Mon père

Mon père est né avant la 2nde guerre mondiale. Parisien pendant l’occupation, il est envoyé en province pour manger correctement. Il fait ainsi sa première communion à Bayeux, le 5 juin 1944, soit un jour avant le débarquement des troupes alliées. Bayeux fut l’une des premières villes libérées de France métropolitaine.

Il me raconte encore aujourd’hui comment, avec d’autres enfants de tous âges, il demandait aux GI qui ont traversé Bayeux tout au long des semaines qui ont suivies, des barres de chocolat et des chewing-gums.

Enfant jovial et un peu turbulent, mon père m’a toujours faire rire en racontant les bêtises qu’il a pu faire à l’école, les blagues de potache, les explosions en cours de chimie… Cela l’a empêché d’avoir le baccalauréat, mais grâce à la Capacité en Droit, il a pu devenir instituteur, puis directeur d’école primaire.

Mon père aime la vie, et aime aussi l’animation des jeunes. Il sera membre du Bon Conseil à Paris, puis y deviendra animateur. Il racontera plus tard à son fils passionné (moi) les parties de cache-cache à 40 gamins toute une après-midi dans le métropolitain. 40 gamins (chacun avec un ticket) répartis en deux équipes, qui doivent se chercher dans un périmètre délimité par plusieurs lignes de métro…

Il a vécu une partie de son enfance à la caserne Babylone, dans le 7e à Paris, son père étant garde républicain, en charge de la surveillance de l’Élysée.

Mon père a été appelé en Algérie française pour faire son service militaire. Il y a rencontré une jeune et jolie jeune femme qui devint sa femme (et qui devint ensuite ma mère). Il me raconte cette anecdote d’avoir été consigné dans ses quartiers (interdiction de sortir de la caserne) au motif d’avoir “tenu la main de sa fiancée pour l’aider à descendre du tram”. Le motif avait fait le tour de la caserne pour le plus grand plaisir des hommes de troupe…

Il épousera ma mère et s’installera dans un quartier populaire de Hussein Dey près d’Alger, elle et lui exerçant le même métier : instituteur.  Ils y vivront pendant toute la guerre d’Algérie perdant à jamais leurs jeunesses dans ce gâchis colonialiste. Ils rentreront en métropole dans les derniers. Fonctionnaires ayant abandonné leurs postes, ils ne devront leur salut qu’au fait que tous les fonctionnaires aient abandonné leurs postes en même temps, prenant d’assaut les bateaux pour sauver leurs vies. Ils ne trouveront un poste d’enseignant que dans le Nord de la France. Je vous laisse deviner comment ma mère se souvient de son arrivée en France métropolitaine pendant l’hiver 1962-1963 après avoir connu la douceur du climat méditerranéen…

Courageusement, ils (re)construisent leur vie et éduquent leurs enfants en les entourant d’affection, en nous donnant le bonheur et la joie d’une jeunesse qu’ils auraient voulu avoir. Leur histoire commune est difficile à raconter séparément, tant leur couple semble avoir été, jusqu’à encore aujourd’hui, solide comme un roc.

Aussi loin que mes souvenirs remontent, mon père a été directeur d’école. Nous vivions d’ailleurs DANS l’école, puisque nous occupions le logement de fonction prévu pour le directeur. Cette maison, très grande avec des plafonds très hauts (4,20m!) et des pièces difficiles à chauffer, avait la particularité d’avoir des murs en briques recouvertes de torchis. J’en parle un peu dans ce billet. Pas très pratique pour planter un clou…

Il a été un directeur d’école très aimé par ses élèves. Il leur a consacré sa vie, se levant à 6h tous les jours pour se coucher à 23h. Les parents d’élèves, souvent d’origine très modeste, le respectait pour son humanité, même si certains lui faisaient quelques misères. Tout en gardant son humeur joviale, il travaillait dur (ma mère également), donnant beaucoup à ses élèves, croyant à l’ascenseur social, et ajoutait à ses heures normales des cours du soir destinés aux adultes analphabètes.

Lors de la cérémonie de remise de ses palmes académiques, j’étais un grand adolescent ému qui écoutait son père faire un magnifique discours rempli de blagues et de citations.

Quand il a pris sa retraite, bien méritée, il a continué à aller, plusieurs fois par an, dans son ancienne école de Wattrelos où il fut directeur si longtemps. Il y retourne pour faire chanter les élèves, avec l’accord des instituteurs. Il a continué 26 ans après son départ en retraite, jusqu’à aujourd’hui où la fatigue de son âge se fait sentir et l’oblige à renoncer.

Quand ma fille aînée est entrée en primaire (et nous habitons à l’autre bout de la France, plus près du soleil qui leur a tant manqué), il est allé voir le directeur de l’école primaire de mon grand village, s’est présenté et lui a proposé de faire chanter les enfants des classes. Un peu surpris au départ, tous les enseignants ont accepté et apprécié ce moment magique qu’il leur propose une ou deux fois par an depuis plus de 10 ans. Les enfants l’adorent. Son surnom: “le papy chanteur” !

Cette année sera la dernière de sa tournée des deux écoles: il commence à fatiguer. Je le soupçonne aussi d’avoir cherché dans les yeux de ses propres petits enfants (qui tous les trois ont fait la même école primaire) la fierté qu’ils avaient de pouvoir dire à leurs copains: le papy chanteur, c’est MON papy ! Mais maintenant, mon petit dernier quitte l’école primaire pour la 6e…

Mon père a eu et a toujours une belle vie bien remplie. Il s’est mis à l’informatique depuis deux ans, motivé par ma mère et avec l’aide de leur mairie qui propose des cours pour seniors. Nous leur avons offert un beau “tout en un” avec grand écran tactile et ils participent à une réunion Skype tri-partie chaque week-end, avec ma sœur, eux et moi.

J’ai toujours été réservé dans mes déclarations d’affection envers mon père. Un truc fréquent semble-t-il dans les relations enfants-parents. Comme je sais qu’il lira ce billet (avec l’aide technique de ma mère) depuis son Nord adoptif, je profite de cette fête des pères à distance pour lui dire, du bas de mes 49 ans:

“Papa, je t’aime !”

——————————–

Source image: Danger école

16 réflexions sur « Mon père »

  1. Encore un article très bien écrit qui vous prend au ventre dès le matin, et qui donne envie de faire aussi bien pour son papa dimanche!

  2. Bel hommage…. et au moins, de son vivant!! On a souvent tendance à garder pour soi ces sentiments… et à le regretter après le décès de la personne…

  3. j'avoue j'ai faillit y aller de ma petite larme!
    comme dans la chanson "faut pas pleurer une fois qu'ils sont partis".
    je ne reviendrai pas sur les qualités de votre père, ça a l'air d'être un homme bien, mais sur le "ce gâchis colonialiste". ce n'est pas le propos de votre billet, qui soit disant est une belle marque d'affection, mais qu'entendez-vous par la?
    sinon j'ai des souvenir de ma grand-mère me racontant son premier hiver en France en 62-63 dans les Ardennes… Ca a du les marquer quand on voit les moyennes de l'époque (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:GHCN_GISS_HR2SST_1200km_Anom1203_1963_1963_1949_1978.gif)

  4. Je sais pas par quelle sorcellerie tu fais ça, mais ta façon d'agencer les mots me touche.

  5. "J'ai toujours été réservé dans mes déclarations d'affection envers mon père. Un truc fréquent semble-t-il dans les relations enfants-parents."

    Justement, il ne faut pas. Quand j'étais étudiant, un copain me disait qu'il avait été surpris de voir une amie dire souvent "je vous aime" à ses parents avant de sortir. Car effectivement, c'est si rare de se le dire entre parents et enfants.

    Je m'étais juré d'agir pareil avec mes enfants. Et c'est ce que je fais avec ma fille. Le nombre de fois que je lui ai dit et lui dis encore "qu'est-ce qu'on l'aime c't'enfant là" ou bien un "bisous je t'aime" devant la porte de son école. Quel bonheur le soir d'avoir un "Papa je t'aime, bonne nuit, fais de beaux rêves".

    Après on va me dire que c'est par ce que je suis un papa gât[e|a]u[x]… d'autant plus que je n'en ai pas d'autres… M'en fiche, pourvu que cela dure quand elle sera ado puis adulte !

  6. Mon père n'a pas aimé la vie ; je l'ai aimé quand il était en chair et en os (jusqu'à ses 41 ans à lui, mes 18 ans à moi) et je l'aime toujours…

  7. Tu as bien raison de le faire maintenant. Ca fait trop mal de le dire quand il est trop tard.

  8. Quel hommage émouvant à papa ! détaillé et juste … j'ajouterais seulement : papa travaillait (ainsi que maman)de 8h du matin à 23h en faisant l'école, la cantine, l'école, l'étude surveillée des élèves et les cours du soir pour les étrangers pour pouvoir nous offrir l'éducation de leurs rêves :
    vacances d'hiver, séjours linguistiques, vacances d'été, cours particuliers si besoin …. je rappellerais aussi que nous les avons souvent remerciés de différentes façons … jusqu'au jour où ils nous ont dit : Merci, merci, mais ce qui nous ferait le plus plaisir, ce serait que vous fassiez de même avec vos propres enfants …
    Bravo à mon frère pour ce beau billet … on se dit scientifique … mais finalement, tu as aussi des talents
    littéraires ! Affectueusement, ta soeur.

  9. Et surtout, le roi de la Corvette, du traderidera, et du bouledogue, c'est MON papy!

    La bise de Boston,

    N.

  10. Je visite votre blog un peu par hasard (venant du blog quand le tigre lit), je tombe sur cette article et là Ho mais j'te r'connot t'es min coin… J'ai vécu les 20 première année de ma vie à Wattrelos…
    On s'en moque me dirait vous, oui sûrement, mais voilà c'est dit….
    Bravo pour votre blog(même si je suis ni expert ni informaticien et que donc je comprend pas tout…) mais j'y est lu des choses drôles et sensibles et des choses plus cruelles et pesantes mais très instructives…. Et c'est déjà beaucoup…
    Alexandre

Les commentaires sont fermés.