EHPAD : une pensée pour les aidants

Pour ceux qui ne me suivent pas sur Twitter, je reproduis ici un mini récit que j’y ai posté et qui a ému plusieurs milliers de personnes. Le but n’était pas de “percer”, mais d’exprimer la souffrance que je ressens avec ma famille dans l’accompagnement de la fin de vie de mon père. J’ai écris ce thread d’une traite, après une discussion au téléphone avec ma mère, où je me suis mis à pleurer tout seul dans mon bureau après avoir raccroché… Je le dépose ici sur mon blog, en pensant aux enfants de mes enfants, comme la plupart de mes billets non techniques. Il n’y a pas de leçon particulière, ni de message autre que ce témoignage :

Mon père (88 ans) est hospitalisé depuis 2 ans. Il est atteint d’une maladie qui lui mange le cerveau petit à petit. Tous les jours ma mère (88a aussi) vient à ses côtés de midi à 20h. Tous les jours depuis 2 ans… Dimanches, vacances, jours fériés…

Toutes les infirmières les connaissent, et toutes les aides soignantes. Au début, elles acceptaient avec méfiance cette petite vieille qui s’incrustait dans le paysage et qui veillait à ce que le travail soit bien fait.

Mais petit à petit, cette petite vieille (c’est ma mère, hein) a gagné leur confiance. Elle les aide à prendre soin de son mari qui perçoit de moins en moins son environnement, mais qui continue à se rendre compte qu’elle est à ses côtés.

Je vais les voir le plus possible, et ma sœur aussi, et leurs petits enfants. Mon père ne semble plus me reconnaître, mais il réagit si je fais une erreur quand je raconte une histoire du passé, une histoire du temps où il me guidait sur le chemin de la vie.

Les aides soignantes, en sous effectif chronique, laissent ma mère donner à manger à mon père. Car c’est très long, il ouvre difficilement la bouche, et de toutes façons, il n’accepte de manger que si c’est sa femme qui le nourrit.

Elle lui donne également les médicaments (donnés par le personnel soignant), qu’elle prend bien soin de glisser dans la nourriture. Elle choisit les menus, car elle sait ce qu’il aime, et ce qui est bon pour lui. Elle lui donne à boire.

Elle le faisait marcher quand il pouvait encore se lever. Maintenant qu’il est prostré dans son fauteuil, elle lui parle. Elle couvre ainsi de sa voix les cris qui viennent des autres chambres. Des cris, des injures, des hurlements de personnes qui perdent pieds.

Comme ma mère ne peut plus conduire, nous avons mis en place un système de chauffeurs pour tous les jours de la semaine. Des associations de soutiens aux aidants le midi dans la semaine, et des taxis le soirs et le week-end.

Ces gens sont formidables. Ils l’accompagnent jusqu’à la porte de l’hôpital ou jusqu’à la porte de son immeuble. Ils la soutiennent s’il y a de la neige ou du verglas.

Mais samedi dernier, ma mère et son chauffeur ont trouvé la porte de l’hôpital fermée.

Il y avait une petite affiche qui indiquait qu’à cause du Covid19, plus aucune visite n’était autorisée.

Ma mère est restée devant la porte de l’hôpital, jusqu’à ce que quelqu’un ait un peu pitié d’elle et la laisse entrer discrètement. Elle est restée toute la journée près de son mari, l’a nourri et a aidé le personnel débordé.

Mon père avait été mis dans un fauteuil roulant et roulé jusqu’à la salle commune où il restait, immobile, les yeux clos, à attendre sa femme dans un vacarme de déments.

Il faut avoir été une fois dans un service hospitalier spécialisé dans les fins de vie pour comprendre cet enfer et le travail éprouvant du personnel qui y travaille.

Devant le désarroi de ma mère, le personnel de l’hôpital est resté ferme, et lui a expliqué qu’elle ne pourrait pas revenir le lendemain. L’hôpital est fermé à toutes visites (et c’est normal).

Ma mère reste maintenant chez elle et appelle tous les jours l’hôpital pour savoir si son mari a pris ses médicaments et si quelqu’un a eu la patience de lui donner à manger (il faut au moins 1/2h).

Elle appelle surtout pour savoir s’il est toujours en vie.

Parce qu’elle sait bien que c’est elle qui le maintient en vie.

Ma sœur et moi, nous lui disons qu’elle pourra sans doute bientôt retourner le voir et s’occuper de lui. Sans doute dans 15 jours.

Alors qu’on n’en sait rien. Et que ce sera probablement dans trois mois, mais qu’on ne veut pas la faire souffrir encore plus.

Donc, quand vous lirez que les visites sont suspendues dans les EHPAD, ayez une petite pensée pour les aidants et pour tout ceux qui ne vont plus pouvoir aller voir l’amour de leur vie, avec la certitude qu’il va mourir seul.

(fin du flood, et désolé)

Remarque : Le thread a généré beaucoup de réactions extrêmement gentilles et pleines de soutiens, ce qui montre que les personnes sur Twitter peuvent aussi se montrer bienveillantes, contrairement à ce beaucoup veulent faire croire en voulant museler les réseaux sociaux.

Informations : Une semaine après l’interdiction des visites, nous appelons l’EHPAD tous les jours pour avoir des nouvelles de mon père. Le personnel s’en occupe bien malgré le sous effectif et jusqu’ici tout va bien. Merci à tous pour vos pensées positives.

Pour ceux qui voudrait en savoir plus sur la vie de mon père, j’ai écris un billet sur lui il y a quelques années. Je vous invite à le lire.

Quant à ma mère, elle se repose et reprend des forces.

Une réflexion sur « EHPAD : une pensée pour les aidants »

  1. Une amie est morte dans un ehpad. Pas du covid, mais presque. Seule, confinement oblige.
    C’est dur.

Les commentaires sont fermés.