son procès civil, mais fait appel. Une année s’écoule encore avant la cassation de la décision du magistrat ayant décidé qu’il n’y avait pas lieu à récusation de l’expert, avec retour devant la cour d’appel. Cette dernière jugera que la révocation de l’expert est justifiée.

Patatra.

Cette mesure est rétroactive puisqu’elle dénie au récusé toute légitimité depuis sa désignation. Elle entraîne la nullité de tous les actes effectués par l’expert. De plus, l’expert a été condamné à l’article 700 du NCPC (2000 euros) outre les entiers dépens (8500 euros). Le rapport étant nul, la rémunération n’est pas admise et celle perçue (2500 euros) devrait être remboursée indépendamment des frais.

Cela fait cher pour une personne au service de la justice.

Extrait des conclusions de Gérard ROUSSEAU: les juridictions du premier et second degré auraient dû mettre en demeure l’expert de suspendre ses opérations en attendant une décision passée en force de chose jugée, en l’occurrence l’arrêt de la Cour de cassation. Ou mieux de prononcer la récusation et de faire verser à l’expert le coût des travaux effectués. […] Quant à l’expert, nous savons que les techniciens ne sont pas des juristes, mais il aurait dû se déporter immédiatement, dès lors qu’un plaideur l’avait agressé.

J’aime bien ce passage aussi:

Si l’agression devient l’une des possibilités d’obtenir une récusation, la formation à l’expertise judiciaire devra pour le moins inclure une épreuve de lutte gréco-romaine qui pourrait utilement être enseignée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, les magistrats étant eux-mêmes récusables.

Toujours envie de devenir expert judiciaire ?

1ère première

Je ferme mon descendeur et vérifie que la corde y est engagée correctement.

Un coup d’œil sur l’amarrage principal, un sourire à mon chef d’équipe et hop, je glisse accompagné du bruit de la cascade dans ce puits noir que ma lampe à acétylène éclaire à peine.

Aucun être humain n’est jamais venu contempler ce spectacle magnifique.

Je suis le premier!

C’est ce que l’on appelle « une première » en langage spéléo.

Par un lancer de pierres, nous avons estimé la profondeur de ce puits à 100m. Nous sommes déjà à 200m sous la surface de la Crète (Grèce). Ce gouffre est notre découverte. Nous sommes surexcités.

Notre camp de base compte dix personnes. Dix étudiants passionnés qui consacrent un mois de leurs vacances à prospecter dans les montagnes crétoises, loin des touristes du bord de mer. Nous préparons cette expédition depuis six mois. C’est notre troisième venue dans cette zone et l’année précédente avait été riche en découvertes: 40 gouffres dont 6 dépassants les 100m de profondeur. Des centaines d’heures d’exploration dans ces cimes des profondeurs inexplorées.

Je bloque la corde sur mon descendeur. La cascade se rapproche dangereusement. J’allume ma lampe électrique en complément de ma lampe acétylène. C’est toujours très désagréable de se retrouver dans le noir quand une goutte d’eau vient éteindre la flamme. Je vérifie que ma corde est bien dégagée de toute arête coupante au dessus de moi. Puis je baisse la tête pour scruter les ténèbres. Tout est noir.

J’ai dans mon sac 120m de corde que je déroule au fur et à mesure de ma descente. J’espère que cela suffira. Je n’aime pas faire un « passage de nœud » en plein vide, lorsque la première corde est trop courte.

Depuis trois heures que nous continuons l’exploration de ce gouffre, c’est la première fois que mon chef d’équipe me laisse passer en tête. C’est ma 1ère première!

Je remonte le col de ma combinaison étanche. Les deux pieds sur la paroi, à angle droit, je reprends ma descente. Le bruit de l’eau s’intensifie. Je crie à mon compagnon d’exploration ce que je vois. Je sais qu’il est impatient de savoir s’il y a une suite… Entre nous règne une confiance absolue. Je sais qu’il ne bougera pas tant que je ne suis pas à l’abri quelque part au fond, de peur de faire tomber une pierre assassine. Nous avons bien dégagé le haut du puits, mais un accident est si vite arrivé.

Justement, mon rôle de « premier de cordée » est de dégager la paroi de toutes les pierres dangereuses avant de déployer la corde. Je fais le ménage dans un bruit infernal de chutes de pierres qui, malgré la cascade, parvient aux oreilles inquiètes des suivants qui attendent mon signal pour descendre. Je resserre la sangle de mon casque. Il peut résister à un choc d’une tonne. Moi pas…

Mes pieds touchent le sol. Je vérifie que je ne suis pas sur une corniche, puis détache la corde de mon descendeur et me mets à l’abri derrière un pli de la paroi. Le chef d’équipe me rejoint en déroulant le « fil topo »: 90m. Nous sommes à -290m sous terre. Pas mal ! Je note les mesures topographiques sur mon carnet en faisant quelques croquis des lieux. Les autres nous rejoignent avec la même question dans les yeux : « est-ce que cela continue? ». Nous suivons l’eau qui s’engouffre dans un conduit. Ca passe. Ca continue! Je laisse ma place de premier à un autre. Nos yeux sont pleins de tout ce spectacle. Garçons et filles unies dans une même communion. Nos regards brillent.

PS : Nous avons découverts ce gouffre quelques jours avant la fin de l’expédition. Nous nous arrêterons sur manque de cordes face à un puits dont la dimension alimentera nos rêves durant toute une année. Lors de l’expédition suivante, nous buterons à -403m sur un siphon que notre plongeur explorera sur 10m de profondeur: -413m, record de Grèce de profondeur. Il tiendra 5 ans.

Je croise encore dans mes montagnes quelques pratiquants de ce sport que certains qualifient de sale. Il n’y a pas d’âge pour pratiquer la spéléologie. Cela me manque.

Après la mort, le néant

Les faits:

Une femme a été retrouvée pendue.

Le mari était absent ce soir là.

Les enquêteurs, avec les éléments à leur disposition, ont tout d’abord évoqué le suicide.

Le mari soutient que ce n’est pas possible, que sa femme a été assassinée et que le crime a été maquillé en suicide. D’ailleurs, la preuve, c’est que la victime n’a laissé aucune lettre. Pourtant elle était toujours fourrée sur son ordinateur.

L’ordinateur ne contient-il pas des éléments pouvant faire avancer l’enquête, dans un sens ou dans un autre?

Le juge d’instruction demande une expertise de l’ordinateur.

L’expertise informatique:

Dans ce genre de mission, que cherche-t-on? Un document, un email, une image?

J’ai analysé l’intégralité du contenu du disque dur.

J’ai lu la totalité des emails reçus et envoyés, stockés ou effacés.

J’ai consulté l’historique de la navigation internet.

J’ai étudié toutes les photos stockées et effacées.

J’ai lu tous les documents, dans tous les formats trouvés.

J’ai fait des requêtes par mots clefs dans tous les sens.

J’ai passé plus de 100 heures dans l’intimité d’une personne jusqu’à la connaître comme une amie.

Rien. Le néant.

Pas une allusion à un suicide.

Pas une allusion à une inimitié.

L’ordinateur a été éteint normalement deux heures avant la mort (d’après l’heure du bios et de l’OS). Je ne peux pas dire par qui.

Quand j’y repense, je sens encore la présence de cette personne près de moi, narquoise devant mon impuissance à découvrir la vérité. Je sens le mari qui me pose des questions auxquelles je ne peux pas répondre. Je sens le juge d’instruction qui voudrait lire dans mon rapport autre chose que « je n’ai rien trouvé ».

Cela fait beaucoup de présences autour de soi, surtout quand on n’a rencontré physiquement aucun des protagonistes de cette histoire .

Conclusion:

J’ai facturé 10 heures de travail.

Je n’ai jamais su la suite de cette affaire (on ne tient pas l’expert au courant des suites…).

J’y repense souvent: suicide ou assassinat?

Qu’est-ce que j’y peux moi si l’ordinateur ne contient rien que de très banal?

Mais quand même…

PS: les ages, sexes et liens des personnes ont été changés. Seul reste le fond de l’histoire, et mon insatisfaction… La vie de cette femme me hante encore. Et sa mort aussi.

Un colleur collé

Je suis le champion toute catégorie en réparations diverses. Toute la famille m’amène les objets cassés pour que je les répare! Et mon truc à moi, c’est la colle: j’ai tout un assortiment de tubes de colle, de super forte à ultra forte en passant par « surpuissante ».

Par contre, selon une habitude que je condamne fermement, je n’effectue aucun test préalable « sur un petit morceau du matériau à coller ». Je fonctionne à l’instinct et je sors un tube de colle en fonction de mon expérience.

Connaissez-vous la différence entre l’éducation et l’expérience ? L’éducation, c’est quand vous lisez tous les alinéas d’un contrat [mode d’emploi]. L’expérience, c’est ce qui vous arrive quand vous ne le faites pas.

Pete Seeger « Loose talk »

Dernièrement, ma fille m’amène une chaussure dont la lanière de cuir a cédé.

« C’est dommage car j’aime bien cette paire de chaussures » (évidemment!). Me voici donc à dégainer un tube de colle « ultra forte », du genre de celle qui permet à un humain de se trouver suspendu par les pieds au plafond. Oui messieurs dames, et avec deux gouttes seulement (bon, d’un autre côté, le tube contient dix gouttes, donc de quoi coller cinq personnes au plafond).

Et c’est là qu’apparaît l’application parfaite de la loi de Murphy: je commence mon délicat travail de réparation quand, sous mes yeux étonnés, la colle déposée sur la lanière bigarrée se met à fumer sous l’effet d’une réaction chimique plutôt exothermique. Non seulement la pièce s’est remplie d’une odeur acre désagréable m’obligeant à un rapide retrait stratégique, mais la lanière est devenue toute noire et dure comme du bois (carbonisé).

Chimie 1, Zythom 0, chaussure -1

Einstein oui, mais plus Franck qu’Albert sur ce coup là…

Ma fille me garde toute sa confiance, mais je sens que mon étoile faiblit.

La solitude de l’expert

L’expert judiciaire exerce ces missions la plupart du temps seul. Il arrive parfois qu’il se sente bien seul…

Il m’est arrivé, il y a quelques années, d’avoir à remplir une mission inhabituelle (pour moi): un tribunal de commerce m’avait demandé de récupérer des données clients sur un serveur dans une entreprise en faillite et de faire l’inventaire du parc informatique pour faciliter le travail du commissaire priseur.

J’ai d’ailleurs appris à mes dépens à cette occasion qu’il y a un certain nombre de points à vérifier avant de se déplacer pour une telle expertise. Je raconte ici la suite des évènements.

Quand un expert se déplace pour effectuer une mission, il est rarement mis au courant des détails très techniques qu’il va rencontrer. Dans cette affaire, et malgré mes nombreuses questions auprès de mes différents interlocuteurs, il m’était impossible d’avoir la moindre information technique intéressante: combien de PC, quel système d’exploitation (windows, VMS, GCOS, Debian, AIX, Irix, Mac OS, NetBSD…), type des disques (SCSI, IDE…), leur capacité (1 Go, 10 Go, 100 Go, 1 To…). Bon, par contre, tout le monde pouvait me donner le mot de passe du serveur (c’est déjà ça).

Pour préparer mes affaires, je procède donc exactement comme pour une expédition lointaine dans un pays dont on ne connait ni la géographie ni le climat. Je mets dans une valise tous les éléments techniques qui pourraient m’être utile: graveur externe, disques IDE et SCSI, bloqueur d’écriture, nappes de fils, alimentations, tournevis, lampe électrique, unité centrale, écran, PC portable, DVD et cédéroms vierges, papier, crayons, câbles et cartes réseaux, switch, clef USB, disquettes…

Me voici donc, de bon matin, à deux cents kms de chez moi, seul dans cette entreprise fermée depuis plus d’un an. L’entreprise est installée dans un grand appartement de six pièces. Il flotte dans l’air comme une odeur de renfermé. J’ouvre les volets.

Je repère très vite le serveur (installé dans la cuisine aménagée pour l’occasion en salle serveur). L’électricité ayant été remise la veille, j’appuie sur le bouton de démarrage après avoir vérifié l’état général des connexions électriques. Le serveur s’allume dans un bruit d’enfer qui semble normal.

Assis devant l’écran, je fais mes premières constations: bios, nombre et type de disques, OS, messages d’alerte… jusqu’à la fenêtre de demande d’identification. J’entre le mot de passe indiqué dans les documents qui m’ont été fournis: sésame ouvre toi, ça marche! Je récupère les données sur mon disque externe USB reconnu par l’OS (Windows 2000). C’est un coup de chance car aucune de mes nappes ne correspondent au système SCSI du serveur. Cela fait une heure que je suis là et la première partie des missions est déjà accomplie. Je suis content.

Là où cela s’est un peu corsé, c’est quand j’ai voulu remettre en état le réseau en place. En effet, de nombreuses données sont présentes sur les disques durs des différents PC et tous ne disposent pas de port USB, alors qu’ils sont tous connectés en réseau. Rien ne fonctionne, aucune machine ne voit le serveur. Petite inspection à quatre pattes en salle serveur: le réseau a été « saboté ». Il s’agit en effet d’un réseau éthernet avec des câbles et connecteurs de type BNC qui doit se terminer par un bouchon de 50 ohms sur un raccord en « T ». Or le câble arrivant sur le serveur est directement raccordé à la carte réseau. Ça ne peut pas fonctionner. Le sabotage est intentionnel. Déjà à cette époque, l’utilisation de câbles réseaux BNC commençait à se faire rare. Et nul bouchon à l’horizon: ni sur le câble, ni dans l’appartement, ni dans ma valise. Début des ennuis.

Je referme bien l’appartement à clef, puis commence à chercher un magasin d’informatique ou d’électronique. Je n’ai pas de carte détaillé de la ville, pas d’accès internet, nous sommes samedi midi, la ville est déserte. Je demande aux commerçants qui sont incapables de me renseigner. Je prends mon véhicule et commence mes recherches. 2h plus tard, après avoir écumé les zones industrielles, les centres commerciaux, je tombe sur un petit magasin de maquettes qui vend aussi un peu d’électronique. Dans le capharnaüm du magasin, nous trouvons le vendeur et moi quelque chose qui ressemble à une paire de résistances terminales BNC… Victoire et retour dans l’entreprise.

Réseau fonctionnel, je commence à récupérer les données de chaque poste de travail (il y en a dix!). L’après midi bien entamé y passera. Le soir arrive, la pénombre aussi. Les yeux fatigués, je me lève pour allumer la lumière: rien. Tous les plafonniers ont été vidés de leurs néons et ampoules. J’allume tous les écrans et reprend le travail dans la lumière blafarde. Je sors ma lampe de poche et m’en sers pour me déplacer entre les meubles. Certains écrans grésillent. Je me sens seul.

A l’époque, je n’ai pas de téléphone portable, je ne peux donc pas prévenir mon épouse de ne pas s’inquiéter. Les ombres et les fantômes de l’entreprise suffisent déjà à me mettre mal à l’aise. Quelques craquements se produisent dans les pièces voisines. Le changement de température sans doute. Au fait, il n’y a pas de chauffage… Je mets mon manteau et bouge un peu les bras pour me réchauffer. Je note sur ma « check list » de penser à prendre des vêtements chauds la prochaine fois.

23h. Fini. Je ramasse tous mes équipements, toutes mes affaires et toutes mes notes. Je remets tout en état. J’éteins et ferme tout. Me voici dans le couloir avec ma lampe de poche et mon sac de sport rempli de matériel sur l’épaule. Je me rends compte soudain que je n’ai pas pensé à prévenir les voisins ni la police de ma présence. J’ai vraiment l’air d’un cambrioleur. Par chance, personne ne viendra m’inquiéter.

Sur le chemin du retour, il n’y a personne sur la route.

Je suis encore seul.

Votre plus vieille donnée?

Le Conseil d’Etat a rejeté le recours des FAI sur le décret les obligeant à conserver les informations de connexion de leurs abonnés. Cette mesure leur impose de conserver pendant un an toutes les données de connexion par Internet, téléphone fixe et mobile de leurs clients (source: 01net.com).

Cette lecture m’a donné l’idée d’une Question à deux euros pour alimenter ma rubrique la plus fumeuse: quelle est la donnée la plus ancienne de mon disque dur?

Ni une, ni deux, me voici à la recherche de cette curieuse information… Bien entendu, je recherche une donnée m’appartenant, pas le fichier d’une quelconque installation à la date douteuse (1970 par exemple…)

C’est comme cela que je suis tombé sur l’un des premiers emails que j’ai écris!

Daté du 11 février 1989, je l’avais envoyé à un collègue lors du raccordement à internet de mon laboratoire de recherche. Notre laboratoire, bien que situé en plein Paris était en retard. Nous avions encore une partie des bâtiments électrifiés en 110v! Des canalis amenaient le 220v spécialement pour nos stations de travail Apollo.

En 1989, le web graphique n’existait pas encore! Il me faudra attendre 1993 pour utiliser les premières versions de NCSA Mosaic.

Nous utilisions des lignes de commandes pour échanger des fichiers et envoyer des emails. Si si! (je m’adresse à mes jeunes lecteurs).

De transferts en conversions, de changements en déménagements, d’une station de travail Apollo sous Unix en passant par un mac II SI et toutes une suite de machines sous Windows, cet email se trouve aujourd’hui sur mon thunderbird, dans la catégorie « A ranger »(!)

Et vous quelle est votre plus vieille donnée présente sur votre disque dur?

Attention, vos vieilles cartes perforées ne comptent pas (sauf à en faire le transfert aujourd’hui, et je vous souhaite bien du courage).

Et ne me demandez pas le contenu de ce vieil email! C’est ridicule personnel.

La voiture hantée

Il y a quelques jours, en allant faire une course au supermarché, j’entends un bruit de tôle violemment froissée à quelques mètres de moi.

Surpris, je tourne la tête et aperçois une voiture perpendiculaire au trottoir avec le pare-chocs avant en butée sur un gros plot de béton renversé. Aïe.

Mais le plus étonnant, c’est qu’il n’y avait personne dans la voiture…

En regardant d’où pouvait bien provenir la voiture, je remarque une dizaine de mètres plus loin une place de parking vide. Le propriétaire de la voiture avait probablement mal serré son frein à main, ou celui-ci a cédé, laissant la voiture glisser vers son emboutissage final.

Quand je suis revenu de ma petite course, la voiture était toujours là, et une voiture avait pris sa place sur le parking. J’ai tout de suite pensé à ce dessin de Boulet

J’ai failli laisser une petite note sur le parebrise de la voiture accidentée: « désolé, mais j’avais besoin de me garer rapidement, aussi j’ai pris votre place de parking… »

Dire à expert

En procédure civile, lorsque l’une des parties a le sentiment de ne pas avoir été entendue, ou qu’il ne lui a pas été apporté de réponse satisfaisante aux questions posées, cette partie, par l’intermédiaire de son avocat, et de façon contradictoire en en adressant une copie à l’autre partie, à la faculté de rédiger un document qui s’intitule « dire à expert » qui expose par écrit sa position. L’expert est obligé de répondre aux dires des parties.

Article 276 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC pour les intimes)

L’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Toutefois, lorsque l’expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.

Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.

L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu’il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.

Extrait du livre blanc de l’expertise judiciaire:

En principe, le dire, que l’expert doit joindre à son rapport, doit formuler des observations ou des réclamations des parties.

Le dire doit être porteur d’une argumentation : la preuve en est que l’expert doit lui donner une suite et l’annexer à son rapport.

Or, on constate fréquemment que:

– il y a une inflation des dires, en particulier en fin d’expertise, voire à la veille du dépôt du rapport;

– il en est qui visent seulement une transmission de pièces techniques, demandées ou non par l’expert, comme si le conseil voulait s’assurer qu’elles seraient bien examinées;

– certains dires constituent plus une manière de poursuivre un dialogue conflictuel entre certains avocats ou certaines parties en prenant l’expert à témoin, qu’un apport d’argument;

– d’autres suggèrent de véritables extensions de mission sans respecter le formalisme des textes;

– des dires ­ trop longs ­ sont surchargés d’arguments hors sujet par rapport à la mission d’expertise ou même soulèvent des problèmes de droit pur qui échappent évidemment à la compétence procédurale de l’expert et au champ de la mission;

– les avocats laissent parfois leurs clients ou leurs experts d’assurance rédiger eux-mêmes des dires peu clairs souvent chargés de subjectivité, voire d’agressivité ou de contrevérités;

– ces dires hors sujet sont souvent d’un volume excessif; ils encombrent inutilement les diligences et l’avis de l’expert.

On assiste ainsi à une dérive de l’emploi du dire, qui, de support d’arguments, se transforme en un processus systématique, à la fois procédé dilatoire et rideau de fumée.

L’expert est plutôt mal protégé contre cette déviation qui constitue une véritable pollution de l’expertise.

Le juge auquel il va s’adresser ne pourra, en l’état des textes et de l’usage qu’en font certains avocats, que lui recommander de les appliquer, c’est-à-dire d’annexer au rapport des écrits largement digressifs et de formuler à leur sujet un avis, qui pourra alors être très bref… et consistera à préciser que le dire n’a aucun rapport avec la mission.

Il reste en outre à l’expert à régler, en accord avec les parties et leurs avocats ou, à défaut, avec le juge, le problème de la jonction au rapport des annexes des dires, dont le volume est souvent beaucoup plus important encore que celui des dires eux-mêmes.

Une anecdote:

J’avais déposé un pré-rapport auprès des parties afin qu’elles puissent formuler des dires. J’avais donné comme souvent une date limite correspondant à un vendredi soir afin de disposer du week-end pour répondre aux dires.

C’était avant l’introduction d’internet dans la procédure aussi les dires étaient traditionnellement adressés sous forme papier. Il me fallait donc un temps certain pour:

– soit saisir les dires sur mon ordinateur (par OCR ou saisie manuelle), ce qui est énervant quand on sait qu’une personne les a déjà saisis sous forme numérique avant de les imprimer…

– soit procéder à un découpage-ciseau-collage savamment synchronisé avec l’impression de mes réponses.

Il faut bien un week-end complet pour cela.

Dimanche soir, à 2h du matin (lundi donc en fait), mon rapport était fin prêt: 50 pages, dont 10 de savants collages et 200 pages d’annexes.

Lundi midi, je saute mon repas pour courir à la reprographie près de l’école (j’y croise souvent quelques uns de mes étudiants légèrement embarrassés de trouver l’un de leurs tortionnaires dans ce temple de la copie du savoir). Un exemplaire pour chaque partie (trois dans cette affaire), deux exemplaires pour le magistrat (la justice ne rechigne pas à faire parfois quelques économies sur le dos de la partie qui paiera l’expertise). Je garde l’original pour moi.

Lundi soir, en rentrant chez moi avec tous ces exemplaires sous le bras sur les bras, que vois-je sur mon télécopieur: un dire (tardif) de vingt pages.

Aaaaaaarg.

La date de dépôt du rapport était fixé par le magistrat au lendemain mardi. L’avocat indiquait qu’il me fallait tenir compte de son dire à défaut de nullité de mon rapport.

Que faire?

Bien sur, je pouvais expliquer que le dire étant arrivé trop tard, je n’avais pas pu l’intégrer à mon rapport avant de l’imprimer, etc. Mais j’ai le sentiment que ce type d’argument trop terre à terre ne tient guère et donne une piètre image de l’expert (et pourtant!).

J’ai donc couru jusqu’au Palais pour y déposer mon rapport en case.

Au retour, j’ai écris de ma plus belle plume:

« Maître, ayant déposé mon rapport, je ne suis plus en charge de ce dossier. Les dires que vous m’avez adressé ce jour hors délai n’ont donc pas pu être pris en compte. »

Cela a fait tout un patakès.

Mais le magistrat m’a donné raison!