Le film d’horreur permanent

En discutant avec mes enfants ce week-end, ils se sont gentiment moqués de moi parce que j’envisage toujours les pires accidents.

Je dois dire que je vis dans un autre monde que celui de la plupart de mes amis: je vois l’accident partout. Lorsque je conduis, j’imagine un enfant surgissant d’entre deux voitures stationnées. Sur l’autoroute, s’il m’arrive quelques minutes de conduire avec une seule main sur le volant, dès que j’en prends conscience, je repositionne mes deux mains correctement en imaginant un pneu qui éclate…

Je vis en permanence dans un monde ensanglanté, où tout évènement est prétexte à accident douloureux.

J’occupe depuis bientôt deux ans le poste de responsable des services techniques, en plus de mes anciennes attributions de responsable informatique. J’ai donc à ce titre la charge de la sécurité du personnel et des étudiants, au sein d’un établissement recevant du public. L’établissement où je travaille est sain et sécurisé, mais il est toujours possible d’améliorer les conditions de travail et d’accueil: personnes handicapées, systèmes d’alarmes, organisations des salles, etc.

Lors de notre dernière formation SST, le formateur a remarqué qu’une table se trouvait devant une issue de secours dans la salle d’examen. Je n’avais pas remarqué lors de ma dernière visite, et les surveillants d’examen avaient “amélioré” les espaces séparant les étudiants en réagençant les tables pour gagner de l’espace… jusque devant les issues de secours! J’ai aussitôt imaginé une nuée d’étudiants cherchant à sortir en courant en cas d’incendie…

Lors d’une discussion préparatoire aux journées portes ouvertes de l’établissement, j’ai indiqué que, contrairement aux habitudes, les portes coupe-feux resteraient fermées, et non pas bloquées par des cales. Cela a fait une mini-révolution qui s’est encore reproduite cette année (“Quoi? Une journée portes ouvertes avec des portes fermées?!”)

Je sais, et vous savez, et tout le monde sait que j’ai raison. Mais personne ne semble imaginer le pire mieux que moi.

En fait, maintenant que j’y réfléchis, cela semble remonter très loin dans le temps. Aussi loin que portent mes souvenirs, je me revois en train de soupeser le pour ou le contre face à tel ou tel danger imaginé.

En spéléo: “Faut-il s’engager dans cette direction? Dispose-t-on d’assez d’eau? La corde a-t-elle un noeud à son extrémité?…”

Lors de mon stage d’artificier: “Le fil est-il assez long? Que faire si un bloc blesse quelqu’un? C’est quoi déjà les numéros d’urgence?…”

Pendant la préparation de notre voyage aux USA: “Que doit-on avoir comme papier sur soi si l’on doit être hospitalisé? Comment appeler les secours dans un parc national? Faut-il payer cash une évacuation par hélicoptère ou par ambulance?…”

C’est assez éprouvant pour mes proches qui n’ont pas forcément envie d’envisager toutes les catastrophes possibles pendant les préparatifs d’une fête ou d’un voyage (n’empêche, j’ai toujours un seau d’eau près de moi quand je fais un barbecue).

C’est pourquoi, en général, je garde pour moi mes visions d’apocalypses et gère tout seul mes cauchemars éveillés. Je reste quelqu’un d’assez souriant et j’ai à mon actif quelques beaux gestes. Je suis assez habitué pour ne rien laisser transparaitre, sauf peut-être lorsque mes enfants me questionnent (dis papa, pourquoi tu nous obliges à porter un casque à vélo?).

Non, je ne vis décidément pas dans un monde de bisounours… Même si je viens de décider d’ouvrir à tous les vents mon réseau Wifi (oui, ni Wep, ni WPA, ni portail captif). En test bien entendu, mais ouvert à tout le monde.

Pourtant, mon esprit est toujours plein d’idées morbides. J’aurais pu être conseiller technique de terroristes, ou scénariste dans un film d’action (ou d’horreur).

Et puis, il y a toujours plus triste que soi. Tenez, par exemple, je viens de recevoir un email d’une jeune femme veuve africaine dont le mari fortuné est mort brutalement sans avoir pu régulariser sa situation financière et qui semble rechercher désespérément une aide pour transférer une somme assez coquette…

Moi, bien sur, j’y vois la plus louche des intentions.

Tout cela me mine au plus haut point.

Heureusement, il y a l’évacuation par l’écrit.

Sur mon blog par exemple.

Avec sa couleur noire.

13 réflexions sur « Le film d’horreur permanent »

  1. En ce qui ma paranoïa qui a les mêmes symptômes que la votre, je me réconforte en me disant que l’étude du pire des cas est prépondérante sur l’étude du cas moyen en algorithmique. Je me dis que j’ai donc tout simplement, par déformation professionnelle, appliqué ce principe à la “vie réelle”.

  2. Pourquoi diable tester l’ouverture de votre Wi-Fi ? Pour récolter des login/mots de passe ?
    Pour ma part je viens juste de sécuriser le mien avec WPA Entreprise (FreeRadius + certificats X.509) !
    Sinon concernant la crainte des enfants qui surgissent entre 2 voitures : rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul. Pour ce qui est du pneu sur l’autoroute par contre (ça m’est arrivé adolescent), je devrais m’y mettre.

  3. @Jok: Je me demande si j’ai orienté ma carrière professionnelle à cause de cette paranoïa, ou bien si cette paranoïa s’est développée à cause de mes occupations professionnelles. Je penche plutôt pour la première solution.

    @GoM: Notre serveur radius ne s’est pas remis du “aptitude dist-upgrade” lors du passage de Etch vers Lenny (Debian). Du coup, pour éviter de perturber les étudiants, j’ai désactivé le portail captif. Comme tout le monde semblait content, que les professeurs et conférenciers invités pouvaient officier sans contrainte, j’ai laissé tout en place “pour voir”. Les bornes s’éteignent le soir à 21h et se rallument le matin à 7h30. Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… Jusqu’au piratage final qui arrivera certainement.

  4. Vous devriez consultez des statisticiens 🙂

    Comme disais l’un d’entre eux, il y a une chance sur 500 000 pour que l’avion que vous preniez ai a son bord une bombe, si vous n’êtes pas convaincu, je vous dirais qu’il y a une chance sur 25 000 000 pour que ce même avion contienne deux bombes, si ca vous rassure d’avantage, prenez une bombe avec vous pendant vos voyages.

  5. Je pense que c’est dans nos gênes et que…cela vient de maman…je suis câblée comme toi…et vis la même chose…c’est amusant que l’on n’en ait jamais parlé auparavant…Bizzz ta soeur

  6. @Sloshy: Et comme disait un statisticien, si je mets mes pieds dans le four et ma tête dans l’azote liquide, mon corps est à la température idéale…

    @Ma grande soeur: Coucou !

  7. A ma derniere formation securite informatique, le formateur avait pour rengaine : “seul les paranoiaques survivent”. Cela doit etre une deformation professionnelle …
    Et puis le scam africain est la pour nous rappeler que la mefiance pour premiere reaction n’est pas si inutile 😉

  8. Je comprend très bien ce qui t’arrive.
    On me dis trop souvent que je suis paranoïaque… mais il faut bien savoir que la paranoïa est une vraie maladie ! 🙂 et que les réflexes d’envisager toujours le pire des cas n’a rien a voir avec cette maladie, évidemment. (cf wikipedia paranoïa)

    Ce qui fait peur dans ces situations, ce n’est pas le risque, mais l’impact.
    Le truc est de réussir a évaluer le risque de manière objective, exemple pour les enfants qui surgissent entre deux voitures : sommes-nous près d’une école, aux heures de sortie de cours, etc… et puis de toute façon on ne roule pas vite…
    Réussir a avoir confiance en soi, savoir que l’on saura gérer la situation avec ses réflexes et ses capacités : c’est la libération 🙂

    ([…] “Bon, est-ce que ce certif SSL est sur une blacklist, est-ce qu’il utilise MD5, est-ce que les ciphers sont corrects… bon ok c’est bon je peux me logguer avec mon ID gmail :D”)

  9. J’ai également les mêmes “symptômes”, mais finalement, c’est cela qui permet de bien faire son travail. J’y pense en permanence, surtout quand je dois concevoir un logiciel. Mais quand on voit les problèmes rencontrés par les utilisateurs, la naïveté de certaines personnes, la mauvaise foi et/ou la bêtise des uns et les arnaques des autres, il y’a de quoi se dire que cette paranoïa est justifiée.

  10. “….envie d’envisager toutes les catastrophes possibles pendant les préparatifs d’une fête ou d’un voyage (n’empêche, j’ai toujours un seau d’eau près de moi quand je fais un barbecue)….”

    Le seau, c’est pas le top….

    La graisse des magrets fumés coulant sournoisement sur les braises ravive une petite flamme naissante en créant un nuage de fumée. Les magrets prennent feu, éclaboussant de flammèches les brins d’herbe (très sèche en cette saison, sinon pourquoi profiter du beau temps pour faire un BBQ….) et du coup, c’est le sapin du voisin qui prend feu, la résine aidant. Dans la foulée, le champ tout proche, par solidarité, s’embrase et le feu, aidé par le vent tiède, se dirige vers le dépot d’essence tout proche….

    Un seau ??? il fallait un, non, plusieurs exctincteurs, non, un FPT, ben non finalement un Canadair… 🙂

    Sans exagérer la paranoïa, un seau est insuffisant, mais un extincteur ou une de ces petites bombes de CO2 sont plus utiles, car de durée d’utilisation supérieure au seau, même si il fait 5L.

    Sinon, la santé, ça va ????? 🙂

  11. Moi, j’ai une autre façon de voir les choses : quand j’ai l’appréhension qu’un mauvais évènement peut m’arriver, je me force à imaginer le pire.

    D’abord, le pire a peu de chance d’arriver, et ensuite il est encore moins probable que je puisse avoir la prémonition d’un évènement à venir (ce serait être devin et je n’y crois pas).

    Du coup, statistiquement, ça fait 2 fois moins chance que ça arrive… CQFD !

    nb: en revanche, je me force aussi à ne pas penser du tout à un bon évènement… pour qu’il y est statistiquement plus de chance qu’il m’arrive !

  12. Dans mes activités pro, je me doit également d'avoir une dose de paranoïa, mais lorsque ça devient un reflex quotidien et qu'on le maitrise, ça devient une gestion préventive.
    La prévention, dans son vrai sens, permet selon moi justement de ne pas devenir paranoïaque, vu que l'on a prévu les incidents/accidents et que ce que l'on a mis en place fait garde barrière.
    Et l'imprévu alors…?
    Et bien si l'on à bien fait le tour de la question, il ne survient exceptionnellement, et là, dans tout les cas, on est préparé quand même à le gérer au mieux, et ça servira à être encore meilleur pour la prochaine fois, mais ce qui évite de tomber dans la paranoïa, c'est de ce dire que justement, l'imprévu, par définition, ne peut pas être empêché !

  13. Bonjour,
    Oh oh je commente un vieil article… Juste une question en fait : comment est l'accès au wifi maintenant ? Nathanaël

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