Trois jours

J’ai conscience que beaucoup de lecteurs de ce blog viennent pour y lire des anecdotes sur le monde de l’expertise judiciaire. C’est mal connaître l'”esprit” de ce blog: j’y confie tout ce qui me passe par la tête ou presque et entre autre chose des anecdotes pour ma famille et mes amis. J’ai décidé d’inaugurer une nouvelle rubrique dans la catégorie “privée”: des anecdotes sur mon service militaire. A petite dose.

Je n’ai jamais vraiment aimé l’armée, mais j’ai toujours trouvé qu’elle représentait un mal nécessaire, un passage obligatoire qu’il fallait prendre du meilleur côté possible. Évidemment, maintenant que le service militaire n’est plus obligatoire, cela fait un peu “vieux papy”. Mais il fut un temps pas si lointain où pour tous les garçons qui atteignaient 18 ans, la question militaire devenait incontournable.

Les trois jours

Dans mon lycée, les pires légendes couraient sur ces fameux trois jours de casernement: les lits étaient sales, les douches collectives malodorantes, il fallait se lever à cinq heures du matin pour passer son temps à attendre…

Déjà, la plupart du temps, les trois jours n’en duraient qu’un seul. En tout cas, ce fut le cas de tout ceux qui m’accompagnaient. Arrivés le matin, nous avons commencé par des tests de logique: une heure à cocher des cases en courant contre la montre. Mes amis redoublant m’avaient prévenu: tu ne finiras pas le questionnaire. Il faut essayer de répondre juste au maximum de questions.

On nous a fait ensuite patienter une heure le temps pour les appelés de procéder à la correction.

Munis de nos résultats, nous voici en train de poursuivre le parcours fléché vers étape suivante: la visite médicale.

Je ne suis pas quelqu’un qui fait les premiers pas quand je ne connais personne. J’étais donc un peu isolé parmi la dizaine de petits groupes qui s’étaient formés alentour. Un gars plutôt rondouillard s’approche de moi et me demande si je sais où il faut aller pour la suite. Je lui réponds qu’il suffit de suivre les énormes flèches et de lire les indications. Pas rassuré pour autant, il me demande la note que j’ai obtenu aux tests. Je lui réponds discrètement: j’ai eu 20. Il me regarde avec des yeux tous ronds: quoi! A ben ça alors. Moi j’ai eu 7 et j’aurais voulu travailler comme cuisinier. Ils m’ont dit qu’il fallait avoir au moins 10 pour s’engager.

Je compatis avec lui. Il me suivra toute la journée, se méfiant des flèches et des indications, préférant suivre mon 20 plutôt que son bon sens à lui. Je ne sais s’il a eu raison.

La visite médicale est un grand classique. Nous voici dix alignés face à un mur sur lequel sont accrochés dix urinoirs. Au commandement, nous avançons avec notre flacon de verre vide pour le remplir. Quelques minutes ensuite, nous nous reculons avec notre verre de liquide chaud à la main. Sauf mon camarade d’infortune qui, tout rouge, annonce d’une petite voix qu’il n’a plus envie, ayant cédé à un besoin naturel quelques instants avant la visite médicale. L’appelé de service lui explique qu’il doit pouvoir fournir quelques gouttes en se forçant un peu… Ce qu’il fera avec grandes difficultés et moultes soupirs.

Puis vient l’examen de l’acuité visuelle. Nous sommes en file indienne. Je suis juste derrière mon camarade cuisinier. Lorsque le médecin lui demande de se cacher l’œil droit, je le vois mettre sa main sur l’œil droit et appuyer fortement dessus tout en lisant les lignes de caractères. Quand le médecin lui demande de faire la même chose avec l’autre œil, son œil droit était devenu incapable de lire quoi que ce soit… Le médecin haussa les épaules et cria: suivant! Je prie bien garde à placer ma main devant mon œil. On apprend toujours des erreurs d’autrui.

Tous les futurs appelés ayant eu au dessus de 15 aux tests de logique devaient passer un autre test que j’attendais avec impatience: le test de morse. Nous allions passer une heure à nous entrainer à apprendre à reconnaitre trois lettres, I N et T[1]. L’entrainement consistait à suivre les indications fournies dans les hauts parleurs par une bande magnétique. Chaque époque a ses NTICE. Passé l’heure d’entrainement, l’épreuve proprement dite commençait. Mes amis m’avaient prévenu: la grille des réponses comportait des groupes de cinq lettres à remplir. Les hauts parleurs allaient passer les sons morses à un rythme initial très lent, puis accélérer sensiblement jusqu’à soutenir un rythme tellement rapide qu’il était impossible pour un débutant de le soutenir. Le truc consistait alors à sauter les groupes de cinq lettres non reconnues et d’essayer de grappiller des points en saisissant au vol quelques groupes de lettres. Résultat: 20 🙂

C’est probablement pour cela que j’ai ensuite effectué mon mois de classes dans les transmissions. Cela ne peut pas être un hasard…

PS: Je n’ai jamais su ce qu’était devenu mon camarade morpion du jour des trois jours. S’il me lit ici, qu’il sache que si j’avais l’air sur de moi, j’étais également un peu perdu. J’espère qu’il a trouvé le bonheur qu’il méritait.

—————————–

[1] INT, c’était également le nom d’une grande école d’ingénieurs: l’Institut National des Télécommunications. Un hasard??

5 réflexions sur « Trois jours »

  1. Je sais que je suis jeune. Juste assez pour avoir échappé de justesse à la conscription nationale, mais pas assez pour manquer les trois jours.

    Bref, pour les trois jours, j'ai dû revenir de Brest en mon Limousin natal. Parce que bon, c'est bien connu, dans les environs de Brest, y'a pas assez d'installations militaires pour les faire passer sans avoir à se taper 11h de train. Ce serait moins drôle.

    Donc A/R pour mon Limousin natal, pour… 3h d'examens divers. Questionnaire envoyé, visite médicale expédiée (j'en avais déjà faite une deux ans avant pour d'autres projets), pas de morse mais mumuse avec la fameuse fusée, entretien rapide pour finir P2 (comme tout le monde, ou presque) et secouage de paluche avec le recruteur des paras "ah oui ça a l'air bien mais non merci, je fais des études" (et accessoirement, porter des rondins dans la boue en Guyane, bof).

    En fait, à l'époque, je n'étais pas forcément contre faire mon service. Le problème, c'était que le service, ça voulait dire 9 mois et un job en sortie d'école de perdus. Évidemment, y'avait bien scientifique du contingent ou CSNE, mais bon, la probabilité de se retrouver à balayer des mess était trop forte pour risquer la coup…

  2. Tout comme Sid j'ai fait mes trois jours (en fait 1,5 au final, pour cause de passage par ordre alphabétique, donc quasiment en dernier) et pas le service car Chirac l'a annulé juste après.

    Et effectivement la cabine avec test divers et varié (reconnaissance de suite varié avec forme mathématique, logique, association de mots et tutti quanti, j'ai pas eu 20, je m'étais contenté d'un 17 :).

    Et surtout le test de la fusée dans le labyrinthe … test ou j'ai explosé les scores à proprement parler tellement j'avais été "rapide" … En fait il fallait faire sortir une fusée d'un "labyrinthe" et la principale difficulté était donc de bien négocier les virages, d'arrêter d'accélérer au bon moment et tout ce qui va avec. Alors mon entrainement intensif en jeux vidéo m'a aider, mais ce qui m'a fait battre le record de vitesse, c'est deux choses :
    – quand on crashait son vaisseau, il réapparaissait au même endroit, mais sans pénalité de temps …
    – alors on perdait du temps a re-accélérer …

    Mais on gagnait tellement de temps à accélérer comme un dingue, se crasher, tourner le vaisseau, puis accélérer de nouveau a donf, et ainsi de suite que j'avais battue de plus de 20 secondes le précédent record …

    Et quand celui qui examinait les résultat est venu me demander comment j'avais fait, il ne m'a pas crut pendant au moins une minute … Avant de me dire que la société qui avait conçut le test allait se faire engueuler à un point difficilement imaginable (quoique son langage était largement plus fleuris 🙂 )

    Ce fut en tout cas très marrant pendant ces deux jours … mais faire son service 🙁 je ne sais pas comment je l'aurais pris au final …

  3. Ben moi j'ai fait la JAPD, une journée à se promener avec cantine fournie : o ) une bonne raison de louper le lycée, on se sent intelligent quand on passe le questionnaire (oui, je sais lire un programme TV et éviter les chevauchements entre ce que je veux regarder).
    Dommage que le gars qui faisait le topo ne soit pas marin, car moi, les avions…

  4. Moi aussi j'ai eu 20 à la plupart de mes tests. A la fin des "Trois Jours", je suis passé devant un officier qui m'a dit que compte tenu de mes résultats je pouvais choisir l'arme dans laquelle je voulais faire mon service.
    A l'époque j'aimais bien faire de l'équitation alors j'ai demandé la cavalerie.
    J'ai fait les EOR à Saumur puis j'ai effectué tout mon service dans les chars d'assauts sans voir un seul cheval !

Les commentaires sont fermés.