Le service militaire était l’occasion pour les jeunes appelés de s’exercer au tir. Enfin quand je dis s’exercer, je n’ai eu droit qu’à trois balles lors d’une unique séance de tir. Le coût sans doute, mais surtout la peur (justifiée) qu’avait l’encadrement de ces séances.
Nous avions répété moultes fois le maniement des armes, le MAS 49 (démontage, nettoyage, graissage, remontage) et le FA-MAS. Nous avions suivi les cours définissant la hausse et le guidon[1], et expliquant les principes de la visée, c’est-à-dire la superposition de la « ligne de mire »[2] et de la « ligne de visée »[3]. Nous avions déterminé quel était notre œil directeur[4].
Il est par ailleurs fascinant de constater que plusieurs d’entre nous avaient les plus grandes difficultés à maitriser l’alignement de l’œil directeur, de la hausse, du guidon et de l’objet visé…
Ce n’est pas mon cas. J’ai vécu toute mon enfance dans une école primaire qui possédait un stand de tir dans la cour de récréation[5]. Et, par ailleurs, je fais parti des enfants ayant eu une longue expérience de la carabine « à patates »…
Bref, nous voici donc en colonne par quatre, attendant notre tour de nous allonger par terre en position dite du « tir couché », plus facile pour la visée, mais surtout moins dangereux pour l’encadrement. Bien entendu, le neuneu de la troupe a réussi à vouloir se lever pour indiquer que son arme s’était enrayée… avant de se prendre deux sergents et un caporal sur le dos, du moins à ce que j’ai pu entreapercevoir, occupé que j’étais avec le reste de la troupe à me plaquer au sol (ce qui n’est pas facile quand on est sur quatre colonnes…)
Cet incident réglé, nous avons repris la séance de tir. On nous remet religieusement nos trois balles (impressionnantes quand même) de FA-MAS, on prend la suite de nos quatre camarades précédents. Il faut placer les trois balles dans le chargeur, le chargeur dans le fusil d’assaut puis s’allonger et attendre le signal d’ouverture du feu. Tout le monde est très nerveux autour de nous.
Je suis allongé. Je vois distinctement la cible située à 50m. Je retire le cran de sureté de mon FA-MAS en plaçant mon sélecteur de tir sur le mode « coup par coup » (et non pas le mode rafale!). Je retiens ma respiration comme on nous l’a appris pour ne pas bouger et j’appuie doucement sur la queue de détente. BANG. J’expire, j’inspire, je retiens mon souffle, je vise, j’appuie doucement, BANG. J’expire, je transpire, j’inspire, je retiens mon souffle, je vise, j’appuie doucement, BANG. C’est fini. Je suis trop loin pour voir les impacts sur la cible. J’attends que mes trois autres camarades aient fini. Je me lève. Je cherche mes trois étuis sans lesquels je suis bon pour une bonne corvée. J’en trouve trois que je ramène à l’officier en charge de la séance de tir. L’encadrement souffle, pour l’instant personne ne s’est blessé.
Me voici en route par un chemin protégé pour aller chercher ma cible et connaitre mon score. Le but étant, non pas d’atteindre le centre de la cible, mais d’effectuer un tir groupé, le score est calculé de la façon suivante: les trois impacts forment un triangle, chaque côté est mesuré, le score est la somme des longueurs des trois côtés. Plus le score est petit, plus vos trois tirs sont groupés. Le meilleur tireur est celui qui a le score le plus petit. Ceux qui ratent la cible n’ont pas de score.
Ma cible n’a que deux trous…
Le caporal qui gère les cibles se moque de moi: « Ben alors, transmetteur Zythom, on n’a pas les yeux en face des trous! Ça m’étonne de vous! »
Moi: « Vous êtes sur caporal? J’ai fait trois tirs identiques. Je suis sur d’avoir mis mes trois balles dans la cible! »
Nous vérifions tous les deux de très près la cible: l’un des trous est très légèrement ovale, et en y regardant de très près, on constate qu’il s’agit de deux trous tellement proches qu’ils n’en forment plus qu’un. L’une des balles est passée à travers de trou de la précédente… Mon triangle est presque plat. J’ai eu le score le plus petit de la troupe.
J’en ai encore la larme à l’œil 🙂
Au final, une seule personne s’est blessée pendant cette séance de tir: brulure à la joue par un étui qui s’est éjecté du mauvais côté (le FA-MAS peut être configuré pour gaucher ou pour droitier, le tout étant de ne pas se tromper).
Mon euphorie a été de courte durée. Le soir, je passais la serpillère dans le bureau des sous-officiers parce qu’un de mes camarades de chambrée avait mal fait son lit (j’étais chef de chambrée, donc punissable à merci).
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Bibliographie sur les techniques de tir: https://www.astircreil.com/Techniques de tir.htm
[1] Les organes de l’arme permettant la visée sont: la hausse située en arrière du canon et le guidon placé à son extrémité avant.
[2] Ligne de mire: droite allant du centre de la hausse au guidon.
[3] Ligne de visée: droite théorique allant de l’œil du tireur au point visé en passant par les instruments de visée.
[4] Au niveau de la vision, un œil domine l’autre: c’est l’œil directeur. Pour le connaître, pointez un doigt, les deux yeux ouverts, sur une cible et fermez successivement un œil puis l’autre. L’œil appelé directeur est celui qui laisse votre doigt pointé sur la cible.
[5] Véridique. Mais le stand de tir était bien entendu fermé à clef et réservé à un club de carabine à plomb.
"le FA-MAS peut être configuré"
le choix des mots est tout à fait correct, pourtant j'ai tendance à penser que seul un informaticien irait "configurer" son arme 🙂
Ne dit-on pas "magasin" plutot que "chargeur" ?
Cela dit, le service militaire en france est sur ce point en tout cas très différent du notre en suisse. J'ai tiré mes premières cartouches (il me semble un magasin complet, soit 20) dans le premier mois de mon Ecole de Recrue. Dans d'autres armes (j'étais transmission) c'était encore plus tôt. A la fin de l'école, c'est des dixaines de cartouches que nous avions tiré. Et pour vous dire franchement, j'aurais préféré n'en tirer que 3.
@Xavier: D'après wikipedia, on dit magasin si non amovible et chargeur si amovible. Mais il y a peut-être une erreur (je n'ai pas vérifié).
@passant: non, un informaticien aurait tweeké son arme, s'il ne l'avait pas hackée 🙂
Trop jeune, moi.
Le président (un modèle à bernadette, ça ne se fait plus) m'a écrit une lettre pour me dire que, bah, c'était pas la peine. Du coup je suis retourné fumer de la drogue.
Aujourd'hui, je vise surement très mal.
La carabine à patates ! J'avais oublié. ça se trouve encore, ce genre d'engin ?
Pour les tirs groupés, j'ai été noté sur le h+l (taille d'un rectangle vertical contenant les trois impacts). Jusqu'à 300 m. Une question de génération ? ou d'Arme de rattachement ?
Benoît
Je suis presque sur que l'on configure le FAMAS, presque aussi sur qu'il y a la tête de Mickey dans cette arme.
trusty
Pour l'oeil directeur, j'avais une technique d'enfer quand j'ai eue l'obligation d'etre instructeur 🙁
Faites un zero avec votre pouce et votre index et dites a quelqu'un de regarder a travers, inconsciement il utiliseras son oeil directeur 🙂
Vous me faites penser à un collègue enseignant qui évoquait ses capacités de tir au canon (il était chef de tank).
Ces compétences vous servent-elles?
@DM: Non, et j'espère qu'elles ne me serviront jamais. Et puis maintenant, je porte des lunettes et j'ai les mains qui tremblent.
Mais j'aimais bien tirer avec ma carabine à patates… alors le passage au tir à balles réelles m'a fait le même plaisir que le passage de mon kart à pédales à une voiture.