Dans mon coeur

Au début des années 1990, j’étais jeune Maître de Conférences fraichement diplômé d’un doctorat en intelligence artificielle. Je poursuivais mes travaux de recherches dans le domaine des réseaux de neurones, tout en encadrant des étudiants ingénieurs et des stagiaires.

Stéphane était étudiant en IUT et devait effectuer un stage pour obtenir son diplôme. Nous passions des heures à discuter des problèmes informatiques liés à son sujet de stage et à mes travaux de recherche. Il a découvert dans mon laboratoire que l’informatique pouvait être pour lui un sujet passionnant. Son stage a été un succès car il y avait mis du cœur et s’était impliqué sans compter les heures. A la fin de son stage, nous avons fait un petit pot pour lui montrer que nous avions su apprécier sa gentillesse et son implication.

Je n’ai pas pu assister à sa soutenance de stage, car il s’était donné la mort.

De son suicide, il laissait à ses parents une lettre d’explication où il faisait part de son dégout de la vie. Ses parents m’ont contacté car un passage de cette lettre m’était adressé: il disait que les meilleurs moments de sa courte vie avait été son stage avec moi. J’en ai encore des larmes aux yeux en écrivant ce billet à sa mémoire.

Il aurait fêté aujourd’hui son anniversaire.

Bon anniversaire Stéphane, tu es toujours dans mon cœur et tu as toujours vingt ans.

Un dimanche matin

Je l’observe.

Il tient le fusil fermement.

Nous avançons prudemment, l’un derrière l’autre.

Je suis devant, protecteur, car je suis le plus expérimenté. Mais il apprend vite, et dans quelques temps, c’est moi qui le suivrai difficilement.

Pour l’instant rien ne bouge, mais le silence est trompeur.

Je regarde autour de moi. Quelques cadavres métalliques jonchent le sol, rien de préoccupant.

Soudain tout bascule: des T-7-T « Spiders » se dressent devant nous, avec un impitoyable HK (Hunter-Killers) en arrière plan. Je n’ai plus le temps de gamberger sur le niveau de violence, il faut y aller.

Mon fils a besoin du soutien d’un tir croisé, je réponds présent.

L’affrontement durera quelques minutes. Nous en ressortirons blessés, mais vivants.

Je lui tape dans la main. Il sourit.

C’était une petite scène de complicité masculine devant la Xbox360 ce dimanche matin, entre un père et son fils de 10 ans, jouant avec « Terminator Renaissance ».

Avec la réprobation générale des trois femmes de la maison…

Skynet n’a qu’à bien se tenir.

La salle de contrôle

J’ai toujours rêvé d’aller dans l’espace. Ma jeunesse a été bercée par les premiers hommes sur la lune (j’avais 5 ans en juillet 1969) et nombreux étaient ceux qui pensaient alors que l’espace serait accessible au plus grand nombre en « l’an 2000 ». Ayant atteint l’âge mûr sans voir le commun des mortels aller dans l’espace, j’ai tenté ma chance autrement, comme vous pourrez le constater si vous cliquez sur les différents liens présents dans ce billet.

En juin 2007, l’agence spatiale européenne a lancé une vague de recrutement de spationautes. Malgré mes chances infimes, et pour ne pas le regretter toute ma vie, j’ai postulé. J’en ai parlé ici-même. J’ai même fait 100 km pour trouver un médecin agréé JAR-FCL 3 Class 2, tel que demandé par le dossier de candidature… Mes chances n’étaient pas nulles, car je suis ingénieur généraliste, informaticien, spéléologue, sportif, bricoleur, marié avec trois enfants et prêt à vendre père, mère, femme et enfants pour un aller simple vers Mars. Je suis même enthousiaste pour y vivre dans une cavité à 1000 m sous la surface, à une pression atmosphérique et des températures acceptables et protégé des rayonnements solaires.

Je vous ai même déjà raconté mon voyage et ma vie dans de telles conditions…

Une fois mon dossier complet, en juin 2008, je me suis mis à rêver de plus en plus. Hélas, ma candidature n’a pas franchi la 1ère étape

J’ai ensuite essayé de participer à la mission « Mars 500 », mais sans plus de succès… Jusqu’au projet « Mars 2020 » !!!

En attendant, je travaille dur pour devenir multimilliardaire et me payer un ticket de « touriste » spatial. Tout le monde n’a pas le talent du dessinateur Boulet pour être invité à un vol parabolique zéro G

Mais quand j’ai vu passer sur Twitter la possibilité d’être retenu pour un live tweet au centre spatial de Toulouse, je me suis dit: « pourquoi pas moi? » et j’ai tenté ma chance. Et là, bingo! j’ai été retenu parmi les 60 heureux élus.

La deuxième étape a été de convaincre les services communications de l’ESA et du CNES qu’il était possible de venir twitter sous pseudonyme sans que mon identité soit révélée ailleurs qu’à la sécurité de l’entrée du centre spatial. Je dois dire que l’organisatrice du tweetup s’est démenée pour moi et a parfaitement su adapter les procédures ESA/CNES pour me permettre de participer. Je tiens à la remercier Séverine Klein du CNES chaleureusement pour cela.

L’objet du tweetup était de réunir un groupe de geeks passionnés d’espace à l’occasion de l’amarrage du cargo spatial européen à la station spatiale internationale. J’avais déjà suivi en direct sur internet l’amarrage du 1er cargo européen dont j’avais brièvement parlé ici.

Cette fois-ci, le CNES et l’ESA proposaient aux participants sélectionnés de venir à Toulouse voir la salle de contrôle et assister à l’amarrage, étant entendu que chaque participant gère lui-même son voyage et son hébergement, et que les services comm s’occupent de tout le reste: accueil, autorisations d’entrée dans le centre spatial, connexion wifi, tables et rallonges électriques, buffets, cafés, etc.

Après plusieurs heures de route vers Toulouse, me voici garé devant le CNES avec une heure d’avance sur le rendez-vous. Bien sûr, en touriste passionné, je me suis mis à mitrailler avec mon appareil photo l’entrée du centre spatial avant d’être gentiment rappelé à l’ordre par les agents de sécurité de l’entrée qui m’ont montré avec calme tous les panneaux rouges vifs interdisant les photos. Ils n’ont pas rigolé quand je leur ai dit que je venais faire un live tweet de l’ATV et que j’allais prendre plein de photos à l’intérieur. Heureusement, le service comm est arrivé avant que je ne me retrouve en slip.

Tout le groupe de twittos était à l’heure et chacun s’est présenté rapidement aux autres, avec un micro et en anglais. Parmi les participants au tweetup, il y avait entre autres, des français, des allemands, des italiens, des espagnols, des américains, des brésiliens et des japonais. L’ambiance était très décontractées et surtout très… geek. J’avais chaussé mes lunettes spéciales « anonymat » pour les photos, et tout le monde venait me voir pensant à des lunettes de réalité virtuelle. Bonjour la discrétion 😉

La soirée s’est poursuivie avec des discours des pontes de l’ESA et du CNES. Le clou a été l’intervention du spationaute italien Paolo Nespoli qui nous a passionné avec ses anecdotes vécues à bord de la station spatiale internationale.

La nuit a été dense en activités, et d’autres que moi le racontent très bien. Un wiki a même été créé pour l’occasion.

Moi j’attendais avec impatience la visite du centre de contrôle. Je n’ai pas été déçu. Plutôt que des mots, je vous propose de découvrir toutes les photos que j’ai faites sur mon album flickr.

Quelques extraits:

La salle de contrôle

Gros plan sur le poste de la directrice de mission

POLAR: Flight Control and GNC Systems Monitoring

Ecran général de la salle de contrôle

Le spationaute italien Paolo Nespoli

A 7 mn de l’arrimage…

J’en ai encore plein les yeux, et la tête dans les étoiles 🙂

Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire T1

Ce blog approche doucement mais sûrement des 700 billets publiés, et cela malgré le nettoyage régulier que je peux faire en supprimant des vieux billets « petits riens » datant du temps d’avant Twitter. Pour autant, la plupart des billets que je laisse en ligne racontent des petites histoires chères à ma mémoire et auxquelles j’aimerais donner une seconde chance, une autre vie.

En 2007, j’avais publié un livre reprenant 126 billets des débuts du blog. J’avais trouvé un éditeur en ligne qui me permettait de réaliser moi-même mon ouvrage et de le diffuser auprès des personnes intéressées, essentiellement ma famille et mes proches.

J’ai donc repris le livre de 2007 pour en faire une seconde édition[1] qui sera le premier tome d’une série intitulée « Dans la peau d’un informaticien expert judiciaire ».

Titre du 1er tome: « L’âge d’or est devant nous ».

Si certains lecteurs sont intéressés, cet ouvrage est disponible au format papier en commandant en ligne chez mon éditeur.

D’autre part, vous le savez sans doute, j’aime assez l’idée de partage et de libre diffusion sans DRM. Ce livre est donc également disponible gratuitement pour tous:

au format PDF (1480 Ko),

au format EPUB (282 Ko),

au format FB2 (330 Ko),

au format LIT (232 Ko),

au format LRF (263 Ko) et

au format MOBI (270 Ko).

Vous pouvez le copier et le diffuser librement auprès de vos amis ou de vos ennemis.

Un chantier autrement plus long qu’une réédition commence maintenant avec la publication des prochains tomes. Tri, choix, mise en page, corrections, relectures, vont m’occuper un certain nombre de week-ends. J’en ferai probablement une note de blog, à destination de tous les petits blogueurs comme moi qui souhaiteraient se faire plaisir avec dans leur bibliothèque un livre portant leur pseudo.

Et en diffusant ainsi mes anecdotes, je suis très heureux d’aller jusqu’au bout de la logique conseillée par la commission de disciple de ma compagnie d’experts judiciaires lors du « procès » de ce blog. C’est pourquoi je souhaite à tous bonne lecture de mes romans 🙂

Comme j’ai conscience qu’un nombre important d’internautes atterrissant ici n’iront pas acheter le livre ni télécharger la version électronique, je souhaite quand même publier ci-dessous la page des remerciements.

Remerciements:

Ce livre n’existerait pas sans l’aide des personnes suivantes (par ordre chronologique):

– Mes parents, qui m’ont donné le jour, élevé et éduqué avec affection et amour. La baisse sensible du nombre de fautes dans cette seconde édition doit beaucoup à la relecture de ma mère.

– Ma sœur qui m’a soutenu tout au long de mes études, en particulier dans les moments difficiles. Je lui dois une partie de ce que je suis.

– Mon épouse qui m’a soutenu devant toutes les difficultés rencontrées lors de la tenue du blog.

– Maître Eolas, dont les encouragements et le soutien ont largement contribué au succès du blog.

– Tous les blogueurs qui entretiennent avec moi des liens à travers les internets. J’apprends souvent beaucoup de nos échanges.

– Et, bien entendu, les lecteurs du blog.

En attendant, le blog continue.

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[1] La deuxième édition corrige essentiellement quelques fautes de frappe, place le numéro ISBN au bon endroit pour les diffuseurs tels qu’amazon.fr, ajoute le nom du tome et les remerciements. Inutile donc pour les personnes ayant acheté la première édition (collector!) de commander cette version sensiblement identique. Stay tuned pour les autres tomes 😉

320 kg d’explosifs

C’est le petit matin. Nous sommes huit à nous activer sous les regards attentifs des encadrants. Des trous ont été creusés la veille: un pour chacun d’entre nous.

Mon trou fait environ 10 cm de diamètre (à peu près la taille d’un DVD) et 10 m de profondeur. J’inspecte le contour parfaitement rond et retire les quelques cailloux qui risquent de tomber. Je regarde autour de moi: mes voisins les plus proches sont à quatre mètres de moi. Nous sommes tous tendus.

Je ne vois pas le fond du trou, trop sombre, mais je suppose et espère que les parois sont suffisamment lisses pour ce que je m’apprête à faire. Je me dirige vers le responsable de la carrière et lui demande mon bâton de dynamite. En fait de bâton, cela ressemble plutôt à un paquet de café bien cylindrique. Le « paquet » fait un kilo. Je le manipule avec précaution. C’est la première fois que je tiens autant d’explosifs dans les mains. Je prends également le détonateur électrique et son long fil de 15 m.

Je me redirige vers mon trou. Je regarde où je marche. Mes gestes sont précis, mais j’ai la peur au ventre. Je sais que si je tombe, il y a très peu de chance pour que mon pain de dynamite n’explose, mais je manque d’expérience, et ma semaine de formation me semble si courte.

J’enfonce le détonateur dans le pain de dynamite, j’enroule le fil électrique autour du pain pour pouvoir le soulever et je l’introduis dans le trou creusé dans le sol. Mon corps est un peu en retrait, juste au cas où, pendant que je laisse filer la dynamite au fond. Le pain a un diamètre légèrement inférieur à celui du trou, ce qui comprime l’air situé au dessous et amortit le « choc » de l’arrivée au fond. Je me sens comme l’ancien servant de mortier du XVIIe siècle…

Le pain de dynamite est en place au fond du trou. Je pose le fil électrique par terre et j’essuie un peu la sueur de mon front.

Je retourne voir le responsable de la carrière pour prendre mes sacs de nitrate-fuel. Ce sont des granulés très stables, qui pour exploser nécessitent une grande onde de choc. D’où la présence de mon pain de dynamite d’un kilo, lui même amorcé par un détonateur électrique contenant un gramme de pentrite. Il paraît que certains agriculteurs fabriquent eux-même les nitrates-fuel avec de l’engrais mélangé à du gazoil dans une bétonnière. Il paraît aussi qu’un mauvais mélange fait sauter parfois la bétonnière…

Je remplis mon trou avec mes granulés de nitrate-fuel. J’y déverse plusieurs sacs. Environ 40 kg d’explosifs…

C’est le dernier jour du stage d’une semaine pour devenir artificier. C’est le jour de l’examen pour obtenir le Certificat d’Aptitude au Tir. Huit candidats toujours en lice, huit trous, 320 kg d’explosifs.

Les examinateurs nous réunissent pour faire leurs critiques et corrections. Ils doivent désigner l’un d’entre nous pour effectuer le tir. C’est moi qu’ils choisissent. Je jubile.

Tout le monde s’écarte à une distance respectable des trous remplis d’explosifs. Je me retrouve seul avec un instructeur. Je passe d’un trou à un autre pour vérifier les fils électriques et les branchements. L’un des examinateurs a débranché discrètement des fils pendant le débriefing. Je corrige les défauts. J’annonce à l’instructeur que la mise à feu est possible. Il hoche la tête et coche une case sur sa grille d’évaluation.

Je branche ma ligne de tir sur le système et la déroule méticuleusement jusqu’au poste de mise à feu, 50 m en arrière de ce morceau de falaise au sommet de laquelle je me trouve et que je m’apprête à pulvériser. Ces cinquante mètres me semblent très courts…

Je branche le système de mise à feu que l’on appelle, je viens juste de l’apprendre pendant le stage, un exploseur. Le modèle que je vais utiliser est à manivelle. Une fois les fils électriques branchés, il suffit de tourner la manivelle pour charger un condensateur électrique qui va d’un seul coup se décharger et déclencher l’explosion. L’inconvénient est que je ne sais pas du tout au bout de combien de tours de manivelle l’explosion va se produire.

Tout le monde est à l’abri, enfin presque, car je me sens très proche des explosifs. La présence à mes côtés de deux instructeurs me rassure un peu. La petite route voisine vient d’être coupée. La sirène d’avertissement « tir imminent » vient juste de retentir. Elle a fait taire les oiseaux. Toute la carrière est silencieuse. Conformément aux consignes de sécurité, je suis débout. J’ouvre la bouche pour protéger mes tympans comme on m’a dit de le faire. Je lève la tête pour regarder le spectacle. Je tourne la manivelle, un tour, deux tours, trois…

L’adrénaline fait se dérouler la scène au ralenti: dans un vacarme assourdissant, je vois la falaise se soulever légèrement, puis s’écarter de la nouvelle falaise ainsi créée et s’effondrer dans un nuage de poussières.

C’est magnifique. Grandiose.

Je vois les deux instructeurs qui se trouvaient à mes côtés courir vers un bulldozer proche de nous. Ils me crient de les rejoindre. Je suis occupé à regarder, bouche déjà bée, des blocs de pierre monter vers le ciel: l’un des trous a fait canon. La ligne de fracture de la falaise, malgré le choix de détonateurs à retards différents, n’a pas été parfaite et la roche autour d’un trou a résisté quelques millisecondes, formant ainsi un canon dirigé à la verticale.

Mon cerveau, tout occupé à l’admiration du spectacle, n’a pas intégré immédiatement le fait que tous les blocs que je voyais monter dans le ciel, allaient finir par redescendre…

Je finis par bouger, mais je n’ai pas le temps de rejoindre sous le bulldozer les instructeurs. Je suis près d’eux, bien droit sous mon casque de chantier. Les blocs tombent autour de moi. L’un d’eux me fait dans le dos une estafilade que j’ai gardée longtemps en souvenir. Un bloc traverse la route devant les yeux médusés des conducteurs des voitures arrêtées qui râlaient quelques minutes plus tôt contre cette barrière abaissée.

Jamais plus, dans toute ma vie, je ne pense avoir à faire sauter autant d’explosifs d’un seul coup. Mais je me souviendrai longtemps encore de cette matinée en carrière, de cet examen final de mon certificat d’aptitude au tir, qui m’a permis de devenir artificier spéléologue.

J’espère simplement ne jamais avoir à m’en servir sous terre pour dégager un blessé.

Mise à jour de la direction

Je suis l’heureux propriétaire d’une voiture de marque Ford, modèle Galaxy, qui fait surtout la joie des enfants et de leurs amis puisqu’elle dispose de 7 vraies places assises et me donne l’agréable sensation d’être un chauffeur de bus, surtout lorsqu’il faut ramener tout ce joyeux monde chez eux à 2h du matin après une « boum ». C’est en fait une voiture qui fait surtout plaisir aux parents des autres enfants.

C’est pratique aussi pour partir en vacances au ski en famille avec un coffre gigantesque rempli de matériels et de vêtements encombrants… C’est donc plein de joie, de bonne humeur et de bonbons Haribo que nous sommes partis vers les montagnes à bord de ce magnifique vaisseau spatial, tout juste sorti de chez le garagiste pour une réparation anodine.

Après 1000 km d’autoroutes à peine désertes, nous voici en train d’aborder à la queuleuleu les premiers virages serrés des charmantes routes de montagne, quand soudain, un voyant s’allume sur le tableau de bord digne d’un airbus A380: incident direction assistée… C’est d’ailleurs à peu près au même moment, comme quoi l’informatique d’une automobile est bien faite, que le volant a décidé de fonctionner comme s’il pesait 10 tonnes.

Je préviens aussitôt les passagers du problème, me démarquant ainsi sensiblement d’un conducteur de TGV. J’arrive à garer le monstre sur le bord de la route, au grand étonnement des enfants tout occupés qu’ils étaient à observer l’inclinaison soudaine des plaines environnantes.

Fidèle à une tradition informatique, je décide de couper le contact, de laisser se reposer le véhicule quelques minutes, d’ouvrir la portière pour sortir faire un tour, de remonter à bord et de redémarrer. Hélas, le secteur automobile n’ayant pas encore appris le charme réparateur du reboot informatique, j’annonce scientifiquement et solennellement à ma famille stupéfaite: « Nous sommes en panne! ».

Seulement voilà, un samedi de chassé-croisé hivernal, je sentais comme un début de grosse galère au bord du chemin… Voyons, à quelle distance sommes-nous de l’objectif? 42 km me souffle mon fidèle TomTom portable, qui n’a rien à envier à Pensées Profondes. Bon, 42 km, ça se tente, même sans assistance, même en montagne.

Voici donc le siège conducteur transformé en salle de musculation: les deux mains solidement accrochées au volant, manches de la chemise remontées, j’entame la longue ascension, tel un prédicateur ressuscité, luttant contre les dix personnes accrochées aux roues pour m’empêcher de virer avec la souplesse et l’élégance habituelles.

Tel un héros des temps modernes (Edward Cullen?), j’arrive par ma force surhumaine à mener mon équipage à bon port.

Une semaine se passe.

Les vacances s’achèvent et avec elles la joie des enfants de la station regardant avec des yeux brillants mon monoski extraterrestre et l’étrange équilibriste posé dessus.

Nous voici à nouveau devant le monstre de métal. Je tourne la clef dans un moment d’intensité émotionnelle rare. Le moteur démarre. La direction fonctionne. Le froid et l’altitude a fait son œuvre, comme chacun sait, réparatrice. Et bien sûr, au beau milieu d’un virage de la descente, après un quart d’heure de voyage, la direction se raidit de nouveau: me voilà parti pour 1000 km de routes aux commandes d’un fer à repasser en fonte, tel Chuck sur son Bell X-1-2 modèle 46-062.

Une fois encore, comme Ulysse, j’arrive à bon port.

Le lendemain, dès le paître jacquet, je fonce chez le garagiste ayant effectué une réparation bénigne (la veille du départ), un « simple » changement de démarreur: « Comment! Quoi! Mon automobile serait sortie de ce garage moins fiable qu’elle ne serait entrée! », dis-je en entrant dans la concession, tel fiert qui ne tue pas.

L’aimable tenancier, au sourire désarmant, prend le problème en main d’une manière toute professionnelle pour garder un bon client: « Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout ».

Une journée s’écoule pendant laquelle je sauve des étudiants de l’analphabétisme informatique. Le lendemain, je retourne voir mon destrier métallique et son palefrenier.

Lui: « Bon, alors, mécaniquement, on n’a trouvé aucun problème. »

Moi: « … »

Lui: « Et donc on a regardé les consignes du constructeur pour les cas identiques au vôtre. En fait, il y a une mise à jour du logiciel qui équipe votre ordinateur de bord pour mieux étalonner la gestion de la direction assistée. On a fait la mise à jour et votre problème est réglé. »

Moi: « !!! »

Donc, je résume: le véhicule auquel je confie ma vie, celles de ma femme et mes enfants, ainsi que celles de toutes les personnes que je croise, est muni d’un programme capable d’annuler arbitrairement le fonctionnement de l’assistance d’une direction, organe vital s’il en est sur une voiture! Et la solution tient dans une mise à jour ?!

Mon dieu, ils l’ont fait.

Les grands bonhommes verts

Nous sommes isolés dans ce grand désert blanc. Il est temps de faire une pause. Blottis les uns contre les autres, tels des manchots empereurs immobiles, nous restons silencieux devant la beauté de la nature qui nous entoure.

Nous sommes dans les années 80, l’année 2000 est encore loin et reste une référence de modernité futuriste. C’est l’époque où je me suis plongé par hasard dans l’univers de la science fiction en ouvrant par le milieu « Dune » de Frank Herbert (un pavé de 746 pages!) sans pouvoir le refermer avant d’arriver à la fin pour le recommencer ensuite depuis le début.

Alors que mes pensées vagabondent à plusieurs années lumières, j’aperçois au loin un groupe de personnes. Je les regarde s’avancer comme des Fremen, démarche silencieuse, souple et arythmique, fondus dans le désert blanc. Ont-ils les yeux bleus sur fond bleu à cause de l’Épice?

Mon guide les a aperçus et se redresse, attentif.

Il se rassoit, soulagé, en disant: « Tiens, voilà les grands bonhommes verts… »

La réverbération du soleil alentour m’empêche de distinguer les détails. Je plisse les yeux pour mieux voir. Certains portent un distille avec un tuyau en provenance de leur dos. Ils sont tous vêtus de vert, avec une grosse bosse sur leur dos. Leurs têtes sont nues, lisses et vertes également. En regardant bien, je distingue une antenne qui leur sort du dos…

Je me sens comme Luke Devereaux dans « Martiens, Go Home! » de Fredric Brown: que font tous ces martiens sur ma planète!

Ils s’avancent vers moi, je commence à distinguer leurs visages. Ils transpirent. Leurs crânes nus sont en fait des casques, la bosse de leur dos un énorme sac à dos duquel dépasse une antenne de transmission, et leur démarche de Fremen vient des raquettes qu’ils ont aux pieds. Ils passent devant nous silencieux, comme si nous n’existions pas.

Un groupe de militaires tout de vert kaki vêtus marche dans la neige. Je viens de finir mon service militaire, je les regarde avec compassion.

Quelques minutes après, mon moniteur de ski se lève et nous rechaussons nos monoskis. La montagne renvoie en écho son cri: « Allez! On les rattrape, bande de limaces! »

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Je pars demain au ski. Il paraît que la mode va revenir aux monoskis. J’aurais moins l’air d’un dinosaure 😉

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Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Source: https://www.render.ru

Mademoiselle

J’ai toujours appelé mes étudiantes « madame », et cela les a toujours fait réagir de façons diverses.

Un jour, alors que j’étais en train de faire cours dans un amphithéâtre, une étudiante arrive en retard. J’ai une gestion des retards qui consiste à ne jamais rien dire quand la personne retardataire se fait discrète. Après tout, tout le monde peut arriver en retard, avec même parfois une très bonne raison. Il me semble inutile que je perturbe moi-même le cours en faisant une remarque.

Sauf que cette jeune personne (mes étudiants ont entre 17 et 25 ans) a décidé de venir s’assoir au milieu de l’amphithéâtre au milieu d’une rangée, obligeant ainsi la moitié des étudiants de la rangée à se lever pour qu’elle puisse aller s’assoir.

Je m’interromps alors, regarde la personne en train de faire bouger tout le monde et prends ma voix la plus glaciale possible en prenant l’amphithéâtre à témoin: « Je vais attendre que Madame s’installe ! »

L’étudiante me répond du tac au tac: « Mademoiselle ! Pas Madame ! »

Je lui explique alors, toujours avec ma voix la plus glaciale: « Votre vie privée ne regarde que vous. Je n’ai pas à connaître votre situation familiale, si vous êtes mariée ou célibataire. Dans la mesure où je m’adresse aux jeunes hommes ici présents sous le vocable « Monsieur », en non pas « Mondamoiseau » pour la plupart, par souci d’égalité, je m’adresse à toutes les jeunes femmes ici présentes sous le terme « Madame », ne vous en déplaise! »

Ayant mis tous les étudiants mâles de mon côté par ce trait d’humour décapant, je poursuivais mon cours, magistral et serein, comme un petit Salomon d’amphithéâtre (ref).

J’ai toujours regretté l’attitude que j’avais eue ce jour là, car il est si facile de clouer au pilori une jeune fille, même un peu impertinente, quand on dispose du « pouvoir » de l’autorité du professeur. A ma décharge, il arrive aussi que les professeurs se fassent déborder par l’impertinence des étudiants, mais c’est une autre histoire.

Dans la plupart des cas, les étudiantes réagissent par un sourire, surtout si cela se passe à la fin d’une discussion, quand je réponds à un « Au revoir, Monsieur » par un « Au revoir, Madame ». J’ai souvent comme remarque: « C’est la première fois qu’on m’appelle comme ma mère! ». J’explique ensuite ma vision de l’égalité mondamoiseau-mademoiselle, ce qui les fait franchement rire. Parfois la discussion peut même se prolonger sur le thème plus général du sexisme, avec des idées qui n’ont rien à envier aux suffragettes…

Je leur rappelle également qu’avant la Première Guerre mondiale, les femmes étaient généralement considérées comme intellectuellement inférieures, voire ne pouvant pas penser par elles-mêmes, ce qui ne lasse pas de les surprendre, elles qui s’engagent dans des études d’ingénieurs!

Une fois, dans mon bureau, une étudiante est restée tétanisée par mon « Au revoir Madame » et s’est effondrée en larmes… Entre deux sanglots, elle m’a expliqué que sa maman venait de mourir et que sans le faire exprès, le fait de l’appeler, elle sa fille, Madame, avait touché une corde sensible. Je me suis excusé comme j’ai pu, tout en lui donnant mon mouchoir en tissu (propre!) confirmant ainsi à ses yeux être définitivement ancré dans le XXe siècle…

Pourtant, je suis heureux de rappeler en conseil municipal qu’on ne dit pas ‘heure des mamans’ pour la sortie des classes, mais ‘heure des parents’ (ou ‘heure des nounous’). J’accompagne tous les jours mes enfants à l’école, et je ne suis pas au chômage pour autant. Les mentalités changent doucement, très doucement, et cela passe par une attention aussi sur les petits détails.

Je vouvoie aussi mes étudiants, par respect, même les plus jeunes, ce qui ne manque pas également d’en étonner certains.

Il faut bien là aussi une première fois.

Frimas d’hiver

J’aime beaucoup l’outil Twitter qui me permet de découvrir des liens ou des informations en quelques heures minutes sur tous les thèmes. Hier, je suis tombé sur un flood de @eBlacksheep qui racontait un souvenir militaire qui m’a touché, parce que j’ai connu à peu près la même expérience. Je le publie ici, pour mon plaisir et avec son aimable autorisation. Je garde la mise en page propre aux messages courts de Twitter.

Sur la colline, le vent sibérien brûle mes derniers espoirs de confort. J’attends le transport qui me soustraira aux morsures du froid.

Contingent 99/12, je me souviens. Le Valdahon, la petite Sibérie. On nous a coupé les cheveux, très courts.

On nous a ordonné de mettre des joggings bleus électriques avec un sigle bleu blanc rouge et une épée.

Et puis nous avons attendu, raides et alignés, dans le froid de la petite Sibérie, dans le vent furieux d’appétit.

Nous ne savions pas. Nous ne savions pas que notre bonheur par la suite de porter le kaki serait la marque de notre chute.

Un matin, soleil endormi derrière l’horizon nous nous levons. Saisis immédiatement par le vent hurlant, dévoreur de talent.

Au garde à vous, nous attendons. Nos yeux pleurent, nos âmes se tapissent au fond d’un vide insoupçonné.

L’on part chercher un fusil, un FAMAS et un chargeur vide. Les camions arrivent. Nous les regardons plein d’espoir, promesse d’ailleurs.

Nous attendons, stoïques et souffrants, dans le vent. L’odeur du gasoil froid nous retourne le cœur, l’esprit s’est rendu au midi.

Nous montons enfin, le treillis raidi, la parka à peine doublée, insignifiants talismans. La petite Sibérie nous a pris.

Dans le camion, c’est pire, partout le vent, le cahot et le tumulte. Froid assis est pire que froid debout.

Nous arrivons dans des bois blancs, le givre à l’œuvre a dévoré les couleurs et nous regarde menaçant.

Paquetage ordonné, tente montée de tremblements, de doigts gourds, de larmes gelées. Vient le rassemblement.

Il neige. Une neige pourrie, mouillée qui gèle à nos pieds. Nous partons en maraude dans les bois accomplir moult exploits.

De retour, transis, gelés, épuisés, mouillés jusqu’au ticheurt un feu nous attend au camp de fortune. Vite, mettre les pieds dedans.

Enfin sentir la vie, la flamme, l’espoir. Vite se détourner, courir, ils ont lancé une grenade dans le feu en rigolant grassement.

Trois blessés pour cette blague de potache. L’un a couru, épuisé, dans une branche et saigne abondamment. Les autres brûlés par les braises.

Il faut demeurer aware, c’est la guerre. La nuit, mouvements par petits groupes. Les infirmiers font des va-et-vient.

Le froid a aboli nos sens, nous perdons l’équilibre, ne voyons plus, nos gestes ne sont plus nos volontés. Beaucoup de blessés.

Des branches, des racines, des visages giflés, des entorses. Certains craquent et menacent de leurs armes chargées à blanc.

Dans la tente, l’ordre de dormir avec son FAMAS est donné. C’est l’ordre de dormir avec un pain de glace à ses côtés.

Nul sommeil pour celui qui mouillé, frigorifié, affamé est allongé sur la terre gelée. Attente. Espoir du jour, du soleil froid.

Enfin. Deux ne se sont pas réveillés, ils sont hospitalisés. Hypothermie. Je calcule pour autant que je peux.

En 24 heures de terrain le peloton a perdu plus d’un homme par heure.

Nous repartons, mes doigts mouillés et gelés ressemblent à la peau fripée d’un vieux bébé. Mon index ne bouge plus.

Pour tirer sur les cibles en carton cachées dans la forêt, je bouge ma main, l’index raide sur la gâchette.

Ce n’est plus un coup de doigt, c’est un coup de main. Mouvement, une grenade explose au ralenti, je plonge en planant longtemps, j’atterris.

Les épines du buisson m’accueillant ont fait leur œuvre. ma main est visqueuse dans le gant mouillé.

Le pouce ouvert, flétri et mou, s’est offert sans résistance à la pointe de la nature. Ce n’est rien me dit-on.

Je lèche mon sang. Vampire de moi même. Encore deux blessés dans mon groupe, cette fois, retour au camp.

Le colonel commandant le régiment est là, mine sévère. Le peloton est décimé. Alerté par l’infirmerie, il est venu commander.

Le regard dur sur l’adjudant chef commandant le peloton, il ordonne le retour au régiment.

Je me souviens, petite Sibérie. Je me souviens du vent idiot, du froid insensé qui faisait sonner les cloches de la destruction.

3 février 2012 eBlacksheep