La fosse

Le premier mois de mon service militaire s’est effectué en Allemagne où j’ai effectué ma période de “classes“. J’ai raconté dans ce billet comment j’avais décidé d’obéir.

Pendant cette période d’instruction, nous avons eu à faire un parcours du combattant. Il s’agit d’un moment mythique, en théorie, mais en pratique c’est une autre histoire.

Notre encadrement avait divisé notre section de 140 hommes en quatre groupes pour que l’on évite de se marcher dessus. Chaque groupe se frottait à un morceau de parcours, sans (in)formation préalable.

Et dans ce parcours, se trouvait une fosse. Voici notre découverte du problème.

La fosse fait environ 2 mètres de profondeur, et forme un rectangle d’environ 8m sur 3. Nous sommes 35 jeunes appelés en tenue de camouflage avec nos grosses chaussures militaires. L’encadrement nous a gentiment demandé de nous entasser dans la fosse et nous donne la consigne suivante: “VOUS ALLEZ ME SORTIR DE CETTE FOSSE LE PLUS VITE POSSIBLE EN VOUS MAGNANT LE CUL”.

Le sergent donne le signal de départ et déclenche un chronomètre. C’est la ruée… Trente cinq bonshommes se poussent pour monter les murs de la fosse, passer les bras sur le bord et se hisser dehors. Les plus forts écrasent les plus faibles. Les plus lourds marchent sur les mains des plus délicats. Mais au bout de dix minutes, tout le monde est sorti et attend les ordres.

Le sergent nous explique gentiment: “BORDEL MAIS VOUS ETES NULS! VOUS DEVEZ METTRE MOINS DE TROIS MINUTES! RECOMMENCEZ!”

Nous redescendons tous dans le fosse. Je me dis qu’il plaisante et qu’au bout de plusieurs essais, lassé de nous voir nous marcher dessus, il nous traitera de grosses larves et nous pourrons passer à l’obstacle suivant.

Las, après quatre essais, et malgré nos six minutes et nos mains endolories, le sergent persiste à vouloir nous faire descendre sous les trois minutes. Comment cela va-t-il finir?

Au cinquième essai, tout le monde est KO et nous obtenons la permission de souffler un peu avant de recommencer.

Il est temps pour moi de trouver une solution, car mes mains commencent à saigner à force de prendre des coups. Je me place au centre du groupe et demande l’attention de mes camarades d’infortune. Je leur explique qu’il me semble possible d’arriver à se sortir de ce mauvais pas en adoptant une stratégie commune. Plutôt que de se pousser les uns les autres pour sortir de la fosse, il faudrait s’entraider. Tout le monde semble d’accord. Nous discutons de plusieurs idées et arrivons à nous mettre d’accord sur la stratégie suivante: les six plus costauds vont sortir en premier, en prenant appui sur les autres qui leur feront la courte échelle. Une fois dehors, ils se mettront par deux pour attraper un soldat encore dans la fosse et le sortir en tirant le plus fort possible.

Le sergent nous fait redescendre dans la fosse et donne le signal du départ. Nos six gros costauds se font quasiment éjecter de la fosse par tout le monde. Une fois en haut, ils nous attrapent à tour de rôle et nous soulèvent littéralement pour nous jeter hors de la fosse.

Je revois encore aujourd’hui le vol plané des plus légers qui sont venus s’écraser en tas à deux mètres du bord de la fosse. Nous avons mis deux minutes et trente secondes pour vider la fosse. Le sergent avait la larme à l’œil. Nous aussi.

Cela m’a valu l’estime de mes camarades et le droit de passer la serpillère dans le bureau des gradés pour avoir parlé pendant un temps de repos. La devise de mon régiment (de transmission): “Rien ne vaut que le silence”.

9 réflexions sur « La fosse »

  1. Sympa tout ça ^_^

    Par contre, chose qui m'inquiète, c'est le fait que vous ayez mis environ 30 minutes pour vous en apercevoir 😀

  2. Je pense que ca doit être pour ca que l'Armée est 'la grande muette'.

    Encore merci pour vos billets !

  3. et si j'avais proposé que les plus costauds servent de marche-pied/escalier aux plus léger?
    ah non, zut, après, les costauds peuvent plus sortir, ca marche pô.

    Ca me rappelle l'histoire du loup, de la chèvre et du chou…

  4. Sur le même thème du service militaire (sujet intarissable) j'ai vécu aussi cette anecdote amusante. Durant les classes nous avons eu droit à une séance pour apprendre à manipuler et lancer des grenades. Le capitaine qui nous faisait l'instruction était du genre tête brûlée.
    Le jour du cours, ledit capitaine n'a rien trouvé de plus intelligent que de réunir tout le peloton devant le camion qui contenait les caisses de grenades, et pour nous en expliquer le fonctionnement, il prit une grenade dans une caisse, et lentement, étape par étape, il nous a expliqué comment la tenir, attraper la goupille, la tourner, et, d'un coup il a dégoupillé la grenade.
    Ce geste ultime eut l'effet escompté car les 30 bidasses que nous étions là, plantés à quelques mètres devant lui, ont tous poussé une discrète clameur de surprise et d'inquiétude.
    Nous nous sommes tous regardés en se demandant ce qu'il fallait faire mais on n'a pas bougé d'un poil, un peu tétanisés, tout essayant de repérer un endroit ou plonger en cas d'urgence.
    En fait, durant toute la séance qui a duré un bon quart-heure, le capitaine a tenu sa grenade dégoupillé mais sans lacher la "cuillère", ce petit levier qui déclenche le compte à rebours avant l'explosion.
    A la fin du cours, il a délicatement remis la goupille pour bloquer la cuillère et il a reposer la grenade dans la caisse… et d'un coup nous avons commencé à souffler, nous détendre, sourire et à plaisanter et parler entre nous.
    C'est là qu'on s'est tendu compte que lorsque le capitaine avait dégoupillé la grenade, nous avions tous repéré le même petit caniveau au bord du chemin dans lequel nous aurions tous plongé si la grenade avait échappé de la main du capitaine….
    30 bidasses empilés dans un caniveau de 30 cm de profondeur ça aurait fait un drôle de moulon !

  5. Anonyme a dit : "Par contre, chose qui m'inquiète, c'est le fait que vous ayez mis environ 30 minutes pour vous en apercevoir :D"

    Ayant fait l'armée, je sais que dans cet environnement, il y a un truc qui fait qu'on ne réfléchit plus, ou pas de la même manière. Ce truc vient de la fatigue, de l'énervement, peut-être aussi de l'effet "foule" : le QI d'une foule est celui de son élément le plus bête… Ah je me rappelle, ce truc, c'est le treillis-rangers, tout simplement. C'est pour ça que je mettais toujours la tenue TDF (uniforme avec cravate) quand j'étais en état-major.

    En revanche, le sergent aurait dû vous apprendre ce qu'il fallait faire, et donc vous éviter d'avoir à réfléchir, car "réfléchir, c'est désobéir". Les insultes font partie du jeu, il faut en sourire (intérieurement) et ne pas se sentir insulté.

  6. En revanche, le sergent aurait dû vous apprendre ce qu'il fallait faire, et donc vous éviter d'avoir à réfléchir, car "réfléchir, c'est désobéir".

    J'ai été sergent mais j'ai aussi été une jeune recrue qui a aussi fini dans la fosse avec ses petits camarades. Cette épreuve est en effet un classique du genre mais je ne pense pas qu'il faille "expliquer" comment s'en sortir.

    Tout le monde sait se sortir individuellement d'un problème.

    Trouver une solution pour un groupe sans penser à soit même est la seule et unique solution qu'il faille trouver.

    Sur un champ de bataille (ou même dans la vraie vie mais cela est un autre débat), on ne peut rien faire de manière isolée. Si le groupe survit, vous survivrez.

    C'est une logique un peu dure à entendre quand on est habitué chaque jour à se débrouiller par soit même mais quand on se retrouve au pied du mur (ou de la fosse^^), on comprend l'intérêt d'apprendre à réfléchir "groupe". 🙂

  7. @Marc: J'aime beaucoup votre position, et je regrette même de ne pas y avoir pensé pour la chute du billet.

    En tout cas, j'adhère complètement.

  8. Dans l'armée, on forme beaucoup sans expliquer la finalité de la méthode. Il est effectivement probable (quasiment sûr) que le sergent voulait pousser sa troupe à comprendre qu'il fallait coopérer plutôt qu'à agir individuellement.

    Ca me fait penser aux exercices de marche au pas. L'instructeur disait hop!dééé hop!dééé pour nous mettre au pas, sauf que nous étions déjà au pas, mais pas sur le même pas que lui. On se disait tous qu'il était bête puisqu'il était incapable d'être au pas. Jusqu'à ce que je comprenne (beaucoup plus tard) qu'au contraire, son but était de nous apprendre à nous remettre sur un pas différent.

    Marc, rassure-moi, dis-moi que j'ai bien compris et qu'il faisait exprès.

  9. Sylvon, je l'espère aussi ou alors, le sergent avait "perdu le pas" ce qui arrive aussi

    (et oui il n'y a pas que des "bons" parmi les gradés et puis qui ne s'est jamais trompé^^)

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