Dans le cadre des rediffusions estivales, je vous propose ce billet publié en février 2011, et qui rappelle le danger des cheveux longs…
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La pratique de la spéléologie dans le club qui m’a formé était un
mélange d’exploration, de formation à la pratique, de formation à
l’encadrement et d’éveil à l’intérêt scientifique de cette discipline.
Une fois passés les premiers niveaux de la pratique, j’ai donc très vite
été incité à devenir encadrant, c’est-à-dire à passer le diplôme
d’initiateur. A cette époque, vous aviez déjà 3 niveaux de diplômes
spéléos: “initiateur”, celui qui peut emmener des débutants dans des
cavités adaptées (en particulier sans grand puits), le “moniteur”, celui
qui savait tout sur tout en plus d’être un sportif accompli, et enfin
“l’instructeur”, le demi-dieu de la spéléologie.
Je n’ai jamais dépassé le niveau “initiateur”, préférant me spécialiser dans la manipulation des explosifs pour servir à quelque chose dans l’équipe de spéléo-secours de mon département.
J’ai donc encadré plusieurs sorties spéléos emmenant des débutants du
club, très nombreux chaque année. L’une de ses sorties restera dans ma
mémoire.
La préparation d’une sortie spéléo est très minutieuse, surtout quand on
doit parcourir des centaines de kilomètres pour pratiquer ce sport. On
regrette très vite d’avoir oublié une corde indispensable, entraînant
l’annulation frustrante de la suite de l’exploration. Il faut connaître
la topographie du gouffre choisi, regrouper les cordes appropriées, et
tout le matériel pour les accrocher aux parois, répartir tout cela dans
des sacs, organiser les repas, prévoir le gîte adapté, regrouper les
voitures, vérifier les assurances, faire les répétitions des gestes
techniques minimaux de manipulation du matériel de descente et de
remontée, vérifier les harnais, les casques, les lampes à acétylène, les lampes électriques de secours, prévoir les réserves de carbure de calcium, etc.
Le club disposait d’un vieux combi Volkswagen que j’ai été amené à
conduire souvent et qui nous permettait de partir à 8 avec tout le
matériel spéléo et nos sacs persos en payant un tarif réduit aux péages
(véhicule famille nombreuse).
Le gouffre sélectionné pour cette sortie n’avait qu’un seul puits, situé
dès l’entrée. Ce puits faisait 10m et démarrait une cavité assez jolie
par son cheminement souterrain bien que très fréquentée parce
qu’accessible pour l’initiation.
Quand nous sommes arrivés à l’entrée du gouffre, il y avait déjà
plusieurs équipes présentes sous terre, chacune ayant installé ses
propres cordes. Je m’empresse de procéder moi-même à la mise en place de
notre matériel (sous celui des autres équipes) et descend le premier
pour assurer la sécurité des débutants depuis le bas du puits.
Je laisse donc mon camarade initiateur s’occuper de la sécurité en haut
du puits, pour que chaque débutant soit placé sur la corde sans danger
de chute. Chaque sortie doit être encadrée par au moins deux diplômés
pour assurer la sécurité: l’un s’occupe du haut du puits, l’autre tient
solidement la corde depuis le bas, pour assurer la descente en douceur
du débutant. C’est cette tâche que j’avais choisie.
Je vois donc défiler, lentement mais sûrement, tout mon groupe, jusqu’à cette petite brune aux cheveux longs.
La descente sur corde en spéléologie nécessite l’emploi d’un appareil très simple à deux poulies fixes, tel que décrit ici sur Wikipédia.
La corde fait un demi-huit entre les deux poulies, et la gestion des
frottements (les poulies sont fixes) permet au spéléologue de maîtriser
sa vitesse de descente. En cas de problème (perte de conscience, panique
ou lâché de corde), la personne située en bas tire sur la corde et
arrive à stopper la personne avant qu’elle n’acquière une vitesse de
chute trop grande.
La consigne pour les cheveux très longs est de bien les attacher pour
éviter qu’ils ne se prennent dans le descendeur et ne se coincent entre
la corde et les poulies.
Las, mon camarade en charge de la surveillance du haut du puits était
très vigilant sur la bonne mise en place de la corde dans le descendeur,
moins sur les problèmes potentiels des longs cheveux. Et ce qui devait
arriver arriva: à mi chemin du puits, une grosse poignée de cheveux
s’est prise dans le descendeur, stoppant nette la descente de la jolie
brune dans un hurlement de douleur assourdissant.
Tout le poids de cette jeune fille reposait sur une partie de son cuir
chevelu qu’il tentait d’arracher… Plus je tirais sur la corde pour
m’assurer qu’elle ne descendrait pas d’un seul coup, risquant de se
briser les os à mes pieds, plus elle hurlait de douleur. J’étais bloqué
en bas.
Mon camarade du haut ne pouvait pas descendre sur la corde déjà occupée
(c’est une technique délicate qu’il ne maîtrisait pas) et restait
tétanisé par les hurlements qui remplissaient tout le puits. Je ne
pouvais pas bouger de mon poste car les cheveux (ou le cuir chevelu)
risquaient de rompre à tout moment et la malheureuse n’était plus en
état de gérer sa descente en douceur. Tout le monde était pétrifié.
Après quelques longues secondes d’hésitation, j’ai appelé un débutant
qui me semblait plus dégourdi que les autres. Je l’ai regardé dans les
yeux et lui ai expliqué ce que j’attendais de lui: qu’il tienne
solidement la corde en y mettant tout son poids malgré les hurlements.
La vie de notre camarade en dépendait. Après m’être assuré qu’il avait
compris et s’était mis en position adéquate, je suis monté sur les
cordes mis en place par les autres équipes qui nous avaient précédées.
Je me souviens de cette remontée de quelques mètres seulement qui m’a semblé prendre des heures.
Arrivé à la hauteur de l’infortunée chevelue, ma première pensée a été
de lui couper les cheveux avec la flamme de ma lampe à acétylène. Un
éclair d’intelligence m’a fait réaliser que l’ensemble de sa chevelure
risquait de prendre feu. Je la rassurais comme je pouvais, elle
alternait gémissements et hurlements, supplications et appel à l’aide.
J’ai alors retiré mon casque. Comme un moniteur du club me l’avait
enseigné, j’avais toujours, glissés dans mon casque, une couverture de
survie, la liste des question à poser en cas d’accident, un petit carnet
et un crayon pour prendre des notes, une boite d’allumettes et un tout
petit couteau.
En enlevant délicatement mes gros gants, j’ai saisi mon couteau avec
précaution pour ne pas qu’il ne m’échappe, je l’ai déplié, et j’ai
commencé à découper les cheveux pris dans le descendeur en expliquant à
voix haute ce que je faisais. Sa tête a fini par se relever. J’ai pris
la corde, demandé à l’assureur du bas de relâcher la tension, et j’ai
fais un nœud autour du descendeur pour empêcher sa descente.
Je l’ai prise dans mes bras pour qu’elle pleure de toute son âme.
Au bout de quelques minutes, j’ai remplacé mon équipement de remontée
par celui de descente, j’ai retiré le nœud de son descendeur et du mien,
et nous avons commencé la descente sur nos cordes respectives, elle
étant blottie contre moi, et moi tenant les deux cordes dans mes mains.
La descente s’est faite dans un silence rendu impressionnant par le vacarme précédent.
Il nous a fallu une heure pour repartir. Le cuir chevelu de la jeune
fille avait gonflé d’une manière alarmante. Nous sommes remontés côte à
côte sur deux cordes. Nous avons pris le temps nécessaire. Elle est
restée allongée dans la voiture pendant tout le trajet vers l’hôpital.
Elle n’a pas poursuivi la pratique de la spéléologie.
Depuis, nous vérifions pour chaque fille et chaque garçon qu’aucun cheveu ne dépasse.
Et nous avons tous un petit couteau dans notre casque.