Il y a longtemps que je souhaite écrire un billet sur le sujet du piratage, mais je n’arrive pas à trouver le ton ou les mots justes (ou peut-être simplement un ton politiquement correct).
Mais quand ma fille a reçu de la part du papa d’un de ces copains d’école le cédérom gravé d’un chanteur à la mode, je me suis vraiment rendu compte que le phénomène apparaissait maintenant au grand jour sans complexe.
Comment expliquer à ses enfants que ce que font tous leurs copains est illégal?
Comment expliquer que regarder des clips TV sur YouTube est interdit?
Comment résister?
Comment rester incorruptible?
Je me sens un peu comme Eliot Ness, dans le film de Brian De Palma…
Surtout que je partage en grande partie les idées de Tim O’Reilly sur le sujet (son texte date de 2002!). Extraits sous forme de résumé, de la traduction de Philippe Aigrain:
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– L’obscurité est une menace bien plus grave que le piratage pour les auteurs et créateurs.
Des dizaines de milliers de musiciens éditent eux-mêmes leurs CD. De rares élus ont un contrat d’enregistrement. Parmi ceux-ci, seuls un nombre encore plus petit voient leur disques atteindre des ventes significatives. Le fond de stock des éditeurs musicaux est inaccessible pour les consommateurs parce qu’ils n’atteint jamais les magasins. C’est l’obscurité.
– Le piratage, c’est un impôt progressif.
Pour tous les créateurs, qui travaillent pour la plupart dans l’obscurité, être assez connu pour être piraté serait le couronnement de leur carrière. Le piratage est une sorte d’impôt progressif, qui peut raboter quelques pour cent des ventes d’artistes connus, en échange de bénéfices massifs pour les créateurs bien plus nombreux à qui une visibilité plus grande peut apporter des revenus supplémentaires.
– Les consommateurs ne demandent pas mieux que de respecter la légalité, s’ils peuvent.
Piratage est un mot lourd de sens, que nous réservions autrefois à la copie/revente en gros de produits illégaux. L’application récente de ce mot par l’industrie musicale et cinématographique au partage de fichiers pair à pair fait obstacle au débat honnête.
Le partage de fichiers en ligne est l’œuvre de passionnés qui échangent leur musique parce qu’il n’y a pas d’alternative licite, à un juste prix.
– Le vol a l’étalage est une menace plus grave que le piratage.
Il n’y a pas de problème significatif de piratage aux Etats-Unis et en Europe. Le fait que les logiciels de Microsoft aient été accessibles depuis des années sur des sites de téléchargement ou plus récemment sur les réseaux pairs à pair d’échanges de fichiers n’a pas empêché cette société de devenir l’une des plus grandes et plus profitables du monde. Les estimations de « manque à gagner » supposent que les copies illicites auraient été payées ; à l’opposé on ne tient pas compte des copies qui sont vendues comme « mises à jour » à cause de la familiarité qu’ont permis les copies illicites.
Le problème réel est analogue, au plus, à celui du vol à l’étalage, qui représente une perte agaçante pour les activités commerciales.
– Les réseaux de partage de fichiers ne menacent pas les livres, la musique ou l’édition de films. Ils menacent les éditeurs existants.
Les nouveaux médias n’ont pas remplacé historiquement ceux qui leurs préexistaient, mais ont plutôt étendu les marchés, au moins à court terme. Il y a des occasions d’arbitrages renouvelés entre le nouveau média de distribution et l’ancien, et par exemple, la montée en puissance des réseaux de partage de fichiers a nourri l’échange de vinyles et CD (non disponibles par les canaux commerciaux classiques) sur eBay.
Dans le futur, il se peut que les services d’édition musicale en ligne remplacent les CD et d’autres médias de distribution physique, tout comme la musique enregistrée a relégué les éditeurs de partitions dans un marché de niche, et, pour beaucoup, ont transformé le piano domestique en un emblème nostalgique bien éloigné du centre familial d’accès à la musique qu’il constituait autrefois. Mais le rôle des artistes et des éditeurs musicaux ne disparaîtra pas. La question n’est pas alors celle de la mort de l’édition de livres, de l’édition musicale ou de la production de films, mais plutôt celle de savoir qui seront les éditeurs.
– Ce qui est gratuit finit par être remplacé par un service payant de meilleure qualité.
Pourquoi est-ce que vous paieriez un morceau que vous pourriez avoir gratuitement ? Pour la même raison que vous achèterez un livre que vous pourriez emprunter dans une bibliothèque publique, ou achèterez un film sur DVD que vous pourriez regarder à la télévision ou louer pour le week-end. Parce que ce sera pratique, facile à utiliser, à cause du choix, de la facilité de sélection, et pour les enthousiastes à cause du simple plaisir de posséder quelque chose auquel vous tenez.
– Il y a plusieurs façons d’y arriver.
C’est la leçon finale. Donnez au wookie ce qu’il veut! comme le disait Han Solo dans le premier Stars Wars. Donnez-lui d’autant de façons que vous pouvez en inventer, à un juste prix, et laissez-le choisir ce qui lui convient le mieux.
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Tant que les politiques suivront les éditeurs qui s’accrochent à l’idée qu’ils font faillite à cause des réseaux peer to peer, ils voteront des lois liberticides.
Un peu comme si les autoroutes étaient fermées à la demande des banques, sous prétexte que les gangsters les « empruntent ».
Mais pour autant, ces lois s’imposent à tous.
Si vous voulez les changer: aller voir votre député. Ou votez!
Vous l’avez compris, je me sens comme l’Eliot Ness de la dernière séquence du film, lorsqu’il répond à la question « Qu’allez-vous faire lorsque la prohibition sera terminée? »
« J’irai boire un verre! »
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Photo d’Eliot Ness: source wikipedia.